SUR CERTAINS CLASSES DE SUITES DANS LES ESPACES DE
BANACH, ET LE THÉORÈME DE DVORETSKY-ROGERS.
PAR ALEXANDRE GROTHENDIECK (SÃO PAULO, PARIS).
TABLE DES MATIÈRES
1. Introduction. Notations et rapels sur les produits tensoriels
topologiques 1
2. Rappels sur certaines classes de suites. 3
3. Compléments sur les suites sommables. 9
4. Le lemme fondamental. 12
5. Théorèmes d’existence dérivés. 14
6. Application à un problème général sur les produits tensoriels
topologiques. 17
7. Sur une propriété remarquable des espaces de Hilbert. 21
Bibliographie. 22
1. INTRODUCTION. NOTATIONS ET RAPELS SUR LES PRODUITS
TENSORIELS TOPOLOGIQUES
Un théorème remarquable de Dvoretsky-Rogers [3] affirme qu’un espace
de Banach où toute suite sommable est absolument sommable, est forcément
de dimension finie. J’ai retrouvé ce résultat par une méthode complètement
différente [5, Chap. 2, fin du nº 2]. Ces deux méthodes on des champs d’ap-
plication très différents. Nous allons développer ici quelques résultats intéres-
sants de nature métrique qui se démontrent à l’aide du lemme fondamental
de [3], et dont quelques-uns on été signalée dans [5].
Je suppose connue la signification des symboles p
bet q
bintroduits dans [4]
et son résumé [5] ; cependant, dans ces travaux, j’emploie encore le signe p
p
bau
lieu de q
b(ce dernier est plus suggestif pour la dualité entre les opérations p
b
et q
b, et se prète d’ailleurs mieux à une extension systématique du formalisme
tensoriel-topologique). Pour simplifier, nous considérons uniquement des es-
paces de Banach, dans toute la suite. Ep
bFest le complété de EbF(produit
tensoriel algébrique ordinaire de Eet F) pour une norme, notée |u|{z , telle que
1
2 A. GROTHENDIECK
le dual de Ep
bFsoit exactement l’espace BpE,Fqdes formes bilinéaires conti-
nues sur EˆF, muni de sa norme usuelle. Il s’ensuit aisément que pour tout
espace de Banach G, il y a correspondance biunivoque canonique, préservant
les normes naturelles, entre applications bilinéaires continues de EˆFdans
G, et applications linéaires continues de Ep
bFdans G.Eq
bFest l’adhérence de
EbFdans BpE1,F1q, quand on interprète EbFcomme un espace de formes
bilinéaires sur E1ˆF1. La norme induite sur Eq
bFpar BpE1,F1qest notée |u|z{,
ou }u}(suivant l’usage général pour la norme d’une forme bilinéaire). Le dual
de Eq
bFsera note B{zpE,Fq, c’est un espace de formes bilinéaires continues sur
EˆF, appelées formes bilinéaires intégrales :B{zpE,Fq Ă BpE,Fq. La dualité
entre p
bet q
bs’exprime dans les énoncés suivants : La norme induite sur E1bF1
par le dual BpE,Fqde Ep
bFest aussi la norme induite par E1q
bF1, et de même
la norme induite sur EbFpar le dual BpE1,F1qde E1p
bF1est aussi la norme
induite par EbF.Dualement, dans tous les cas connus, la norme induite sur
E1bF1par le dual B{zpE,Fqde Eq
bFest aussi celle induite par E1p
bF1.De façon
précise, cet énoncé est vrai chaque fois que E1ou F1satisfait à la condition
d’approximation métrique [5, Chap. 1, Appendice 2], en particulier chaque
fois que Eou Fest un espace Lp(1 6p68) construit sur une mesure quel-
conque, ou un espace C0pMq(espace des fonctions continues nulles à l’infini
sur l’espace localement compact M) ; plus particulièrement, ce sera vrai si E
ou Fest un espace lp(1 6p68) ou l’espace c0. De même, si Eou Fsatisfait
à la condition d’approximation métrique (et pour ceci il suffit que E1ou F1y
satisfasse - loc. cité -), alors la norme sur EbFinduite par le dual B{z pE1,F1q
de E1q
bF1est aussi celle induite pas Ep
bF.
Signalons que les formes bilinéaires sur E1ˆF1éléments de Eq
bFsont com-
pactes, i.e. les applications linéaires de E1dans Fque leur correspondent sont
compactes (i.e. transforment la boule unité en une partie relativement com-
pacte de F) : elles sont en effet limites, pour la norme usuelle, d’applications
linéaires continues de rang fini. On voit d’ailleurs immédiatement que ces
applications sont aussi faiblement continues (i.e. continues pour σpE1,Eqet
σpF,F1q), et d’ailleurs ces deux propriétés caractérisent les applications li-
néaires de E1dans Fdéfinies par des éléments de Eq
bF, du moins si Eou F
satisfait la condition d’approximation métrique (loc. cité).
La norme |u|{z est plus fine que la norme |u|z{, d’où une application linéaire
canonique, de norme 61, de Ep
bFdans Eq
bF; cette application est biunivoque
si Eou Fsatisfait à la condition d’approximation (loc. cité).
Soient Ei,Fides espaces de Banach (i=1,2), uiune application linéaire
continue de Eidans Fi, alors u1bu2est une application linéaire E1bE2
THÉORÈME DE DVORETSKY-ROGERS 3
dans F1bF2, qui est continue pour les normes p
b, et aussi pour les normes
q
b. Par prolongement par continuité, on obtient donc une application linéaire
continue u1p
bu2de E1p
bE2dans F1p
bF2, et une application linéaire continue
u1q
bu2de E1q
bE2dans F1q
bF2. On a d’ailleurs
}u1p
bu2}6}u1}}u2} }u1q
bu2}6}u1}}u2}.
Mais en général, u1bu2n’est pas continue pour les normes induites par
E1q
bE2et F1p
bF2(en particulier, prenant pour uet vles applications identiques
EÑEet FÑF, cela revient alors à dire qu’en général Ep
bFEq
bF|).
Proposition 1. Soient Ei,Fi(i1, 2) des espaces de Banach, uiune appli-
cation linéaire continue de Eidans Fi. Supposons que E1
1et E1
2satisfasse à la
condition d’approximation métrique. Pour que u1bu2soit continue et de
norme 6Mpour les normes induites par E1q
bE2et F1p
bF2, (i.e. se prolonge
en une application linéaire continue de norme 6Mde E1q
bE2dans F1bF2)
il faut et il suffit que l’application u1
1bu1
2de F1
1bF1
2dans E1
1bE1
2satisfasse
à la condition analogue.
Soit en effet vu1bu2, si vdéfinit une application linéaire de norme
6M:E1q
bE2ÑF1p
bF2, alors sa transposée v1peut être considérée comme
une application linéaire de norme 6Mdu dual BpF1,F2qde F1p
bF2dans le
dual B{zpE1,E2qde E1q
bE2. Sur F1
1bF1
2,v1se réduit à u1
1bu1
2, appliquant F1
1bF1
2
dans E1
1bE1
2, et comme les normes sur ces espaces, envisagées dans l’énoncé,
sont celles induites par BpF1,F2qresp. par B{zpE1,E2q(voir ci-dessus), u1
1bu1
2
a bien la propriété annoncée dans l’énoncé. La réciproque se démontre de
façon exactement symétrique.
2. RAPPELS SUR CERTAINES CLASSES DE SUITES.
Si 1 6pă `8, on désigne par lpl’espace des suites scalaires de puis-
sance p.ème intégrable, muni de sa norme usuelle }pλiq}ppři|λi|pq1{p
qui en fait un espace de Banach. Pour p“ 8,l8désigne l’espace des suites
scalaires bornées, muni de la norme }pλiq}8supi|λi|, qui en fait un es-
pace de Banach. c0désigne le sous-espace fermé de l8formé des suites qui
tendent vers 0, espace muni de la norme induite. Plus généralement, si Eest
un espace de Banach, et 1 6pă `8, on désigne par lp
El’espace des suites
pxiqdans Etelles que la suite des normes soit dans lp, muni de la norme
}pxiq}ppři}xi}pq1{p, qui en fait un espace de Banach [2, Chap.4], de
même l8
Edésigne l’espace de Banach des suites bornées dans E, muni de la
norme }pxiq}8supi}xi}, et c0pEqle sous-espace formé des suites dans E
qui tendent vers 0.
4 A. GROTHENDIECK
Soit toujours Eun espace de Banach, et 1 6p6`8. Une suite pxiqdans
Eest dite scalairement de puissance p.ème intégrable (ou aussi scalairement
bornée, dans le cas p“ `8) si quel que soit x1PE1, la suite pxxi,x1yq est
dans lp. Désignons alors par ux1cet élément de lp,uest donc une applica-
tion de E1dans lp, manifestement linéaire, et de plus continue en vertu du
théorème du graphe fermé (car continue pour la topologie sur lpde la conver-
gence suivant les coordonées, qui est séparée et moins fine que la topologie
normée naturelle de lp). Supposant alors pą1, la transposée de udéfinit
une application linéaire continue de lp1´1
p`1
p11¯dans E2. Comme on
voit aussitôt que u1eixi(peiqdésignant la "base canonique de lp1), et
que l’espace vectoriel engendré par les eidans lp1est dense (car p1ă `8),
on voit que u1plp1q Ă E. On peut préciser l’application linéaire continue
v:lp1ÑEainsi définie par la suite pxiqscalairement de puissance p.ème
intégrable : Pour tout λ“ pλiq P lp1,pλixiqest une suite sommable dans
E, et řiλixi. En effet (th. d’Orlicz) on sait que dire que pλixiqest
sommable revient à dire que pour toute suite pµiq P l8, la suite pµiλixiqest
sommable dans Epour la topologie faible, i.e. il existe un xPE(somme de
cette suite) tel que xx,x1y “ řixλiµixi,x1ypour tout x1PE1. Or il suffit de
prendre xvppµiλiqq, comme on constate aussitôt, et cela montre en même
temps, en faisant µi1 pour tout i, que řλixivppλiqq. De plus, on a
une réciproque : Si 1ăp6`8, toute application linéaire continue vde
lp1dans Eest dé-par une suite pxiqdans Escalairement de puissance p.ème
intégrable, bien déterminée par v.En effet, les xisont bien déterminés par
xivei; d’ailleurs, comme la suite peiqdans lp1est manifestement scalaire-
ment de puissance p.ème intégrable (le dual de lp1étant lp) il en est de même
son image pxiqdans Epar l’application v. D’autre part, vcoïncide avec l’ap-
plication pλiq Ñ řλixisur les ei, donc sur l’espace vectoriel fermé engendré
par les ei, qui n’est autre que lp1lui-même (car p1ă 8). En résumé, nous
avons obtenu
Proposition 2. Soit Eune espace de Banach, et 1ăp6`8,16p1ă `8,
1{p`1{p11. L’espace Lplp1,Eqdes applications linéaires continues de lp1
dans Es’identifie à l’espace des suites pxiqdans Escalairement de puissance
p.ème intégrable : à vcorrespond la suite pxiq “ pveiq, à pxiql’application
vppλiqq “ řλixi(le deuxième membre est une série sommable dans E).
Si 1 6p68, nous désignons par Mpppxiqq la norme de l’application
linéaire ude E1dans lpdéfinie par une suite pxiqdans Escalairement de
puissance p.ème intégrable ; dans le cas 1 ăp6`8, c’est donc aussi la
THÉORÈME DE DVORETSKY-ROGERS 5
norme de l’application linéaire de lp1dans Equi correspond à cette suite
(cette application n’étant autre que la transposée de u).
Supposant toujours 1 ăp6`8, l’espace lpq
bE, adhérence dans Lplp1,Eq
du sous-espace lpbEformé des applications linéaires continues de rang
fini, s’identifie à un sous-espace vectoriel fermé de l’espace des suites dans E
scalairement de puissance p.ème intégrable. (Mais on voit, en faisant Elp1,
vapplication identique de lp1sur E, application que n’est pas compacte,
donc non dans lpq
bE- qu’en général lpq
bEn’est pas identique à l’espace
de toutes les suites dans Escalairement de puissance p.ème intégrable). En
particulier, signalons que l8q
bEpeut se caractériser comme l’espace des suites
relativement compactes dans E(nous ne nous servirons pas de ce fait, très
élémentaire). Plus intéressant est le
Corollaire. On a c0q
bEc0pEq; cette identification préserve les normes na-
turelles.
Nous laissons la démonstration au lecteur (c’est aussi un cas particulier de
[5, Chap. 1, nº 5, th. 4]).
La prop. 2 ne dit rien sur le cas p1. Il est bien connu en effet qu’une
suite scalairement sommable dans En’est pas en général sommable (si En’est
pas réflexif), donc ne définit pas d’application linéaire de l8dans E; et que
les combinaisons linéaires des ein’étant pas denses dans l8, on ne peut pas
non plus espérer obtenir toutes les applications linéaires continues de l8dans
Eà l’aide des suites sommables dans E. (Voit corollaire qui suit pour la ca-
ractérisation des applications linéaires obtenues ainsi). On a cepedant :
Proposition 3. L’espace Lpc0,Eqs’identifie à l’espace des suites scalairement
intégrables dans E.
Cette correspondance se précise et se démontre exactement comme dans la
prop. 2 ; on se sert essentiellement du fait que l’espace vectoriel fermé dans
c0engendré par les eiest c0lui-même. D’autre part, le sous-espace l1q
bEde
Lpc0,Eqse précise ici de façon remarquable :
Corollaire. l1bEs’identifie à l’espace des suites sommables dans E. Ce
dernier s’identifie donc aussi à l’espace des applications linéaires faiblement
continues et compactes de l8dans E, ou aussi à l’espace des applications
linéaires compactes de c0dans E.
(Par topologie faible sur l8, nous entendons sauf avis du contraire la to-
pologie faible σpl8,l1qdu dual de l1). Cet énoncé est facile, et bien connu (je
le démontre explicitement dans [4, Chap. 1, §3, nº 3]). Signalons d’ailleurs
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