Anesthésie et chirurgie en ophtalmologie J Ripart

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Anesthésie en ophtalmologie
Anesthésie en Ophtalmologie
Laurent Mattatia, Philippe Cuvillon, Jacques Ripart
CHU de Nîmes – Faculté de Médecine Montpellier I
Introduction
L’ophtalmologie représente la 1ère spécialité chirurgicale en nombre d’anesthésie avec plus de
500.000 interventions annuelles. Elle intéresse une population globalement âgée avec de fréquentes
comorbidités. L’anesthésie doit composer avec les spécificités de l’anatomie et de la physiologie
oculaire. Des techniques d’anesthésie locorégionale (ALR) efficaces sont disponibles, nécessitant
connaissances et rigueur pour une sécurité adaptée à l’enjeu fonctionnel.
1. Anatomie du contenu orbitaire
1.1. Orbite osseuse
L’orbite forme une pyramide tronquée à sommet postérieur dont le grand axe est orienté
latéralement d’environ 23°, avec en moyenne une profondeur de 40 mm et un volume de 28 ml. La
paroi supérieure porte en avant et en médial la fossette trochléaire où s’insère la poulie du muscle
grand oblique. De la paroi inférieure débute en avant et en médial le canal lacrymal, qui rejoint
verticalement la fosse nasale où il s’abouche au méat inférieur. En postérieur, trois orifices livrent
passage aux éléments nobles de l’orbite : le canal optique (nerf optique et artère ophtalmique), la
fissure orbitaire supérieure (nerfs oculomoteurs, nerf ophtalmique et les veines ophtalmiques) et la
fissure orbitaire inférieure (nerf maxillaire).
1.2. Bulbe de l’œil (ou globe oculaire)
Le bulbe est long d’environ 23 mm pour un volume de 7 ml (figure 1).
Figure 1 : Coupe sagittale schématique du bulbe oculaire
1
Insertion du muscle oblique
supérieur. 2Sclère. 3Choroïde.
4
Rétine. 5Nerf optique avec sa
gaine de dure-mère. 6Corps
vitré. 7Muscle releveur de la
8
paupière.
Muscle
droit
9
supérieur. Sinus veineux de la
sclère (canal de Schlemm).
10
Trabéculum scléral. 11Corps
ciliaire. 12Cornée. 13Cristallin.
14
Iris. 15Zonule. 16Muscle droit
inférieur. 17Gaine du bulbe
(capsule de Tenon) en
continuité avec les gaines des
muscles. Dessin JR.
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Il a la forme de deux segments de sphère accolés. La sclère en dessine la partie postérieure, de grand
rayon, et la cornée la partie antérieure, de faible rayon. La paroi du bulbe comporte trois épaisseurs
concentriques. La sclère et la cornée forment l’enveloppe externe. La couche intermédiaire est
appelée uvée ; elle inclut la choroïde (uvée postérieure) puis en avant les corps ciliaires et l’iris (uvée
antérieure). La rétine enfin constitue la couche la plus interne. Le bulbe contient trois milieux
transparents. L'humeur aqueuse (HA) est sécrétée par les procès ciliaires dans la chambre
postérieure (en arrière de l’iris), elle traverse la pupille pour gagner la chambre antérieure. Elle y est
résorbée par le trabéculum scléral dans l’angle iridocornéen. Le cristallin est une lentille biconvexe de
4 mm d’épaisseur et 10 mm de diamètre située en arrière de l’iris et entourée de son enveloppe, la
capsule du cristallin. Il est relié par les fibres zonulaires aux corps et muscles ciliaires, responsables de
l’accommodation. Le corps vitré est un gel aqueux transparent qui occupe la portion du bulbe située
en arrière du cristallin. Il est entouré de la membrane hyaloïde. Par définition, le segment antérieur
comprend la cornée, l’iris, le cristallin, l’angle iridocornéen et le corps ciliaire ; le segment postérieur
comprend la sclère, la choroïde, la rétine et le corps vitré.
1.3. Muscles du bulbe et cône fasciomusculaire
Les quatre muscles principaux sont les muscles droits médial, latéral, supérieur et inférieur. L’espace
entre ces quatre muscles délimite un cône. En arrière, ils s’insèrent sur l'anneau tendineux commun
(de Zinn) qui couvre le canal optique et la portion inféro externe de la fissure orbitaire supérieure
(émergence des nerfs naso-ciliaires, III, VI et racines du ganglion ciliaire). En avant, ils s’insèrent sur la
sclère, à proximité de l’équateur. Ce cône est ouvert puisqu’il n’existe pas de membrane
intermusculaire pour le border, mais il permet classiquement de définir un espace intracônique (ou
rétrobulbaire) et un espace extracônique (ou péribulbaire). En pratique donc, pour la diffusion des
anesthésiques locaux, ces deux espaces sont en continuité. La distinction est plus opérante en terme
de sécurité : l'intérieur du cône est occupé par le nerf optique avec son manchon méningé dans
lequel passe également l'artère centrale de la rétine, et par l'artère ophtalmique (figure 2).
L'introduction d'une aiguille dans cet espace n'est donc pas sans risque. Par contraste, l'espace
extracônique est relativement avasculaire, particulièrement en avant, dans le secteur inféro-latéral,
ainsi qu'en regard du canthus médial de l’œil. Les deux autres muscles de l’oculomotricité sont
l’oblique supérieur qui se réfléchit sur sa poulie supéro-interne et l’oblique inférieur.
Figure 2 : Contenu schématique du cône fasciomusculaire (vue latérale)
Par souci de simplification, les nerfs
oculomoteurs ne sont pas figurés.
1
Nerfs ciliaires longs. 2Nerf nasociliaire.
3
Artère ciliaire. 4Artère ophtalmique.
5
Artère lacrymale. 6Nerf optique
(émergence à l'apex orbitaire).
7
Anneau
tendineux
commun.
8
Ganglion ciliaire. 9Nerfs ciliaires
courts. 10Muscle élévateur de la
paupière supérieure. 11Os frontal.
12
Muscle droit supérieur. 13Muscle
oblique supérieur. 14Muscle droit
latéral. 15Nerf optique (portion
16
Muscle
oblique
intraconique).
17
inférieur.
Muscle droit inférieur.
18
Espace extracônique. Dessin JR.
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1.4. Gaine du bulbe (ou capsule de Tenon)
La gaine du bulbe est une membrane fibro-élastique qui recouvre la portion sclérale du bulbe. Elle
délimite un espace virtuel de glissement, l'espace épiscléral (de Tenon). En arrière, elle s’ouvre sur la
gaine du nerf optique. À son extrémité antérieure, elle fusionne avec la conjonctive bulbaire avec
laquelle elle s'insère sur le limbe sclérocornéen. Elle se réfléchit en continuité avec les fascias des six
muscles du bulbe autour de leur insertion sur la sclère. Elle est aussi liée au réseau complexe
d'aponévroses qui segmente le corps adipeux de l'orbite. Ce réseau a un rôle de suspenseur
dynamique du globe dans la graisse orbitaire, et participe à l’efficience de l’oculomotricité.
1.5. Paupières
Chaque paupière comporte une lame cartilagineuse appelée tarse. Le muscle élévateur de la
paupière supérieure s’étend du tendon de Zinn au tarse de la paupière supérieure. L’orbiculaire des
paupières est un muscle plat, large et mince, organisé autour de la fente palpébrale en fibres
concentriques. La caroncule lacrymale est une saillie située entre les portions lacrymales des deux
paupières, à proximité du canthus interne. Le pli semi-lunaire de la conjonctive est un repli
conjonctival situé entre la caroncule et le bulbe. Il correspond embryologiquement à la troisième
paupière.
1.6. Glandes et voies lacrymales
La glande lacrymale principale occupe la fossette lacrymale de l’os frontal. Ses canaux excréteurs
s’abouchent dans le fornix (ou cul de sac) conjonctival supérieur. Les voies de drainage débutent par
les points lacrymaux, sur le bord libre des paupières à proximité du canthus médial. Elles se
poursuivent par les canaux lacrymaux supérieurs et inférieurs qui s’abouchent dans le sac lacrymal.
Celui-ci emprunte le canal lacrymo-nasal et aboutit dans les fosses nasales. Des valvules s’opposent
au reflux.
1.7. Innervation du contenu orbitaire
Le nerf ophtalmique, uniquement sensoriel, pénètre dans l’orbite entouré de son manchon méningé.
Son trajet intracônique est relativement sinueux, suivant l’orientation du regard. L’innervation
sensitive du contenu orbitaire est assurée par diverses branches du nerf ophtalmique (V.1), après leur
passage par la fissure orbitaire supérieure, suivi d'un trajet intracônique. Parmi ces branches, le nerf
naso-ciliaire donne des branches collatérales, les nerfs ciliaires longs (sensibilité de l'essentiel du
bulbe), mais également la racine sensitive du ganglion ciliaire qui donne lui-même les nerfs ciliaires
courts (sensibilité du corps ciliaire et de l’iris). Le ganglion ciliaire situé dans le cône est le centre
végétatif de l’œil ; il intervient dans l’accommodation, le myosis, et la sécrétion lacrymale. Ses fibres
sympathiques (iridodilatatrices) proviennent du centre cilio-spinal (C8-T1). Ses fibres
parasympathiques (iridoconstrictrices) proviennent du noyau autonome du III. Les muscles droits
reçoivent leur innervation motrice par leur face intracônique, du nerf moteur oculaire (III) et du nerf
abducens (VI). Le muscle oblique inférieur est innervé par une branche du VI. Le muscle oblique
supérieur est innervé par le nerf trochléaire (IV) dont le cheminement est extracônique. Le muscle
élévateur de la paupière supérieure dépend III. Le muscle orbiculaire de l’œil est innervé par des
branches du nerf facial (VII) qui transitent par le canthus latéral.
1.8. Vascularisation
L’artère ophtalmique, branche de la carotide interne, pénètre dans l’orbite par le canal optique.
L’artère centrale de la rétine en est issue et pénètre le manchon dure-mèrien du nerf optique qu’elle
accompagne ensuite. La veine ophtalmique et la veine centrale de la rétine se drainent dans le sinus
caverneux. Les vaisseaux intra-orbitaires présentent des variations importantes. Schématiquement,
les artères sont situées dans le cône musculaire près du sommet de l’orbite et dans la partie
supérieure de l’orbite en avant. Les veines sont plutôt en périphérie et en-dehors du cône. L’espace
péribulbaire, en particulier dans le quadrant inféro-latéral et à proximité du canthus médial, présente
donc un risque théorique moindre de ponction vasculaire.
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2. Physiologie de la pression intraoculaire (PIO)
La PIO est la pression exercée par le contenu du globe sur sa paroi quasi inextensible, la sclère. Sa
valeur normale est de 16 + 5 mmHg. Une valeur supérieure à 25 mmHg est considérée comme
pathologique. Une élévation importante peut annuler la pression de perfusion à l'intérieur du bulbe
et menacer la vascularisation rétinienne. La notion de PIO n’a de sens qu’à globe fermé : lors de
l'ouverture d’un des segments, la pression s'y équilibre avec la pression atmosphérique, et il n’est
plus possible de définir une pression oculaire globale [1].
Les enveloppes du globe sont inextensibles donc la PIO dépend essentiellement du volume des trois
compartiments intraoculaires liquidiens, l’humeur aqueuse (HA), le volume sanguin choroïdien, et le
corps vitré. Elle est également sensible à la compression extrinsèque.
2.1. Structures liquidiennes de l’œil et physiopathologie de la PIO
Le volume d'humeur aqueuse est déterminé par un équilibre dynamique entre production et
drainage. L'HA est sécrétée dans la chambre postérieure par les procès ciliaires, et dépend de
l’anhydrase carbonique. L'HA gagne ensuite la chambre antérieure où elle est filtrée par le
trabéculum scléral pour atteindre le canal de Schlemm, puis le réseau veineux. Les glaucomes sont
des élévations de la PIO dus à un déséquilibre entre production et réabsorption d’HA. Le glaucome
aigu est le fait de l’obstruction mécanique de l’angle iridocornéen par la racine de l’iris ; favorisé par
une chambre antérieure étroite ou certains types de cataractes, il peut être déclenché par la
mydriase, qui a tendance à refouler l’iris vers l’avant. Dans le glaucome chronique à angle ouvert
c’est le trabéculum qui n’assure plus correctement sa fonction de réabsorption. Plusieurs classes
pharmacologiques existent pour traiter ces situations. Les agents parasympatomimétiques
(myotiques), « ouvrent les mailles » du trabéculum, et contribuent à diminuer la PIO (les agents
mydriatiques ont l'effet inverse). Les bêtabloquants en collyre diminuent la PIO via une action sur les
vaisseaux des procès ciliaires et sur le muscle ciliaire. L’acétazolamide (Diamox®, voie générale) et le
dorzolamide (Trusopt®, collyre) inhibent la production d’HA par blocage de l’anhydrase carbonique.
La prostaglandine F2-alpha (Latanoprost®) agit en favorisant la résorption uvéo-sclérale.
Le volume sanguin choroïdien peut être à l’origine de variations brutales de la PIO. Le débit sanguin
choroïdien est pourvu d'une autorégulation similaire à l'autorégulation cérébrale. Dans les limites
physiologiques, les variations de PA n'entraînent pas de variations de la PIO. Le volume sanguin
choroïdien, et donc la PIO, sont par contre linéairement dépendants de la pression veineuse centrale
(PVC). Un effort de toux ou de vomissement peut ainsi augmenter la PIO de 40 mmHg. Une
augmentation de la PaCO2 provoque une augmentation linéaire de PIO par vasodilatation
choroïdienne. Dans les limites physiologiques, la PIO n'est pas influencée par les variations de PaO2. Il
faut souligner la fragilité particulière des vaisseaux choroïdiens. Une hémorragie artérielle peut ainsi
survenir en cas d’augmentation soudaine du gradient de pression à travers leur paroi. Ceci peut se
rencontrer lors de la baisse brutale de la PIO induite par l’ouverture du bulbe en contexte
d’hypertonie, ou lors d’une poussée hypertensive à bulbe ouvert. En l’absence de contre-pression
intraoculaire, il peut en résulter une hémorragie expulsive, avec décollement de la totalité de la
rétine et perte de l’œil.
Le volume du corps vitré peut être réduit par déshydratation pharmacologique : le mannitol
intraveineux hypertonique (250 mL à 20 % en 30 à 60 mn) est l’hypotonisant oculaire de référence. Le
remplacement du vitré par un gaz expansif (SF6, C2F6, C33F8) peut produire des augmentations de PIO
secondaires.
2.2. Facteurs de compression extrinsèque
De nombreuses causes de compression extrinsèque peuvent augmenter la PIO dans des proportions
variables : la musculature extrinsèque de l’œil et celle des paupières (un clignement forcé des
paupières suffit à augmenter la PIO de 50 mm Hg), une tumeur, un hématome ou une injection intraorbitaire, la simple manipulation du bulbe, le cerclage ou l’indentation pour décollement de rétine,
le masque facial d’anesthésie mal positionné.
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3. Réflexe oculocardiaque (ROC)
Le ROC consiste en une bradycardie (baisse de la fréquence de 10 à 20 %) et/ou en l’apparition de
troubles du rythme en réponse à une stimulation de la sphère oculaire. Son incidence au cours de la
chirurgie ophtalmique est évaluée entre 16 % et 90 % selon l'intervention, l'anesthésie et la définition
utilisée [2]. L’incidence de l’arrêt cardiaque avait été estimée à 1/2200 dans la chirurgie du strabisme.
Elle est quasi nulle dans la chirurgie de la cataracte.
3.1. Voies anatomiques et présentation clinique
Le ROC doit être considéré comme la forme clinique principale d’un reflexe plus communément
appelé « trigémino-vagal » [2]. La voie afférente emprunte la branche ophtalmique du nerf trijumeau
jusqu'à son noyau sensitif situé dans le plancher du quatrième ventricule. La voie efférente débute au
niveau du plancher du quatrième ventricule dans le noyau du nerf vague (X), dont elle suit les fibres
parasympathiques jusqu’aux structures myocardiques et nodales. La réponse la plus fréquente est
une bradycardie sinusale. Divers troubles de la conduction intracardiaque peuvent se produire,
jusqu'à l'arrêt sinusal (parfois prolongé), ainsi que des troubles du rythme cardiaque. Si le stimulus
est prolongé, un échappement vagal survient : une autre cause d’arrêt cardiaque doit être
recherchée dans le cas contraire. Le ROC est un réflexe épuisable : la répétition des stimuli conduit à
une atténuation des réponses et à un échappement vagal plus précoce. Les autres manifestations
d’hyperactivité vagale sont bien sûr possibles : malaise général, sueurs, nausées, vomissements…
3.2. Facteurs favorisants et stimuli déclenchants
Le ROC peut être favorisé par une anesthésie trop légère, une hypoxie, une hypercapnie ou une
acidose. Les patients les plus exposés sont ceux dont le tonus vagal est prédominant : enfants, sujets
anxieux, patients sous bêtabloquants.
Les facteurs déclenchants habituels sont l'application d'une pression excessive sur le bulbe oculaire et
la traction sur les muscles oculomoteurs, particulièrement si cette traction est soudaine et intense.
Les interventions les plus réflexogènes sont la chirurgie du strabisme et la chirurgie vitro-rétinienne,
qui nécessitent des tractions répétées sur les muscles extrinsèques, et la chirurgie des paupières. Le
ROC peut se rencontrer lors de toute augmentation de la PIO ou de la pression intra-orbitaire : on
retient le glaucome aigu, les hématomes intra-orbitaires, les injections rétrobulbaires ou
intraoculaires, les tumeurs de l’orbite et les traumatismes de l’orbite et de la face. Un ROC peut donc
très bien survenir en postopératoire, sur une augmentation secondaire de la PIO. Toute stimulation
du territoire du trijumeau, et donc toute intervention sur la face, peut provoquer un ROC.
3.3. Prévention
La prévention repose avant tout sur des manipulations douces de l’œil par le chirurgien. L'atropine
doit être prête à l'emploi, mais n'est injectée qu'à la demande, en prévention de la récidive. Si une
prévention anticholinergique est requise, on préférera l'injection intraveineuse d'atropine à la dose
de 10 µg/kg lors de l'induction anesthésique, mais les effets secondaires limitent cette solution. La
ventilation mécanique n’a pas d’efficacité autre que d’éviter les anomalies gazométriques. L'ALR
atténue les manifestations les plus délétères du ROC, en raison du blocage de ses afférences.
4. Anesthésie générale en ophtalmologie
Analgésie, akinésie, contrôle de la PIO (éviter l’hypertonie oculaire suffit), contrôle du ROC et sécurité
sont classiquement les objectifs de l'anesthésie pour chirurgie ophtalmologique. L’anesthésie
générale reste incontournable dans un certain nombre de situations.
4.1. Effets des agents anesthésiques sur la PIO
Les agents anesthésiques intraveineux diminuent la PIO, particulièrement le thiopental et le propofol,
avec une exception : la kétamine, quand elle est utilisée seule. Les anesthésiques halogénés
diminuent la PIO de manière concentration dépendante, jusqu'à un effet plafond proche de la valeur
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Anesthésie en ophtalmologie
d'une MAC. Le protoxyde d’azote n'a pas d'effet propre sur la PIO. Il peut rediffuser dans une bulle de
gaz injectée dans le segment postérieur, avec un risque d'hypertonie oculaire majeure. La
succinylcholine augmente la PIO de façon modeste (5 à 10 mmHg, effet inférieur à 6 minutes). Les
agents d'induction injectés conjointement à la succinylcholine limitent cet effet [3]. Les curares non
dépolarisants n’influent pas sur la PIO. Les morphiniques diminuent très légèrement la PIO en raison
de leur effet myotique qui facilite le drainage de l'humeur aqueuse.
4.2. Induction et entretien
L'intubation trachéale induit un pic de PIO plus net que l'injection de succinylcholine, mais transitoire.
Il est compensé par la chute de PIO provoquée par les agents d'induction. Isolément, aucun moyen
de prévention ne semble totalement efficace. Pour l'entretien, le propofol peut être préféré aux
halogénés en raison de son effet antiémétique. Comme pour toute microchirurgie, l'immobilité
absolue sur la table est une priorité. Le maintien d'une curarisation peut, à ce titre, représenter une
garantie.
4.3. Contrôle des voies aériennes et place du masque laryngé
L'intubation trachéale reste la méthode de référence du fait de l'absence d'accès à la tête. La
ventilation au masque facial n'est utile que pour des procédures très courtes comme l'examen sous
anesthésie chez le petit enfant. Le masque laryngé a des partisans car sa pose provoque une
élévation de la PIO moindre que l'intubation, mais en l’absence d’accès à la tête, un déplacement
secondaire peut être catastrophique. L'estomac plein reste une contre-indication.
5. Anesthésies locorégionales
5.1. Anesthésie intracônique ou rétrobulbaire (ARB)
Elle consiste en une injection de 3 à 4 ml d'anesthésique local (AL) dans le cône fascio-musculaire. Elle
épargne l'orbiculaire des paupières, imposant un bloc facial de complément. La ponction se fait à
l'union 1/3 latéral - 2/3 médiaux du rebord orbitaire inférieur. De nombreuses variantes ont été
décrites dans le but d'améliorer la sécurité, mais il reste que des structures anatomiques sensibles
sont approchées à l’aveugle. Grevée d'un taux faible mais significatif de complications (cf infra), l'ARB
est quasiment abandonnée en France.
5.2. Anesthésie extracônique ou péribulbaire (APB)
Tout en évitant d'introduire une aiguille dans l'espace intracônique où transite la plupart des
éléments vulnérables de l'orbite, l’injection péribulbaire d’un grand volume d'AL permet la diffusion
de l'AL à l'ensemble de l'orbite, vers le cône comme après une ARB, mais aussi vers les paupières.
Cette technique a pris le pas sur l’ARB.
La technique originale de Davis et Mandel comportait deux ponctions, l’une inférolatérale et l'autre
superomédiale (à l'union 1/3 médial-2/3 latéraux) [4]. De nombreuses variantes ont été décrites.
Actuellement, on recommande une injection unique qui minimise le risque pour une efficacité
comparable. Cette injection se fera en inféro-latéral (l’espace extracônique est large et avasculaire),
ou au canthus médial, à l'extrémité médiale de la fente palpébrale, les staphylomes myopiques sont
rarement présents dans ce quadrant (entre la caroncule lacrymale et la paroi de l'orbite) [5]. Une
deuxième injection est réalisée en complément si la première est insuffisante. Pour éviter les
éléments « à risque » situés en arrière de l'équateur du bulbe et dans le cône, on limite la
profondeur d’introduction de l’aiguille à 25 mm en inféro-latéral et à 15 mm du canthus médial.
L'utilisation d'aiguilles courtes est donc recommandée. Les caractéristiques du biseau de l'aiguille
(court ou long) sont encore controversées. Dans tous les cas, des aiguilles fines sont recommandées
(25 G). Le volume injecté est adapté à chaque patient. L'injection est poursuivie jusqu'à obtention
d'une protrusion antérieure du bulbe, et une fermeture de la paupière supérieure, 5 à 8 ml sont
habituellement suffisants. Cette injection intra-orbitaire provoque une hypertonie oculaire qui
persiste plus longtemps en l’absence de hyaluronidase et qui peut être délétère pour la chirurgie. On
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Anesthésie en ophtalmologie
pallie ce problème, en appliquant pendant 10 minutes, une compression extrinsèque à 30 mmHg
(pour éviter une compression trop intense, utiliser un ballonnet de Honan muni d’un manomètre) :
l’élévation de la PIO augmente la filtration de l'humeur aqueuse par le trabéculum, et après
décompression la PIO, est normalisée.
Selon la chirurgie, il est maintenant parfois possible (donc préférable) d'accepter un bloc imparfait
plutôt que de pratiquer des réinjections multiples, et risquer l’accident de ponction (figure 3).
Figure 3 : Sites de ponction des anesthésies locorégionales à l’aiguille
Muscles : 1Oblique supérieur. 2Droit supérieur.
3
Droit médial. 4Droit latéral. 5Droit inférieur.
6
Oblique inférieur.
Repère de ponction : 7Point supéro interne
d’injection péribulbaire (à éviter). 8Pli semi-lunaire
de la conjonctive et point de ponction de
l’épisclérale au canthus médial à l’aiguille.
9
Caroncule lacrymale et site d'injection d'une
péribulbaire au canthus médial. 10Site d'injection
péribulbaire inférolatéral classique (proximité
avec le droit et l’oblique inférieur). 11Site
d’injection péribulbaire recommandé. Dessin LM.
5.3. Anesthésies épisclérales (sous-ténoniennes) ou AES (figures 4 -5)
L'espace épiscléral ou espace de Tenon est un espace virtuel libre de toute adhérence. Lors de
l'injection d'un faible volume (2 à 4 ml), l'espace épiscléral guide sélectivement la diffusion du produit
de manière circulaire autour du globe. Ceci explique le blocage de tous les nerfs ciliaires qui
traversent l'espace épiscléral, et donc le bloc sensitif du bulbe. Si l’injection est poursuivie, on
observe une protrusion antérieure du bulbe, une plénitude de la paupière supérieure et un chémosis,
tous signes considérés comme des critères prédictifs de réussite. En effet, la continuité entre la gaine
du bulbe et les gaines aponévrotiques des muscles droits procure une akinésie en y bloquant
directement les nerfs oculomoteurs [6, 7]. La diffusion antérieure vers les paupières, guidée par
certaines expansions de la gaine du bulbe, explique l'obtention d'un bloc de l'orbiculaire. Les
incidents mineurs fréquents sont 1, 3 % d’hémorragie sous conjonctivale, 0,4 % d’hypertonie oculaire
et 0,3 % de chémosis gênant le chirurgien [8]. Deux types d’abord sont possibles.
Figure 4 : Techniques épisclérales en pratique
A : Technique chirurgicale avec canule
1
Traction
à la
pince
mousse :
atraumatique sur la capsule en zone
conjonctivale et ouverture punctiforme
avec des ciseaux. 2Introduction de la
canule mousse jusqu’à l’équateur.
B : Technique à l’aiguille : 1Refoulement
médial du pli semi lunaire puis accroche
de la conjonctive bulbaire et duction
interne du regard en conservant un
mouvement
strictement
antéropostérieur. 2Perte de résistance (« click »)
accompagnée d’un retour du regard en
position neutre. Dessin LM.
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Anesthésie en ophtalmologie
L'AES peut être réalisée par un abord chirurgical de l'espace épiscléral (figure 5). Après une
anesthésie topique, le chirurgien agrippe et tracte à l’aide d’une pince l'insertion commune de la
conjonctive bulbaire et de la gaine du bulbe (à 3-7 mm du limbe), qu'il ouvre avec des ciseaux de
Wescott pour pouvoir introduire une canule mousse dans l’espace épiscléral de Tenon jusqu’à
proximité de l’équateur du bulbe, avant d’injecter 2 à 4 ml d’anesthésique local. Les faibles volumes
injectés induisent une élévation modérée de pression intraoculaire qui ne nécessite pas de
compression. Cette technique, initialement proposée en complément peropératoire d’une ARB,
permet d'obtenir un bloc sensitif de l'ensemble du bulbe, sans akinésie. Elle peut être utilisée seule
pour l'ensemble de la chirurgie intraoculaire. Un haut volume injecté (11 ml) permet d'obtenir une
akinésie du globe et des paupières très complète [6]. L’essor de cette technique est considérable
dans certains pays, elle représente actuellement par exemple près de 47 % des anesthésies pour
cataracte au Royaume-Uni et 67 % en Nouvelle-Zélande.
Figure 5 : Injections épisclérales
Vue médiale du bulbe avec une
fenestration de la capsule de Tenon
montrant la position attendue à
l’injection pour les deux méthodes :
1
Muscle droit supérieur. 2Muscle
oblique supérieur. 3Muscle droit
médial. 4Muscle droit inférieur.
5
Muscle oblique inférieur. 6Aiguille
pour sous Ténonienne au canthus
médial. 7Canule mousse par méthode
chirurgicale. Dessin LM.
Nous pratiquons une technique d'AES à fort volume à proximité du canthus médial [7]. Une aiguille
25 gauge à biseau court est introduite superficiellement dans le cul de sac conjonctival situé entre le
pli semi-lunaire de la conjonctive et le bulbe, biseau orienté vers le bulbe. L'aiguille est alors
légèrement décalée en direction médiale, pour « tracter » sur la conjonctive bulbaire. Après ce
mouvement « en baïonnette », elle est ensuite avancée strictement vers l'arrière, entraînant le bulbe,
regard vers le nez. A une profondeur de 15 à 20 mm environ, un « clic » est perçu, et le bulbe revient
en position neutre, signant l'entrée dans l'espace épiscléral. L'anesthésique local est alors injecté
dans l’espace de Tenon. L'efficacité de ce type d'AES est bonne, avec une meilleure reproductibilité
dans l'akinésie que l'APB [7]. Une première série de 2031 anesthésies a montré une sécurité
acceptable, avec une seule complication (une hémorragie rétrobulbaire).
5.4. Choix du mélange d’anesthésique local (AL)
De nombreux mélanges et combinaisons d'anesthésiques locaux et d'adjuvants peuvent être utilisés
[3]. Le choix dépend des habitudes de chaque équipe, de l'exigence du chirurgien en terme
d'akinésie, de la durée de l'intervention. Les concentrations maximum doivent être évitées pour
éviter la toxicité musculaire (lidocaïne 2 %, mépivacaïne 2 %, bupivacaïne ou lévobupivacaïne 0,75 %,
ropivacaïne 1 %). Le mélange de lidocaïne 2 % et de bupivacaïne 0,5 % est le plus classiquement
utilisé. La mépivacaïne 1,5 % associe un délai d'action bref et une durée d'action intermédiaire qui en
font une alternative intéressante en ambulatoire, de même que la lidocaïne utilisée seule. La
ropivacaïne 0,75 % est indiquée dès lors qu'une analgésie prolongée est utile (chirurgie du segment
postérieur).
5.5. Adjuvants
La hyaluronidase (H) est une enzyme qui dépolarise l’acide hyaluronique et facilite la diffusion de l’AL.
Sa capacité à améliorer la vitesse d'installation et la qualité finale de l'akinésie reste controversée. Le
dosage optimal est situé entre 7,5 et 30 UI/ml. Son retrait du marché en France du fait de son origine
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Anesthésie en ophtalmologie
animale pose un réel problème. D’une part, l’hypertonie oculaire générée par l’injection se résout
moins rapidement sans H qu’avec, pouvant aboutir à un œil hypertendu lors de l’incision. D’autre
part, en cas d’injection à proximité ou dans les muscles, la dispersion plus rapide de l’AL minore
probablement le risque de myotoxicité et de strabisme [9]. Le bénéfice de l'alcalinisation sur la
qualité du bloc et sa vitesse d'installation est minime ; elle diminue les douleurs à l'injection, mais en
l’absence de mélange prêt à l’emploi, il est déconseillé de rajouter du bicarbonate qui peut faire
précipiter l’AL. L'adrénaline est peu utilisée en Europe car la circulation rétinienne est de type
terminale. La clonidine à la dose de 30 à 90 µg diminue la PIO, prolonge l'anesthésie et l'analgésie
résiduelle, et améliore l’installation du bloc. En l’absence de hyaluronidase, la diminution du volume
injecté et l’adjonction de clonidine semblent à conseiller.
5.6. Complications communes aux ALR ophtalmiques
Les complications oculaires sévères, initialement décrites avec l’ARB, sont toutes retrouvées avec
l’APB et l’AES. Elles peuvent être dues à un traumatisme direct d’une structure noble (révélant parfois
une position involontairement intracônique de l’aiguille), à une augmentation de la PIO ou de la
pression intra-orbitaire (due à l’injection, à un hématome, à une compression ou un massage non
contrôlés), ou à une toxicité pharmacologique (injection intramusculaire, concentration trop forte
d’anesthésique local).
La perforation du bulbe, déjà rare plus rare après une APB (1,9 à 7,5 pour 10.000) qu’après une ARB,
est 20 fois plus rare dans l’AES à la canule [10-12]. La perception de toute résistance inhabituelle doit
faire reprendre la ponction. La perforation peut passer inaperçue et entraîner un décollement de
rétine total : au moindre doute (hémorragie vitréenne, hypotonie brutale), un examen immédiat du
fond d'œil ou une échographie s'impose. La myopie forte était une contre-indication classique à l'APB
et l’ARB (globe « long »), ce qui impose, avant de réaliser l'ALR, de vérifier la biométrie (toujours
disponible en chirurgie de la cataracte), ou la faire réaliser pour les besoins de l'anesthésie. Le
principal facteur de risque de perforation est le staphylome myopique et non la myopie isolée qui
n’est qu’un facteur confondant [5, 10]. Chez le fort myope, une échographie à la recherche d’un
staphylome est donc conseillée. Un traumatisme direct du nerf optique par l'aiguille, extrêmement
rare, est de mauvais pronostic. L'incidence des hématomes intracôniques est évaluée entre 0,6 et 7,3
pour 10.000 dans l’APB, et près de 5 fois moins pour l’AST [11, 12]. Classiquement, seul un
hématome artériel peut devenir compressif, ce qui implique une blessure vasculaire à l’intérieur du
cône musculaire. Il cède généralement à un tamponnement par compression externe. Une
canthotomie de décompression est parfois indiquée. Un hématome extracônique veineux bénin
survient plus fréquemment. Sa diffusion vers les paupières ou sous la conjonctive est inesthétique,
mais sans gravité. La présence d'un trouble de coagulation ne semble pas modifier le risque
d'hématome ni son pronostic. La question des anticoagulants et des antiagrégants est détaillée plus
loin.
L’augmentation de la pression intracônique peut générer une hypertonie du globe. Elle peut être
causée par un hématome rétrobulbaire artériel compressif ou par l'injection d’anesthésique local, et
peut gêner le bon déroulement de l’intervention ou conduire à une ischémie rétinienne. Il faut noter
que toutes les techniques d’ALR provoquent une diminution de la pulsatilité du débit sanguin
rétinien, parfois prolongée (rôle des mélanges adrénalinés). Des variations importantes de pressions
peuvent être générées par une compression ou un massage incontrôlé du globe [13]. Elles semblent
pouvoir être à l’origine d’hyphéma, ou d’hémorragie choroïdienne (0,1 pour 10000).
Une lésion d'un des muscles oculomoteurs au décours de l'injection peut être responsable d'un
strabisme ou d'un ptosis. La prévention de ces accidents passe par le positionnement de l’aiguille à
distance des muscles, donc très latéralement pour l’APB inféro-latérale, peu profondément dans tous
les cas, et par la manipulation douce de la canule sous-Ténonienne. L’effet myotoxique des AL à
concentrations élevées, et surtout l’absence de hyaluronidase (moindre dispersion, nécessité de plus
forts volumes et augmentation des pressions) peuvent jouer : les séries montrent des fréquences
allant de 0,1 pour 10000 avec hyaluronidase à 75 pour 10000 sans [9, 11], ce qui fait de sa
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Anesthésie en ophtalmologie
réintroduction (éventuellement sous forme recombinante), un objectif. L’exploration du strabisme
comprendra au minimum une imagerie. Il faudra évaluer le rôle de la chirurgie elle-même. La
rééducation est la base du traitement. Parfois, une correction chirurgicale s’avère nécessaire. La
diffusion de la solution anesthésique vers le système nerveux central est une complication rare (0,6 à
3,5 pour 10000) [10-12] mais grave, menaçant le pronostic vital. L’issue en reste le plus souvent
bénigne grâce à un traitement symptomatique adapté. Le premier cas de figure correspond à une
injection accidentelle dans l'artère ophtalmique : la pression peut inverser le flux sanguin, faisant
refluer la solution anesthésique jusque dans la carotide interne ce qui provoque des convulsions.
L’autre situation rencontrée est celle d’une diffusion sous-arachnoïdienne jusqu'au tronc cérébral. Il
peut s’agir d’une injection sous-arachnoïdienne au travers de la fissure orbitaire (aiguille longue),
mais également à une diffusion le long de la gaine de dure-mère du nerf optique (toutes les ALR).
L'utilisation d'aiguilles courtes est le meilleur moyen d'éviter ce type d'accident [3]. Les
manifestations neurologiques s'installent progressivement après l'injection (2 à 20 minutes). Dans les
formes les plus complètes, on observe l'équivalent d'une rachianesthésie totale, avec une apnée
voire un arrêt cardiaque. Le tableau peut être incomplet, avec de nombreuses manifestations
atypiques telles qu'agitation, somnolence ou perte de conscience, tremblements, nausées,
vomissements, vertiges, tachycardie, hypertension artérielle, hyperactivité vagale, ou simple
bilatéralisation du bloc qui témoignent de la diversité des structures bloquées dans le tronc cérébral.
Le guidage échographique apparait comme une voie de recherche pour améliorer la sécurité en ALR
ophtalmologique. Cela aurait l’intérêt théorique, outre la vision directe de malformations rares
comme le staphylome, de mieux guider l’aiguille à distance des structures nobles. Il faut noter que les
appareils actuellement disponibles dans les blocs opératoires ne répondent pas tous aux normes
recommandées pour l’échographie de l’œil en termes d’énergie délivrée aux tissus et donc de toxicité
rétinienne potentielle [14]. Des sondes spécifiques devraient donc être utilisées.
Indépendamment de la technique, le savoir-faire et la prudence de l'anesthésiste sont déterminants
pour limiter les risques. L’anesthésiste apparaît par ailleurs indispensable pour une gestion optimale
des complications mettant en jeu le pronostic vital.
5.7. Mesures d'accompagnement de l’ALR
Certains auteurs contournent l'anxiété préopératoire en réalisant une sédation intraveineuse pour la
ponction. Si elle permet d’améliorer la tolérance, cette sédation doit être légère pour conserver la
collaboration du patient pendant la ponction. C’est surtout le propofol (0,2 à 0,5 mg/kg) qui est
utilisé. Le principal obstacle à l'ALR est l'incapacité du patient à rester immobile, la tête sous les
champs opératoires pendant l'intervention. Cette difficulté peut généralement être contournée par
des petits moyens comme une installation confortable pour limiter des douleurs positionnelles. À
l'inverse, l'absence de coopération du patient est problématique. Une surveillance standard est
requise : électrocardioscope, pression artérielle non invasive automatisée, oxymètre de pouls, et
abord veineux en place. Le matériel de réanimation doit être disponible.
Certains auteurs proposent d'associer l'ALR à une « sédation de complément » concept vague allant
de l'anxiolyse légère à la véritable anesthésie générale. Elle ne doit en aucun cas servir de « cache
misère » à l'insuffisance de l'ALR. Il est capital de conserver la coopération active du patient pendant
une chirurgie ophtalmique sous ALR. Pour cela, mieux vaut éviter une sédation lourde, avec tous ses
risques (agitation paradoxale, dépression respiratoire, somnolence et ronflement). Une titration de la
sédation avant l'installation des champs parait être une garantie de sécurité. La sédation
intraveineuse à objectif de concentration (SIVOC) peut être utile. Le concept de sédation
peropératoire contrôlée par le patient a aussi été proposé.
5.8. Anesthésie topique
L’évolution de la chirurgie de la cataracte (phacoémulsification) permet au chirurgien d'opérer avec
une akinésie imparfaite voire totalement absente. Cet affranchissement vis-à-vis de l’akinésie a
permis de développer la réalisation de cette intervention sous simple anesthésie topique.
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Anesthésie en ophtalmologie
L'instillation de quelques gouttes de collyre anesthésique procure une analgésie de la cornée et
s’avère suffire dans la majorité des cas pour traiter une cataracte. En France, seule la tétracaïne et
l'oxybuprocaïne ont l'AMM dans cette indication, bien que la lidocaïne sans conservateur soit
également utilisée. L’anesthésie topique, outre sa grande simplicité de mise en œuvre, présente
l’avantage théorique de supprimer les complications liées aux techniques d’ALR. Elle a connu une
montée en puissance rapide mais n’atteint pas 10 % (22 % au Royaume-Uni, 61 % aux USA).
Cependant, elle ne dispense pas d’une surveillance standard ni de la pose d’une voie veineuse, et le
recours à un anesthésiste doit rester possible à tout moment [15].
Un certain nombre de limites doivent être prises en compte : par définition il n'y a aucune akinésie et
aucun effet sur la PIO. L'éblouissement provoqué par la lumière du microscope peut être douloureux
et 20 % des patients rapportent des perceptions visuelles peropératoires effrayantes. La durée de
l’intervention est classiquement limitée à 10 minutes ; cependant, certains auteurs rapportent
l’utilisation avec succès d’agents anesthésiques de plus longue durée d’action [16]. L'analgésie est
cependant parfois insatisfaisante. L'utilisation d'un gel visqueux urologique de lidocaïne (hors AMM)
ou l'utilisation d'éponges imbibées d'anesthésique local que l'on dépose dans les culs de sac
conjonctivaux semblent l’améliorer. L’injection intracamérulaire peropératoire d’un complément
d’anesthésique local n'a pas fait la preuve claire de son efficacité (dépression respiratoire ou apnée).
6. Contraintes de la chirurgie ophtalmologique
6.1. Chirurgie du segment antérieur
La chirurgie de la cataracte est l'intervention ophtalmologique la plus fréquente. Elle consiste en
l'ablation du cristallin devenu opaque et, le plus souvent, son remplacement par un implant. La
phacoémulsification est devenue quasiment une chirurgie « à globe fermé », puisque l'orifice
d'incision est obturé par la sonde à ultrasons et qu’une irrigation en pression positive maintient la
PIO. La redoutable hémorragie expulsive ne se voit de ce fait quasiment plus. Une fois en place, la
sonde à ultrasons permet de maintenir le globe, et l’akinésie n’est pas indispensable. Les
complications peropératoires (rupture capsulaire postérieure, luxation du cristallin, issue de vitré)
peuvent rallonger l’intervention ou modifier le geste (vitrectomie, implant en chambre antérieure) et
exiger une analgésie et une akinésie plus optimales.
Les chirurgies pour glaucome (trabéculectomie, sclérectomies lamellaire ou transfixiante pour le
glaucome à angle ouvert, iridectomie pour le glaucome aigu par fermeture de l‘angle) ont en
commun d'améliorer la filtration de l’HA pour diminuer la PIO. La plus fréquente est la
trabéculectomie ; c’est une chirurgie à globe ouvert en contexte d’hypertonie, ce qui impose la
prudence. On use en préopératoire d’agents hypotonisants comme l'acétazolamide et le mannitol
(tenir compte des effets secondaires). L’ALR est souvent privilégiée. La compression oculaire
temporaire (limitée à 30 mmHg) reste indiquée dans ce contexte d’hypertonie : elle permet de
compenser l’augmentation de la PIO provoquée par l’injection d’AL, voire d’obtenir une PIO
inférieure à celle de départ. Une éventuelle AG doit être profonde pour prévenir les augmentations
intempestives de pression dans le segment postérieur (toux, lutte contre le respirateur).
La chirurgie réfractive vise à compenser la myopie, en sculptant l'épaisseur de la cornée pour en
modifier les propriétés réfractives. Il s'agit d'interventions automatisées qui peuvent être réalisées
sous collyre anesthésique local.
6.2. Chirurgie du segment postérieur
La chirurgie pour décollement de rétine est complexe, et potentiellement beaucoup plus longue. Elle
peut associer différents gestes : ponction de liquide sous-rétinien, cryo-application externe ou
photocoagulation interne, indentation ou cerclage, et tamponnement gazeux interne (le protoxyde
d’azote est contre-indiqué dans ce dernier cas, et le reste pendant les trois mois qui suivent). Elle
exige parfois le maintien de positions spécifiques en postopératoire. Elle peut aujourd’hui se
pratiquer sous ALR avec des anesthésiques locaux de longue durée d’action. La durée ou l’extension
du bloc peuvent nécessiter une réinjection en cours de chirurgie, faite par le chirurgien dans le champ
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Anesthésie en ophtalmologie
opératoire, voire par un cathéter d’ALR pour certains. L’utilisation de l’anesthésie générale
n’empêche pas d’envisager une ALR en fin d’intervention afin de couvrir les premières heures
postopératoires. Pour ces injections ou réinjections peropératoires, l’AES chirurgicale présente une
efficacité et une sécurité attrayantes.
6.3. Chirurgie des annexes
La chirurgie du strabisme est grande pourvoyeuse de ROC, ainsi que de nausées et vomissements
postopératoires (NVPO). L’ALR aide à leur prévention (cf infra). La désobstruction des voies
lacrymales vise à rétablir l'évacuation des larmes vers le sac des fosses nasales. Il peu s'agir d'une
simple mise en place de sonde canaliculaire ou d'une dacryocystorhinostomie.
6.4. Pédiatrie
Chez le petit enfant, on trouve principalement les pathologies tumorales et les syndromes
malformatifs. Ces pathologies peuvent nécessiter des examens de suivi réguliers, réalisés sous AG
compte-tenu de l’absence de coopération. Sachant que toute AG interfère avec la PIO, on s'attachera
à la standardiser pour limiter les interférences avec les mesures. Chaque syndrome polymalformatif
peut poser des problèmes anesthésiques spécifiques.
Chez le grand enfant, le strabisme et le ptosis sont classiquement présentés comme un facteur de
risque de susceptibilité à l'hyperthermie maligne. Aucune étude n’a pu le confirmer.
6.5 Traumatisme oculaire
Une plaie pénétrante nécessite une anesthésie générale en urgence. La réalisation d’une induction
en séquence rapide à globe ouvert a suscité de nombreux débats concernant l’utilisation de la
succinylcholine en raison de la crainte de l'aggravation des lésions par l'augmentation de PIO. Le pic
de PIO est limité en amplitude et en durée, il est écrêté par l’agent d’anesthésie associé, et il est
insignifiant comparé à celui lié à l'intubation : l’interdiction classique n'a plus de raison d'être. La
disponibilité du sugammadex peut faire discuter l’intérêt d’un curare non dépolarisant pour
l’induction. Une antibiothérapie est généralement nécessaire (cf infra).
6.6. Collyres et effets systémiques
La plupart des collyres employés contiennent une concentration élevée de principe actif. Leur
résorption par la muqueuse des fosses nasales, très vascularisée, où l'entraîne le flux lacrymal peut
donner lieu à des effets secondaires systémiques rares mais intenses, et parfois chroniques. La
prévention de ces derniers repose sur l'utilisation de faibles concentrations et de faibles quantités de
collyre, en évitant les instillations répétées. Les effets secondaires dépendent du collyre utilisé :
adrénergiques, bêtabloquants, cholinergiques, ou anticholinergiques. L'utilisation chronique de
collyres bêtabloquants a pu être incriminée dans l'aggravation d'une insuffisance cardiaque.
7. Le périopératoire
7.1. Consultation d’anesthésie
Une large part de la chirurgie ophtalmique, tout particulièrement la chirurgie de la cataracte,
s'adresse à des sujets âgés. Ces patients sont fréquemment atteints d'altérations multiples des
grandes fonctions. La polymédication est de plus source d'interférences avec les agents
anesthésiques. La question des anticoagulants et des antiagrégants plaquettaires est incontournable
dans cette population. Comme pour les autres chirurgies, l’arrêt systématique n’est plus la règle,
même en cas d'ALR, et la balance bénéfice/risque est à adapter au cas par cas. Pour le versant
chirurgical, il faut distinguer la chirurgie de la cataracte de la chirurgie vitro-rétinienne. Dans la
chirurgie de la cataracte, les recommandations françaises et anglaises autorisent les AVK dans la
mesure où l’INR est en zone thérapeutique 2-3 [17]. En présence d’aspirine, mais également de
clopidogrel, les études ne montrent qu’une augmentation des complications mineures [18, 19, 20,
21]. Pour la chirurgie vitro-rétinienne en revanche, les données, moins nombreuses, pointent un
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Anesthésie en ophtalmologie
risque plus net (doublement de 9 à 20 % des complications graves) [22]. Concernant les techniques
d’ALR à l’aiguille, de même que l’AES à la canule, les bases de données en chirurgie de la cataracte
permettent de relativiser le risque réel : les complications graves ne sont pas plus fréquentes sous
AAP/AVK. La survenue d’un hématome rétrobulbaire artériel ne semble pas dépendre de la présence
d'une anomalie de coagulation [3]. A contrario, la chirurgie ophtalmologique a une mortalité et une
morbidité cardiovasculaires périopératoires plus faibles que toutes les autres chirurgies (agression
tissulaire modeste, rareté des variations hémodynamiques, absence d’alitement) : la littérature ne
retrouve pas forcément d’augmentation des évènements à l’arrêt des médicaments pour chirurgie
de l’œil. Au total, les chirurgiens acceptent aujourd’hui d'opérer une cataracte sous antiagrégants
plaquettaires ou sous anticoagulants ; de même, les techniques d’ALR sont utilisables. Il reste que le
rapport risque/bénéfice doit être pesé au cas par cas, quelle que soit la rareté des évènements
considérés.
Chez le bronchitique chronique et l'insuffisant respiratoire, le traitement respiratoire sera renforcé et
une kinésithérapie de drainage bronchique est prescrite jusqu'au matin de l'intervention.
7.2. Prémédication
L'objectif principal de la prémédication est d'atténuer l'anxiété préopératoire. Une prémédication
légère est généralement suffisante. Une information adaptée et l'instauration d'un climat de
confiance peuvent dispenser de toute prémédication pharmacologique. L'hydroxyzine est
relativement dénuée d'effet secondaire chez le sujet âgé. La clonidine à la dose de 150 µg per os,
procure une sédation légère, limite les pics de PIO et d'HTA, et respecte la collaboration du patient.
Chez le patient bronchitique chronique, de faibles doses de morphiniques IV (fentanyl 25 µg) et/ou
de la lidocaïne IV (1 à 2 mg/kg) dépriment le réflexe de toux pour la durée de l'intervention.
7.3. Antibioprophylaxie
L’endophtalmie postopératoire est une complication rare (0,2 à 0,38 %), mais grave. Les germes
retrouvés sont essentiellement des cocci gram positifs saprophytes du patient. Un certain nombre de
facteurs de risque ont été identifiés qui tiennent au patient (diabète, antécédent d’endophtalmie et
du fait de sa gravité potentielle la monophtalmie) ou à la chirurgie (matériel intraoculaire hors
chirurgie de la cataracte, extraction intracapsulaire ou implantation secondaire dans la chirurgie de la
cataracte). La prévention passe d’abord par le respect des règles d’hygiène et d’asepsie.
Du fait de leur bonne pénétration dans les structures avasculaires de l’œil, les fluoroquinolones sont
les antibiotiques de choix pour la voie générale. La lévofloxacine (Tavanic®) a un spectre adapté aux
germes en cause. Son usage envisagé à grande échelle pour la cataracte poserait cependant un
problème d’écologie bactérienne. Dans la chirurgie de la cataracte sans effraction capsulaire,
l’injection intracamérulaire d’une céphalosporine de deuxième génération (céfuroxime) en fin
d’intervention a montré une efficacité (concentration au site opératoire) et une innocuité
satisfaisantes. Cette méthode est donc recommandée par l’AFFSAPS [23], limitant l’usage de
lévofloxacine aux patients allergiques (schéma en deux prises per-os la veille et le matin), et aux
ruptures capsulaires peropératoires (injection IV unique peropératoire). Les autres chirurgies à globe
ouvert bénéficieront d’une antibioprophylaxie par lévofloxacine uniquement en présence de facteur
de risque. Les chirurgies à globe fermé et les ponctions ne nécessitent pas d’antibioprophylaxie
peropératoire. En cas de traumatisme ouvert, une antibiothérapie de 48 h par lévofloxacine est
recommandée avec, si la plaie est souillée, une injection intravitréenne de vancomycine et
ceftazidime ou amikacine en fin d’intervention.
Dans tous les cas, un collyre antibiotique actif sur les cocci gram positif est indiqué en postopératoire
jusqu’à étanchéité des sutures.
7.4. Le postopératoire
L’ALR a montré un réel apport dans l’analgésie postopératoire et la survenue de NVPO [24]. La
douleur postopératoire est classiquement faible pour la chirurgie du segment antérieur, et plus
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Anesthésie en ophtalmologie
élevée pour la chirurgie du décollement de rétine et du strabisme. L'incidence NVPO est évaluée
entre 16 et 76 % selon le type de chirurgie et la prévention mise en œuvre. Les NVPO sont
potentialisés par la douleur et l'hypertonie oculaire, et sont particulièrement fréquents pour la
chirurgie du strabisme et du décollement de rétine. Pour les prévenir, nous disposons de moyens
pharmacologiques (combinant de façon variable dexaméthasone, droleptan et sétrons). L’emploi de
l’acupuncture a aussi été rapporté. Par ailleurs, l’analgésie non morphinique sera privilégiée : ALR et
antalgiques périphériques (paracétamol, anti-inflammatoires non stéroïdiens). La douleur est un
signe précoce de complication, endophtalmie ou hypertonie, et devra toujours être prise au sérieux.
8 Débats
8.1. ALR versus AG
L'anesthésie générale garantit une immobilité parfaite, sans nécessiter la coopération du patient et
sans limite de durée. Elle n'expose pas au risque d'accident de ponction. Elle reste une indication de
choix dans l’urgence et chez l’enfant, ainsi que dans les chirurgies très longues (pénibilité).
Cependant, la grande majorité des interventions se pratique sous ALR. Les contre-indications de
l'ALR, dictées par le risque de complication, sont rares, et pour la plupart relatives en prenant les
précautions adéquates (anticoagulants, fort myope et staphylome, patient monophtalme) en-dehors
de l’infection orbitaire, de la toux incontrôlable et du patient non coopérant. Les patients âgés et
fragiles sont fréquents en ophtalmologie. Le bénéfice de l'ALR sur l'AG en terme de pronostic vital n'a
jamais été démontré ; une étude retrouve, chez des patients à risque, des épisodes d’ischémie
électrocardiographique plus fréquents sous anesthésie générale, sans différence en terme
d’évènements constitués ni de devenir [25]. En revanche, le risque de dysfonction cognitive
postopératoire plaide pour l’ALR [26].
En cas d’AG, l’association d’une ALR est bénéfique dans les chirurgies douloureuses ou réflexogènes
(correction du strabisme, énucléation, chirurgie vitro-rétinienne) en terme de ROC, de douleurs, et de
NVPO.
8.2. Quelle ALR choisir ?
L’efficacité des différentes techniques d’ALR à l’aiguille comme de l’AES à la canule est satisfaisante,
et les différences retrouvées ne sont pas cliniquement déterminantes [27, 28] ; la topique a de son
côté un champ d’application naturellement limité du fait de l’absence d’akinésie, et d’une analgésie
limitée aux structures en contact [28, 29].
La sécurité des techniques à l’aiguille est équivalente, la rareté des évènements rendant difficile la
mise en évidence d’une différence [27]. Les bases de données anglo-saxonnes rapportent en
revanche l’innocuité supérieure de l’AES à la canule et de la topique [11, 12]. Il faut noter qu’en
France, le retrait de la hyaluronidase a fait augmenter la fréquence des strabismes postopératoires
après ALR [9].
Le confort du patient est globalement moins bon sous topique, qu’il s’agisse de la douleur (plus
fréquente), de l’éblouissement, de la perception plus nette de l’action chirurgicale. En fonction de la
sédation qui l’accompagne, la ponction peut représenter le principal désagrément de l’ALR.
Si la controverse reste intense, les concepts théoriques et des études sur de forts collectifs plaident
pour l’AES en terme de rapport efficacité/innocuité/confort [6, 7, 28]. Cependant, un certain nombre
d’auteurs propose un choix (notamment entre ALR et topique, mais également pour l’AG) plus
pragmatique, attentif au contexte [1, 30, 31] : il s’agit de prendre en compte la difficulté opératoire
potentielle (stratifiée en fonction de facteurs de risques qui sont connus et des types de
complications possibles), l’expérience du chirurgien dans le geste pratiqué (et dans la gestion des
complications potentielles), la compétence de l’anesthésiste pour un type d’ALR déterminé, et
l’organisation de la structure de soin. Ainsi, on évitera de « lancer » un jeune interne sur une
cataracte sous topique, et on préfèrera une ALR d’emblée dans les cas à risque élevé de conversion
en chirurgie complexe.
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Anesthésie en ophtalmologie
8.3. Quelle organisation pour la chirurgie de la cataracte ?
Avec 560.000 interventions par an, la chirurgie de la cataracte est devenue un enjeu de santé
publique, en terme de coût comme de mobilisation de moyens humains et structurels. Les
responsables publics comme les professionnels réfléchissent dans tous les pays développés à une
rationalisation accrue de cette activité. L’évolution des techniques permet aujourd’hui de réaliser
cette chirurgie en ambulatoire, sous anesthésie locorégionale ou topique. La création de centres
dédiés est encouragée.
Pour répondre à la demande d’efficience médico-économique, un certain nombre d’études
questionne aujourd’hui l’ensemble du parcours de soins : il a par exemple été proposé de limiter,
voire quasiment de supprimer, examens et explorations préopératoires, au motif de la faible
influence sur le risque de complications [32]. Il a été également avancé qu’il était possible de se
passer de monitorage, voire même d’opérer dans des structures sans anesthésiste. En France, l’HAS
stipule clairement la nécessité d’une surveillance peropératoire standard et de la disponibilité d’un
anesthésiste, quelle que soit la technique utilisée, et envisage de ce fait la reconnaissance d’une
activité de « recours anesthésique » dans les structures spécialisées [15].
Conclusion
L’anesthésie en ophtalmologie s’est enrichie successivement des différentes techniques d’ALR à
l’aiguille, puis de l’AES et de la topique, à la recherche d’un compromis efficacité-innocuité toujours
meilleur tout en tenant compte des évolutions chirurgicales et du développement de l’ambulatoire.
Elle offre aujourd’hui un panel d’outils permettant d’adapter l’anesthésie à la coopération du patient,
à la difficulté et à la durée de l’acte, à la douleur et aux NVPO attendus en postopératoire, mais
également à l’expérience du chirurgien. Elle demande à l’anesthésiste un maintien actif de ses
compétences théoriques et pratiques.
Enjeu de santé publique, la chirurgie de la cataracte est l’objet de vifs débats organisationnels et
médico-économiques.
Bibliographie
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Schutz JS, Mavrakanas NA. What degree of anesthesia is necessary for intraocular surgery? It depends on
whether surgery is ''open'' or ''closed''. Br J Ophthalmol 2010; 94: 1400-13.
2.
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