Les droits d`exclusivité dans le cadre des marchés

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Sous-rubrique Dossier
Les droits d’exclusivité dans
le cadre des marchés exclus
de mise en concurrence
■ Afin de protéger les droits de propriété intellectuelle, les pouvoirs adjudicateurs
peuvent être tentés d’attribuer les marchés grâce à la procédure négociée sans mise
en concurrence.
■ Cependant, le recours à cette procédure nécessite la réunion de deux conditions
cumulatives.
■ En outre, la décision de recourir à une procédure négociée sans publicité ni mise en
concurrence ne doit pas placer un candidat en situation d’abuser d’une éventuelle
position dominante.
Auteurs
Delphine Gobert, avocate au barreau de
Marseille, docteur en droit public, et Antoine
Woimant, avocat associé, MCL Avocats,
docteur en droit public
Référence
Texte…
Mots clés
Autorité de la concurrence • Droit
d’exclusivité objectif • Droit moral • Mise
en concurrence • Position dominante •
Procédure négociée • Substitution •
POUR ALLER PLUS LOIN
Texte avec de l’italique…
U
n droit de propriété intellectuelle (ci-après PI) confère
à son titulaire une protection qui ne saurait être remise
en cause par le droit des marchés publics. Cette protection est consacrée aux articles 35-II-8° et 144-II-3° du code des
marchés publics qui prévoient en substance que « les marchés
et les accords-cadres qui ne peuvent être confiés qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité » peuvent
être attribués selon une procédure négociée sans publicité et
sans mise en concurrence. Il n’en demeure pas moins que la
protection liée à la détention de droit d’exclusivité doit être
conciliée avec les principes généraux de la commande publique
en ce qu’elle ne doit pas interdire de façon injustifiée l’accès aux
marchés publics à une entreprise concurrente.
L’application de ces dispositions, qui permettent de sanctuariser
des prestations que le pouvoir adjudicateur estime n’être réalisable que par un seul opérateur en raison de droits d’exclusivité, est réservée à des circonstances exceptionnelles. Dans ces
conditions, et en raison de l’atteinte portée à l’accès aux marchés publics des concurrents, les modalités de mise en œuvre
de la procédure négociée de gré à gré sur ce fondement sont
strictement entendues par le juge administratif et aboutissent à
mettre à la charge tant du pouvoir adjudicateur que du candidat
qui détient le droit d’exclusivité des obligations procédurales
visant à compenser l’atteinte à l’égalité des autres candidats.
I. Une procédure exceptionnelle et conditionnée
par le respect d’égale concurrence
Il appartient au pouvoir adjudicateur d’établir que deux conditions cumulatives, autorisant le recours à une procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence, sont réunies : le
choix du cocontractant doit être dicté, d’une part, par des motifs
liés à une exclusivité objective reconnue et, d’autre part, par le
constat que le besoin ne peut être satisfait par un autre moyen
qui ne serait pas couvert par un droit d’exclusivité.
Contrats Publics – n° 128 – janvier 2013
1
Dossier Sous-rubrique
A) L’existence d’un droit d’exclusivité objectif
Dans le cadre des articles 35-II-8° et 144-II-3° du CMP, la notion
de droits d’exclusivité renvoie à la protection des droits de PI
qui recouvrent l’ensemble des droits exclusifs accordés sur les
créations intellectuelles à l’auteur ou à l’ayant droit d’une œuvre
de l’esprit(1). Une notion large qui englobe l’ensemble des droits
de PI sous une appellation commune de droit d’exclusivité doit
être privilégiée. Il en résulte que l’existence d’un droit d’exclusivité, entendu comme un droit de PI, est aisée à identifier.
Toutefois, la protection tenant à l’ensemble des droits de PI quel
qu’il soit, elle est doublement circonscrite. D’une part, la conclusion d’un marché de prestations intellectuelles ne confère pas
au prestataire un droit d’exclusivité pour le marché suivant,
étant précisé cependant qu’un droit moral du premier prestataire au respect de son œuvre existe. En d’autres termes, la
protection au titre de droits d’exclusivité est limitée à l’existant.
En conséquence, si l’acheteur public entend par exemple modifier ou adapter une œuvre protégée au titre du droit d’auteur,
l’adaptation ne sera pas confiée pour autant qu’au seul détenteur des droits(2). C’est ce qu’a jugé récemment la cour administrative d’appel de Lyon en retenant que
« Si les dispositions de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle
ne font pas obstacle à ce qu’un fondeur bénéficie d’un droit de propriété
artistique sur la sonorité originale rendue par les cloches qu’il fabrique, la
protection ainsi reconnue se limite aux cloches elles-mêmes ; que l’adjonction de dix cloches Eijsbouts n’ayant pas pour effet d’altérer le timbre des
cloches déjà installées, la commune de Taninges n’a pas porté atteinte au
droit de propriété artistique que la Fonderies des Cloches Paccard détient sur
la sonorité de ses cloches. »(3)
2
Concernant les droits moraux de propriétés intellectuelles (tels
que ceux dont disposent les architectes), ils n’obligent pas le
pouvoir adjudicateur à s’adresser à la personne qui les détient
lorsqu’il souhaite réaliser des travaux sur un ouvrage existant
ou réaliser des modifications sur l’œuvre rendues nécessaires
par l’intérêt du service public.
S’agissant des marchés de prestations intellectuelles, il ressort
de la jurisprudence que lorsque ce marché a retenu l’option B
du CCAG applicable aux marchés de prestations intellectuelles,
en vertu de laquelle la personne publique ne peut utiliser les
résultats des prestations que pour les besoins précisés par le
marché, le cabinet ayant effectué les prestations intellectuelles
en cause n’a aucun droit d’exclusivité(4). D’autre part, elle est
limitée à l’utilisation et l’exploitation de l’œuvre et non à la
vente de leur support matériel qui n’est pas un attribut du droit
d’auteur. Le tribunal administratif de Versailles a ainsi considéré que leur commande directe auprès des éditions Dalloz,
sans publicité ni mise en concurrence, était entachée d’illégalité, précisant que « les droits d’exclusivité que peut posséder
l’éditeur Dalloz sur les ouvrages qu’il publie, s’ils concernent
l’utilisation et l’exploitation de l’œuvre, ne couvrent pas la vente
(1) La circulaire du 14 février 2012 relative au Guide de bonnes pratiques
en matière de marchés publics ne donne pas de définition des droits
d’exclusivité, qui ne sauraient être confondus avec la notion voisine de « droits
exclusifs » définis comme « la situation dans laquelle est confié à une
personne, par un acte législatif ou réglementaire, l’exercice d’une mission
d’intérêt général », pt 3.2.
(2) Principe confirmé dans rép. min. n°124800 (JOAN du 14 avril 2012,
p. 3017).
(3) CAA Lyon 5 avril 2012, Sté Fonderies des Cloches Paccard, req.
n°10LY02298.
(4) CE 13 juillet 2007, Synd. d’agglo. nouvelle Ouest Provence, req. n°296096.
Principe confirmé dans rép. min. n°124800, préc.
des ouvrages qu’il édite, lesquels peuvent être vendus par des
libraires »(5).
Toutefois, l’article 35-II 8° vise des situations dans lesquelles
le choix du cocontractant est conditionné par des motifs liés à
une exclusivité objective reconnue, c’est-à-dire « lorsque l’exclusivité n’a pas été créée par le pouvoir adjudicateur lui-même
en vue de la passation du marché »(6). Ces motifs doivent donc
être extérieurs au pouvoir adjudicateur, c’est-à-dire s’imposer
à lui. Il ne doit pas les prendre en considération pour définir
son besoin, faire des choix techniques ou rédiger les conditions
d’exécution, étant rappelé que l’exigence d’objectivité dans la
préparation des cahiers des charges est de mise.
L’exclusivité d’un opérateur économique s’explique par l’existence de droits sur un procédé de fabrication ou la mise en œuvre
d’une prestation. Mais si l’existence d’un brevet peut prouver
une exclusivité, elle ne justifie pas par elle-même, l’absence de
mise en concurrence. La mise en œuvre des droits exclusifs doit
s’avérer indispensable pour la réalisation du marché.
B) Impossibilité de satisfaire le besoin par un autre moyen
Conformément à la théorie économique des biens non substituables(7), les juridictions administratives et européennes
rappellent expressément que le pouvoir adjudicateur doit
démontrer que le candidat titulaire du droit d’exclusivité est
le seul à pouvoir répondre à ses besoins. Prise en ce sens, l’absence de substitut adéquat constitue un autre aspect de la situation d’exclusivité objective(8). En d’autres termes, l’attributaire
pressenti du marché doit être le seul en mesure de réaliser la
prestation et le pouvoir adjudicateur doit démontrer que ses
besoins ne peuvent pas être satisfaits par une équivalence au
droit d’exclusivité en cause(9).
S’il apparaît que d’autres candidats peuvent, par d’autres procédés exclusifs, répondre dans les mêmes conditions aux besoins
de l’acheteur, les conditions requises par les dispositions des
articles 35-II-8° et 144-II, 2 du CMP ne seront pas réunies et,
partant, l’acheteur ne pourrait légalement recourir à la procédure du marché négocié. Cette condition fait l’objet, pour
chaque espèce, d’une analyse détaillée et circonstanciée par
les juridictions administratives qui vont jusqu’à comparer les
différentes options de procédés offerts à l’acheteur public. Elles
se substituent à son jugement en faisant toujours prévaloir le
principe de concurrence. Le Conseil d’État a ainsi jugé que :
« La prestation, objet du marché, portant sur l’étude de la gestion départementale du conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, pouvait être
réalisée par des procédés différents de ceux proposés par le cabinet B. et ne
nécessitait nullement la mise en œuvre de droits exclusifs dont le cabinet dispose, en raison du dépôt qu’il a effectué, en application de la loi du 14 juillet
1909, de modèles de pictogrammes, diagrammes et fiches diverses. »(10)
(5) TA Versailles 22 octobre 2010, Sté Doolittle, req. n°10-06118. Le tribunal
écarte le moyen tiré de l’absence de droit d’exclusivité après avoir constaté
que d’autres critères que le prix, tels que les délais de traitement des
commandes et de livraison, le service après-vente, la qualité du suivi de la
commande et de la facturation pouvaient être pris en considération.
(6) Prop. de directive du Parlement européen et du conseil sur la passation
des marchés publics, n°2011/0438, cons. 18.
(7) Le concept de substituabilité vise un bien pouvant remplacer ou être
remplacé par un autre bien pour répondre à un même besoin.
(8) Prop. de directive du Parlement européen et du conseil sur la passation
des marchés publics, préc., cons. 18.
(9) CE 14 janvier 1987, Commissaire de la République de la Meuse, req.
n°58557.
(10) CE 29 novembre 1996, Dpt des Alpes-de-Haute-Provence, req. n°102165.
Contrats Publics – n° 128 – janvier 2013
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De même, la cour administrative d’appel de Bordeaux a considéré que :
« Les circonstances invoquées tirées de ce que la Siage travaille depuis près
de quinze ans avec le département de l’Hérault, que des investissements
importants ont été réalisés pour l’informatisation des services du département, que dans le cadre de cette collaboration la Siage a développé des
applications informatiques spécifiques sur lesquelles elle détient des droits
exclusifs et a acquis une expérience professionnelle et un savoir-faire, ne
suffisent pas à établir que la Siage était la seule entreprise à laquelle le
département de l’Hérault pouvait confier la gestion et le développement de
l’informatique. »(11)
Il en est de même des :
« Circonstances que la société OTVD aurait protégé par brevet le procédé
d’extraction automatique du plastique particulièrement utile pour le projet
concerné et que la société TNEE serait le seul constructeur à avoir développé,
mis en œuvre, adopté et perfectionné sur le marché français la technologie
de fours à rouleaux, n’établissent pas que d’autres entreprises n’auraient pas
été à même de pouvoir réaliser les prestations souhaitées tant au moyen des
brevets mentionnés qu’en mettant en œuvre des techniques différentes. »(12)
Il en résulte manifestement que les juridictions administratives
font prévaloir le principe d’égale concurrence entre les candidats en favorisant les substituts aux prestations protégées par
un droit d’exclusivité. Au vu de ces jurisprudences, l’hypothèse
où le caractère non substituable et objectif du besoin est retenue
est celle résultant de la seule la protection tirée des droits d’auteur et du droit à l’image. À cet égard, la cour administrative de
Versailles a jugé légale la passation d’un marché sans publicité
ni mise en concurrence relatif à une cession de droits d’exploitation d’un spectacle au motif que :
« Toute mise en concurrence et tout avis de publicité étaient manifestement
rendus inutiles ou impossibles par le fait que ce marché ne pouvait être
confié qu’à la société TS3 en tant qu’elle détenait les droits de production du
spectacle de l’artiste Raphaël. »(13)
Cette jurisprudence n’est qu’une application pratique d’un
principe exposé préalablement dans une réponse ministérielle
qui retenait que :
« Un marché négocié sans mise en concurrence préalable peut être passé
lorsqu’une collectivité envisage de contracter avec une société détentrice de
façon exclusive du droit à l’image d’un sportif déterminé, d’un acteur déterminé ou d’une autre personnalité déterminée, dans le but d’obtenir la participation de ce seul sportif, de ce seul acteur ou de cette seule personnalité.
En effet, dans ce cas, conformément à l’article 104-II du Code des marchés
publics, la prestation ne peut être réalisée que par un entrepreneur ou un
fournisseur déterminé détenteur d’un droit exclusif à l’image de ce sportif, de
cet acteur ou de cette personnalité. »(14)
À la lumière de ces jurisprudences, le recours à une procédure
négociée sans publicité ni mise en concurrence justifiée par la
protection des droits d’exclusivité présente un risque contentieux certain, le juge contrôlant étroitement la seconde condition. Ainsi, le pouvoir adjudicateur comme la société candidate
(11) CAA Bordeaux 17 mars 1997, Dpt de l’Hérault, req. n°96BX02342. La
solution qui consiste à ne tenir compte que du droit d’exclusivité en lui-même
et non des autres facteurs qui lui sont extérieurs est constante. Voir également
en ce sens : CE 2 novembre 1988, Commissaire de la république des Hauts-deSeine, req. n°64954.
(12) CE 11 octobre 1999, M. Avrillier, req. n°165510.
(13) CAA Versailles 23 septembre 2008, Sté TS3, req. n°07VE02324.
(14) Rép. min. n°34891(JOAN du 5 juin 2000, p.3449). Dans cette hypothèse,
nous sommes à la frontière de l’exception visée également par les dispositions
précitées tenant aux « raisons artistiques ».
Contrats Publics – n° 128 – janvier 2013
titulaire d’un tel droit doivent prendre certaines précautions
afin de sécuriser la procédure de passation du marché négocié
et le dépôt de leur offre.
II. Un équilibre délicat entre exigence
de concurrence et respect des droits
d’exclusivité
Quelles précautions doivent être prises pour éviter que la passation d’un marché public soit entachée d’illégalité lorsque l’on
est en présence de droits d’exclusivité pouvant justifier la mise
en œuvre d’une procédure négociée sans mise en concurrence
préalable ? Pour le pouvoir adjudicateur, la principale précaution à prendre réside essentiellement dans l’obligation de veiller
au respect des droits de PI. Toutefois, la décision de recourir
à une procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence ne doit pas placer un candidat en situation d’abuser d’une
éventuelle position dominante. Quant à l’entreprise candidate
titulaire d’un droit d’exclusivité, elle est tenue de communiquer
aux autres candidats certaines données protégées par un droit
d’exclusivité.
A) L’obligation de ne pas placer un candidat en situation
d’abuser d’une éventuelle position dominante
Le choix de recourir à une procédure négociée sans publicité ni
mise en concurrence est une faculté pour le pouvoir adjudicateur(15) : il n’a donc aucune obligation d’attribuer un marché à un
candidat qui se prévaut d’un droit d’exclusivité. Ce dernier ne
bénéficie pas alors de « droit exclusif » à l’attribution du marché.
Ainsi, dans le cadre du référé précontractuel, le moyen tiré de la
méconnaissance des droits de PI ne constitue pas un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ni
à l’égalité entre les candidats si l’acheteur public retient l’offre
d’un concurrent au détriment des droits de PI invoqués par un
autre(16).
Le pouvoir adjudicateur est néanmoins tenu de veiller au respect des droits de PI(17). Simple dans son énoncé, le principe
posé par la jurisprudence s’avère délicat dans sa mise en œuvre
au regard de l’obligation pesant sur le pouvoir adjudicateur de
ne pas placer un candidat en situation d’abuser d’une éventuelle position dominante lorsqu’il décide de recourir à une procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence. À cet
égard, la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence
fait prévaloir de façon manifeste le principe de concurrence au
détriment parfois de la protection tirée des droits de PI.
Il n’appartient pas à l’Autorité de la concurrence de se prononcer sur la licéité des actes par lesquels une personne publique
organise les appels d’offres préalables à l’attribution de marchés publics. Ces derniers relèvent toutefois de la compétence
de la juridiction administrative.
Or, dans le cadre de son contrôle, le juge administratif doit s’assurer que la décision prise par le pouvoir adjudicateur ne place
pas une société candidate en situation d’abuser d’une éventuelle position dominante(18). C’est en ce sens que l’Autorité de
(15) CAA Lyon 5 avril 2012, Sté Fonderies des Cloches Paccard, req.
n°10LY02298.
(16) TA Paris 17 novembre 2009, Sté AAIR Lichens, req. n°09-17164.
(17) TA Paris, 17 novembre 2009, Sté AAIR Lichens, req. n°09-17164.
(18) CE 3 novembre 1997, Sté Million et Marais, req. n°169907.
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4
la concurrence, saisie pour avis dans le contexte de préparation
du marché des rames de la 3e phase du réseau bordelais par la
communauté urbaine de Bordeaux, a fait des préconisations
« pour favoriser l’intensité concurrentielle lors du marché initial
et des marchés ultérieurs »(19). Bien que cet avis soit circonscrit
au contexte économique et technique dans lequel il s’inscrit, les
principes dégagés conservent toute leur pertinence pour apprécier la légalité d’une décision prise par un pouvoir adjudicateur
de recourir à une procédure négociée sans mise en concurrence
se fondant sur les droits d’exclusivité détenus par un candidat.
Au stade du marché initial, l’Autorité de la concurrence recommande ainsi de prévoir « un appel d’offres le plus ouvert possible quant aux solutions techniques proposées pour éviter tout
ciblage a priori de la technologie de l’un des soumissionnaires
potentiels »(20). En effet, « dans la chronologie des marchés, c’est
bien au stade de l’investissement initial que se prend la décision
essentielle en matière de technologie […]. C’est à ce stade que la
concurrence doit être la plus intense »(21). En outre, les pouvoirs
adjudicateurs doivent organiser le découplage de leurs appels
d’offres afin de favoriser la multiplicité des réponses technologiques et « l’intensité concurrentielle »(22).
Au stade des marchés ultérieurs (notamment de renouvellement, d’extension de capacités mais aussi de maintenance),
l’Autorité de la concurrence considère qu’un droit de PI détenu
par le candidat sortant est susceptible de fonder une position
dominante dès lors que le pouvoir adjudicateur « n’est plus en
situation d’arbitrer entre différentes technologies »(23). Aussi,
elle préconise que les pouvoirs adjudicateurs doivent être en
mesure « de fournir aux soumissionnaires potentiels les données techniques permettant d’assurer l’interopérabilité »(24) ou
en d’autres termes les éléments de substituabilité des procédés
mis en œuvre.
En conséquence, les pouvoirs adjudicateurs sont tenus de favoriser par tout moyen juridique l’accès aux données protégées
par un droit exclusif et partant renforcer la compétition entre
les différents procédés et brevets déposés. Il en résulte nécessairement que la validité d’une procédure de passation, dont
l’un des soumissionnaires est détenteur d’un droit d’exclusivité
indispensable à la bonne exécution des prestations, est subordonnée à la complète information des candidats sur l’existence
et les données techniques de ce droit. Il appartient donc à la
personne publique de définir les documents qu’elle communiquera à l’ensemble des autres soumissionnaires afin de rétablir l’égalité d’information. Une contrainte analogue pèse sur le
candidat détenteur du droit exclusif en cause ce qui n’est pas
protecteur.
B) L’obligation de communication de données protégées
par un droit d’exclusivité
La PI détenue par un candidat concurrent est susceptible de
fonder une position dominante car elle limite les choix technologiques. Corollairement à l’attitude de l’acheteur public qui
(19) Avis n°10-A-22 du 19 novembre 2010 relatif au projet de lancement par
la communauté Urbaine de Bordeaux d’un marché de rames de tramway dans
le cadre de l’extension de son réseau.
(20) Avis n°10-A-22 du 19 novembre 2010, préc., pt 100.
(21) Ibid., pt 103.
(22) Ibid., pt 99.
(23) Ibid., pt 120.
(24) Ibid., pt 120.
ne doit pas faciliter une telle position, un candidat invoquant
un droit d’exclusivité ne doit pas abuser de sa position dominante. Hormis le cas du dépôt d’une offre globale, le refus de
communication de données jugées nécessaires à l’élaboration
du marché et à la constitution du dossier de consultation des
entreprises(25) est constitutif d’un tel abus.
La pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence enjoint
d’une manière générale de favoriser l’accès à des données
protégées qui seraient incontournables pour l’exercice de la
concurrence. Ainsi, dans l’avis du 19 novembre 2010 précité,
l’Autorité de la concurrence recommande que les données protégées par un droit exclusif soient fournies dès le marché initial
pour desserrer aux stades ultérieurs la contrainte technologique induite par le marché primitif. Il en est de même sous
l’empire du Conseil de la concurrence qui avait estimé à propos des pratiques de Citroën visant à refuser l’accès aux informations techniques et à un logiciel de diagnostic « renfermant
les informations nécessaires aux réparations des véhicules de
cette marque », à des réparateurs non agréés par le constructeur, qu’elles étaient « susceptibles d’être qualifiées d’abusives
si elles [étaient] avérées. […] Faute d’un accès complet à toutes
les informations techniques et à tous les systèmes de diagnostic pour la réparation et l’entretien des véhicules automobiles
Citroën, les réparateurs indépendants ne seraient pas en état
d’effectuer certaines réparations et mises à jour »(26).
Cette obligation d’information de données protégées par un
droit d’exclusivité privilégie le principe de transparence et
d’égalité de traitement des candidats et partant favorise grandement l’accès de sociétés concurrentes aux marchés publics. Pour
autant, la divulgation d’informations ou de données protégées
peut être considérée comme intrusive aboutissant à une atteinte
au secret des affaires et à la protection que le droit d’exclusivité tend précisément à protéger. Finalement, l’invocation de la
protection des droits de PI par un soumissionnaire n’apparaît
pas forcément comme un avantage concurrentiel par rapport à
ses concurrents.
Conclusion
La jurisprudence administrative rendue sur le fondement des
articles 35-II-8° et 144-II-3° du CMP, éclairée en cela utilement
par la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence,
doit inciter les acheteurs publics à la plus grande prudence
lorsqu’ils décident de recourir à une procédure négociée sans
publicité ni mise en concurrence justifiée par la détention de
droits d’exclusivité. La parfaite sécurisation de cette procédure
négociée réside notamment dans l’obligation de communiquer des données protégées par un droit d’exclusivité pesant
sur l’acheteur public. Cette contrainte procédurale, à laquelle
l’acheteur public doit se soumettre dès le marché initial ainsi
que pour les marchés ultérieurs, n’est pas sans risque pour la
préservation légitime du secret des affaires que les droits de PI
tendent précisément à protéger. n
(25) Avis n°10-A-22 du 19 nov. 2010 relatif au projet de lancement par la
communauté urbaine de Bordeaux d’un marché de rames de tramway dans le
cadre de l’extension de son réseau, pt 119.
(26) Conseil conc., déc. n°06-D-27.
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