Mécanismes de défense en clinique projective / 1
Université Rennes 2
GUIDE POUR LE REPÉRAGE DES CANISMES DE DÉFENSE
dans les épreuves projectives
(Rorschach et TAT)
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LES MÉCANISMES DE DEFENSE
Définition générale Place dans lanalyse clinique projective
Défense. « Ensemble dopérations dont la finalité est de réduire, de supprimer toute
modification susceptible de mettre en danger lintégrité et la constance de lindividu bio-
psychologique. Dans la mesure où le moi se constitue comme instance qui incarne cette
constance et qui cherche à la maintenir, il peut être décrit comme lenjeu et lagent de ces
opérations.
« La défense, dune façon générale, porte sur lexcitation interne (pulsion) et,
électivement, sur telle des représentations (souvenirs, fantasmes) auxquelles celle-ci est liée,
sur telle situation capable de déclencher cette excitation dans la mesure elle est
incompatible avec cet équilibre et, de ce fait, déplaisante pour le moi. Les affects déplaisants,
motifs ou signaux de la défense, peuvent être aussi objet de celle-ci.
« Le processus défensif se spécifie en mécanismes de défense plus ou moins intégrés au
moi.
« Marquée et infiltrée par ce sur quoi elle porte en dernier ressort la pulsion la
défense prend souvent une allure compulsive et opère au moins partiellement de façon
inconsciente.»
(Laplanche & Pontalis, 1976, p. 108)
« La défense est lensemble dopérations dont la finalité est de réduire un conflit intra-
psychique en rendant inaccessible à lexpérience consciente un des éléments du conflit. Les
mécanismes de défense seront les différents types dopérations dans lesquels peut se spécifier
la défense, cest-à-dire les formes cliniques de ces opérations. » - (D. Widlöcher, 1972)
En clinique projective, lorsquon adopte une interprétation psychodynamique dinspi-
ration psychanalytique et comme dans toute analyse clinique sinscrivant dans cette orien-
tation, le repérage et lidentification des mécanismes de défense à l’œuvre dans les réponses
du sujet testé constituent lun des critères majeurs de linterprétation (Chabert, 1998).
La clinique psychanalytique, depuis Freud lui-même, a en effet montré que les différentes
organisations de personnalité et leurs formes pathologiques se caractérisent par le recours
à des mécanismes de défense plus ou moins spécifiques, cest-à-dire plus ou moins patho-
gnomoniques.
Toutefois, il importe de souligner trois points :
a) Le critère des mécanismes de défense doit être systématiquement associé et corro-
boré, dans le diagnostic clinique dinspiration psychanalytique, par les deux autres critères du
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- Rédaction : Claude Bouchard, MCU Psychologie, Université Rennes 2 mars 2011.
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type dangoisse et du mode de relation dobjet : voir document Annexe (Bergeret, 1985, 1996).
A ces trois critères de base, et notamment pour le test de Rorschach, Catherine Chabert
propose dajouter un quatrième : la problématique identitaire et identificatoire.
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b) Ce que lon repère en réalité dans les réponses aux tests sont des manifestations
dangoisse et de défense contre cette angoisse, en lien soit avec la situation de test elle-même,
soit avec les affects et représentations que le stimulus du test suscite chez le sujet, ces deux
sources possibles étant souvent étroitement intriquées. Cest pourquoi les auteurs français
parlent daménagements défensifs (Perron) ou de procédés délaboration défensive (Shentoub)
pour désigner ces aspects manifestes. Il revient au clinicien, au cours de son analyse dia-
gnostique progressive des réponses projectives dun sujet donné, de réunir suffisamment
dindices de ce type pour formuler lhypothèse que tel ou tel mécanisme de défense
inconscient (ou implicite) est bien à l’œuvre chez ce sujet et en tirer alors les conséquences
compréhensives et diagnostiques qui simposent. Autrement dit, on ne peut jamais observer
demblée un « mécanisme de défense » ; on ne peut en repérer que les effets ponctuels et
indirects, à vérifier selon le principe dune analyse clinique globale et hypothético-déductive par
convergence expérimentale (ou contradictoire) dindices.
Cest ce que nous rappelait Roger Perron lorsquil sexprimait comme suit à propos de son
test D.P.I. (épreuve projective thématique inspirée du TAT) :
« Il importe de rester très prudent dans les conclusions. Comme toute technique utilisée
par le psychologue, le D.P.I. doit conduire à des conclusions dont la portée dépasse les
caractères étroitement contingents de la situation créée par lexamen ; de même
quaprès un Binet-Simon on se hasarde à dire qu’un enfant “est intelligent”, on pourra,
après un D.P.I. se hasarder à dire quil présente, par exemple, une structure
névrotique de tel ou tel type. On prend alors, en généralisant, un certain risque,
mesuré tout à la fois par le degré de validité de lépreuve utilisée et par la
compétence clinique de celui qui lutilise. Si donc on relève dans un protocole par
exemple cinq exemples de dénégation” (contraction en une seule phase dune
évocation et de sa gation), il faut bien garder à lesprit quil sagit là dune
modalité défensive délaboration ducit, et, stricto sensu, de rien dautre. Il se peut
que chez ce sujet l’usage de la “dénégation” soit ellement permanent, et constitue
un trait essentiel de se personnalité ; mais on ne peut conclure de lun à lautre ipso
facto et sans examen soigneux du problème. » - (Perron, 1969, p. 41-42)
c) Vica Shentoub (1990) a particulièrement insisté sur le fait que toute réponse
projective comporte une part délaboration défensive, qui détermine le point déquilibre
trouvé par le sujet entre les motions pulsionnelles inconscientes réactivées par le stimulus et
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- Pour cet auteur, les processus dindividuation (« problématique de lidentité ») peuvent être consi-
dérés comme établis et opérants lorsqyue les formes perçues, au Rorschach par exemple mais cela
vaut aussi pour tout autre test projectif , sont claires, sans ambiguïté dappartenance à telle ou telle
catégorie d’objet (monde humain, monde animal…), bien distinctes par rapport à lenvironnement. « Au
contraire, la confusion des limites, les relations symbiotiques, les références aux doubles (jumeaux)
rendent comptent dune séparation insuffisante entre sujet et objet, dune absence de contnuité dans le
sentiment dexister témoignant dune identité mal différenciée » (Chabert, 1998, p. 75). Les processus
didentification sexuelle problématique de lidentification ») sont considérés comme stables et
opérants lorsquil y a cohérence entre lidentité sexuelle (ou sociale, fonctionnelle) attribuée aux
personnages évoqués dans les réponses du sujet et les conduites que celui-ci leur attribue. « Quand les
identifications sexuelles sont conflictuelles, la confrontation aux représentations humaines est chargée
danxiété, entraînant évitement ou hésitation dans les choix identificatoires. Les modèles sexués sont
caricaturaux, les planches à symbolisme sexuel sont génératrices dangoisse, conduisant à des blocages
ou à des prises de positions rigides mettant en évidence un déchirement douloureux entre des ten-
dances vécues comme contradictoires, barrant les possibilités didentification satisfaisantes. » (ibid.)
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la fantaisie consciente quil pourra produire et communiquer au psychologue. Cette
élaboration défensive nest pathologique que si elle recourt à des procédés pétitifs,
rigides, qui empêchent la prise en charge par le moi de ces motions inconscientes, ou au
contraire qui ne peuvent les soumettre au travail des processus secondaires, aboutissant
alors à une production aberrante, « illisible ». D la question de distinguer la qualité des
processus défensifs, car la notion de mécanisme de défense nest pas à entendre uniquement
dans un sens pathologique,gatif, de dysfonctionnement ou d « anormali».
«... il apparaît immédiatement que ces défenses sont plus ou moins “réussies”, plus
ou moins “adaptatives”. Certains sujets parviennent à adopter, face à lépreuve,
une distance et un style les difficultés quelle suscite sont remarquablement
bien aménagées et maîtrisées : ddes récits tout à la fois bien construits et riches,
développés avec liberté et plaisir ; dautres au contraire bloquent, dérivent, trans-
posent, annulent, isolent, etc., donnant limpression de lutter contre une angoisse
désadaptante. Le praticien expérimenté peut assez aisément distinguer ces deux types
de sujets, et expliciter les critères quil utilise. Il y faut, cependant, beaucoup de doigté
et dexpérience ; et, au delà du problème technique, se trouvent posées de redou-
tables questions théoriques et cliniques sur la distinction entre “défenses adaptatives”,
“défenses névrotiques réussies”, “défenses névrotiques désadaptantes”, “défenses
psychotiques”, etc., qui, au delà des jugements de valeur ainsi impliqués, constitue lun
des problèmes les plus difficiles de la psychopathologie contemporaine. » - (Perron,
op. cit., p. 40)
MÉCANISMES DE DÉFENSE
Définition et exemples dans lépreuve de Rorschach et au TAT
Voir Tableau ci-après.
A noter :
1) Dans le tableau qui suit nous avons retenu les principaux mécanismes de défense
classiquement définis par la tradition freudo-kleinienne (la plus communément
utilisée dans la clinique projective psychanalytique francophone) et sur lesquels
saccorde la majorité des auteurs. Il existe cependant dautres classifications
définissant davantage de mécanismes défensifs du Moi ou des mécanismes
différents ; ou qui assimilent et combinent la notion de « mécanisme de défense »
avec celle de mode de coping (voir : Ionescu & coll., 2005 ; Chabrol, 2005).
2) Il est toujours quelque peu artificiel de citer des réponses ou extraits de réponses
pour montrer laction des mécanismes de défense dans les épreuves projectives
cat cette action peut apparaître de diverses manières et ne peut se résumer à une
réponse-type. Au Rorschach par exemple les mécanismes de défense peuvent se
manifester dans la réponse elle-même (réponse cotable) mais aussi à travers une
combinaison ou une constellation de facteurs (éventuellement repérable dans le
psychogramme), ou encore à partir de particularités dénonciation de la réponse
non cotables. De même au TAT il est toujours facile et tentant didentifier les
mécanismes de défense à l’œuvre chez le sujet à partir des seules caractéristiques
et actions attribuées aux personnages de ses histoires, en oubliant que la défense
"travaille" aussi la narration de ces récits et la relation actuelle au clinicien auquel
cette narration sadresse.
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Références bibliographiques
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Laplanche J., Pontalis J.B. (1976). Vocabulaire de la psychanalyse, 5ème éd., Paris, P.U.F.
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Dunod.
Mécanismes de défense en clinique projective / 5
Tableau 1
LES MÉCANISMES DE DÉFENSE AU RORSCHACH ET AU TAT
Mécanismes de défense
Définition
Exemples commentés
Annulation
(ou Annulation rétroactive)
« Mécanisme psychologique par lequel le sujet sefforce de faire en
sorte que des pensées, des paroles, des gestes, des actes passés ne
soient pas advenus ; il utilise pour cela une pensée ou un
comportement ayant une signification opposée. Il sagit là dune
compulsion dallure "magique", particulièrement caractéristique de
la névrose obsessionnelle.» - (Laplanche & Pontalis, 1976, p. 29)
« Lannulation rétroactive va plus loin que la formation réactionnelle :
elle tente de supprimer non seulement le désir ou le besoin, mais
aussi la conduite antérieure qui a été engendrée par lui. Le discours
obsessif est typique de ce mécanisme : une affirmation nest pas plus
tôt posée quelle est immédiatement contredite ou modifiée par une
autre.» - (Morval, 1982, p. 39)
TAT, pl. 4 : « Cest une femme qui aime un homme et lhomme veut la
quitter, quelque chose comme ça, il en aime un autre, et la femme elle
le retient et lhomme va rompre avec elle, il va pas revenir. Ou si cest
pas une rupture, cest la police qui lemmène : il se fait arrêter ou
quelque chose comme ça. Il sait quil pourra compter sur sa femme
pour laider. »
RCH (Rorschach), pl. II : « Des taches de sang… Ou plutôt des taches
dencre rouge. »
RCH, pl. VIII : « Deux bêtes féroces qui semblent se précipiter sur… les
couleurs sont douces, ce sont des animaux doux, un félin à la fourrure
tendre. »
Clivage de lobjet
« Mécanisme décrit par Mélanie Klein et considéré par elle comme
la défense la plus primitive contre langoisse : lobjet, visé par
les pulsions érotiques et destructives est scindé en un "bon" et
un "mauvais" objet qui auront alors des destins relativement
indépendants dans le jeu des introjections et des projections. Le
clivage de lobjet est particulièrement à l’œuvre dans la position
paranoïde-schizoïde où il porte sur des objets partiels. Il se retrouve
dans la position dépressive où il porte alors sur lobjet total. Le
clivage des objets saccompagne dun clivage corrélatif du moi en
"bon" moi et "mauvais" moi, le moi étant pour lécole kleinienne
essentiellement constitué par lintrojection des objets.» - (Laplanche
& Pontalis, op. cit., p. 67)
Le clivage est un mécanisme difficile à repérer dans les tests projectifs.
Il ne suffit pas quil y ait juxtaposition de deux (ou plusieurs) réponses
différentes et non liées entre elles pour que lon puisse parler de
clivage. Une telle juxtaposition peut aussi correspondre par exemple
à une annulation ou à un renversement dans le contraire. Tout dépend
du type de rapport établi entre ces parties différentes. La spécificité
du clivage est quil nobéit nullement à une ambivalence et à une
alternative sous leffet dun refoulement, bien au contraire : le clivage
crée de la coupure, du contraste ou », « et »… autre chose) et non
de lalternance ou bien, ou bien… », « ni, ni… ») comme dans
lambivalence (conflit intrapsychique, refoulement).
TAT, pl. 3 BM : « Ça c’est une femme… qui… est très malheureuse et,
euh, elle pleure, elle est effondrée par terre, à mon avis elle a eu un
chagrin d’amour… On pourrait penser quelle est fatiguée aussi En fait
cest pas une position pour se reposer, quand on regarde le haut du
tableau seulement, car quand on regarde le bas, la position… quand on
regarde le bas, quelquun qui est effondré, quand on regarde le haut,
quelquun qui se repose. Parce que cest pas du tout une position
confortable en fait. » (clivage de lobjet + rationalisation)
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