Universit´e de Paris VI Master M1 2009-2010
D. Bertrand Alg`ebre g´eom´etrique
CHAPITRE IV
G´
EOM´
ETRIE MULTILIN´
EAIRE
1 Produits tensoriels.
Dans ce paragraphe, on consid`ere des espaces vectoriels, de dimension ´eventu-
ellement infinie, sur un corps (commutatif) Kquelconque. En premi`ere
lecture, on pourra les supposer tous de dimension finie.
1.1 D´efinition
Soient Vet Wdeux espaces vectoriels. On cherche `a construire un espace
vectoriel VWtel que la donn´ee d’une forme bilin´eaire bsur V×W´equivale
`a celle d’une forme lin´eaire fbsur VW. Plus g´en´eralement, on ´etudie le
“probl`eme universel” suivant.
Existe-t-il un couple (E, β)form´e d’un espace vectoriel Eet d’une appli-
cation bilin´eaire β:V×WEerifiant la propri´et´e suivante : pour toute
application bilin´eaire bde V×Wvers un espace vectoriel Uquelconque, il
existe une unique application lin´eaire f=fb:EUtelle que
pour tout (v, w)V×W, b(v, w) = fbβ(v, w),
autrement dit, telle que b=fbβ.
Du fait de la condition d’unicit´e, deux solutions (E, β),(E0, β0) de ce
probl`eme sont li´ees par un isomorphisme K-lin´eaire φ:EE0tel que
φβ=β0. S’il y a une solution, elle est donc unique `a isomorphisme pr`es.
On va montrer qu’il existe une solution. On la d´esignera (`a isomorphisme
pr`es) par (E=VW, β). Pour tout (v, w)V×W, on ´ecrira
β(v, w) := vwVW,
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de sorte que la bilin´earit´e de βse traduit par les relations:
v, v0V, w, w0W, λ K , (λv)w=v(λw) = λ(vw);
v(w+w0) = vw+vw0,(v+v0)w=vw+v0w.
Lorsqu’on veut pr´eciser le corps des scalaires K, on ´ecrit VKW. On
dit que VKWest “le” produit tensoriel de Vpar Wsur K. Ses ´el´ements
s’appellent des tenseurs, ceux de la forme vwdes tenseurs purs (ou
d´ecompos´es). Attention: une somme vw+v0w0VWn’est en
g´en´eral pas un tenseur pur !
Existence du produit tensoriel.
Premi`ere preuve : soit El’espace vectoriel form´e par toutes les applications
ensemblistes de V×Wdans Knulles en dehors d’un sous-ensemble fini de
V×W. Il admet pour base {δ(v,w),(v, w)V×W}o`u δxd´esigne la fonction
de Dirac relative au point xV×W. Consid´erons le sous-espace vecto-
riel Fde Eengendr´e par les ´el´ements δ(v,w+w0)δ(v,w)δ(v,w0), δ(v+v0,w)
δ(v,w)δ(v0,w), δ(λv,w)λδ(v,w), δ(v,λw)λδ(v,w), ainsi que l’espace vectoriel
quotient E=E/F. Alors, β:V×WE:β(v, w) := classe de δ(v,w)
dans E, est une application bilin´eaire de V×Wdans E, dont l’image
ensembliste β(V×W) engendre l’espace vectoriel E. Pour toute applica-
tion b:V×WU, l’application ˜
fb:E Uqui attache `a un ´el´ement
Σ(v,w)AV×W,A fini λ(v,w)δ(v,w)de El’´el´ement Σ(v,w)Aλ(v,w)b(v, w) de Uest
bien d´efinie (car les δ(v,w)forment une base de E), et est lin´eaire. Si best de
plus bilin´eaire, ˜
fbs’annule sur F, et d´efinit donc par passage au quotient par
Fune application lin´eaire fb:EU, qui v´erifie bien fbβ=b. Enfin, fb
est la seule application lin´eaire de Edans Uv´erifiant cette propri´et´e, puisque
l’image de βengendre Etout entier.
Deuxi`eme preuve: soient {ei;iI},{j;jJ}des bases de V, W .`
A tout
(i, j)I×J, attachons un symbole mi,j et consid´erons l’espace vectoriel
E:= (i,j)I×JK.mi,j , de base {mi,j ,(i, j)I×J}. Il existe alors une
(unique) application bilin´eaire β:V×WEtelle que β(ei, j) = mi,j
pour tout (i, j)I×J. Soit maintenant b:V×WUune application
bilin´eaire. Puisque les mi,j forment une base de E, il existe une unique
application lin´eaire fb:EUtelle que f(mi,j ) = b(ei, j) pour tout (i, j)
I×J. De la bilin´earit´e de bet de β, et de la lin´earit´e de fb, on d´eduit
alors que pour tout v= ΣiAfini IλieiV , w = ΣjBfini JµjjW, on
a: b(v, w)=Σ(i,j)A×Bλiµjb(ei, j) = fb(i,j)A×Bλiµjmi,j ) = fb(β(v, w)).
Ainsi, l’application lin´eaire fbv´erifie la propri´et´e requise, et c’est la seule
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puisque que l’image de βcontient la base mi,j de E. On voit ainsi de plus
que
Th´eoreme 1.1. : si V,Wsont des espaces vectoriels de dimension finies
n, m, de bases {ei,1in},{j,1jm}, alors VWest un espace
vectoriel de dimension nm, de base {eij,1in, 1jm}.
Remarques:
i) pour V=K, l’application bilin´eaire K×WW: (λ, w)7→ λw
´etablit un isomorphisme canonique KW'W.
ii) Inversion: L’application bilin´eaire V×WWV: (v, w)wv
´etablit un isomorphisme canonique VW'WV. Mais attention quand
V=W: dans VV,vv0n’est ´egal `a v0vque si vet v0sont colin´eaires.
iii) Complexification : soit Vun espace vectoriel sur R, de dimension n.
Comme Cest un ev de dimension 2 sur R, on peut former CRV:= VC,
qui est un R- ev de dimension 2n. De plus, pour tout λC, l’application
C×VVC: (µ, v)7→ λµvest R-bilin´eaire, donc induit un endomorphisme
R-lin´eaire mλde VC. On v´erifie que mλ+mλ0=mλ+λ0, mλmλ0=mλλ0, m1=
idVC, de sorte que la loi C×VC3(λ, v)7→ λ.v:= mλ(v)VCmunit VCd’une
structure d’espace vectoriel sur C, de dimension nsur C. Un tel C-ev est
naturellement muni d’un involution C-antilin´eaire σ=c:VCVC, appel´ee
conjugaison complexe, et d´efinie `a partir des relations c(λv) = λv.
On r´ecup`ere la structure r´eelle en notant que {vVC, c(v) = v}co¨ıncide
avec 1 V, qu’on identifie `a V. Ceci montre d’ailleurs qu’il n’y a pas de
conjugaison complexe naturelle sur un C-espace vectoriel g´en´eral (les essais
´evidents” d´ependent du choix d’une base).
iv) K-alg`ebres : ce sont les K-espaces vectoriels Amunis d’une application
lin´eaire µ:AAA. Traduire ce que cela signifie en terme de la loi de
composition interne (a, b)7→ a.b := µ(ab). Pour l’associativit´e, qui n’est
pas requise dans la d´efinition d’une K-alg`ebre (penser aux alg`ebres de Lie),
voir le §2.1 ci-dessous.
v) Soient V1V, W1Wdeux sous-espaces vectoriels. Alors, l’applica-
tion V1×W13(v1, w1)7→ v1w1VWfournit une application lin´eaire
injective ι:V1W1VW, qui permet d’identifier V1W1`a un sous-
espace vectoriel de VW.
vi) (Hors programme) Attention toutefois : si une bonne partie des
´enonc´es de ce chapitre s’´etend sans difficult´e au cas des modules sur un an-
neau commutatif, ce n’est pas le cas pour l’injectivit´e de ιau (v) pr´ec´edent.
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Ainsi, le Z-module V=Zadmet V1= 2Z'Zcomme sous-module, et
en consid´erant le Z-module W=Z/2Z, on a V1ZW'ZZW'W,
tandis que le produit tensoriel dans VZWd’un ´el´ement 2nV1par
1Wvaut (2n)Z1 = 2(nZ1) = nZ2.1 = nZ0 = 0. L’application
ι:V1ZWVZWest donc ici identiquement nulle.
1.2 Propri´et´es fonctorielles
Th´eoreme 1.2. Soient g:VV0, h :WW0deux applications lin´eaires.
Alors, il existe une unique application lin´eaire, not´ee
gh:VWV0W0
telle que pour tout (v, w)V×W, on ait (gh)(vw) = g(v)h(w).
Preuve : l’application b:V×WV0W0: (v, w)7→ g(v)h(w) est
bilin´eaire. L’application lin´eaire correspondante fbest donc la seule v´erifiant
ces conditions, et on la note fb:= gh.
Mais cette notation impose de v´erifier une compatibilit´e. Les applications
g, h appartiennent aux espaces vectoriels L(V, V 0),L(W, W 0), et la notation
ghrepr´esente d´ej`a un ´el´ement de leur produit tensoriel. Heureusement,
l’application L(V, V 0)× L(W, W 0)→ L(VW, V 0W0):(g, h)7→ fbfournit
une application lin´eaire canonique
κ:L(V, V 0)⊗ L(W, W 0)→ L(VW, V 0W0),
envoyant bien gh(au sens du membre de gauche) sur fb. Elle est injective,
mais pas surjective en g´en´eral (voir le th´eor`eme 2).
Transcription matricielle : supposons V0=V, W 0=Wde dimensions finies
n, m, et soient A, B les matrices repr´esentatives (n×n),(m×m) de g, h dans
des bases ei, jde V, W . Alors, la matrice repr´esentative de l’endomorphisme
ghde VWdans la base eijest donn´ee par le produit de Kronecker
ABde Apar B: c’est la matrice (nm ×nm) obtenue en remplacant
chaque coefficient ai,i0de Apar le bloc ai,i0B.
Pour tout espace vectoriel V, notons V:= L(V, K) le dual de V. Si V
est de dimension finie, et muni d’une base {e1, ..., en}, on notera {e
1, ..., e
n}
la base duale de V, d´efinie par e
j(ei) = δi,j ,1i, j n. On rappelle que le
rang d’une application lineaire est la dimension de son image.
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Th´eoreme 1.3. : soient V, W deux espaces vectoriels.
i) Il existe une unique injection lin´eaire
φ:VW → L(V, W ),
telle que pour tout V, w W, v V, on ait φ(w)(v) = (v)w.
ii) L’image de φest form´ee des applications lin´eaires de Vdans Wde rang
fini. En particulier, si Vou West de dimension finie, φest un isomorphisme.
iii) Si W=Vest de dimension finie, et si uEnd(V)est l’image par
φde Σααvα, alors sa trace vaut T r(u)=Σαα(vα). Dans les bases
d´ecrites plus haut, l’application identit´e u=idVde Vest l’image par φde
Σi=1,...ne
iei.
Preuve : i) pour d´efinir φ(qui est un cas particulier de l’application κsupra),
consid´erer l’application bilin´eaire V×W→ L(V, W ) : (, w)7→ {v7→
(v)w}. Pour l’injectivit´e, choisissons des bases {i, i I},{j, j J}de
V, W . Alors, les {ij,(i, j)}forment une base de VW, et il suf-
fit de montrer que leurs images par φsont des applications de Vdans W
lin´eairement ind´ependantes. Dans le cas contraire, celles-ci enverraient tout
vecteur vde Esur des vecteurs i(v)jde Wli´es. Les j´etant lin´eairement
ind´ependants, on aurait donc i(v) = 0 pour tout iI, v V, et les i
seraient toutes nulles.
ii) Comme VWest form´e de combinaisons lin´eaires finies des ij,
leurs images par φsont bien de rang fini. Invers´ement, soit u:VW,
d’image W0de dimension finie, et soit {1, .., m}une base de W0. Le lecteur
concluera en la compl´etant en une base {j, j J}de W. Enfin, si Vou W
est de dimension finie, tout uest de rang fini.
iii) En compl´etant un ´el´ement non nul , resp. w, de V, resp. Wen une
base de V, W , et en consid´erant la base duale correspondante dans V, on
voit que φ(w) est repr´esent´ee par une matrice Udont le seul coefficient
non nul est U1,1=(w). Sa trace vaut donc (w), et la lin´earit´e de φet
de T r permet de conclure. Voici une fa¸con plus intrins`eque de pr´esenter
les choses : la forme bilin´eaire V×VK: (, v)7→ (v) d´efinit une
forme lin´eaire canonique (appel´ee: contraction) T:VVK. Alors,
Tφ1est une forme lin´eaire sur End(V), qui coincide avec T r sur les
endomorphismes de type φ(v). Pour la deni`ere assertion, noter que pour
tout k,φie
iei)(ek) = Σiδi,kei=ek=idV(ek). On retrouve ainsi la
formule T r(idV) = Tie
iei) = Σie
i(ei) = n=dimV (´evidente, mais qui
peut servir de d´efinition de la dimension de V).
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