La croissance mondiale va souffrir
L’activité économique mondiale va être plus éprouvée par cette crise que par celle de 1997, date à laquelle les pays
émergents étaient moins intégrés dans l’économie mondiale. La crise des marchés émergents de 1997 avait éclaté suite à la
baisse des prix des matières premières et des produits qui avait conduit à une augmentation des revenus réels et de la
consommation dans les pays développés, créant ainsi des conditions « idéales » qui avaient favorisé la hausse des marchés
actions par la suite. Toutefois, la crise actuelle tient plus d’une arme à double tranchant dans la mesure où la croissance
mondiale est susceptible d’être affectée par les prix et les volumes. Cette fois-ci, la crise aura comme conséquence
pour les pays développés d’inscrire encore un peu plus dans la durée ces conditions « d’âge glaciaire » caractérisées
par des taux d’intérêt nominaux et réels au plus bas.
Les effets déflationnistes (les prix) de la crise actuelle des marchés émergents vont contribuer à tenir à distance toutes tensions
inflationnistes pendant encore 12 mois au moins. Les marchés du travail aux États-Unis pourraient montrer des signes de
tension, on pourrait observer une certaine croissance des salaires dans quelques segments du marché et l’inflation sous-
jacente pourrait se stabiliser. Mais, ce n’est pas pour autant le moment de relever les taux d’intérêt. La Fed doit prendre
conscience qu’une troisième vague déflationniste arrive. En 2014, la baisse des prix des carburants et des autres matières
premières a empêché la « normalisation » de la politique monétaire. Mais, le pire est encore à venir sous la forme d’une
baisse des prix des produits manufacturés fabriqués en Asie et des produits alimentaires. Relever les taux d’intérêt dans
le climat actuel ne ferait qu’intensifier le choc déflationniste.
Dans la mesure où la crise des marchés émergents de 1997 s’est révélée être globalement limitée à des effets déflationnistes
sur les prix, l’impact sur les pays développés a généralement été modéré. Mais, cette fois-ci la situation est différente : le PIB
mondial est aujourd’hui beaucoup plus dépendant des marchés émergents qu’il y 20 ans de cela comme l’illustre la part
grandissante des exportations dans le PIB mondial (Graphique 3). En conséquence, le commerce international risque d’être
affecté, pas uniquement en raison des effets de change, mais également et surtout, en raison du ralentissement de la demande.
Une contraction de la production dans les pays émergents est désormais inévitable et la baisse de leur pouvoir d’achat
va peser sur l’activité économique mondiale. Il est crucial que la balance commerciale des États-Unis soit autorisée à se
détériorer afin de compenser une partie de cette baisse de la demande. Resserrer la politique monétaire dans les circonstances
présentes serait une grave erreur qui ne ferait qu’accroître l’impact négatif lié au commerce international sur la croissance
mondiale.
Graphique 3. Une interdépendance mondiale grandissante
Source : Datastream, août 2015
Le dilemme des investisseurs
Dans ces conditions, les investisseurs se trouvent confrontés à un dilemme. La baisse persistante des taux d’intérêt
nominaux et réels va avoir tendance à favoriser des valorisations élevées dans toutes les classes d’actifs, mais
également une diminution des rendements. Dans ce contexte déflationniste, les investisseurs seraient bien avisés d’éviter les
entreprises très endettées et de privilégier les sociétés qui génèrent de la trésorerie, ayant su démontrer leur capacité à
allouer judicieusement leurs capitaux et à même de distribuer des dividendes à leurs actionnaires. Le leadership parmi
les marchés est clairement revenu aux États-Unis et les meilleures performances au sein des secteurs ont été le fait des
valeurs synonymes d’innovation. Il s’agit là de deux tendances qui, selon moi, devraient se poursuivre. La seule façon
d’échapper à la « monotonie » de l’environnement boursier actuel est d’investir dans l’innovation, en particulier dans la
santé, la technologie et les médias.
L’épicentre de la crise se situe dans les pays émergents, non à Wall Street. Une fois cette volatilité apaisée, les
investisseurs devraient à nouveau pouvoir faire la distinction entre, d’un côté, des problèmes de plus en plus importants au sein
des marchés émergents et, de l’autre, une croissance qui se poursuit à un rythme satisfaisant aux États-Unis (et au Royaume-
Uni). La baisse des prix des produits va avoir un impact positif sur les revenus réels et la consommation aux États-Unis, mais à
condition que les autorités monétaires ne fassent pas obstacle à ces effets. Carburants moins chers, moindre endettement des
banques, solidité de la situation financière des ménages et des entreprises, meilleures conditions budgétaires sont également
autant de facteurs favorisant une plus grande résistance des États-Unis par comparaison avec le dernier choc déflationniste de
2011.
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1970 1974 1978 1982 1986 1990 1994 1998 2002 2006 2010 2014
PIB mondial par habitant, en dollars constants
de 2005 (échelle de gauche)
Part des exportations de produits et services dans le PIB mondial,
en % (échelle de droite)