CALL CENTERS
d’appels sur son territoire dans les années 2000, alors
qu’il n’en avait quasiment pas 10 ans plus tôt. Ces
sociétés sont délocalisées d’Europe, en particulier de
la France mais aussi de l’Espagne. Implantées
d’abord à Casablanca, elles s’étendent dans de nom-
breuses autres villes, nouveau filon d’emploi dans un
pays où le chômage sévit. Le gouvernement marocain
a fait de ce secteur un pilier de son plan pour l’emploi,
d’autant que les investissements nécessaires sont
peu importants.
Mais les conditions de travail sont pires qu’en Europe
(avec des semaines de 44h, paiement à la tâche, brima-
des et menaces de licenciement…) et les perspectives
d’amélioration minces. On peut aussi s’interroger sur
l’avenir d’un pays qui voit ses étudiants diplômés en rela-
tions internationales, commerce, économie, etc. réduits à
faire de la publicité par téléphone, sous prétexte qu’ils
parlent le français ou l’espagnol. Car il n’est pas question
de laisser percevoir au client qu’ils appellent du Maroc. Il
faut donc se “franciser” ou s’ “hispaniser”.
Mais le Maroc semble encore trop cher pour les
sociétés avides d’augmenter leurs bénéfices. Aussi
lorgnent-elles actuellement vers des pays comme le
Sénégal, ou Madagascar…
C’est dire si l’enjeu d’un mouvement international
autour des conditions de travail s’avère primordial
dans ce secteur.
(1) Brigitte Poulet, Les call centers : des employés taillables et corvéa-
bles à merci ?, interview de Hans Somer, Journal du Collectif Solidarité
contre l’Exclusion n°25, mars/avril 2001.
(2) Mathieu Van Overstraeten, Trop de stress dans les centres d’appel,
La Libre Belgique, 26 octobre 2006.
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Fourmilière
Mai - Juin 2008
Dans les années ’90, Germain a travaillé dans plusieurs
call centers en Belgique pour payer ses études. Cela lui
a permis d’observer beaucoup de choses.
“J’ai d’abord travaillé pour une société basée à La
Hulpe, qui réalisait des enquêtes statistiques pour le
compte de journaux et créait des événements”. Les trois
autres sociétés que Germain a connues sont bruxelloi-
ses. “Marketing Unit était déjà une grosse société,
comptant environ 400 employés et spécialisée dans les
enquêtes sur les habitudes de consommation, qu’elle
vendait à des entreprises. Il s’agissait par exemple
d’étudier comment telle marque est perçue. J’ai aussi
travaillé pour la société NID, et pour Téléperformance,
axée sur la vente”. L’un de ses clients était Cuir n°1 : “Il
s’agissait d’inciter les gens à se rendre dans les show
rooms de la société. Pour cela, on leur offrait un cadeau
qu’il fallait aller chercher dans le magasin “. Rien qu’à ce
souvenir, Germain est hilare : “Il fallait l’annoncer
comme étant un meuble vidéo. Et puis, un jour on l’a vu,
ce cadeau. En fait, c’était un boîtier en plastique pour y
glisser le magnétoscope, et si vraiment vous aimiez la
vie aventureuse, vous pouviez toujours mettre la Tv des-
sus. Mais à vos risques et périls !”.
Pour une autre vente, Germain et ses collègues ont tra-
vaillé avec une technique devenue aujourd’hui
classique : “On avait un ordinateur devant nous, un
écouteur dans l’oreille, et c’est l’ordinateur qui donnait le
contact. On ne voyait pas le listing “clients”.
Cette technique permet notamment d’augmenter la pres-
sion sur les travailleurs : “C’est impressionnant et c’est
scientifiquement organisé, explique Germain. Si tu tra-
vailles sur base d’un listing papier, tu as prise sur ta
cadence de travail. Mais si c’est le PC qui te fournit les
numéros, cela ne s’arrête jamais et on peut calculer à la
minute près ta rentabilité.” Calculer la rentabilité de cha-
cun en temps réel, c’est ce que fait chaque chef chargé
d’un “champ” d’enquêtes. Les appelants sont surveillés
en permanence, ce qui ajoute au stress.
Le rôle joué par l’ordinateur ne permet pas l’initiative et ôte
le côté humain d’un contact. Qu’il s’agisse d’une enquête
ou d’une vente, c’est la machine qui dicte les questions et
même les réactions. Tom, autre ancien jobiste en centre
d’appel, explique : “Une fois je n’ai pas compris ce que
disait mon interlocuteur. J’ai tapé ‘j’entends mal’ et l’ordina-
teur a aussitôt affiché le message ‘raccrochez !’”.
La sélection peut aussi être très sévère, lors du training
d’engagement. “C’était surtout le cas chez
Téléperformance, se rappelle Germain. Pas question
d’avoir un accent, par exemple. Et ils avaient une préfé-
rence pour les femmes, qui passent mieux au téléphone”.
Avec des contrats étudiants ou d’indépendants complé-
mentaires à la pelle, le turn over est très important, ce
qui complique la possibilité de s’organiser entre travail-
leurs. “En tant qu’étudiants, on se sent peu impliqués,
d’autant plus qu’on reste rarement longtemps dans la
même société”.
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... Une nouvelle culture du travail