338
Rev Neurol (Paris) 2001 ; 157 : 3, 338-343
J. DE REUCK et coll.
Formation Post-Universitaire
Controverse
La démence vasculaire
Présentée à la Société de Neurologie en janvier 2000
J. De Reuck
1
, D. Leys
2
, M.G. Bousser
3
Adresses :
1
Service de Neurologie Hôpital Universitaire, Gand (Belgique).
2
Service de Neurologie et Pathologie Neurovasculaire. Université Lille II — Lille (France).
3
Service de Neurologie, Hôpital Lariboisière — Paris.
Tirés à part :
J. D
E
R
EUCK
,
Afdeling Neurologie. Universitair ziekenhuis Gent. De Pintelaan. 9000 Gent. Belgique.
La démence vasculaire
est sous-estimée
J. D
E
R
EUCK
. – Le concept de démence vas-
culaire a fortement évolué durant le siècle
dernier, mais reste néanmoins contro-
versé. « Démence artériopathique » était
le terme utilisé jusqu’aux années 1970,
reposant sur les idées initialement propo-
sées par Binswanger et Alzheimer que le
rétrécissement progressif du calibre des
artères était responsable d’une diminution
progressive du débit sanguin cérébral.
Cette hypoperfusion cérébrale chronique
était considérée comme la cause de la
démence sénile, bien qu’Alzheimer ait
déjà décrit les lésions neuropathologiques
de la maladie qui porte son nom. Il n’est
donc pas surprenant que, dès la fin des
années 1960, sous l’impulsion de Fisher,
le concept d’hypoperfusion chronique ait
été réfuté, rattachant la démence à l’exis-
tence d’accidents vasculaires cérébraux
(AVC) multiples. Grâce à des études par
tomographie à émission de positions
(TEP), montrant que la baisse du débit
sanguin était couplée à celle de la consom-
mation d’oxygène et que sa répartition
était variable, le concept de démence par
infarctus multiples a été introduit. Il a
fallu plus de quinze années pour admettre
que la destruction parenchymateuse liée
aux infarctus était insuffisante en elle-
même dans le déterminisme de la
démence (De Reuck et Santens, 1998). Le
terme de démence par infarctus multiples
a été, d’une part, accusé d’être abusive-
ment employé conduisant à une suresti-
mation (Brust, 1993) et, d’autre part,
d’être trop réducteur causant une sous-
estimation (O’Brien, 1993). Le terme plus
général de « démence vasculaire » reflète
actuellement le concept plus large d’un
syndrome aux mécanismes et aux étiolo-
gies multiples.
Les difficultés du diagnostic
et le biais des études
épidémiologiques
Malgré ce nouveau concept, la présente
controverse reflète encore toujours les
deux points de vue exprimés, concernant
les démences par infarctus multiples. Si
l’on accepte que tout dément ayant un ou
plusieurs infarctus au scanner X ou à
l’IRM, ait une démence vasculaire, les
démences vasculaires sont surestimées. Si
on accepte, en revanche, que la démence
vasculaire a différentes causes, incluant
non seulement les infarctus et les lacunes,
mais également les infarctus incomplets
non visible en imagerie, la leucoaraïose,
les effets du diaschisis et de l’hypoperfu-
sion chronique du cerveau, alors les
démences vasculaires sont sous-estimées.
Ceci explique les différences d’incidence
des démences vasculaires dans les études
épidémiologiques basées, d’une part, sur
des données hospitalières et des popula-
tions urbaines et, d’autre part, sur des
autopsies (Chui, 1998). Dans les cliniques
de la mémoire la fréquence de la maladie
d’Alzheimer est de 47 p. 100 et de la
démence vasculaire de 9 p. 100. En revan-
che dans les services admettant des mala-
des souffrant d’AVC, l’incidence de la
démence vasculaire est évaluée entre 15,9
et 56,3 p. 100. Les données épidémiolo-
giques dans les populations urbaines
varient selon le pays et le continent. En
Europe et aux États-Unis la démence
d’Alzheimer est 2 fois (2,6 p. 100) plus
fréquente que la démence vasculaire
(1,5 p. 100), alors qu’au Japon et en
Russie les proportions sont inversées
après 65 ans. Les vérifications anatomo-
pathologiques de démences au Japon
révèlent 50 p. 100 de démences vascu-
laires et 25 p. 100 de maladies d’Alzhei-
mer (MA). En Europe et aux États-Unis
l’incidence des démences vasculaires pures
varie de 7,5 p. 100 à 19 p. 100, tandis que
© Masson
Controverse •
La démence vasculaire
339
J. DE REUCK et coll.
celles des démences mixtes (Alzheimer et
vasculaires) ont une fréquence de 9 à
18 p. 100.
Les mécanismes vasculaires
de la démence
Les études anatomocliniques et en TEP
ont démontré une fréquence plus élevée
de démence dans les micro-angiopathies
avec lacunes et leucoaraïose que dans les
infarctus corticaux multiples, à l’excep-
tion des infarctus incomplets des territoi-
res jonctionnels. Cinquante pour cent des
malades présentant une démence vascu-
laire et 30 p. 100 de ceux présentant une
MA ont une leucoaraïose au scanner. Il
existe également des leucoencéphalopa-
thies vasculaires pures comme la maladie
de Binswanger et le CADASIL, mais ces
entités sont rares. Elles peuvent être expli-
quées par un mécanisme de diaschisis au
niveau cortical (De Reuck, 1994). Plu-
sieurs études en TEP ont démontré une
hypoperfusion chronique dans les démen-
ces vasculaires par micro-angiopathies,
lacunes et leucoaraïose, due à la perte des
réserves hémodynamiques, suivie par un
hypométabolisme cérébral global (De
Reuck
et al.
, 1998).
Le déficit cognitif vasculaire
et autre
Les études précédentes démontrent l’hété-
rogénéité des mécanismes des démences
vasculaires. Dès lors il serait logique de
redéfinir la démence vasculaire en terme
de déficit cognitif d’origine vasculaire
comme le propose Hachinski (Hachinski
et al.
, 1994). Ce nouveau concept pourrait
également être appliqué à toute autre
cause de déficit cognitif et permettrait de
rechercher les facteurs de risque de la
démence. Cela éviterait également le biais
d’une classification difficile entre démence
versus déclin cognitif non démentiel et
entre vasculaire versus dégénérative. Les
critères neuropathologiques de MA sont
aussi hétérogènes et complexes, en raison
de l’association de corps de Lewy corticaux
dans 10 à 20 p. 100 des cas, d’infarctus
non suspectés dans 17 p. 100, d’anomalies
de la substance blanche dans 30 p. 100 et
d’angiopathie amyloïde dans 80 p. 100
des cas.
Les facteurs de risque vasculaires
La fréquente co-existence de la MA et des
AVC n’est pas fortuite. Les nouvelles
entités comme celle de « démence post-
AVC » ont clairement démontré l’interac-
tion entre MA et AVC (Hénon
et al.
,
1997). L’apolipoproteine E4, l’angiopa-
thie amyloïde, la leucoaraïose, le diabète,
l’hypercholestérolémie et le tabagisme
sont des facteurs de risque communs aux
2 pathologies (Siau et De Reuck, 1998).
L’hypertension artérielle évoluant depuis
dix à quinze ans et l’hypotension artérielle
pendant la période de déclin cognitif, sont
des facteurs de risque retrouvés aussi bien
pour la MA que pour les AVC (Skoog
et
al.
, 1996). Le donepezil, employé comme
traitement symptomatique des troubles de
la mémoire chez des malades au début
d’une MA, aurait également un effet béné-
fique sur le déficit cognitif vasculaire.
Conclusion
Si les démences vasculaires pures sont
rares, les facteurs de risque vasculaires
sont très fréquents et sont les seuls qui
jusqu’à ce jour peuvent faire l’objet d’une
prévention ou d’un traitement.
La démence vasculaire
est surestimée
D. L
EYS
. – Au cours de la dernière décen-
nie la reconnaissance de facteurs vasculai-
res dans les démences a amélioré la prise
en charge des patients. La prévention des
accidents vasculaires cérébraux (AVC)
peut diminuer l’incidence des démences,
y compris de la maladie d’Alzheimer
(MA) (Forette
et al.
, 1998). Toutefois il y
a une tendance chez de nombreux clini-
ciens à diagnostiquer comme démence
vasculaire les cas de MA associés à des
facteurs vasculaires. Les conséquences
d’une telle surestimation des démences
vasculaires peuvent être graves : la prise
en charge générale de patients Alzheimer
diffère de celle de patients présentant une
démence vasculaire, des traitements spé-
cifiques ralentissant l’évolution de la MA
ne sont pas appropriés dans les démences
vasculaires, l’information donnée à la
famille sur l’évolution n’est pas la même
dans les deux affections, et certaines
familles souhaitent avoir un diagnostic
précis.
L’objectif est de montrer que les démen-
ces vasculaires sont surévaluées en prati-
que chez des patients ayant des facteurs de
risques vasculaires ou des antécédents
d’accidents vasculaires, et que le rôle
d’une pathologie dégénérative associée
est sous estimé. Toutefois cela ne doit ni
faire perdre de vue l’importance cruciale
des facteurs vasculaires dans les démen-
ces, y compris dans la MA, ni discuter la
réalité du concept de démence vasculaire.
Tendance historique
à la surestimation
des démences vasculaires
Jusqu’aux années 1970, l’athérosclérose
cérébrale entraînant une hypoperfusion
chronique était présentée comme la cause
majeure de démence, tandis que la MA
était considérée comme une affection rare
affectant des sujets d’âge moyen. Bien
que ce concept ait progressivement décliné
parallèlement aux informations apportées
au corps médical au grand public sur la
MA, il n’a pas totalement disparu dans
l’esprit de nombreux praticiens qui ne
sont pas familiers avec les démences.
Nombreux sont ceux qui considèrent
encore la plupart des démences comme
étant la conséquence d’une hypoperfusion
cérébrale chronique. Cette opinion expli-
que pourquoi certains patients déments
reçoivent encore des médicaments dits
vasoactifs.
Les démences vasculaires pures
sont rares et parfois discutables
Les démences vasculaires représentent la
deuxième cause de démence après la MA
(Prencipe
et al.
, 1997), mais ce concept
reste controversé (Hachinski et Norris,
1994). Des difficultés à l’élaboration d’un
diagnostic clinique et neuropathologique
ne sont pas encore résolues (Drachman,
1993). D’un point de vue clinique, une
relation de cause à effet entre AVC et
démence est probable dans les 4 circons-
tances suivantes : (1) chez des sujets
jeunes avec un faible risque de MA asso-
ciée, dont la démence apparaît après
l’AVC, mais cette circonstance n’est pas
fréquente ; (2) quand l’évolution temporelle
du déclin cognitif après un accident vascu-
laire suggère une relation de cause à effet,
mais l’exclusion d’une démence préexis-
tante n’est pas toujours facile en l’absence
340
Rev Neurol (Paris) 2001 ; 157 : 3, 338-343
J. DE REUCK et coll.
d’évaluation systématique (Hénon
et al.
,
1997) ; (3) quand les lésions vasculaires
sont localisées dans des régions stratégi-
ques (Benson
et al.
, 1982 ; Alexander et
Freeman, 1984), mais le concept d’infarc-
tus stratégique a été introduit avec la pre-
mière génération de scanner, et sans recul
suffisant ; ainsi une autre lésion vasculaire
cérébrale, et la contribution de lésions de
type Alzheimer au profil neuropsycholo-
gique ne peuvent pas être exclues dans de
nombreux cas d’infarctus stratégiques
(Pasquier et Leys, 1997) ; (4) quand un
marqueur spécifique d’une affection
vasculaire connue pour entraîner une
démence, est présent, par exemple dans le
CADASIL (Joutel
et al.
, 1996) ; cette
situation est probablement la seule dans
laquelle l’origine purement vasculaire
d’une démence ne peut être discutée, mais
elle est rare en pratique.
Les études épidémiologiques
surestiment les démences
vasculaires
La prévalence des démences vasculaires
est surestimée parce que de nombreuses
études ne font pas la distinction entre les
démences vasculaires et les MA associées
à des anomalies vasculaires, mais les clas-
sent toutes deux dans les classes des
démences vasculaires (Rocca
et al.
, 1991).
Le manque de spécificité
des critères de diagnostic
de démence vasculaire
et de MA favorise la surestimation
des démences vasculaires
Les critères du NINDS-AIREN stipulent
que des anomalies de la substance blanche
isolées peuvent entraîner une démence
lorsqu’elle concerne au moins 25 p. 100
du volume de la substance blanche (Roman
et al.
, 1993), mais cette hypothèse n’a
jamais été testée, et la limite à 25 p. 100
est arbitraire. Plus rarement, des anoma-
lies de la substance blanche ont aussi été
décrites dans la MA (Rezek
et al.
, 1987 ;
Leys
et al.
, 1992 ; Erkinjuntti
et al.
, 1994),
en particulier un début tardif (Scheltens
et
al.
, 1992), même après exclusion des fac-
teurs de risques vasculaires (Scheltens
et
al.
, 1992 ; Leys
et al.
, 1992). Quand un
patient atteint de MA présente des fac-
teurs vasculaires, la MA peut être difficile
à diagnostiquer. Ce problème pourrait être
résolu si nous avions à notre disposition
un marqueur sensible et spécifique de
MA. Dans une étude neuropathologique
(Gold
et al.
, 1997), 57 p. 100 des patients
ayant une MA et des lésions vasculaires
étaient considérés comme ayant une
démence vasculaire pure selon les critères
de l’état de Californie (ADDTC) (Chui
et
al.
, 1992) ; Le pourcentage de mal classés,
allant dans le sens d’une surestimation de
démences vasculaires pures, était de
29 p. 100 avec les critères du NINDS
AIREN (Roman
et al.
, 1993) et de 18 p. 100
avec le score d’Hachinski (Hachinski
et
al.
, 1975). La difficulté que l’on observe
avec les critères de diagnostic est que les
cas de démences vasculaires pures, c’est-
à-dire sans lésions Alzheimer à l’autopsie,
pourrait être extrêmement rares (Hulette
et al.
, 1997).
Les critères de diagnostic de la MA, utiles
pour la recherche, nécessitent l’exclusion
de toutes pathologies cérébrales que le cli-
nicien considère comme pouvant contri-
buer au déclin cognitif (McKhann
et al.
,
1984). En pratique, de très nombreux pra-
ticiens excluent des patients ayant des
lésions vasculaires cérébrales, et parfois
même simplement des facteurs de risques
vasculaires (Leys
et al.
, 1990 ; Scheltens
et al.
, 1992). Ainsi la prévalence de la MA
est-elle sous estimée, et celle des démen-
ces vasculaires surestimée, alors que la
prévalence de la MA (Rocca
et al.
, 1990)
et des AVC (Giroud
et al.
, 1989) est éle-
vée chez les sujets âgés.
Chez les patients présentant
un accident vasculaire la MA est
plus fréquente que ne le voudrait
le hasard
Le lien entre pathologie cérébrale et MA
est probablement plus important que ne le
veut le hasard (Pasquier et Leys, 1997). La
MA et les accidents vasculaires cérébraux
partagent des facteurs de risques comme
l’âge (Rocca
et al.
, 1990), l’hypertension
artérielle (Skoog
et al.
, 1996) et le géno-
type
ε
; 4 de l’ApoE (Slooter
et al.
, 1997).
Des lésions vasculaires cérébrales sont
présentes chez 20 p. 100 des patients
ayant une MA à l’autopsie (Jellinger
et al.
,
1990 ; Ince
et al.
, 1995 ; Victorof
et al.
,
1995), alors qu’il est exceptionnel à
l’autopsie d’un patient dément de ne trou-
ver que des lésions vasculaires (Hulette
et
al.
, 1997). La vasculopathie de la MA
comprend l’angiopathie amyloïde (Yamada
et al.
, 1987 ; Kalaria, 1996), source poten-
tielle d’hémorragies (Ellis
et al.
, 1996 ;
Lucas
et al.
, 1992), et d’infarctus (Ellis
et
al.
, 1996 ; Premkumar
et al.
, 1996), et un
épaississement fibrohyalin non spécifique
de la paroi des petits vaisseaux perforants
intracérébraux (Brun et Englund, 1986 ;
Rezek
et al.
, 1987 ; Leys
et al.
, 1991 ;
Erkinjuntti
et al.
, 1996), qui peut favoriser
la survenue de lacunes, d’anomalies de la
substance blanche, ou les deux (Rezek
et
al.
, 1987 ; Hijdra
et al.
, 1990 ; Leys
et al.
,
1992 ; Erkinjuntti
et al.
, 1996). Un épais-
sissement intima-média au niveau de
l’artère carotide commune est plus fré-
quente dans la MA que chez des témoins
(Hofman
et al.
, 1997), et l’athérosclérose
aortique est plus fréquente à l’autopsie de
patients Alzheimer que chez des témoins
du même âge (Kalaria, 1997). Ainsi les
patients Alzheimer ont-ils souvent des
anomalies des vaisseaux cérébraux, con-
tribuant ainsi à une surestimation des fac-
teurs vasculaires.
Quand une démence survient après un
AVC, la tendance est de considérer que la
démence est la conséquence directe des
lésions vasculaires cérébrales. En fait, une
démence pré-existante existe chez 1/6
e
des
patients de plus de 40 ans présentant un
accident vasculaire ischémique ou hémor-
ragique constitué, et est souvent due à une
MA débutante (Hénon
et al.
, 1997). Dans
une étude finlandaise le déclin cognitif est
présent avant l’AVC chez près d’un tiers
des patients développant une démence
post-accident vasculaire (Pohjasvaara
et al.
, 1997). Tatemichi
et al.
(1992) consi-
déraient que les patients présentant un
déclin cognitif avant leur accident vascu-
laire, avaient une MA. Dans l’étude de
Rochester, le risque de survenu d’une MA
était doublé 24 ans après un accident vas-
culaire (Kokmen
et al.
, 1996), suggérant
que l’accident vasculaire puisse induire
une anticipation de l’expression clinique
de la MA. Dans l’étude de New York, la
pathologie vasculaire est la cause de la
démence chez 56,1 p. 100 des patients
développant une démence
de novo
après
un accident vasculaire, tandis que
36,4 p. 100 de ces démences sont présu-
mées dû à la coexistence d’une lésion vas-
culaire et d’une MA (Tatemichi
et al.
,
1994). Quelques démences survenant après
© Masson
Controverse •
La démence vasculaire
341
J. DE REUCK et coll.
un accident vasculaire ont d’ailleurs un
début progressif et une évolution suggé-
rant plus une affection dégénérative
qu’une affection vasculaire (Tatemichi
et
al.
, 1994).
Une lésion vasculaire cérébrale
peut révéler une MA « pré-clini-
que »
De nombreux cas de démences survenant
chez des patients ayant une pathologie
vasculaire cérébrale sont la conséquence
de l’effet cumulatif de la lésion vasculaire
cérébrale, de lésions de type Alzheimer,
et d’anomalies de la substance blanche.
Même quand ces modifications ne sont
pas suffisamment évoluées pour entraîner
par elle-même un syndrome démentiel,
leur association peut faire atteindre le
seuil de lésion nécessaire pour induire une
démence (Pasquier et Leys, 1997). Quand
un accident vasculaire, des anomalies de
la substance blanche, ou les deux, survien-
nent chez un patient présentant des lésions
anatomiques de MA encore asymptoma-
tique, la longue période pré-clinique de
développement des lésions de type
Alzheimer pourrait être raccourcie (Pas-
quier et Leys, 1997). Ainsi, de nombreuses
démences pourraient être la conséquence
de la sommation des effets de lésions vas-
culaires, de lésions de type Alzheimer et
d’anomalie de la substance blanche. Les
résultats de l’étude des religieuses améri-
caines (nun study) (Snowdon
et al.
, 1997),
est en faveur de cette hypothèse. Les
lésions vasculaires pourraient jouer un
rôle important dans l’apparition et la sévé-
rité des symptômes cliniques de type
Alzheimer (Snowdon
et al.
, 1997). L’évo-
lution clinique chez de tels patients est
celle d’une MA. D’un point de vue théo-
rique une prise en charge optimale des
facteurs de risques vasculaires devrait
réduire l’incidence de la MA (Pasquier et
Leys, 1997 ; Leys et Pasquier 1999).
L’étude publiée par Forette
et al.
(1998)
pourrait avoir des implications majeures
en terme de santé publique : l’abaissement
de la pression artérielle avec la nitrendi-
pine chez des sujets âgés non déments pré-
sentant une hypertension artérielle
systolique réduit de façon significative
l’incidence de la MA sur une période de
2 ans. Le mécanisme par lequel le traite-
ment de l’hypertension artérielle systoli-
que du sujet âgé réduit l’incidence de la
MA pourrait être simplement une préven-
tion des accidents vasculaires, évitant
l’anticipation du début d’un certain nom-
bre de MA dont la symptomatologie aurait
été précipitée par des infarctus (Leys et
Pasquier, 1999).
Conclusion
Les AVC et la MA sont plus souvent asso-
ciés chez le même patient que ne le vou-
drait le hasard. Un accident vasculaire,
même de petite taille, avec des conséquen-
ces physiques limitées, peut induire une
anticipation de l’expression clinique d’une
authentique MA qui, sans pathologie
vasculaire, se serait exprimée quelques
années plus tard. La reconnaissance d’une
composante vasculaire dans un syndrome
démentiel est cruciale en terme de prise en
charge et de prévention. Toutefois, la
reconnaissance d’une MA associée chez
un patient développant une démence après
un accident vasculaire est aussi impor-
tante avec l’émergence de traitements
symptomatiques de la MA, et le devien-
drait encore plus dans l’hypothèse de trai-
tements étiopathogéniques. Le risque
d’une surestimation des démences vascu-
laires est de négliger une MA associée, et
de priver le patient de traitements spécifi-
ques qui pourraient lui rendre service.
Ce risque m’amène à suggérer que dans
notre pratique nous ayons une attitude
plus pragmatique, qui consisterait tout
d’abord à reconnaître le syndrome clini-
que qu’est la démence, puis à identifier
l’ensemble des facteurs qui peuvent y
contribuer, qu’il s’agisse de facteurs vas-
culaires, dégénératifs, ou autres. Cette
démarche permettrait d’apporter au
patient la thérapeutique la plus appropriée
de chaque facteur étiologique, et serait
plus utile que de classer un patient dans
un cadre nosologique trop rigide, et sou-
vent erroné.
Conclusion
M.-G. B
OUSSER
. — Comme souvent dans
une controverse, les deux protagonistes
ont bien joué leur rôle mais finalement ils
sont à peu près d’accord. Jacques De
Reuck a montré que la fréquence de la
démence vasculaire était sous estimée et
Didier Leys qu’elle était surestimée mais
l’un et l’autre ont conclu à la grande fré-
quence de l’association de lésions vascu-
laires et de lésions de maladie d’Alzheimer
avec les conséquences thérapeutiques qui
en découlent. En effet, bien que nous
soyons toujours plus à l’aise avec des
catégories diagnostiques mutuellement
exclusives et intellectuellement conforta-
bles, il faut reconnaître que ceci est rare-
ment le cas à partir d’un certain âge et que,
pour le sujet qui nous occupe aujourd’hui,
les maladies d’Alzheimer pures, sans
aucun facteur de risque vasculaire sont
rares, tout comme sont très rares, les
démences vasculaires pures telles que
CADASIL ou certains infarctus stratégi-
quement situés.
Je rappellerai simplement l’étude de
Snowdon
et al.
(1997) consacrée à l’ana-
lyse de 102 cerveaux de religieuses amé-
ricaines ayant eu dans leur jeunesse
l’équivalent du baccalauréat et ayant subi
des batteries de tests psychométriques
dans les années précédant leur décès. Le
diagnostic de maladie d’Alzheimer était
basé sur des critères neuropathologiques
stricts comportant la présence d’abondan-
tes plaques séniles et de dégénérescences
neurofibrillaires. Dans le groupe ainsi
défini (61 religieuses), la prévalence de la
démence cliniquement définie (sur des
scores cognitifs et sur l’altération des acti-
vités de la vie quotidienne) était de
88 p. 100 lorsqu’existait un infarctus céré-
bral contre 57 p. 100 sans infarctus. Les
infarctus n’avaient pas besoin d’être volu-
mineux pour aggraver le risque de
démence clinique : en effet l’impact d’un
infarctus lacunaire au niveau des noyaux
gris ou de la substance blanche profonde
était plus prononcé que celui d’infarctus
corticaux territoriaux. La présence d’un
ou de deux infarctus lacunaires augmen-
tait même la prévalence de la démence
jusqu’à 93 p. 100 dans cette population,
soit un risque relatif de 20,7 comparé aux
patients sans infarctus. En revanche, en
l’absence des critères neuropathologiques
de maladie d’Alzheimer, la présence
d’infarctus cérébraux ne s’accompagnait
d’aucune démence clinique. Ainsi les
infarctus cérébraux semblent agir en
abaissant le seuil auquel les lésions
d’Alzheimer produisent une démence. Ils
jouent donc un rôle parfois déterminant
dans la survenue de signes cliniques de
maladie d’Alzheimer.
342
Rev Neurol (Paris) 2001 ; 157 : 3, 338-343
J. DE REUCK et coll.
La conséquence pratique de cette intrica-
tion entre lésions vasculaires et lésions
d’Alzheimer est simple : il faut traiter les
facteurs de risque vasculaire et empêcher
autant que faire se peut la survenue
d’infarctus cérébraux. Non seulement, une
telle prévention diminue le risque de
démence vasculaire, mais elle diminue
aussi le risque de maladie d’Alzheimer
comme cela a été démontré dans l’étude
Syst-Eur (Forette
et al.
, 1998). Il est donc
crucial d’appliquer à une large échelle les
mesures dont l’efficacité dans la préven-
tion des accidents vasculaires cérébraux a
été démontrée dans des essais randomisés,
telles que le traitement de l’hypertension
artérielle, l’endartérectomie carotidienne,
l’utilisation de l’Aspirine et des autres
agents anti-plaquettaires dans l’athéros-
clérose, le traitement anticoagulant dans la
fibrillation auriculaire, l’utilisation de sta-
tines en cas d’hypercholestérolémie et le
traitement des autres facteurs de risque
vasculaire.
Références
A
LEXANDER
M, F
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