Université Rennes I – Épreuve de modélisation - Agrégation Externe de Mathématiques – 2008. Page n˚1. –Texte– Équation du télégraphe On s’intéresse à l’évolution de la tension dans un câble coaxial. Le courant passant dans un élément de câble de longueur dx subit l’influence d’une résistance Rdx, d’une inductance Ldx et d’une capacité Cdx (on négligera la conductance qui modélise les fuites). On notera V (t, x) (resp. I(t, x)) la valeur de la tension (resp. de l’intensité) au point x à l’instant t. Les fonctions intensité et tension I et V sont liées par les équations ∂x V (t, x) = −L∂t I(t, x) − RI(t, x) et ∂x I(t, x) = −C∂t V (t, x). (1) En dérivant ces deux équations par rapport à x et t respectivement, il est possible d’éliminer la variable I et de montrer que V est solution de 2 ∂xx V (t, x) = LC∂tt2 V (t, x) + RC∂t V (t, x). Dans la suite nous remplaçons les constantes physiques R, L et C par des constantes qui allégeront les calculs et expressions. Soient α et w des constantes positives. On dira que u est solution de l’équation du télégraphe de condition initiale φ si 2 2 2 pour tous t > 0, x ∈ R, ∂tt u(t, x) − w ∂xx u(t, x) + 2α∂t u(t, x) = 0 (2) u(0, x) = φ(x) pour tout x ∈ R, ∂t u(0, x) = 0 pour tout x ∈ R. L’objet de ce texte est de proposer une étude probabiliste de l’équation du télégraphe basée sur le processus de Poisson (dont les principales propriétés sont présentées dans la section 1). On note E l’ensemble {−w, w} × R. Soit (Nt )t>0 un processus de Poisson d’intensité α et (V0 , X0 ) une variable aléatoire à valeurs dans E indépendante de (Nt )t>0 . On définit le processus ((Vt , Xt ))t>0 à valeurs dans E en posant, pour tout t > 0 Z t Nt Vt = (−1) V0 et Xt = X0 + Vs ds. 0 Le but de ce texte est de démontrer le résultat suivant. Théorème 0.1 (Kac). La solution de l’équation (2) se représente ainsi : pour tout t > 0 et tout x ∈ R, u(t, x) = E(φ(Xt )), où X0 = x presque sûrement et V0 suit la loi 21 δ−w + 21 δw . c F. Malrieu . GNU FDL Copyleft. Février 2008. Copyright Page n˚1. Université Rennes I – Épreuve de modélisation - Agrégation Externe de Mathématiques – 2008. Page n˚2. La section 1 propose un survol rapide des propriétés du processus de Poisson et du processus des vitesses (Vt )t>0 . Dans la section 2, on étudie les propriétés markoviennes du processus complet avant de faire le lien avec l’équation du télégraphe (2) dans la section suivante. Enfin, la section 4 aborde la question de la simulation et de l’estimation d’une densité de probabilité. 1 Processus de Poisson et processus des vitesses Définition 1.1. Un processus de Poisson (Nt )t>0 de paramètre α > 0 est une famille de variable aléatoires à valeurs dans N telle que 1. pour presque tout ω ∈ Ω, t 7→ Nt (ω) est une fonction à valeurs dans N, nulle en 0, croissante et continue à droite ; 2. pour tous t1 < t2 < · · · < tn , les variables aléatoires (Nt1 , Nt2 − Nt1 , . . . , Ntn − Ntn−1 ) sont indépendantes ; 3. pour tous s < t, la loi de Nt − Ns est la loi de Poisson P(α(t − s)). Remarque 1.2. Un processus vérifiant la propriété 2. (resp. 3.) est dit à accroissements indépendants (resp stationnaires). Soit (Nt )t>0 un processus de Poisson de paramètre α et Z0 une variable aléatoire indépendante de N à valeurs dans {−1, 1}. On note (Zt )t>0 le processus défini par Zt = (−1)Nt Z0 pour tout t > 0. Notons p+ (t) = P(Zt = 1) et p− (t) = P(Zt = −1). Ces fonctions sont solution des équations différentielles suivantes : p0+ (t) = α(p− (t) − p+ (t)) et p0− (t) = α(p+ (t) − p− (t)). Proposition 1.3. Ce processus admet une unique mesure invariante : 21 δ−1 + 12 δ−1 . De plus, pour tout t > 0, on connaı̂t la loi de Xt en fonction de celle de X0 : p+ (t) = 2 1 p+ (0) − p− (0) −2αt + e 2 2 et p− (t) = 1 p+ (0) − p− (0) −2αt − e . 2 2 Le processus complet Pour tout t > 0 et toute fonction f mesurable bornée de E dans R, on note Z t Nt Ns Pt f (v, x) = E(f (Vt , Xt )|V0 = v, X0 = x) = E f (−1) v, x + v (−1) ds . 0 c F. Malrieu . GNU FDL Copyleft. Février 2008. Copyright Page n˚2. Université Rennes I – Épreuve de modélisation - Agrégation Externe de Mathématiques – 2008. Page n˚3. Définition 2.1. Pour k ∈ N, on note CEk l’ensemble des fonctions f : E → R mesurables bornées qui sont de classe C k en la deuxième variable à dérivées successives bornées. On définit l’opérateur A sur CE1 par : pour toute fonction f ∈ CE1 , Af (v, x) = α(f (−v, x) − f (v, x)) + v∂x f (v, x). On pourra sans dommage retenir de cette section le seul résultat suivant : pour tout t > 0 et pour toute fonction f ∈ CE2 , ∂t Pt f (v, x) = APt f (v, x). (3) Lemme 2.2. Pour tous t, s > 0, Nt+s −Nt Vt+s = (−1) Z Vt et Xt+s = Xt + Vt s (−1)Nt+u −Nt du. 0 Proposition 2.3. La famille (Pt )t>0 vérifie la propriété suivante : Pour tous t, s > 0 et toute fonction f mesurable bornée de E dans R, Pt+s f (v, x) = Pt ◦ Ps f (v, x). On dit que (Pt )t>0 est un semi-groupe. Démonstration. On utilise le fait que le processus de Poisson est à accroissements indépendants et stationnaires, et, en particulier, que (Nt+s − Nt )s>0 est un processus de Poisson de paramètre α indépendant de (Nu )06u6t . D’après le lemme 2.2, on a Z Nt+s −Nt Pt+s f (v, x) = E E f (−1) Vt , Xt + Vt t+s Nu −Nt (−1) du |X0 , V0 , Xt , Vt |X0 = x, V0 = v t = E[Ps f (Vt , Xt )|X0 = x, V0 = v] = Pt ◦ Ps f (v, x). Proposition 2.4. Pour tout t > 0 et toute fonction f ∈ CE2 , Pt+h f − Pt f −−→ 0. − AP f t h→0 h ∞ En particulier, pour tout t > 0 et pour toute fonction f ∈ CE2 , ∂t Pt f (v, x) = APt f (v, x). c F. Malrieu . GNU FDL Copyleft. Février 2008. Copyright Page n˚3. Université Rennes I – Épreuve de modélisation - Agrégation Externe de Mathématiques – 2008. Page n˚4. Démonstration. Démontrons dans un premier temps le résultat pour t = 0. Soit f ∈ CE2 . Alors Ph f (v, x) =E f (Vh , Xh )1{Nh =0} |X0 = x, V0 = v + E f (Vh , Xh )1{Nh =1} |X0 = x, V0 = v + E f (Vh , Xh )1{Nh >2} |X0 = x, V0 = v On étudie ces trois espérances séparément. La dernière est bornée par kf k∞ e−2αh (αh)2 /2. La première vaut E f (v, x + vh)1{Nh =0} = f (v, x) + h(v∂x f (v, x) − αf (v, x)) + o(h). Enfin, la seconde espérance s’écrit Z h Nu E f −v, x + v (−1) du 1{Nh =1} = αhe−αh (f (−v, x) + o(h)) 0 puisque le terme intégral est borné (en valeur absolue) par h. On a ainsi obtenu Ph f (v, x) = f (v, x) + hAf (v, x) + o(h), ce qui achève le cas t = 0. Pour étendre le résultat à tout temps t > 0, on utilise la propriété de semi-groupe et la première partie de la preuve : k·k∞ Ph − P0 Pt+h f − Pt f − APt f = − A Pt f −−→ 0, h→0 h h puisque que Pt f ∈ CE2 . 3 Lien entre l’équation et le processus Définissons u+ et u− sur R+ × R par ( u+ (t, x) := Pt φ(w, x) = E(φ(Xt )|V0 = w, X0 = x), u− (t, x) := Pt φ(−w, x) = E(φ(Xt )|V0 = −w, X0 = x), où l’on a commis l’abus de notation suivant : on note encore φ l’application (w, x) 7→ φ(x). Par définition de u+ et u− , la propriété (3) assure que ∂t u+ (t, x) = ∂t Pt φ(w, x) = APt φ(w, x) = α(Pt φ(−w, x) − Pt φ(w, x)) + w∂x Pt φ(w, x) = α(u− (t, x) − u+ (t, x)) + w∂x u+ (t, x). On peut faire de même pour u− et en déduire que le couple (u+ , u− ) est solution du système d’équations : ( ∂t u+ (t, x) = α(u− (t, x) − u+ (t, x)) + w∂x u+ (t, x) (4) ∂t u− (t, x) = α(u+ (t, x) − u− (t, x)) − w∂x u− (t, x). c F. Malrieu . GNU FDL Copyleft. Février 2008. Copyright Page n˚4. Université Rennes I – Épreuve de modélisation - Agrégation Externe de Mathématiques – 2008. Page n˚5. Enfin, si l’on pose u = (u+ + u− )/2 et ũ = (u+ − u− )/2, le couple (u, ũ) est solution du système : ( ∂t u(t, x) = w∂x ũ(t, x), ∂t ũ(t, x) = −2αũ(t, x) + w∂x u(t, x). Dériver la première équation par rapport à t et la seconde par rapport à x permet de supprimer le terme ∂t ∂x ũ(t, x) pour obtenir 2 u(t, x). ∂tt2 u(t, x) = −2αw∂x ũ(t, x) + w2 ∂xx Il reste alors à remplacer w∂x ũ(t, x) par ∂t u(t, x) pour obtenir que 2 ∂tt2 u(t, x) − w2 ∂xx u(t, x) + 2α∂t u(t, x) = 0. On vérifie également que les conditions initiales sont satisfaites, ce qui prouve le théorème 0.1. 4 4.1 Mise en place de la résolution numérique Méthode de Monte-Carlo La méthode probabiliste est assez simple à mettre en place. D’après ce qui précède, la solution de l’équation du télégraphe au point x et au temps t de solution initiale φ s’écrit Z t u(t, x) = E[φ(x + It )] où It = V0 (−1)Ns ds, 0 et V0 et (Nt )t>0 sont indépendants, V0 suit la loi uniforme sur {−w, w} et (Nt )t>0 est un processus de Poisson d’intensité α. Si l’on note µt la loi de It , on a alors Z u(t, x) = φ(x + y)µt (dy). R Ainsi, si l’on dispose d’une bonne approximation de µt , on peut calculer la valeur de u(t, x) en tous les points x ∈ R souhaités. 4.2 Estimation par noyau d’une densité Que peut-on dire de cette mesure µt ? Il est clair que µt est à support dans [−wt, wt]. De plus, It a une probabilité strictement positive de se trouver dans tout intervalle ouvert J de [−wt, wt]. On peut même montrer que µt admet une densité strictement positive sur ] − wt, wt[ par rapport à la mesure de Lebesgue. On ne cherchera pas à établir ces faits mais l’objet de cette section est plutôt de l’illustrer. On dispose d’un échantillon X1 , . . . , Xn de variables aléatoires indépendantes et identiquement distribuées selon une loi de densité f . Le problème est de proposer un estimateur de f . c F. Malrieu . GNU FDL Copyleft. Février 2008. Copyright Page n˚5. Université Rennes I – Épreuve de modélisation - Agrégation Externe de Mathématiques – 2008. Page n˚6. Soit K une fonction définie sur R, positive, d’intégrale 1, paire telle que x 7→ x2 K(x) soit intégrable et que l’intégrale de K 2 soit finie et notée σ 2 . Par exemple, on peut penser à 1 1 3 2 x 7→ √ e−x /2 , x 7→ 1[−1,1] (x), x 7→ (1 − x2 )1[−1,1] (x) . . . 2 4 2π Soit (hn )n>0 une suite croissante de réels strictement positifs. Pour tout n ∈ N, on définit Kn en posant 1 Kn (x) = K(x/hn ). hn On estime alors f par fˆn définie par n n X X 1 1 X − x i ∀x ∈ R, fˆn (x) = Kn (Xi − x) = K . n i=1 nhn i=1 hn Remarque 4.1. Il est clair, en vertu de la loi des grands nombres que si la suite (hn )n est constante égale à h, Z 1 X −x p.s. ˆ fn (x) −−−→ EK = K(y)f (x + hy) dy −−→ f (x). n→∞ h h→0 h R Ceci nous encourage à faire tendre hn vers 0 lorsque n tend vers l’infini. La question est de proposer une vitesse de convergence. Cette question est extrêmement complexe. Proposons ici un argument simple h en cherchant iun ordre de grandeur pour (hn )n qui minimise l’erreur quadratique : E (fˆn (x) − f (x))2 . On a bien entendu h i 2 E (fˆn (x) − f (x))2 = V fˆn (x) + Efˆn (x) − f (x) . Proposition 4.2. Supposons que f soit strictement positive, de classe C 2 sur R à dérivées bornées. Si (hn )n tend vers 0 quand n tend vers +∞, 2 C(x) et Efˆn (x) − f (x) ∼ D(x)h4n , V fˆn (x) ∼ n nhn n où C(x) et D(x) sont des fonctions de x indépendantes de n et hn . Démonstration. Pour le biais, on écrit h i Z ˆ E fn (x) − f (x) = K(y)(f (x + hn y) − f (x)) dy R puis on utilise une formule de Taylor et les propriétés de K. Pour la variance, on écrit Z 2 Z 1 1 1 2 ˆ V fn (x) = V(Kn (X − x)) = K (y)f (x + hn y) dy − K(y)f (x + hn y) dy n nhn R n R et l’on remarque que le premier terme est prépondérant. Ce calcul suggère donc de choisir hn de l’ordre de n−1/5 . c F. Malrieu . GNU FDL Copyleft. Février 2008. Copyright Page n˚6. Université Rennes I – Épreuve de modélisation - Agrégation Externe de Mathématiques – 2008. 5 Page n˚7. Suggestions 1. On pourra commenter la modélisation d’un câble coaxial par la juxtaposition en série de composants de petite taille pour obtenir les équations (1). 2. On pourra étudier le processus des vitesses : loi à l’instant t, mesure invariante, comportement en temps long. . . 3. On pourra choisir de démontrer certains points de la preuve du théorème 0.1. 4. On pourra expliquer et implémenter l’algorithme probabiliste de résolution de l’équation (2). 5. On pourra illustrer la convergence de la méthode de l’estimation par noyau et/ou démontrer le raisonnement conduisant au choix hn ∼ n−1/5 . c F. Malrieu . GNU FDL Copyleft. Février 2008. Copyright Page n˚7.