ELEMENTS D’ALGEBRE COMMUTATIVE
Maˆıtrise de Math´ematiques
Universit´e d’Angers
2003/04
D. Schaub
Chapitre 3
Produit tensoriel
3.1 D´efinitions
3.1.1 Applications multilin´eaires
Soient Met Ndeux A-modules et M×Nleur produit cart´esien ”ensembliste”.
D´efinition 3.1.1 Une application fde M×Ndans un A-module Qest A-bilin´eaire si, pour
tous a1, a2A, x, x1, x2,M, y, y1, y2N, on a f(a1x1+a2x2, y) = a1f(x1, y) + a2f(x2, y)
et f(x, a1y1+a2y2) = a1f(x, y1) + a2f(x, y2).
Cela ´equivaut `a dire que fest bilin´eaire ssi les applications partielles fy:MQet
fx:NQd´efinies par fy(x) = f(x, y) et fx(y) = f(x, y) sont A-lin´eaires, pour tous yet x
fix´es.
Exemples : - les formes bilin´eaires sym´etriques tels que le produit scalaire de vecteurs ;
- Si Mest un A-module, son dual,M= HomA(M, A), est un A-module et l’application
f:M×MAd´efinie par f(u, x) = u(x) est bilin´eaire.
Soient maintenant M1, . . . , Mndes modules sur l’anneau Aet Qun A-module quelconque.
D´efinition 3.1.2 Une application f:M1×· · ·×MnQest n-lin´eaire si toutes les applications
partielles xi7→ f(x1, . . . , xn)sont lin´eaires.
Lorsque Q=A, on parlera plutˆot de formes bilin´eaires ou multilin´eaires.
On peut aussi consid´erer le cas o`u M=M1=· · · =Mnet f:MnQ. On peut alors
imposer des conditions suppl´ementaires `a la fonction n-lin´eaire f, comme, par exemple, d’ˆetre
altern´ee, `a savoir f(x1, . . . , xn) = 0 d`es que xi=xjpour i6=j.
Un exemple bien connu de formes n-lin´eaire altern´ee sur un espace vectoriel Mde dimen-
sion n(ou, plus g´en´eralement, sur un module libre de rang n) est le d´eterminant det : MnA
donn´e, par exemple, par la formule det(x1, . . . , xn) = PσSn(σ)x1σ(1) · · · x(n)o`u les (xij )j
sont les coordonn´ees du vecteur xidans une base de M.
3.1.2 D´efinition
Soient Aun anneau (commutatif unitaire), Met Ndeux A-modules. Consid´erons le A-module
libre Lengendr´e par tous les couples (x, y), x M, y N, i.e. on peut le voir comme
L(x,y)A×BA(sous-module du produit AM×N).
31
32 CHAPITRE 3. PRODUIT TENSORIEL
Soit Sle sous-module engendr´e par tous les ´el´ements du type : (x1+x2, y)(x1, y)(x2, y),
(x, y1+y2)(x, y1)(x, y2), (ax, y)a(x, y), (x, ay)a(x, y), o`u x, x1, x2M,y, y1, y2N,
aA.
On a bien sˆur une inclusion naturelle j:M×NLdonn´ee par j((x, y)) = (x, y)
(qui n’est pas A-lin´eaire ! ! !, en effet, dans L, (ax, ay) est lin´eairement ind´ependant de (x, y)).
Composant javec la surjection naturelle πde Ldans le quotient L/S, on obtient une application
ϕ:M×NL/S, comme l’illustre le diagramme commutatif suivant
M×Nj//
φ$$
I
I
I
I
I
I
I
I
IL
π
L/S
Cette application φest A-bilin´eaire, c’est-`a-dire :
ϕ((α1x1+α2x2, y)) = α1ϕ(x1, y) + α2ϕ(x2, y)
ϕ((x, α1y1+α2y2)) = α1ϕ(x, y1) + α2ϕ(x, y2)
pour tous x, x1, x2M, y, y1, y2N, α1, α2A.
V´erifions, `a titre d’exemple, l’une des conditions : ϕ((α1x1+α2x2, y)) = (α1x1+α2x2, y) =
(α1x1, y)+(α2x2, y) = α1(x1, y) + α2(x2, y) = α1(x1, y) + α2(x2, y).
Une autre fa¸con de d´efinir Lest comme l’ensemble des applications M×NApresque
partout nulles. Dans cette approche, j:M×NLest d´efinie par (x, y)7→ f(x,y)o`u
f(x,y)(x0, y0) = 0,(x0, y0)6= (x, y) et f(x,y)(x, y) = 1.
D´efinition 3.1.3 Le A-module L/S est appel´e produit tensoriel de Met de Net not´e MAN.
On notera xyla classe du couple (x, y). Ces xyengendrent le A-module MN. Plus
pr´ecis´ement, tout ´el´ement de MNest une somme finie de la forme Pxiyi.
Remarques : 1) On vient de voir qu’il y a une application bilin´eaire naturelle ϕ:M×N
MAN.
2) On a x0 = x(yy) = xy+x(y) = xyxy= 0 et de mˆeme 0 y= 0.
3.1.3 Propri´et´e universelle
Soit Gun A-module quelconque et f:M×NGune application bilin´eaire. On peut alors
d´efinir une application lin´eaire h:LGpar l’exigence que hsoit lin´eaire et que h((x, y)) =
f((x, y)), quel que soit (x, y)M×N. (l’ensemble {(x, y)|xM, y N}forme une base de
L; alors, hest d´efinie parce qu’on se donne les images de tous les ´el´ements d’une base !).
L’application f´etant bilin´eaire, h(S) = 0. Autrement dit, hse factorise `a travers L/S :
Lh//
π!!
B
B
B
B
B
B
B
BG
L/S
h
==
{
{
{
{
{
{
{
{
Comme hest d´efinie uniquement par fet huniquement par h,hest uniquement d´efinie. Le
couple (MN, ϕ) est caract´eris´e par la propri´et´e universelle suivante :
3.2. PROPRI ´
ET ´
ES DU PRODUIT TENSORIEL 33
Proposition 3.1.1 Toute application bilin´eaire f:M×NGse factorise de mani`ere unique
`a travers une application lin´eaire MANG.
En fait, c’est cette propri´et´e qui sera, en g´en´eral, utilis´ee pour d´eterminer le produit tensoriel
(et non la d´efinition), car elle caract´erise le produit tensoriel `a isomorphisme pr`es.
Preuve : En effet, supposons qu’un autre couple (T, ψ), o`u Test un A-module et ψ:M×NT
une application bilin´eaire, v´erifie la mˆeme propri´et´e universelle, autrement dit, toute application
bilin´eaire βde M×Ndans un module Gse factorise `a travers ψet une application lin´eaire
γ:TG.
Or, ϕ:M×NMNest une application bilin´eaire, d’o`u elle se factorise `a travers ψ
et une application lin´eaire θ:TMN. Inversement, (MN, ϕ) ayant la propri´et´e et
ψ:M×NT´etant une application bilin´eaire, elle se factorise `a travers η:MNT.
Il faut encore v´erifier que θη= IdMNet ηθ=idT. La situation est d´ecrite par le diagramme
commutatif suivant
M×Nφ//
ψ
MN
η
xxrrrrrrrrrrr
Tθ
88
r
r
r
r
r
r
r
r
r
r
r
.
La compos´ee θψ:M×NMNest une application bilin´eaire, donc se factorise, de mani`ere
unique, `a travers MN.
Or ψ=ηϕ, d’o`u θηϕ=θψ, autrement dit
M×Nθψ//
ϕ
MN
MN
θη
88
r
r
r
r
r
r
r
r
r
r
o`u l’on voit que θηconstitue une telle factorisation. Mais, d’un autre cˆot´e, idMNest clairement
une autre factorisation. Par unicit´e, on conclut donc que θη=idMN. On proc`ede de mˆeme
pour ηθ.
Conclusion : T
=MNo`u ϕcorrespond `a ψ.
Exemples : * Si n, m sont des entiers tels que pgcd(n, m) = 1, alors Z/nZZZ/mZ= 0 ; de
mˆeme Z/nZZQ= 0.
* Si V, W sont des espaces vectoriels sur un corps k, alors VW= 0 V= 0 ou W= 0.
Exercice : Montrer plus g´en´eralement que Z/nZZZ/mZ
=Z/pgcd(n, m)Z.
3.2 Propri´et´es du produit tensoriel
3.2.1 Premiers r´esultats
Lemme 3.2.1 AAM
=M.
Preuve : Il s’agit de montrer que le couple (M, ψ) o`u ψ:A×MMest l’application ψ((a, x) =
ax, satisfait `a la propri´et´e universelle. Soit f:A×MRune application bilin´eaire quelconque,
alors fse factorise `a travers ψet h:MRtelle que h(y) = f((1, y)). En effet : h(ψ((a, x)) =
h(ax) = f((1, ax)) = af((1, x)) = f((a, x)).
De plus, hest uniquement d´etermin´ee : soit h0, lin´eaire, telle que f=h0ψ. Montrons que
h(y) = h0(y),yM. Or ψ(1, y) = y, d’o`u h(y) = h(ψ((1, y)) = f((1, y)) = h0(ψ((1, y)) = h0(y).
34 CHAPITRE 3. PRODUIT TENSORIEL
Remarque : L’isomorphisme envoie axsur ax.
Lemme 3.2.2 AnAM
=Mn.
Preuve : La d´emonstration est similaire `a celle ci-dessus. On va montrer que le couple (Mn, ψ)
o`u ψ:An×MMnest l’application bilin´eaire d´efinie par ψ(((a1, .., an), x)) = (a1x, . . . , anx)
v´erifie la propri´et´e universelle.
Soit f:An×MRune application bilin´eaire quelconque. D´esignons par {e1, . . . , en}la base
canonique de An. On remarque que : ψ(((a1, .., an), x)) = Pn
i=1 aiψ(ei, x).
On d´efinit alors h:MnRpar h((y1, . . . , yn)) = Pn
i=1 f(ei, yi). On a :
h(ψ(((a1, .., an), x)) = h((a1x, . . . , anx)) =
n
X
i=1
f(ei, aix)
=
n
X
i=1
aif(ei, x) = f(
n
X
i=1
aiei, x) = f((a1, . . . , an), x)
c’est-`a-dire : f=hψ. L’unicit´e de hse v´erifie imm´ediatement comme pr´ec´edemment.
Remarque : L’isomorphisme envoie ((a1, . . . , an)x) sur (a1x, . . . , anx).
Soit f:MPet g:NQdeux applications lin´eaires. On peut alors leur faire correspondre
une application lin´eaire, not´ee fg, de MNdans PQ, v´erifiant (fg)(xy) = f(x)g(y).
En effet, composant (f, g) : M×NP×Qavec l’application canonique P×QPQ,
on obtient une application bilin´eaire de M×Ndans PQ. Celle-ci se factorise donc `a travers
MN. On v´erifie ais´ement qu’elle v´erifie bien la propri´et´e est ci-dessus.
Remarque Le diagramme suivant est commutatif :
M×N
can
(f,g)//P×Q
MNfg//PQ
En particulier, on a les :
Lemme 3.2.3 Si M
=Pet N
=Q, alors MN
=PQ.
Lemme 3.2.4 MN
=NM.
Les preuves, tr`es simples, sont laiss´ees en exercice. On montre, par exemple dans le premier cas,
que (PQ, f gcan) v´erifie la propri´et´e universelle pour Met N.
Proposition 3.2.1 Si Met Nsont libres de type fini, de bases {e1, . . . , em},{f1, . . . , fn},
respectivement, alors MNest libre de base {eifj|i= 1, .., m;j= 1, .., n}.
Preuve : C’est une cons´equence des lemmes ci-dessus. En effet, si M(respt. N) admet une base
de cardinal m(respt. n), alors M
=Am(respt. N
=An).
Un tel isomorphisme est r´ealis´e en envoyant ei(respt. fj) sur le i-`eme (respt. j-`eme) ´el´ement
de la base canonique de Am(respt. An). On d´eduit alors des isomorphismes pr´ec´edents que
MN
=AmAn; i.e. MNest libre de rang mn. On v´erifie en explicitant les diff´erents
isomorphismes que les eifjforment une base de MN (en fait, les eifjforment un syst`eme
de g´en´erateurs, en nombre mn, d’un modulelibre de rang mn, donc constituent une base).
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