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Contrats Publics – n° 128 – janvier 2013
Dossier
Sous-rubrique
A) L’existence d’un droit d’exclusivité objectif
Dans le cadre des articles 35-II-8° et 144-II-3° du CMP, la notion
de droits d’exclusivité renvoie à la protection des droits de PI
qui recouvrent l’ensemble des droits exclusifs accordés sur les
créations intellectuelles à l’auteur ou à l’ayant droit d’une œuvre
de l’esprit(1). Une notion large qui englobe l’ensemble des droits
de PI sous une appellation commune de droit d’exclusivité doit
être privilégiée. Il en résulte que l’existence d’un droit d’exclu-
sivité, entendu comme un droit de PI, est aisée à identier.
Toutefois, la protection tenant à l’ensemble des droits de PI quel
qu’il soit, elle est doublement circonscrite. D’une part, la conclu-
sion d’un marché de prestations intellectuelles ne confère pas
au prestataire un droit d’exclusivité pour le marché suivant,
étant précisé cependant qu’un droit moral du premier pres-
tataire au respect de son œuvre existe. En d’autres termes, la
protection au titre de droits d’exclusivité est limitée à l’existant.
En conséquence, si l’acheteur public entend par exemple modi-
er ou adapter une œuvre protégée au titre du droit d’auteur,
l’adaptation ne sera pas conée pour autant qu’au seul déten-
teur des droits(2). C’est ce qu’a jugé récemment la cour adminis-
trative d’appel de Lyon en retenant que
« Si les dispositions de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle
ne font pas obstacle à ce qu’un fondeur bénéficie d’un droit de propriété
artistique sur la sonorité originale rendue par les cloches qu’il fabrique, la
protection ainsi reconnue se limite aux cloches elles-mêmes ; que l’adjonc-
tion de dix cloches Eijsbouts n’ayant pas pour effet d’altérer le timbre des
cloches déjà installées, la commune de Taninges n’a pas porté atteinte au
droit de propriété artistique que la Fonderies des Cloches Paccard détient sur
la sonorité de ses cloches. »(3)
Concernant les droits moraux de propriétés intellectuelles (tels
que ceux dont disposent les architectes), ils n’obligent pas le
pouvoir adjudicateur à s’adresser à la personne qui les détient
lorsqu’il souhaite réaliser des travaux sur un ouvrage existant
ou réaliser des modications sur l’œuvre rendues nécessaires
par l’intérêt du service public.
S’agissant des marchés de prestations intellectuelles, il ressort
de la jurisprudence que lorsque ce marché a retenu l’option B
du CCAG applicable aux marchés de prestations intellectuelles,
en vertu de laquelle la personne publique ne peut utiliser les
résultats des prestations que pour les besoins précisés par le
marché, le cabinet ayant effectué les prestations intellectuelles
en cause n’a aucun droit d’exclusivité(4). D’autre part, elle est
limitée à l’utilisation et l’exploitation de l’œuvre et non à la
vente de leur support matériel qui n’est pas un attribut du droit
d’auteur. Le tribunal administratif de Versailles a ainsi consi-
déré que leur commande directe auprès des éditions Dalloz,
sans publicité ni mise en concurrence, était entachée d’illéga-
lité, précisant que « les droits d’exclusivité que peut posséder
l’éditeur Dalloz sur les ouvrages qu’il publie, s’ils concernent
l’utilisation et l’exploitation de l’œuvre, ne couvrent pas la vente
(1) La circulaire du 14 février 2012 relative au Guide de bonnes pratiques
en matière de marchés publics ne donne pas de dénition des droits
d’exclusivité, qui ne sauraient être confondus avec la notion voisine de «droits
exclusifs» dénis comme «la situation dans laquelle est coné à une
personne, par un acte législatif ou réglementaire, l’exercice d’une mission
d’intérêt général», pt 3.2.
(2) Principe conrmé dans rép. min. n°124800 (JOAN du 14 avril 2012,
p. 3017).
(3) CAA Lyon 5 avril 2012, Sté Fonderies des Cloches Paccard, req.
n°10LY02298.
(4) CE 13 juillet 2007, Synd. d’agglo. nouvelle Ouest Provence, req. n°296096.
Principe conrmé dans rép. min. n°124800, préc.
des ouvrages qu’il édite, lesquels peuvent être vendus par des
libraires »(5).
Toutefois, l’article 35-II 8° vise des situations dans lesquelles
le choix du cocontractant est conditionné par des motifs liés à
une exclusivité objective reconnue, c’est-à-dire « lorsque l’ex-
clusivité n’a pas été créée par le pouvoir adjudicateur lui-même
en vue de la passation du marché »(6). Ces motifs doivent donc
être extérieurs au pouvoir adjudicateur, c’est-à-dire s’imposer
à lui. Il ne doit pas les prendre en considération pour dénir
son besoin, faire des choix techniques ou rédiger les conditions
d’exécution, étant rappelé que l’exigence d’objectivité dans la
préparation des cahiers des charges est de mise.
L’exclusivité d’un opérateur économique s’explique par l’exis-
tence de droits sur un procédé de fabrication ou la mise en œuvre
d’une prestation. Mais si l’existence d’un brevet peut prouver
une exclusivité, elle ne justie pas par elle-même, l’absence de
mise en concurrence. La mise en œuvre des droits exclusifs doit
s’avérer indispensable pour la réalisation du marché.
B) Impossibilité de satisfaire le besoin par un autre moyen
Conformément à la théorie économique des biens non subs-
tituables(7), les juridictions administratives et européennes
rappellent expressément que le pouvoir adjudicateur doit
démontrer que le candidat titulaire du droit d’exclusivité est
le seul à pouvoir répondre à ses besoins. Prise en ce sens, l’ab-
sence de substitut adéquat constitue un autre aspect de la situa-
tion d’exclusivité objective(8). En d’autres termes, l’attributaire
pressenti du marché doit être le seul en mesure de réaliser la
prestation et le pouvoir adjudicateur doit démontrer que ses
besoins ne peuvent pas être satisfaits par une équivalence au
droit d’exclusivité en cause(9).
S’il apparaît que d’autres candidats peuvent, par d’autres procé-
dés exclusifs, répondre dans les mêmes conditions aux besoins
de l’acheteur, les conditions requises par les dispositions des
articles 35-II-8° et 144-II, 2 du CMP ne seront pas réunies et,
partant, l’acheteur ne pourrait légalement recourir à la pro-
cédure du marché négocié. Cette condition fait l’objet, pour
chaque espèce, d’une analyse détaillée et circonstanciée par
les juridictions administratives qui vont jusqu’à comparer les
différentes options de procédés offerts à l’acheteur public. Elles
se substituent à son jugement en faisant toujours prévaloir le
principe de concurrence. Le Conseil d’État a ainsi jugé que :
« La prestation, objet du marché, portant sur l’étude de la gestion dépar-
tementale du conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, pouvait être
réalisée par des procédés différents de ceux proposés par le cabinet B. et ne
nécessitait nullement la mise en œuvre de droits exclusifs dont le cabinet dis-
pose, en raison du dépôt qu’il a effectué, en application de la loi du 14 juillet
1909, de modèles de pictogrammes, diagrammes et fiches diverses. »(10)
(5) TA Versailles 22octobre 2010, Sté Doolittle, req. n°10-06118. Le tribunal
écarte le moyen tiré de l’absence de droit d’exclusivité après avoir constaté
que d’autres critères que le prix, tels que les délais de traitement des
commandeset de livraison, le service après-vente, la qualité du suivi de la
commande et de la facturation pouvaient être pris en considération.
(6) Prop. de directive du Parlement européen et du conseil sur la passation
des marchés publics, n°2011/0438, cons. 18.
(7) Le concept de substituabilité vise un bien pouvant remplacer ou être
remplacé par un autre bien pour répondre à un même besoin.
(8) Prop. de directive du Parlement européen et du conseil sur la passation
des marchés publics, préc., cons. 18.
(9) CE 14 janvier 1987, Commissaire de la République de la Meuse, req.
n°58557.
(10) CE 29 novembre 1996, Dpt des Alpes-de-Haute-Provence, req. n°102165.