CHAPITRE XI IMMUNOTHÉRAPIE ENDOVÉSICALE : LE BACILLE DE CALMETTE-GUÉRIN D. CHOPIN - F. SAINT - B. GATTEGNO * Travaux expérimentaux réalisés grace à la Fondation de l’Avenir pour la recherche médicale. ET0274 1065 PLAN I. HISTORIQUE DU BACILLE DE CALMETTE-GUÉRIN V. RESULTATS DES INSTILLATIONS DE BCG : ANALYSE CRITIQUE DE LA LITTERATURE II. HISTORIQUE DE L’IMMUNOTHÉRAPIE ANTI-TUMORALE UTILISANT LE BCG IMMUN PASTEUR® VI. LES EFFETS SECONDAIRES ASSOCIÉS AUX INSTILLATIONS DE BCG III. PHAMACOCINÉTIQUE ET SENSIBILITÉ AUX ANTIBIOTIQUES VII. FACTEURS PRÉDICTIFS DE LA RÉPONSE AU BCG IV. MÉCANISMES D’ACTION DU BACILLE DE CALMETTE-GUÉRIN (BCG) REFERENCES 1066 Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 CHAPITRE X Immunothérapie endovésicale : Le Bacille de Calmette-Guérin D. CHOPIN - F. SAINT - B. GATTEGNO L’utilisation du BCG dans la prise en charge des tumeurs superficielles de la vessie représente une des rares avancées significatives dans le traitement des tumeurs solides chez l’homme depuis l’avènement de la chimiothérapie pour les tumeurs solides. Ce traitement repose sur l’utilisation de la réponse immune à des fins thérapeutiques telles qu’elles ont été développée au début du siècle avec l’utilisation des sérums immuns puis des vaccins. Curieusement la pratique clinique s’est effectuée sur des bases empiriques, eu égard aux expérimentations d’immunothérapie chez l’animal qui ont été réalisées sur des modèles assez éloignés. Le mode d’action, la pharmacocinétique, reste largement inconnu, mais des progrès réels ont été effectués qui ont des applications cliniques pratiques. La recherche dans ce domaine est limitée à quelques équipes et n’est pas encore intégrée dans le large mouvement de l’immunologie et de la biologie cellulaire et moléculaire. Sur le plan clinique, même le schéma thérapeutique optimal n’est pas encore défini. La réponse clinique fait appel à de multiples variables qui font intervenir le polymorphisme de la réponse immune de l’hôte aux mycobactéries, les capacités de la tumeur à échapper à la réponse immune anti-tumorale, la tolérance des instillations. Ces paramètres soulignent la difficulté de manier une thérapeutique où l’effet dose peut être paradoxal puisque une immunisation peut entraîner une réponse positive ou négative en fonction de la dose, du schéma d’immunisation et des capacités de réponse de l’hôte. Le concept actuel est de définir des groupes de patients afin d’optimiser le schéma thérapeutique pour chaque patient (Approche Thérapeutique Individualisée (ATI). Des essais cliniques sont en cours pour améliorer la tolérance et l’efficacité des instillations endovésicales. L’efficacité du BCG est clairement établie en ce qui concerne l’impact sur la récidive et de nombreux arguments suggèrent que le BCG retarde la progression, cette action est contrebalancée par les effets induits par la réponse inflammatoire associée, le risque de réactions immuno-allergiques et de dissémination du bacille. Une meilleure compréhension et prise en charge des effets secondaires, l’utilisation de paramètres urinaires, en particulier des cytokines au premier rang desquelles se trouve l’IL-2, ont permis d’optimiser le schéma classique des 6 instillations hebdomadaires de BCG. I. HISTORIQUE DU BACILLE DE CALMETTE-GUÉRIN En 1904, Nocard isolait le Mycobactérium Bovis chez une vache atteinte de tuberculose mammaire. Ce sont Calmette et Guérin qui dès 1908 cultivèrent, à l’Institut Pasteur de Lille, cette bactérie sur bile de bœuf afin d’obtenir des cultures homogènes avec une meilleure dispersion des bacilles. Après 231 passages pendant 13 ans, à la fin de la première guerre mondiale, Calmette et Guérin (1918) ont fait l’observation que cette mycobactérie avait perdu sa grande “virulence” pour devenir une mycobactérie “atténuée”, le Bacille de Calmette-Guérin était né. C’est en 1921 que, pour la première fois, un enfant était vacciné contre la tuberculose en utilisant cette mycobactérie atténuée. A cette époque cette souche bactérienne ne pouvait être utilisée qu’à partir de cultures fraîches de mycobactérie. C’est pourquoi, différentes souches furent développées à partir de la souche française et distribuées à travers le monde, (Tableau 1). Les conditions de culture et la propagation des souches à travers le monde expliquent la dérive génétique des différents “BCG”. 1067 D. C HOPIN - F. SAINT - B. G ATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 Tableau 1 : Origine, développement et évolution des différentes souches de BCG vivant à travers le monde [214,45] Sous la directive de l’OMS, afin de limiter la dérive des souches, les préparations de bacilles sont actuellement lyophilisées à partir de stocks issus de la souche mère. Par ailleurs il a été clairement démontré que seuls les bacilles vivants ont la possibilité d’induire une réponse immune anti-tumorale. Ainsi, les bacilles auto-clavés, dans un modèle murin, sont complètement inefficaces [103]. En France seule la souche Connaught est à ce jour commercialisée (Immucyst®, Aventis Pasteur®). La durée de vie de cette préparation est de 2 ans comparée aux 4 mois de validité du BCG frais immun Pasteur®. Le nombre de bacilles vivants obtenus à partir d’une préparation lyophilisée peut varier en fonction de sa date de fabrication et du respect de la chaîne du froid (1 à 4). Cette variabilité est toutefois nettement inférieure à celle du BCG frais immun Pasteur® (1 à 20). Ces considérations de stabilité, des restructurations industrielles et des impératifs économiques ont amené à l’abandon du BCG frais immun Pasteur® qui a été utilisé en France jusqu’au milieu des années 90. II. HISTORIQUE DE L’IMMUNOTHÉRAPIE ANTI-TUMORALE UTILISANT LE BCG IMMUN PASTEUR® L’effet antitumoral lié aux mycobactéries a été observé pour la première fois par Pearl en 1929, qui lors de l’analyse d’une série nécropsique, notait que les patients atteints de tuberculose développaient moins de tumeurs malignes que la population générale [168]. En 1953, un chirurgien Américain après avoir constaté la régression d’un lymphosarcome chez un patient atteint d’un érysipèle, introduisit l’utilisation d’extraits bactériens comme traitement adjuvant du traitement des tumeurs [39]. En 1966 Coe a démontré que la vessie pouvait être le site de réactions d’hypersensibilité retardée au même titre que la peau [37]. En 1969, Mathé a utilisé pour la première fois le BCG en thérapeutique humaine antitumorale dans le cadre de leucémies aiguës [140]. Dès les années 1970, le BCG a été utilisé dans le traitement des mélanomes métastatiques [68]. En 1974, c’est Zbar qui a démontré l’effet antitumoral du BCG administré localement sur l’hépatocarcinome du cobaye [216]. Il définissait alors les premières règles de l’immunothérapie locale : capacité de développement d’une réponse antitumorale ; nombre suffisant de bacilles vivants ; contact entre le BCG et la tumeur ; volume tumoral relativement faible. En 1975, Bloomberg a démontré la bonne tolérance des instillations endovésicales de BCG chez le chien [16]. En 1975 deKernion a rapporté le premier traitement d’une tumeur vésicale métastatique d’un mélanome malin par BCG-thérapie locale [55]. L’ensemble de ces observations, ont conduit Morales puis Martinez-Pineiro, à utiliser, dès 1976, le BCG en instillations locales dans le traitement prophylactique des tumeurs superficielles de vessie [148, 137]. III. PHAMACOCINÉTIQUE ET SENSIBILITÉ AUX ANTIBIOTIQUES La pharmacocinétique des instillations endovésicales de BCG, reste actuellement encore ma l connue. Si les instillations endovésicales de BCG sont le plus souvent associées à des phénomènes vésicaux locaux comme la pollakiurie ou les brûlures mictionnelles, des passages systémiques ont été rapportés aux cours d’instillations traumatiques avec colonisation du foie et des poumons comme sites privilégiés [73, 195, 119]. Des études chez l’homme [57] et chez l’animal [50] n’ont cependant pas démontré de passages systémiques lors de la réalisation d’instillations non-traumatiques. L’élimination du Bacille de Calmette-Guérin dans les urines semble, de plus, maximale quatre heures après l’instillation [57]. Deux jours après l’instillation, 60% des patients n’éliminent plus de Mycobactéries, et plus de 80% lors d’études réalisées 4 jours après l’instillation de 81 mg de BCG Connaught® [57]. 1068 D. C HOPIN - F. SAINT - B. G ATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 Cependant un petit nombre de patients peut encore éliminer plus tardivement des Bacilles de CalmetteGuérin. Les techniques de PCR sur les biopsies vésicales réalisées après traitement ont permis de détecter de l’ADN de BCG jusqu’à deux ans après la dernière instillation [57]. La sensibilité du BCG aux différents antibiotiques a été testée in vitro et est clairement différente du Mycobacterium Tuberculosis [58]. Ainsi le BCG est résistant au pyrazinamide, à la cyclosérine et est sensible à l’ofloxacine, qui est bactéricide aux dosages habituels chez l’homme (400 mg/jour) [58]. Le BCG est de plus sensible à l’INH et à la rifampicine, même si le premier de ces antibiotiques ne semble pas diminuer la fréquence des effets secondaires du BCG, lorsqu’il est administré systématiquement associé aux instillations endovésicales [207]. De plus cette activité bactéricide serait peut-être associée à une diminution de l’activité antitumorale lors d’une administration prophylactique au cours de l’instillation, comme l’a rapporté De Boer dans un modèle animal [49]. En cas d’utilisation prolongée de ces antituberculeux, il est recommandé de les utiliser en association compte tenu du risque d’induction de résistance. L’intérêt de l’ofloxacine réside dans sa cinétique qui est de 2 heures pour avoir une activité bactéricide sur les cellules cibles alors qu’elle est de 4 jours pour les antituberculeux classiques (INH, Rifampicine) [58]. De plus l’utilisation d’antibiotiques au cours des instillations endovésicales de BCG, pour traiter une infection urinaire ou tout autre problème infectieux, devra se limiter à la famille des nitrofuranes et au triméthoprime, antibiotiques sans action sur le BCG. Les autres antibiotiques devront être discutés du fait de leur pouvoir bactéricide vis-à-vis du BCG et donc de leur interaction potentielle avec son activité antitumorale [58]. tion de trois systèmes : l’hôte (le malade), le BCG (les Mycobactéries) et la tumeur. De cette interac tion va naître une cascade d’évènements immuno logiques, dont certains seront indispensables à l’action protectrice du BCG contre la récidive et la progression tumorale. On considère actuellement qu’il existe trois phases dans la réponse immuni taire au BCG. Tout d’abord, le BCG adhère à l’uro thélium puis est phagocyté par des cellules présen tatrices d’antigènes. A cette phase correspond la libération précoce de cytokines dites inflamma toires (l’IL-1, l’IL-6, l’IL-8). Ces cytokines pour raient être en cause dans certains effets indési rables mais elles pourraient également participer aux phénomènes cytotoxiques. La deuxième phase est la reconnaissance des antigènes bactériens par des lymphocytes auxillaires CD4, qui libèrent prin cipalement de l’IL-2 et de l’IFN- (réponse Th1). Cette activation cellulaire va aboutir à la troisième phase qui est l’amplification de populations cyto toxiques capables de tuer les cellules tumorales : CD8, lymphocytes , macrophages, lymphocytes NK, LAK, BAK. Toutes ces cellules produisent elles aussi des cytokines qui participent à la régulation de la réponse immunitaire. A partir de la 4ème ins tillation suivra une contre réponse Th2, comme en témoigne la détection d’IL10 dans les urines (Figure 10). La compréhension de ces mécanismes d’action, le dosage des cytokines urinaires, une meilleure définition des cellules cytotoxiques et de leur rôle, l’évaluation moléculaire de la tumeur et probablement certaines caractéristiques génétiques de l’hôte permettront de proposer des protocoles d’immunisation plus efficaces en définissant une approche thérapeutique individualisée (ATI). 1. LA REPONSE IMMUNE LOCALE ENDOVESICALE APRES BCG a) Le rôle de l’hôte IV. MÉCANISMES D’ACTION DU BACILLE DE CALMETTE-GUÉRIN (BCG) La connaissance de l’immunité anti-tumorale et des mécanismes permettant à la tumeur de s’af franchir de la surveillance immunitaire de l’hôte, a permis de progresser dans la compréhension des méc anismes d’action du Bacille de Calme tteGuérin (BCG). En effet, la réponse immunitaire locale endovésicale est intimement liée à l’interac - La réponse immunitaire aux infections par des germes intracellulaires tels que les salmonelles, les leishmanioses ou les Mycobactéries, et donc le BCG, est variable et sans doute liée à l’hôte [192] (Figure 1). Chez la souris, un gène de résistance à la vaccination par le BCG a été identifié. Ce gène Nramp-1 (Natural resistance associated macrophage protéine) est impliqué dans la réponse T à la vaccination par les mycobactéries [122]. Le produit de ce gène exprimé par les macrophages joue un rôle dans 1069 D. C HOPIN - F. SAINT - B. G ATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 l’expression des molécules de classe II du CMH, dans la présentation antigénique chez l’homme et donc potentiellement dans la réponse inflammatoire [122, 192]. De plus Nramp-1 pourrait contrôler la réplication des germes intracellulaires par l’intermédiaire des phagozomes fabriqués par la cellule infectée [71]. Il pourrait aussi inhiber le développement des mycobactéries en favorisant la production de NO (Nitric oxide), puissant agent antimycobactérien [7]. Chez l’homme, les fonctions codées par Nramp-1 chez la souris, seraient sous la dépendance de plusieurs gènes, dont certains ont déjà été isolés sur le bras court du chromosome 2 (2q35) [98]. L’identification de ces gènes et de leur polymorphisme pourrait dans l’avenir être utile pour prédire la réponse au BCG. Ce polymorphisme intéresse aussi les antigènes du groupe HLA de classe II qui sont impliqués dans la réponse aux Mycobactéries [35]. b) La réponse immunitaire aux mycobactéries et au BCG La réponse immunitaire aux mycobactéries est liée impérativement à l’infection des cellules présentatrices d’antigènes (monocytes, macrophages, cellules dendritiques). Le BCG est alors un germe intracellulaire qui induit à la production de cytokines telles l’IFN- , l’IL-12 et l’IL-15 (Figure 1). Ainsi dans la lèpre le profil des cytokines sécrétées participe à l’activa tion des lymphocytes T helper (CD4+) et peuvent donner naissance : aux cellules T helper 1 (Th1) (productrices d’IFN- et d’IL-2) associées à une forme localisée ou T helper 2 (Th2) (productrices d’IL-4 et d’IL-10) et associées à une forme généralisée de la maladie [194]. Lors de l’instillation endovésicale de BCG, les évènements immunologiques sont assez comparables à ceux rencontrés au cours des infections par les Mycobactéries et l’on peut distinguer trois phases : la phase d’initiationinternalisation, la phase de présentation antigénique et la phase cytotoxique (Figure 2) ; ces deux dernières correspondant à la phase effectrice. La phase d’initiation est caractérisée par le contact entre le BCG et l’urothélium. C’est Ratliff en 1988 qui a montré dans un travail expérimental chez la souris, l’importance de l’adhésion du BCG aux cellules urothéliales par l’intermédiaire de molécules d’adhésion comme la fibronectine [108, 174, 175]. L’augmentation de la liaison à la fibronectine pouvant majorer l’activité du BCG [88]. Cette adhésion des Mycobactéries peut aussi se faire par les glyco- saminoglycanes [187]. A partir de ce contact, les bacilles peuvent être phagocytés par les macrophages qui appartiennent au groupe des cellules présentatrices d’antigènes ou être internalisés dans les cellules urothéliales ou les cellules tumorales [13]. En 1992, EC Lattime a démontré que les cellules urothéliales pouvaient se comporter comme des cellules présentatrices d’antigènes [123]. Cette étape d’adhésion, de pénétration et d’activation des cellules présentatrices d’antigènes est une étape importante de la réponse aux Mycobactéries et de la réponse au BCG [63]. La phase effectrice est caractérisée par la présentation par les cellules présentatrices d’antigènes (APC) aux lymphocytes T auxiliaires, de certaines des protéines de constitution du BCG ou produites par sa dégradation (protéines immunogéniques) puis par l’activation de cellules cytotoxiques (Figure 3). Après l’infection par les Mycobactéries, les macrophages associés aux autres cellules présentatrices d’antigènes, dont font partie les cellules urothéliales [123], manufacturent les antigènes mycobactériens et relarguent un certain nombre de cytokines (IL-1, IL-6, I-L8, IL-10, IL-12, TNF- , IFN- , IFN- ) [19, 49, 183]. Ces cytokines sont indispensables au recrutement des cellules immunocompétentes (lymphocytes T, macrophages et des polynucléaires neutrophiles) qui infiltrent la paroi vésicale en grand nombre au cours des instillations [52, 170] et ce, parallèlement à la surexpression de molécules d’adhésion (ICAM1) et de costimulation (B7) [182]. Ces cytokines amplifient probablement les phénomènes de présentation antigénique en majorant la présence de molécules d’adhésion comme cela a été démontré in vitro pour l’IFN gamma [94]. Les formes soluble s de c es molécules d’adhé sion (ICAM1) sont aussi retrouvées dans les urines après BCG endovésical [93], ainsi qu’une surexpression des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I et II par les cellules urothéliales [93, 189, 196, 182]. Ces molécules du CMH de classe I et II sont impliquées dans les phénomènes de présentation antigénique [123, 173] puisque les antigènes exogènes sont habituellement présentés par les molécules du CMH de classe II et les antigènes endogènes par les molécules de CMH de classe I. Les molécules du CMH de classe II sont exprimées uniquement par les APC (macrophages, monocytes, lymphocytes B, cellules dendritiques, cellules endothéliales) alors que les molécules du CMH de classe I sont exprimées par toutes les autres cellules (sauf 1070 D. CHOPIN - F. SAINT - B. GATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 Figure 1 : Représentation schématique de la réponse immunitaire aux Mycobactéries. Le BCG infecte les monocytes macrophages et autres APC(s). Les cellules présentatrices d’antigènes représentent l’étape initiale essentielle de la réponse au BCG. La phago cytose du bacille inhibe sa multiplication, principalement par la production de NO et d’oxygène réactif. L’activation de ces cel lules induit une première vague de cytokine. Dans le modèle de la lèpre, en fonction du contexte, (l’importance de l’injection, le fond génétique) une réponse Th1 ou Th2 est induite et correspond soit à une maladie localisée, soit à une maladie généralisée. Ce phénomène est propablement impliqué dans la réponse aux autres mycobactéries. Une réponse Th1 induit des effecteurs cellu laires et tumoraux spécifiques et non spécifiques, efficaces dans l’éradication des bacilles. Figure 2 : La réponse antitumorale au BCG endovésical : l’hypothèse est que les cellules urothéliales peuvent être également des cellules présentatrices d’antigènes. Un schéma d’instillation adéquat aboutit à une réponse Th1 efficace, en particulier, par la génération et l’amplification de cellules NK-BAK- ainsi que d’interféron et d’IL2. 1071 D. C HOPIN - F. SAINT - B. G ATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 Figure 3: Molécules impliquées dans la présentation antigénique au cours de la réponse T. Dans le cas des mycobactéries (germes intracellulaires) cette activation aboutit à la génération de cellules cytotoxiques (les BAK, les LAK et les NK) et de cytokines essen tielles à l’activité du BCG (réponse Th1, IL2, IFN et TNF). les hématies et les ovocytes). Ces antigènes exogènes sont dégradés par les lysosomes et ensuite présentés à la surface des cellules présentatrices d’antigènes, liés aux molécules du CMH de classe II. Ce complexe peptide antigène et molécules du CMH de classe II est alors présenté au CD4+ (T helper) [5]. Dans ce système l’IFN- stimule le pouvoir de phagocytose des macrophages et leur production d’endotoxines. Ces phénomènes sont associés à une surexpression des molécules d’adhésion ICAM1, LFA3 (APC) et de costimulation B7-1 et B7-2 (APC), CD28 (lymphocytes T) ; ils amplifient probablement la réponse associée aux phénomènes de présentation antigénique [43]. Les antigènes endogènes sont liés aux molécules du CMH de classe I après avoir été préparés dans le réticulum endoplasmique et adressés à la surface des cellules où ils sont reconnus par les lymphocytes CD8 [26]. Les cytokines favorisent donc l’action des lymphocytes cytotoxiques [196], et ce, en plus de l’activité cytotoxique propre qu’elles possèdent à l’égard des cellules tumorales [78, 96, 177]. Cette activation des cellules T par le BCG est indispensable à la réponse antitumorale et a été démontrée par des travaux sur l’animal [174]. Les Myc obacté ries induisent pré fé re ntielle ment des cytokines qui correspondent à une réponse de type Th1 (IL-2, IL-12, IFN- ), réponse favorable au développement d’une immunité cellulaire [76]. La réponse Th1 favorise l’expansion et la prolifération des cellules cytotoxiques et se caractérise par l’expression de certaines cytokines comme l’IL-2 ou IFN Cette réponse Th1 (IL2, IFN- ) est détectée dans les urines des patients après instillation de BCG endovésical et est liée au pronostic de la maladie [52, 183]. De même après BCG endovésical il existe une surproduction d’ARN messager d’IL2 dans les cellules mononuclées périphériques, phénomène qui est corrélé à une bonne réponse au BCG [99]. Mais cette réponse au BCG n’est probablement pas uniquement corrélée aux doses d’instillation, mais plutôt liée au schéma instillatoire. Trois questions demeurent actuellement sans réponse : quelle est la dose optimum de BCG par instillation ? ; quel schéma instillatoire ? ; quel est le rôle du traitement d’entretien ? ; le nombre de colonies de bacilles vivants nécessaires pour induire une réponse immunitaire bénéfique restant à définir. Le fait de disposer de préparation de BCG lyophilisé autorisant une plus grande reproductibilité des lots est un avantage certain pour le contrôle de la dose et devrait permettre de répondre dans l’avenir à ces questions. En effet, le nombre de 1072 D. C HOPIN - F. SAINT - B. G ATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 colonies de bacilles vivants influence probablement l’effet thérapeutique, en modulant le type de production de cytokine. C’est Pagano qui, en 1995, a démontré que les demi-doses avaient une efficacité thérapeutique identique ou supérieure aux doses standards [160]. Certaines expériences chez l’animal suggèrent que de fortes doses sont capables d’induire une immunosuppression et des profils de production de cytokines de type Th2 [119]. Expérimentalement, l’augmentation des doses provoque une inversion de la réponse, associée probablement à une réponse T suppressive Th2 caractérisée par la production d’IL-4, d’IL-10, d’IL-5, d’IL6, favorable à une réponse immunitaire humorale [99, 123]. Ainsi la production d’IL-4 pourrait favoriser la croissance de lymphocytes B, l’activation du complément (C3a, C5) et réduire l’expression de l’IL-1 et du TNF- . Une étude a montré que lors des instillations endovésicales de BCG, la production d’IFN- se faisait à partir de la troisième instillation avec un pic à la quatrième et cinquième instillation [183]. La production d’IL-10 apparaissait dès la quatrième instillation pour augmenter jusqu’à la sixième. Cette production d’IL-10 apparaissait réactionnelle à celle de l’IFN- , avec un aspect suggérant un rétro contrôle négatif de la production d’IFN- , la production d’IL-2 étant parallèle à celle de l’IFN[166, 183]. La cinétique des cytokines était différente lors d’une deuxième cure de BCG avec de l’IL-2 principalement produite lors des 3 premières instillations [183]. Le maniement de cette immunothérapie pourra certainement être optimisé par la connaissance des facteurs liés à l’hôte et par l’utilisation de marqueurs de la réponse immunitaire comme le dosage de s cytokines urinaires. Les cytokines induites par le BCG commandent ou régulent une réponse cellulaire à vocation cytotoxique, partie intégrante de la phase effectrice. Les cellules cytotoxiques le plus fréquemment décrites dans la paroi vésicale après instillations endovésicales sont de type CD8+. Expérimentalement, les lymphocytes (CD4+ et CD8+) sont indispensables au développement d’une réponse contre les mycobactéries [176]. Les cellules CD8+ semblent avoir un effet cytotoxique par l’intermédiaire de molécules d’adhésion (ICAM1) et/ou par l’intermédiaire du système Fas présent sur les cellules cibles tumorales. La population de lymphocytes CD4+ /CD8+ est augmentée dans la vessie après instillations endovésicales avec une prédominance des CD4+ [170, 182]. Les lym- phocytes CD4+ produisent des cytokines capables d’induire la maturation de lymphocytes cytotoxiques [199]. L’activité antitumorale liée au CD4+ est liée à l’interaction entre Fas, le CD40 et leurs ligands [211]. En effet, les interactions entre le CD40 (glycoprotéine membranaire de la famille du récepteur au TNF) et son ligand semblent jouer un rôle important dans l’activation des lymphocytes T cytotoxiques et favorisent la réponse Th1 [14, 70]. L’expression du ligand de CD40 à la surface des lymphocytes T pourrait augmenter la survie des monocytes en les protégeant des phénomènes apoptotiques dans les sites de l’inflammation [70]. De plus l’expression du CD40 à la surface des cellules tumorales pourrait intervenir comme un substitutif aux cellules présentatrices d’antigène en favorisant l’apoptose induite par les cellules CD4+ exprimant le ligand de CD40 à leur surface [28]. De même, les lymphocytes CD4+, par l’expression du ligand de Fas à leur surface seraient capables d’induire l’apoptose des cellules tumorales [155]. Plusieurs autres cellules cytotoxiques ont été mises en évidence : les polynucléaires neutrophiles, les cellules NK, BAK, LAK et les lymphocytes gamma delta . Les polynucléaires neutrophiles sont les cellules les plus abondantes dans la paroi vésicale après instillations endovésicales de BCG [28]. Ces cellules sont capables de produire des cytokines ou des récepteurs solubles de cytokines comme le récepteur à l’interleukine 1. Le récepteur soluble de l’IL-1 est capable de diminuer la production d’IL-1, d’IL-8 et de TNF, et par conséquent, peut probablement diminuer la réponse immunitaire [28]. D’autres cellules (BAK, LAK) possèdent un rôle cytotoxique direct contre les cellules tumorales urothéliales in vitro [20, 27]. Ces cellules co-expriment les marqueurs CD8+ et CD56+ à leur surface, elles semblent pouvoir être classées dans les « Natural Killer T cells », avec la possibilité de produire de l’IL-12 et d’initier une réponse antitumorale efficace [46]. Leur mécanisme d’action pourrait faire intervenir le système FasL/Fas ou Perforine/Granzyme A et B [69]. L’étude in vitro après BCG de l’urothélium nous a permis de mettre en évidence peu de cellules NK et nous a conduit à penser que les cellules cytotoxiques effectrices étaient probablement d’une autre nature [182]. Ainsi, les lymphocytes , qui sont activés spécifiquement par les Mycobactéries et qui ont une activité cytolytique contre les cellules tumorales urothéliales in vitro pourraient jouer ce rôle [210]. Ils n’ex- 1073 D. C HOPIN - F. SAINT - B. G ATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 priment pas habituellement le phénotype CD4 ni le phénotype CD8 et leur pouvoir de reconnaissance de l’antigène n’est pas restreint par le CMH. Cette activité cytolytique semble pouvoir être réactivée lors d’un deuxième contact avec le BCG et pourrait être impliquée dans la qualité de la réponse au BCG par un phénomène de mémoire associée [87]. De plus, ces lymphocytes ont la capacité de stimuler les autres populations lymphocytaires (CD4+, CD8+) en réponse à la stimulation antigénique [87]. Une étude par immunohistochimie réalisée par Saint et al, a montré que l’expression des lymphocytes T dans la paroi vésicale, comme la plupart des autres communautés cellulaires, 3 semaines après BCG était majorée comparativement à la situation préBCG. Le maximum d’infiltration vésicale par les lymphocytes étant observé 3 mois après BCG [182] (Figures 4, 5, 6). De plus, la majoration de cet infiltrat inflammatoire post-BCG comparé à la situation pré-BCG, à trois semaines, était significatif pour les lymphocytes CD4+ (p=0.01), les cellules dendritiques (p=0,009) ainsi que pour l’expression des molécules d’adhésion ICAM-1 (p=0,009) et de costimulation B7-BB1 (p=0,05) [182]. Enfin, certains auteurs ont montré que le BCG était capable d’induire la maturation des cellules dendritiques à partir de cellules mononucléaires circulantes et de moduler l’expression de la molécule CD40 à la surface des cellules urothéliales tumorales [201]. Cette expression du CD40 participerait à l’activation des lymphocytes T helper et sensibiliserait les cellules tumorales à l’apoptose par des mécanismes faisant intervenir le système Fas-L/Fas [40, 70]. Cette surexpression du CD40 et l’activation du système CD40/CD40-L pourraient aussi participer à l’activation des lymphocytes B et NK [43]. Associées à la production des cytokines, il existe des protéines capables d’induire le recrutement de cellules immunocompétentes comme les lymphocytes T ou les monocytes : les chémokines [91, 167]. Plusieurs chémokines ont été rapportées : IP10 (interferon inducible protein 10), MCP-1 ou encore RANTES. Ainsi l’IP10 est induite par la production d’IFN- et aurait un effet antitumoral, antiangiogénique et régulateur de la réponse immunitaire [167]. Le TNF aurait en synergie avec l’IFN- un effet positif sur la production de l’IP10 [132]. L’IP10 pourrait créer un environnement non favorable à la croissance et à la progression tumorale par une activité antiangiogénèse [167]. Pour d’autres auteurs les chémokines (MCP-1 et RANTES) participent au recrutement des monocytes et seraient liées à la survie sans récidives après BCG [91]. Le rôle exact de ces molécules dans les mécanismes d’action du BCG reste cependant à préciser. Mais quelle est la spécificité antitumorale de la réponse immunitaire créée par le BCG ? Il est probable que les mécanismes d’action du BCG passent par des mécanismes spécifiques et non spécifiques (Figure 7). La théorie d’une activité spécifique reste soutenue par la présence d’antigènes de rejet des tumeurs (TRA), antigènes dont l’expression serait modulée par les gènes de la famille MAGE (MAGE 1 et 3) [164, 204]. Classiquement, ces antigènes de rejet des tumeurs sont présentés à la surface de la cellule tumorale par les antigènes de classe I du CMH et sont reconnus par les lymphocytes T cytotoxiques CD8+ (CTL) (Figure 8). Or, le traitement par BCG augmente l’expression des molécules du CMH de classe I et II sur les cellules urothéliales [182] et l’expression des antigènes du CMH de classe I semble liée à la réponse au BCG [185]. L’association à la présence de nombreux lymphocytes CD8+ après BCG semble être un argument supplémentaire pour penser qu’il existe une spécificité antigénique à la réponse au BCG . Les travaux de Zlotta qui suggèrent des antigènes croisés entre le BCG et les tumeurs vésicales renforcent cette théorie [217, 218]. De plus, la présence de cellules BAK et peut être la découverte prochaine d’anticorps antitumoraux liés aux TRA pourraient confirmer cette hypothèse. La théorie d’une réponse non spécifique est, pour sa part, liée à la présence de nombreux macrophages, polynucléaires neutrophiles et à la présence d’IL-2 et d’IFN gamma après BCG. c) Le rôle de la tumeur dans la résistance à l’apop tose et la contre-attaque tumorale Après les facteurs génétiques liés au malade et à la qualité de la réponse immunitaire, il existe probablement des mécanismes de résistance développés par la tumeur elle-même, lui permettant d’échapper à la surveillance immunitaire de l’hôte mais aussi au traitement par le BCG (Figure 9). Dans un système immunitaire fonctionnel et capable de détruire les cellules tumorales, les lymphocytes au potentiel cytotoxique (NK, CTL, CD8, LAK, CD4) sont capables d’induire l’apoptose des cellules tumorales par l’intermédiaire du système Perforine/granzyme A et B ou par le système Fas-L/Fas. Ces systèmes sont parfois non fonctionnels. Ainsi, les lympho1074 D. CHOPIN - F. SAINT - B. GA TTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 Figure 4 : Analyse immunohistochimique sur coupes congelées de l’urothélium de la vessie normale (A,B, x400), apparemment normale avant BCG (C,D, x400), et après BCG (E,F, x400). Distribution des lymphocytes T helpers (CD4+) supresseurs / (CD8+) cytotoxiques. 1075 D. C HOPIN - F. SAINT - B. G ATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 Figure 5: Analyse immunohistochimique sur coupes congelées de l’urothélium de la vessie normale (A,B, x400), apparemment normale avant BCG (C,D, x400), et après BCG (E,F, x400). Distribution des molécules d’adhésion ICAM-1 et des macrophages. 1076 D. CHOPIN - F. SAINT - B. GATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 Figure 6 : Analyse immunohistochimique sur coupes congelées de l’urothélium de la vessie normale (A,C, x400) et après BCG (B,D, x400). Distribution des lymphocytes T (A,C, x400) et des molécules du CMH de classe II (B,D, x400). Distribution des cellules dendritiques (CD1a+) (E, x800) et lymphocytes activés IL-2R + (F) (x400) trois semaines après BCG. 1077 D. C HOPIN - F. SAINT - B. G ATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 Figure 7: Principaux méc anismes humoraux et cellulaires impliqués dans la réponse immune au BCG (spécifique et non spécifique). Les cellules BAK, CTL, , sont des effecteurs cellulaires, et les anticorps des effecteurs humoraux, considérés comme spécifiques. Les poly nucléaires, les macrophages, l’interfé ron et le TNF sont considérés comme des effecteurs cellulaires et humoraux non spéc ifiques, d’après A lexandroff [The Lancet 1999, 353, 1689-1691] Figure 8: Hypothèse concernant l’impli cation des antigènes tumoraux dans l’in duction d’une réponse CTL spécifique. Figure 9 : Mécanismes pouvant expliquer l’échappement de la tumeur à la surveillance immunitaire de l’hôte et à l’action du BCG. La tumeur est capable de développer des mécanismes permettant soit d’échapper à l’action cytotoxique liée au BCG (muta tion de Fas, P53) et /ou de développer une tolérance immunitaire (expression du ligand de Fas à la surface des cellules tumorales, production de TGF et d’IL10, l’IL10 favorisant l’angiogénèse tumorale). 1078 D. C HOPIN - F. SAINT - B. G ATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 cytes cytotoxiques peuvent avoir un déficit en système Perforine Granzyme A et B ou Fas-L et ne pas être actifs contre la tumeur [69]. La tumeur peut aussi échapper à ce système par diminution des molécules de costimulations (B7) ou d’adhésion (ICAM1) à sa surface, molécules nécessaires à la présentation des antigènes tumoraux aux lymphocytes cytotoxiques. Elle peut aussi échapper à ce système par la diminution des antigènes du CMH de classe I à sa surface (anomalie des protéines de transport TAP-1), privant ainsi les lymphocytes de leur pouvoir cytotoxique [38, 43]. La perte de la fonction normale de P53 impliquée dans l’apoptose cellulaire et dans la réparation des dommages causés au DNA [109, 169] peut aussi empêcher les phénomènes normaux d’apoptose initiés par les lymphocytes cytotoxiques et nuire à l’activité du BCG. Mais la tumeur peut, elle aussi, exercer une contre attaque vis-à-vis du système immunitaire. La production par la tumeur de cytokines immunosuppressives telles que le TGF1 ou l’IL-10 [32, 34] ou de molécules comme le ligand de Fas fonctionnel capable d’induire l’apoptose des cellules T activées, pourrait favoriser la croissance tumorale [69, 147, 155]. C’est une meilleure compréhension de ces principes et des mécanismes impliqués dans la réponse anti-tumorale au BCG, qui peuvent permettre de guider le clinicien dans la conduite de cette immunothérapie locale. 2. +4°C dans les urines [52] contrairement à l’IFNqui nécessite la dialyse puis une conservation et un stockage à -80°C [171]. L’étude de la cinétique urinaire de l’IFN- n’a pas permis de mettre en évidence cette cytokine après les deux premières instillations de BCG [183]. C’est après la troisième instillation que les concentrations d’IFN- vont croître avec en moyenne un maximum à la 5ème ou la 6ème instillation (Figure 10). Les taux maximale s’échelonnaient de 2.9 à 34.7 U/ml dans l’étude de Patard et al [165]. Cette étude de la production d’IFN- chez 11 patients, a permis de mettre en évidence des taux mesurables d’IFN- entre 4 et 8 heures après chaque instillation. Les concentrations maximales détectées étant situées 6 he ures après l’instillation. Les concentrations moyennes observées par Patard et al étaient basses, avec en moyenne 8 U/ml et une concentration maximum de 35 U/ml (le seuil de détection du kit étant de 0.2 U/ml) [165]. Prescott dans son étude qui a été réalisée en utilisant une technique radio-immunologique, détectait des concentrations de 7.9 à 156 U/ml avec une concentration moyenne de 67 U/ml [171]. Jackson et DeReijke quant à eux, exprimant leurs résultats soit en quantité totale produite par 12h soit en U/ g de créatinine, ont mis en évidence eux aussi des concentrations faibles d’IFN- dans les urines après BCG endovésical [93, 52]. Ceci conduit à l’observa- LES CYTOKINES URINAIRES COMME MAR QUEURS DE LA REPONSE IMMUNITAIRE APRES INSTILLATIONS ENDOVESICALES DE BCG a) l’IFN- urinaire et la réponse au BCG L’induction par le BCG d’une réponse Th1 et la production d’IFN- et d’IL-2 semblent nécessaires à la production de cellules lymphocytaires T de type LAK (Lymphokine-activated killer cells) capables de tuer les cellules tumorales. La production d’IFNdans les urines, initialement non retrouvée [51], à été rapportée dès le début des années 90 par plusieurs auteurs [171, 93, 165,49] après que les urines aient été dialysées immédiatement après réception au laboratoire d’étude. Ces résultats ont confirmé l’instabilité de l’IFN- dans les urines, sensible aux nombreuses protéases dans ce milieu. Ce phénomène n’a pas été constaté pour d’autres cytokines telles que l’IL-1, l’IL-2, l’IL-6 qui étaient détectées par ELISA dans les urines sans aucun traitement préalable de celles-ci. Cette cytokine demeure stable à Figure 10 : Evolution de la sécrétion d’IFN- (réponse Th1) et d’IL-10 (réponse Th2) urinaire au cours des instillations hebdomadaires de BCG. La réponse Th1 est maximale à la 3ème instillation, à ce moment apparaît la réponse Th2 comme un retro contrôle négatif. 1079 D. C HOPIN - F. SAINT - B. G ATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 tion que si l’on veut que ces dosages aient un intérêt clinique, une standardisation des techniques de recueil des urines, des méthodes de dosage et des unités utilisées est indispensable. Par ailleurs le dosage ELISA ne renseigne pas sur l’activité biologique de la cytokine testée. Aucun auteur en effet n’a rapporté de résultats en utilisant un test biologique. La seule preuve indirecte de l’activité biologique de l’IFN- urinaire a été apportée par Jackson qui, traitant des lignées tumorales vésicales avec de l’urine post BCG après la sixième instillation, a constaté une surexpression sur les cellules urothéliales des molécules d’histocompatibilité de classe II et de la molécule ICAM-1, cette surexpression étant inhibée par un anticorps anti-IFN[93 De plus, on sait que des récepteurs solubles à l’IFN sont présents dans l’urine normale [154]. Dans l’approche utilisée dans l’étude de Patard et al et celles précédemment citées, le rôle biologique de l’IFN lié à son récepteur n’a jamais été évalué après BCG endovésical. Les patients présentant des tumeurs de haut stade ou de haut grade libéraient plus d’IFN- dans les urines après BCG. Ceci pourrait s’expliquer par un plus riche infiltrat lymphocytaire dans les tumeurs les plus infiltrantes et les plus indifférenciées. Cependant, plusieurs publications suggèrent que, plus les tumeurs vésicales sont de haut grade et de haut stade, plus l’infiltrat lymphocytaire est faible (86, 203). Par ailleurs au moment où le patient est traité par BCG endovésical, sa tumeur a été réséquée le plus souvent en totalité. De plus nous avons constaté que la muqueuse péri-tumorale de ces patients était souvent moins riche en lymphocytes que la vessie normale mais que le traitement par BCG favorisait un recrutement local important de toutes les populations lymphocytaires [182]. Ceci n’explique cependant pas que le BCG favorise plus particulièrement une activation lymphocytaire dans les tumeurs initialement les plus agressives. Enfin, même si l’IFN- semblait être un candidat pour devenir un marqueur pronostique de la réponse au BCG après traitement, l’étude d’une cohorte de 37 patients n’a pas permis de confirmer cette corrélation entre les concentrations d’IFN- urinaires et le risque de récidive ou de progression [165, 183]. Néanmoins la valeur moyenne de concentration d’IFN- rapportée aux concentrations de créatinine (afin de tenir compte de l’état d’hydratation) retrouvait une production moyenne d’IFN- plus importante chez les malades sans récidive comparée aux malades avec récidives. Les mêmes constatations étaient réalisées pour des facteurs comme le stade tumoral (tumeurs indifférenciées), le sexe ou encore l’âge. Ce dernier en analyse univariée était d’ailleurs significativement corrélée à la production d’IFN- (Tableau 2) [183]. b) l’IL-2 urinaire et la réponse au BCG L’IL-2 a été la première cytokine étudiée dans les urines après BCG par “bioassay” puis par dosage ELISA [75, 64, 19, 51, 90, 93, 52]. L’intérêt porté à l’IL-2 et l’IFN- était directement lié aux travaux de Ratliff. En effet, celui-ci avait rapporté, dans un modèle murin de tumeur de vessie, qu’une réponse T était nécessaire à l’efficacité anti-tumorale du BCG [174]. Ces deux cytokines reflétant l’activation T, elles ont donc été étudiées en priorité. La cinétique de l’IL-2 urinaire après BCG est assez proche de celle de l’IFN- . L’IL-2 apparaît à partir de la troisième ou de la quatrième instillation et le pic de concentration se situe, 4 à 6 heures après l’instillation de BCG [75]. Deux auteurs ont souligné l’intérêt pronostique de l’IL-2. Fleischmann en 1989, chez 25 patients notait que tous les patients ayant une concentration d’IL-2 urinaire inférieure à 1U/mg. créat ou de récepteur à l’IL-2 inférieur à 0,2 U/mg.créat récidivaient [64]. A l’opposé un seul des patients ayant un taux d’IL-2R supérieur à 0.2 U/mg.créat récidivait (p<0,01). Ce travail ne mettait pas en évidence de lien statistique entre les concentrations d’IL-2 et la progression tumorale. De Reijke en 1996, chez 23 malades notait également une valeur prédictive de l’IL-2 pour le risque de récidive précoce (p=0,003) alors que ce lien statistique disparaissait pour les récidives tardives. Là encore aucun intérêt pronostique de l’IL-2 n’était noté concernant le risque de progression tumorale [52]. Un travail récent de Saint et al, portant sur une population de 37 patients a rapporté les concentrations urinaires d’’IL2, d’IFN- et d’IL-10 après instillation endovésicale de BCG. L’impact pronostique de la concentration d’IL-2 a pu être observé avec un recul moyen de 29 mois. Les concentrations d’IL-2 étaient significativement associées au risque de récidive mais pas de progression (p=0,0009). Elles semblaient de plus liées, comme pour l’IFN- à l’âge, au sexe et au stade tumoral même si aucun lien statistique n’a pu être établi (Tableau 2) [183]. Même si les concentrations d’IFN- ne semblent pas clairement associées à la réponse thérapeutique au BCG, la production de cytokines Th1 par l’intermédiaire de l’IL-2 semble cependant très clairement associée à la réponse thérapeutique au BCG (Figure 11). Cette étude comme 1080 D. CHOPIN - F. SAINT - B. GATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 Tableau 2 : Concentrations moyennes d’IFN- , d’IL-2 et d’IL-10 en fonction du sexe, de l’âge, du stade tumoral et du risque de récidive. [183] No. Patients IFNpg/ mol.creat (Moyenne) Homme n=30 Femme n=7 [6-7356] Age 65 n=16 > 65 n=21 346 [6-2650] 214 [0-7356] 0,0005 39 [0-337] 124 [0-1506] NS 445 [0-6627] 176 [0-2655] NS Stade tumoral Ta/T1G3;CIS n=14 1628 [0-3575] NS 199 [0-1506] NS 665 [0-6627] NS Ta/T1;G1/G2 n=23 504 [0-2894] 17 mm n=13 849 [14-2709] >17 mm n=15 846 [8-7356] Non n= 17 Oui n= 20 972 [6-7356] 725 [0-2980] Sexe Taille tumorale Récidive p IL-2 pg/ mol.creat (Moyenne) p 105 [0-1506] NS 627 [6-2920] 134 [0-2655] NS 127 [0-1506] NS 149 [0-1506] 34 [0-484] NS 421 [0-2655] 43 [0-484] 45 [0-337] p 262 [0-6627] NS 8,8 [0-29] NS IL-10 pg/ mol.creat (Moyenne) 24 [0-172] NS 70 [0-356] 0,0009 446 [0-6627] 161 [0-2655] NS Figure 11 : Valeur prédictive de l’IL-2 urinaire pour le risque de récidive des tumeurs superficielles de vessie traitées par BCG : Groupe A, patients présentant des taux < à 20 pg/µmol de créatinine ; Groupe B, patients présentant des taux à 20 pg/µmol. de créatinine (Log Rank Test p= 0.0009). 1081 D. C HOPIN - F. SAINT - B. G ATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 les deux précédentes n’a pas montré d’intérêt du dosage de l’IL-2 urinaire dans la prédiction du risque de progression tumorale. Un suivi plus important permettra peut-être que l’IL-2 devienne un marqueur pronostique d’une telle situation. Les concentrations d’IL-2 et d’IFN- sont très étroitement corrélées (p<0,0001) soulignant l’importance de la réponse de type Th1 après BCG thérapie endovésicale dans la prévention du risque de récidive. Il est bien établi que la réponse T aux mycobactéries est préférentiellement une réponse Th1 [76]. Le même phénomène a été constaté après traitement par BCG : l’IL4 n’a jamais été mise en évidence dans les urines après BCG endovésical [93]. De même par PCR il a été mis en évidence dans la vessie tumorale de souris après traitement par BCG une diminution de l’expression de l’IL-4 et une augmentation de l’expression de l’IFN41]. A l’opposé de la réponse Th1 qui semble bénéfique d’un point de vue clinique, on pourrait spéculer sur l’éventuel rôle péjoratif d’une réponse Th2 dans la surveillance du traitement par BCG endovésical. Il n’a pas été mis en évidence, actuellement, dans la littérature de valeur pronostique des concentrations d’IL-10 [183]. Néanmoins, il semble qu’il existe une corrélation entre les concentrations d’IL-2 et d’IFN- et les concentrations d’IL-10 suggérant un rétrocontrôle négatif exercé par cette dernière cytokine [183, 184]. De nombreuses autres cytokines sont libérées dans les urines après instillation endovésicale de BCG. Ainsi on a pu mettre en évidence outre les cytokines Th1 déjà citées, de l’IL-1 [19, 52, 93], de l’IL-6 [52, 93], du TNF- [19, 52, 93], de l’IL-8 [93] et de l’IL10 [93]. Tous ces travaux confirment qu’un certain nombre de cytokines telles que l’IL-1, l’IL-6, l’IL-8, l’IL-10, le TNF- apparaissent précocement au cours d’une cure de BCG (première ou deuxième instillation) et proviennent probablement des cellules présentatrices d’antigènes. A l’opposé, des cytokines telles que l’IL-2 et l’IFN n’apparaissant qu’à partir de la 3ème ou 4ème instillation, traduisent plutôt une activation des lymphocytes T. En effet la présence de ces cytokines dans les urines après BCG traduit l’activation d’un certain nombre de populations cellulaires. Les macrophages qui sont sans doute en première ligne dans la réponse au BCG peuvent libérer de l’IL-1, IL-6, IL-8, IL-10, IL12, TNF- , IFN- , IFN [30]. Les cellules urothéliales normales et surtout tumorales peuvent aussi libérer des cytokines telles que l’IL-1, l’IL-6, l’IL-10 [59, 124]. Enfin comme nous l’avons vu, les différentes cellules T dont la présence a été confirmée par immunohistochimie dans la paroi vésicale après BCG [182], libèrent de l’IL-2 et de l’IFN pour les cellules Th1; de l’IL-4, de l’IL-5, de l’IL-10 pour les cellules Th2. Enfin les cellules CD8, peuvent libérer de l’IL-2, de l’IFN- , les cellules NK, LAK peuvent libérer du TNF- et de l’IFN- , et les cellules peuvent libérer de l’IL-2, de l’IL-4, de l’IFN- . L’IL2 urinaire peut donc devenir à elle seule un outil de rationalisation du traitement par BCG endovésical. Une étude des différents profils de réponse Th1 et Th2 associés à une deuxième cure de BCG chez les patients non-répondeurs après une première cure. Il définit ainsi trois groupes de patients : les bons répondeurs avec dès la première série de six instillations une réponse Th1 suffisante pour établir une protection, les répondeurs différés qui nécessitent plus de six instillations pour présenter une réponse Th1 protectrice et les non répondeurs qui même après deux cures de BCG ne pourront pas développer une réponse Th1 et vont récidiver [184]. Cette étude confirme de plus la corrélation entre les concentrations d’IFN- et d’IL-10 que ce soit après la première ou la deuxième cure de BCG et donc le possible rétrocontrôle de cette dernière sur la réponse Th1 (Figure 12). Une autre étude des profils d’IL2 lors de la réalisation d’un traitement d’entretien selon le protocole de D.L Lamm a permis d’observer une réponse en IL-2 plus précoce et plus importante dès l’instillation 7, 8 et 9 (Figure 13). Ainsi l’observation d’une faible concentration d’IL-2 après une première cure, étant donné le fort risque de récidive, deviendrait un argument pour débuter une deuxième cure ou un traitement d’entretien. En effet jusqu’à ce jour ces protocoles de traitement demeurent empiriques et les données cliniques sur les résultats en fonction des doses et de la durée des traitements demeurent controversées. Il demeure qu’il faudra établir les profils de réponse immunitaire, après des cures répétées ou des traitements prolongés, associés à la réponse thérapeutique. 1082 D. CHOPIN - F. SAINT - B. GATTEGNO - Progrès en Urologie (2001), 11, N°5, 1065-1115 Figure 12 : Profils de concentration urinaire d’IL-2 chez les répondeurs et les non répondeurs après une ou deux cures de BCG. Le profil des répondeurs est supérieur au non répondeurs au cours d’un premier ou d’un second cycle de BCG. Au cours d’un second cycle, la cinétique de production des cytokines est différente avec un pic dès la deuxième et troisième instillation pour l’IL2 (donc plus précoce). Figure 13 : Concentration moyenne d’IL-2 lors de la réalisation du schéma instillation 6+3. Ce profil confirme les résultats de la figure 12, il faut 6 instillations pour obtenir les taux d’IL2 nécessaires à une réponse au BCG. Au cours du traitement d’entre tien, trois instillations suffisent pour obtenir une réponse Th1 efficace. Avec trois instillations la majorité des patients répondeurs présentent une réponse Th1 efficace. 1083