h i g h l i g h t s 2 01 2 : m é d e c i n e g é n é r a l e Qui peut le plus peut le moins – la lutte contre le «copier – coller» dans les rapports médicaux Bruno Kissling, médecin de famille et co-rédacteur en chef de PrimaryCare «Structure, processus et résultat» – c’est sur cette triade largement reconnue de Donabedian* que s’appuie le cours consacré à la qualité dans le domaine de la médecine. Récemment, le Bulletin des médecins suisses a abordé de nouvelles dimensions dans le concept de qualité avec l’introduction de sa rubrique «Indication et diagnostic». En parlant de qualité, il faut cependant encore évoquer une dimension supplémentaire: la qualité des données et leur quantité dans le contexte de la communication interdisciplinaire et de la collaboration au sein du traitement intégré des patients chroniques polymorbides. Un groupe de travail rassemblant des médecins de famille, des spécialistes et des médecins hospitaliers, des médecins en cours de formation postgrade et éventuellement d’autres acteurs devrait créer un modèle de rapport médical contenant un set soigneusement sélectionné des données indispensables. Les investigations et les processus thérapeutiques de plus en plus complexes et toujours plus spécialisés chez les patients chroniques polymorbides impliquent le plus souvent des spécialistes et des institutions de tous bords: médecins de famille, spécialistes pratiquant dans des cliniques privées ou des consultations ambulatoires hospitalières, services hospitaliers, centres de radiologie, laboratoires, instituts de pathologie, etc. Or, ces antennes sont habituellement assez dispersées sur le plan géographique. Une bonne collaboration entre ces différents intervenants est une condition absolument nécessaire pour assurer à ces patients des soins intégrés de qualité avec un risque minimal d’erreurs. Communication – la clé de toute collaboration pluridisciplinaire Bruno Kissling La communication est le pont qui relie les très nombreuses interfaces de la collaboration pluridisciplinaire. Comme nous le savons, elle est aussi la source la plus fréquente des problèmes. La communication mérite donc une attention toute particulière. Lorsqu’une décision commune rapide est requise, elle peut prendre une forme orale ou téléphonique. En règle générale, elle passe cependant par des rapports médicaux et des lettres de sortie distribués par fax, par courrier ou par messagerie électronique. Avec un temps de latence plus ou moins important. Mais surtout avec une nette tendance à l’augmentation de la masse de données transmises et ça et là une tendance inverse à la diminution de l’approfondissement de celles-ci. Parfois, nous médecins de famille sommes submergés par un véritable tsunami de données, clairement favorisé par le copier – coller. J’aimerais donc souligner aujourd’hui les défauts de la culture actuelle en matière de rapports médicaux et appeler à une nouvelle approche de la communication des données. Les rapports médicaux du futur devraient favoriser une communication pluridisciplinaire plus ciblée et plus sûre, à l’aide d’une quantité de données adaptée à la réalité du patient et du cabinet. La triade de Donabedian dans la communication «Nous rentrons pas trop grave» – un SMS adressé à son fils par l’épouse d’un patient à la suite d’une consultation aux urgences. Elle voulait dire: «Nous rentrons, pas trop grave.» Il a compris: «Nous (ne) rentrons pas, trop grave.» Une mauvaise communication qui, au lieu de tranquilliser, a suscité les plus vives inquiétudes [2]. La communication peut aussi être appréciée dans la perspective de la triade de Donabedian basée sur la structure, le processus et le résultat: – Structure: le message doit être correct du point de vue du contenu, ainsi que sur le plan linguistique et grammatical; il doit être compréhensible. – Processus: l’information doit être intrinsèquement correcte; son volume doit être adapté et correspondre aux besoins du destinataire et à son niveau d’information propre. Elle doit arriver au bon moment avec le média approprié – entretien direct, communication téléphonique, lettre, fax, e-mail. – Résultat: l’information doit avoir été bien comprise et parfaitement interprétée par le destinataire; les points éventuellement restés obscurs doivent pouvoir être clarifiés. Les rapports médicaux actuels – beaucoup de blabla pour une utilité qui laisse à désirer Intéressons-nous quelques instants à la quantité et à la qualité des données figurant dans les rapports de spécialistes et les lettres de sortie des hôpitaux. Il est un fait que la plupart des rapports sont précis et corrects en termes de contenu. Le fait est cependant aussi que la masse de données transmise est dans la plupart des cas absolument excessive. Pour illustrer ce problème, prenons l’exemple d’un patient qui nous inflige, dans l’angoisse du moment, d’une logorrhée désordonnée inarrêtable. Il est pour nous médecins extrêmement difficile d’écouter attentivement le patient, de canaliser son discours avec doigté, d’appréhender tous les aspects et toute la signification du problème, de ne rien manquer, de résumer ce flot d’informations et finalement d’en extraire l’essentiel pour le patient et nous-mêmes. Cela nécessite une certaine expérience, ainsi que le recours à des techniques de communication interactives. Lorsque parvenu à la fin d’une longue journée de consultations, j’ouvre mon courrier, je me trouve de plus en plus souvent confronté précisément à ce genre de lettres de sortie et * Avedis Donabedian (1919–2000), médecin et scientifique américain, précurseur et pionnier du discours sur la qualité dans le monde de la santé. Forum Med Suisse 2013;13(1–2):4–5 4 h i g h l i g h t s 2 01 2 : m é d e c i n e g é n é r a l e de rapports de spécialistes bavards et renfermant de véritables avalanches de données. Des lettres dodues, contenant des pages en grand nombre, aussi illisibles que le mode d’emploi de ma nouvelle caméra. Et mon enthousiasme de retomber aussitôt… et mon œil entraîné par 30 ans d’entraînement à cette tâche de passer en mode automatique, parcourant le texte en diagonale à la recherche de l’essentiel… relevé ici et là par un petit trait de mon stylo. J’inscris dans le dossier du patient un concentré de ma lecture, autrement dit les principaux résultats d’examens, diagnostics et traitements médicamenteux. J’écris en vitesse et en quelques mots ce qu’il ne faut pas oublier sur un Post-it que je colle sur le dossier. La récolte que nous tirons de la lecture de ces rapports médicaux regorgeant de données est souvent maigre. On a parfois l’impression que l’auteur n’a en fait jamais vu le patient, que le jeune assistant en formation, qui est le principal rédacteur du texte, n’a pas bénéficié des conseils ni du soutien de ses chefs cosignataires, que ce sont simplement les entrées faites dans les champs des bases de données électroniques qui ont été copiées dans la lettre et que le texte répond probablement davantage aux impératifs d’assurance qualité touchant actuellement au fétichisme qu’il ne garantit le transfert d’informations ciblées réellement utiles. Et cette masse de données n’empêche pas qu’il manque parfois dans la liste des diagnostics le motif de l’hospitalisation ou encore l’opération qui vient d’être réalisée et qui ne figure quelquefois que sous la mention «Status après…». L’indication et la signification des examens complémentaires peuvent passer inaperçues malgré l’abondance de mots. Les motifs de certaines décisions thérapeutiques essentielles peuvent avoir été omis ou être noyés quelque part dans le texte. Il n’est pas rare non plus que les propositions concernant la suite de la prise en charge soient enfouies dans un paragraphe ou un autre du rapport. La liste de médicaments, souvent interminable, ne correspond pas forcément à celle de la carte de posologie du patient. Le «copier – coller» a pour conséquence une insertion presque aléatoire et sans réflexion, «par simple mesure de sécurité», des examens complémentaires et des résultats de laboratoire. Pour finir, il nous reste souvent la désagréable sensation d’avoir manqué quelque chose d’important. De nombreux rapports intermédiaires de spécialistes ne contiennent fréquemment que quelques rares termes nouveaux, ce qui ne les empêche pas d’être aussi épais que les précédents par la répétition de toutes les informations déjà connues. Dans le meilleur des cas, les changements sont mis en évidence dans le texte. En fonction de ce qui me reste de forces à la fin de la journée, je dépose ces rapports «obèses» dans le dossier des patients ou je procède immédiatement à leur classement vertical, trop riches qu’ils sont en chiffres inutilisables pour moi, ce qui me permet de préserver un peu de place dans ma cartothèque déjà surchargée. Il n’y pas à craindre les pertes de données, puisqu’elles sont conservées dans les archives de l’expéditeur et des autres destinataires. Mes collègues travaillant déjà avec des dossiers médicaux informatisés n’ont probablement pas la tâche beaucoup plus facile, parce que leur système ne leur permet pas d’extraire les informations essentielles plus facilement. La nécessité de sélectionner les données ne leur est pas non plus épargnée: que vaut-il la peine de scanner et que peut-on se permettre d’«oublier»? Leur seul avantage: ils n’ont pas besoin de conserver cette masse de données physiquement dans une cartothèque. Ils peuvent au moins les déposer de manière plus élégante au milieu des autres bits du disque dur de leur ordinateur. Il nous faut une nouvelle forme de rapports médicaux Les aspirations des médecins de famille sur ce plan sont très claires: nous avons besoin d’une nouvelle forme abrégée de rapport médical, contenant uniquement les données essentielles, soigneusement sélectionnées et véritablement nécessaires. Les imperfections énumérées ci-dessus constituent en même temps le programme des améliorations requises pour les rapports médicaux du futur. Il est grand temps que des médecins de famille, des spécialistes, des médecins en formation et, le cas échéant, d’autres acteurs se réunissent pour réfléchir ensemble – à une nouvelle structure de rapport médical, – aux besoins d’informations centrées sur le médecin et le patient, – à une sélection soigneuse des données recueillies, à leur interprétation et à leur intégration, – à une transmission aussi concise et claire que possible des données, dans un délai optimal. Il faudra pour cela du temps, un savoir, de l’engagement, ainsi qu’un financement approprié. Mais il y a de très bonnes raisons pour se lancer dans le projet et quelques exemples mériteraient qu’on s’en inspire. Les oncologues établissent ainsi des listes de diagnostics en résumant en quelques mots, pour chacun de ces diagnostics, le déroulement des différentes étapes thérapeutiques. Ils décrivent plus particulièrement l’état actuel du patient. Certains services internistes hospitaliers adoptent progressivement cette approche, mais malheureusement avec une liste de diagnostics qui a tendance à s’allonger et occupe parfois près de deux pages – serait-ce un effet des DRG? Accordons tout le soin requis et toute l’attention voulue à la qualité et à la quantité des données figurant dans les rapports médicaux, ces instruments de communication si importants aux interfaces des spécialités impliquées. L’art que nous pratiquons tous les jours lors de nos anamnèses et de nos investigations doit aussi s’appliquer aux rapports médicaux: s’en tenir l’essentiel, à l’essentiel et encore à l’essentiel. Pour le bien des patients, mais aussi des médecins. Remerciement Je tiens à remercier les collègues suivants pour leur lecture attentive et leurs suggestions judicieuses: Stefan Neuner, Natalie Marty, Gerhard Schilling et Peter Tschudi. Correspondance: Dr Bruno Kissling Elfenauweg 6 CH-3006 Berne bruno.kissling[at]hin.ch Références 1 Kraft E, Hersperger M, Herren D: Diagnose und Indikation als Schlüsseldimensionen der Qualität. SAEZ. 2012;93:41. 2 Kissling B: Nous rentrons pas trop grave. PrimaryCare. 2009;9(2):46. Forum Med Suisse 2013;13(1–2):4–5 5