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« Essai de classification
des pratiques de co-création de produits et services »
Stéphane Magne
Maître de Conférences à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne depuis septembre 2014. Ses
activités de recherche portent sur les relations entre design, marque et innovation. Dans le
cadre du marketing du design, il s’intéresse tout particulièrement à la perception esthétique
des objets leurs dimensions visuelles, tactiles, dynamiques et interactives…) et à la
sensibilité individuelle des consommateurs au design. Il oriente actuellement ses travaux vers
l’expérience esthétique digitale. Il fait partie du laboratoire PRISM de l’Ecole de Management
de la Sorbonne.
Jean-François Lemoine
Professeur des Universités à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et à l'ESSCA École de
Management. Ses recherches portent sur les facteurs d’atmosphère du point de vente physique
et virtuel et plus largement sur le commerce électronique et le marketing digital. Il organise
depuis 14 ans la Journée de recherche sur le marketing digital de l’Association Française du
Marketing. Il dirige l’École doctorale de l’École de Management de la Sorbonne.
Résumé
Aujourd’hui, les entreprises ont tendance à intégrer le consommateur dans leurs projets de
développement de produits et services. Dans le processus de design, ce « consomm’acteur »
est vu comme un co-créateur au même titre que les ingénieurs, les designers et les marketeurs.
La problématique de cette communication porte sur comment classer et hiérarchiser les
pratiques variées et disparates de co-création de produits et services (boîte à idées, concours,
plateformes communautaires…) pour impliquer au mieux le consommateur dans le processus
de design management.
Une phase documentaire portant sur les pratiques de co-création d’entreprises dans différents
secteurs et pays, nous conduira à les recenser puis à proposer un principe de classement de ces
outils sur la base de leurs caractéristiques, des sultats escomptés et du degré d’engagement
attendu du consommateur. Une trentaine de cas concrets recensés sur les 10 dernières années
illustrera ce classement.
Cette tentative de taxinomie vise in fine à établir un rapprochement entre les pratiques
réellement utilisées par les entreprises et le degré d’« empowerment » créatif du
consommateur.
Les contributions se déclinent :
Au niveau des instruments en proposant un état des lieux sur les formes actuelles de
co-création au service des projets de design ;
Au niveau marketing en envisageant les modalités d’intégration du consommateur
dans les processus de design management ;
Au niveau managérial en suggérant une hiérarchisation des pratiques de co-création
qui facilitera leur choix selon le degré d’engagement co-créatif attendu de la part du
consommateur.
Mots-clés : co-création ; design management ; engagement co-créatif
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« Essai de classification
des pratiques de co-création de produits et services »
Auparavant, dans le système transactionnel traditionnel, les sociétés choisissaient les produits
et les services qu’elles fabriquaient et décidaient de ce qui avait de la valeur pour le client. Il
est aujourd’hui difficile pour une entreprise de s’imposer sur un marché de plus en plus saturé
dans un contexte de convergence des technologies et des industries. Pour faire face à cette
réalité, la relation entre le producteur et le consommateur n’a cessé d’évoluer vers une plus
grande implication du consommateur dans le processus de création.
Le consommateur a changé : il est maintenant informé, relié en réseau, actif et global. Il a
aujourd’hui accès à tout type d’information et peut exprimer son avis, ses impressions et ses
souhaits sur le web.
Alimentaire
L’enseigne Starbucks a développé My Starbucks Idea, site Internet sur
lequel les consommateurs peuvent laisser leurs impressions sur leurs
expériences sur le lieu de consommation et/ou sur les produits.
http://mystarbucksidea.force.com/
Cas 1 Starbucks Coffee
Le consommateur n’est plus un consommateur passif ; il veut être acteur de sa consommation
et de ses choix. Son pouvoir s’est accru, il est devenu un « consomm’acteur » (Badot et Cova,
1992). Il est désormais vu comme un « consommateur collaborateur » par la nouvelle logique
du marketing, la SDL (Service Dominant Logic) qui donne une place centrale au processus de
co-création entre le fournisseur et le consommateur (Lush R. Et Vargo S., 2014).
Ainsi, au triptyque désormais classique du design management (Borja de Mozota, 2002 ;
Brown, 2010 ; Chaptal de Chanteloup, 2011) (cf. Figure 1) tend à se substituer un modèle à 4
pôles le consommateur se retrouve plus ou moins engagé au cœur des projets de design.
Les pratiques de co-création permettent d’impliquer ce quatrième acteur au cœur du design-
management : le consommateur devient un co-créateur au même titre que les ingénieurs, les
designers et les marketeurs.
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Figure 1 Nouveau rôle du consommateur dans le processus de design-management
Dans ce cadre, cette recherche tente de répondre à 2 questions. La première est d’ordre
théorique : comment peut-on organiser et classer l’ensemble des techniques et outils
disparates de la co-création ? La deuxième question est d’ordre managérial : comment les
pratiques de co-création peuvent-elles être des leviers pour solliciter un engagement co-créatif
plus ou moins fort chez le consommateur ?
1. LA CO-CRÉATION AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT DE PRODUITS ET
SERVICES
Avec l’essor de l’économie digitale et tout particulièrement le développement du web 2.0, des
outils collaboratifs ont pu être développés et partagés. Des formes variées de collaborations
entre consommateurs et producteurs coexistent : marketing participatif, crowdsourcing, co-
création, customer made, co-production, co-design, etc. Elles constituent autant d’outils
utilisables pour impliquer le consommateur dans le processus de design management.
Distribution
AUCHAN
En partenariat avec le programme américain Quirky, Auchan propose à ses
clients de réfléchir sur des produits innovants, de les développer puis de les
commercialiser dans ses magasins.
Cas 2 Auchan
De nombreuses techniques plus ou moins impliquantes pour le consommateur sont utilisées.
Toutes relèvent du concept fédérateur de co-création que nous allons définir en tout premier
lieu. Une deuxième étape nous permettra de relever différents degrés d’investissement attendu
de la part du consommateur pour chacune des familles de pratiques co-créatives.
Producteur :
Co-création
produits/services
Consommateurs
Innovation
Marché(s)/Marketing
Création
Valeur co-créée
entre Producteur et
Consommateurs
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1.1. LES FRONTIERES FLOUES DE LA NOTION DE CO-CREATION
Quand est apparu ce terme de co-création (cf. Tableau 1) ?
1995 : Utilisation du terme de « co-création » par Schrage (1995) dans la Harvard Business Review.
2000-2004 : Prahalad & Ramaswamy (2004) utilisent officiellement le terme de « co-création » en parlant
« d’expérience personnalisée avec les clients ».
2004 : Publication de l’article de Vargo & Lusch (2004) (Evolving to a New Dominant Logic for
Marketing) qui a largement diffusé ce terme de « co-création » au sein de la communauté marketing.
Tableau 1 Les jalons historiques de l’utilisation du terme « co-création »
En substance, ces publications révèlent que les entreprises ne centrent plus leur position sur la
valeur créée par la dyade « entreprise-produits » mais plutôt sur l’expérience de co-création
de valeur entre l’entreprise et le consommateur. Ce principe de co-création et de co-
production de valeur repose sur un développement des compétences du consommateur (une
prise de pouvoir nommé «empowerment »), et sur un apprentissage concomitant des membres
de l’entreprise (marketeurs, commerciaux, designers, ergonomes, ingénieurs de la R&D…)
faisant appel aux compétences du client.
Pour qualifier ces collaborations producteur-consommateur(s) plusieurs champs co-existent.
Leurs frontières sont ténues et supposent une clarification définitionnelle :
Marketing
participatif
Également appelé marketing collaboratif, le marketing participatif est « une politique
marketing sollicitant et encourageant la collaboration et la participation des clients, pour
concevoir et réaliser une offre, communiquer ou gérer la relation clients. » (Lendrevie et al.
2009). Divard (2010) parle pour sa part d’« un ensemble de techniques marketing visant à
impliquer directement le client dans la définition de l'offre de l'entreprise. »
Crowdsourcing
Cet anglicisme signifie littéralement « approvisionnement par la foule ». C’est un concept
évoqué par Jeff Howe (2006). Il désigne « la politique ou la technique qui consiste à
externaliser vers un groupe ou une communauté de volontaires des tâches habituellement
accomplies par des collaborateurs ou des prestataires ».
Co-création
C’est une notion plus large que celle de crowdsourcing. Il s’agit d’une collaboration plus ou
moins intense entre l’entreprise et les consommateurs. Cette participation se fonde sur
l’échange, la créativité et est destinée à améliorer ou créer des produits ou services. C’est
aussi le fait de faire appel aux consommateurs pour la conception, le développement ou la
communication d’un produit/service. La co-création regroupe donc plusieurs champs dans
lesquels s’ancrent des pratiques différentes. Elle comporte plusieurs niveaux créatifs qui
impliquent un engagement plus ou moins fort de la part du consommateur.
Tableau 2 Du marketing participatif à la co-création
1.2. LE CADRE THEORIQUE DE LA CO-CREATION
Phénomène nouveau, la co-création n’a pas encore de cadre théorique parfaitement stabilisé et
accepté par tous. Cela est sûrement à ses frontières floues et poreuses qui supposent, pour
la circonscrire, d’opter pour une triple perspective théorique (Abidi-Barthe et al., 2010).
1.2.1. Les 3 ancrages théoriques de la co-création
le marketing tribal ou communautaire (Cova et Cova, 2002) : le consommateur
donne du sens à la marque en co-créant sa valeur identitaire et symbolique. Ces communautés
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ou « tribus » se veulent les porte-parole, les prescripteurs et les leaders d’opinion de la
marque. En ce sens, la relation consommateur-marque se transforme car c’est la communauté
tribale qui prend le pouvoir sur la marque au détriment des marketeurs ;
l'innovation collaborative (Von Hippel, 1978). Ce courant insiste sur l’utilité d'intégrer
les utilisateurs influents dans le processus de conception et de développement de nouveaux
produits/services car ce sont des innovateurs à l’origine de nouvelles idées voire de nouveaux
produits (Bejy-Bécheur et Gollety, 2007). Grâce au web 2.0. ils s’agrègent désormais en
communautés de lead-users
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ou users communities et peuvent participer à des projets de
développement avec les services de R&D (Parmentier et Mangematin, 2014) ;
Le consumer empowerment (Shankar A., Cherrier H., Canniford R., 2006) qui prône la
délégation du pouvoir aux clients dans la construction de l’offre. Certaines variables du
marketing-mix peuvent lui être déléguées : définition du produit, distribution et
communication. Au cœur du consumer empowerment se trouve la notion d’apprentissage
collectif (Curbatov, 2006, 2010 ; Curbatov et al., 2015) qui suppose la mise en place par le
producteur d'un ensemble d'outils d'aide au développement des compétences des
consommateurs (tels que les séminaires, les stages, les ateliers de création dans les
boutiques...).
Quels sont les niveaux de co-création ? Concourent-ils à des degrés d’empowerment
différenciés du consommateur ?
1.2.2. Les niveaux de co-création
Selon Maillet (2009) il existe 4 niveaux dans les pratiques de co-création (cf. Figure 2) :
Figure 2 : Les degrés de co-création (adapté de Maillet, 2009)
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Pour les définir simplement ce sont des utilisateurs avant-gardistes, précoces, influents, des clients et usagers
figurant parmi les premiers à adopter un produit ou un service.
2. La sollicitation :

consommateurs. Elle fait
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donnent leurs avis
motivés, leurs
préférences sur un
produit, une campagne

3. La communauté :

aux consommateurs

eux-mêmes un
produit, une
campagne de

 :
-
création comme un véritable

espace dédié est ainsi mis en
place pour faciliter les
échanges entre
consommateurs et
entreprise.
1. La suggestion :

idées, avis, opinions émis
par les consommateurs
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