2ème session : Stratégie des acteurs : adaptations ou profondes mutations ? 2.1 - Mutations dans l’économie mondiale Michel FOUQUIN (CEPII) « La crise économique qui touche la France et l’ensemble du monde était, dans une certaine mesure prévisible puisqu’elle est l’aboutissement de dysfonctionnements et de tensions qui existaient déjà depuis longtemps. Néanmoins elle a surpris par sa vigueur et par les développements qui ont suivi. Cette constatation montre que la prospective est une activité difficile à pratiquer en temps de crise qui sont des périodes de ruptures de tendance. Elle permet néanmoins de mettre à jour notre information de façon à ajuster constamment nos simulations à la réalité. Le point bas de la crise est passé, mais les effets de celle-ci demeurent et notamment la volatilité des indicateurs économiques Il est possible de dire aujourd’hui que le point le plus bas de la crise est dépassé. Cependant l’économie des pays développés n’a pas renoué avec l’expansion antérieure et aborde plutôt une seconde phase de crise caractérisée par l’extrême volatilité des indicateurs économiques tels que les parités monétaires, les prix des matières premières et le cours des actions en bourse. Mais derrière cette volatilité il y a des tendances ou des causes structurelles fortes. La première concerne l’énorme accumulation des déficits publics des pays développés. La réduction de ces déficits implique des politiques de restriction budgétaire qui vont à l’encontre du soutien de la croissance. Si les Etats-Unis peuvent éventuellement refinancer leur déficit public, cette mesure n’est pas permise en Europe qui devient du même coup le maillon faible de la chaîne économique et monétaire. Cette faiblesse est d’autant plus forte qu’elle se mesure à la défiance qu’inspirent les économies les plus faibles (Grèce, Espagne, Irlande) de la zone Euro et non à la résistance des plus fortes (Allemagne). La seconde cause de volatilité des grandeurs économiques est la stabilité du cours des monnaies. L’euro, très fort pendant quelques années, est reparti dans un cycle de baisse durable alors que les marchés doutent de la capacité des Etats faibles de l’Europe à faire face à leurs obligations. Dans ce cas le dollar qui bénéficie pour ce qui le concerne de sa qualité de valeur refuge, s’apprécie. Au contraire lorsque les doutes sur l’Europe s’estompent et que la Fed annonce la monétisation d’une partie de sa dette l’euro remonte violemment. Derrière ces fluctuations conjoncturelles, il y a des mutations structurelles à long terme Alors que la récession économique frappe les économies développées, les pays émergents connaissent des croissances fortes grâce à un puissant développement industriel et une forte compétitivité, maintenue artificiellement par une monnaie sous évaluée en ce qui concerne la Chine, ce qui reporte l’ajustement sur les pays développés et menace le monde d’une guerre des monnaies. Les prix des matières premières augmentent d’autant plus que leur rareté s’accentue. C’est en particulier le cas du pétrole dont le prix, dans cette période de crise et donc d’activité restreinte s’est calé sur une base assez haute de 70-80 dollars le baril. On assiste dès lors à une 57 montée durable et en puissance des pays du Moyen Orient et de la Russie, « assis » sur la rente du pétrole et du gaz. Enfin, on constate un renouveau économique africain. Les perspectives de croissance entre 2013 et 2015 dans le monde L’Europe, les Etats-Unis et le Japon, comme l’ensemble des pays du G20, connaîtront la croissance la plus faible, de l’ordre de 2,1%. L’Europe centrale sera plus nuancée et sa croissance sera de 4% avec des pays qui s’en sortiront bien (Pologne, Turquie) et d’autres qui stagneront. La Corée du Sud et Taiwan, dont le développement industriel arrive à maturité, auront une croissance moyenne (4,3%) comme l’Amérique Latine (4%) et le Moyen Orient (4,8%). Enfin, certains pays auront une croissance forte de plus de 5% : l’ASEAN (5,9%), l’Afrique Sub-Saharienne (5,4%) et la Chine qui culminera à 8,5%. Une remarque est à faire sur l’Afrique subsaharienne qui cumule à la fois un taux de croissance fort (+5,4%) et une progression démographique forte (+2,5%). La croissance démographique très forte limite l’enrichissement de la zone malgré le fort taux de croissance économique. Néanmoins cette situation est favorable car dans le passé la croissance faible accentuait la pauvreté de la région. Les études prospectives du FMI pour la période 2008-2015 Selon le FMI, l’évolution économique sur les sept années étudiées, met en évidence de fortes inflexions structurelles avec une avancée spectaculaire des pays émergents et une stagnation des pays développés. Il s’agit d’une mutation dont les grandes lignes sont les suivantes : - - - - les pays développés ont connu une forte crise pendant les années 2008-2009. En France et aux Etats-Unis, la croissance a été négative à -2,5% alors qu’elle chutait de 4,5% au Royaume-Uni, en Allemagne et au Japon. Sur la période qui va de 2010 à 2015, la croissance sera faible et variera de 1,5% à 2,5% pour l’ensemble des cinq pays cités. La croissance économique faible est un handicap important pour ces pays car elle ne permet pas d’équilibrer les budgets, via des recettes fiscales importantes. Pendant la période étudiée, les pays développés seront pénalisés par leur manque de moyens ; concernant les dettes publiques de ces pays, le critère d’une dette inférieure à la barre des 60% du PIB, a été retenu comme un gage de bonne gouvernance par les experts économiques. Or, on constate que sur la période, aucun des cinq pays ne parvient à passer sous la barre des 60%. La dette est donc structurelle ; à l’inverse pendant la même période la croissance des pays émergents va de 10% environ pour la Chine, à 7% pour l’Indonésie, avec des taux de 7,5% pour le Vietnam et de 8% pour l’Inde. L’expansion économique du monde se situe donc désormais au sein des pays émergents ; dans le même temps, en sept ans (de 2008 à 2015) la part de la Chine dans le PIB mondial va passer de 11% à 17%. Celui de l’Inde va dépasser 6%. De même leur poids en terme de commerce et d’investissements internationaux suivra ce mouvement. Le poids économique des pays émergents dans tous les domaines est déterminant pour l’avenir au niveau mondial. 58 Une période de mutation En conclusion, la crise a conforté les pays émergents et particulièrement la Chine dans leur rôle de pôle de développement mondial au détriment des pays développés. Il s’agit d’une mutation dans l’économie mondiale. La crise a montré également qu’il était nécessaire de construire des instruments de régulation financière seuls capables d’éviter des crises aussi graves que celles que nous venons de connaître. » 59