Bromberg Marcel (1998). La persuasion et le changement des attitudes

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Bromberg M. (1998). La persuasion et le changement des attitudes.
Colloque du centre d’études en sciences sociales de la défense : les influences
Psychologiques. Approches scientifiques et prospectives. Paris
INTRODUCTION
Peut-on imaginer problématique plus ancienne que celle de la persuasion et du
changement d'attitude qui en découle ? L'histoire de l'humanité (du moins si on
se réfère à notre culture judéo-chrétienne) ne s'ancre-t-elle pas dès "l'origine"
dans le fait qu'Eve a réussi à persuader Adam de croquer cette fameuse pomme.
C'est dire si la parole est au centre de la problématique de la persuasion même si
tous les changements d'attitudes ne sont pas systématiquement initiés par la
parole.
Le but persuasif de la communication est plus que jamais, dans nos sociétés
"démo-médiatique" au goût du jour. Comme autrefois, le pouvoir est au bout de
la parole, les médias y contribuent largement. Or si la parole d'aujourd'hui n'est
pas celle des anciens (grecs et romains), néanmoins elle lui ressemble
étrangement. Notre parole est "médiatique" mais celle d'hier l'était aussi. Le
"nouveau" Caton (1983) écrivait "voici venu le temps de l'agora télévisuelle, du
forum électronique... La démocratie moderne, c'est Athènes plus la télématique".
Le jeu social - qu'il soit politique, publicitaire ou interactionnel - est, la plupart
du temps (toujours ?) jeu d'influence et plus précisément jeu de paroles
persuasives. C'est dire que ce jeu a une histoire, une longue histoire. Il n'est pas
question ici de retracer cette histoire dans son ensemble, il s'agira plutôt de
mettre en évidence des points de repère permettant de saisir les modèles mis en
oeuvre dans le but de maîtriser les différents paramètres intervenant dans ce jeu.
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Constatons tout d'abord qu'on est frappé à la lecture des travaux
psychosociologiques traitant du problème de la communication persuasive, par
le fait que le champ d'étude revendique deux origines unanimement reconnues et
séparées par plusieurs siècles. Une origine mythique un peu floue, relevant du
domaine de l'ART constituée par deux éléments clefs : ARISTOTE et la
rhétorique, une origine précise et datée, relevant du domaine de la Science et
débutant avec la seconde guerre mondiale, marquée par une équipe dirigée par
Hovland et qui constituera ce que l'on a appelé : l'école de YALE.
Le développement des techniques audiovisuelles, l'importance des jeux
institutionnels propres au contexte politique que nous connaissons, l'importance
accrue des campagnes politiques et des sondages (intentions de vote, cote de
popularité des hommes politiques etc.) ont contribué à renforcer le rôle des
médias et donc de la parole médiatique. D'une certaine façon nos hommes
politiques sont confrontés à des problèmes semblables à ceux du siècle de
Périclès, et pour paraphraser la citation d'Aristophane, on pourrait dire : "Tandis
que les cigales ne chantent qu'un mois sur deux dans les figuiers, nos hommes
politiques bruissent toute leur vie dans les médias". Dès lors les nouveaux
Maîtres de la parole sont des professionnels du marketing et du sondage
politique. Comme les Sophistes et les Rhéteurs, ce sont des professeurs es
conseil en affaires publiques et privées, car selon la formule de Todorov (1977)
"le pouvoir est aujourd'hui au bout de la langue, la parole celle qu'émet le petit
écran plutôt que celle que l'on entend dans les assemblées délibératives est
redevenue une arme efficace".
Mais alors que les Maîtres de parole, que furent les Rhéteurs et les Sophistes au
5ème siècle avant Jésus Christ (cf. Bromberg et al., 1983), convaincus que parler
c'est faire agir avaient constitué en leur temps un art de la persuasion c'est-à-
dire une technique de nos jours la préoccupation de ceux qui s'intéressent à la
parole persuasive est plus de mettre en évidence les processus mis en œuvre,
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responsables de son efficace, et donc de construire une ou des théorie(s)
explicative(s) plutôt qu'une technique. C'est ainsi que les psycho-sociologues
revendiquent une façon différente de poser les problèmes, s'appuyant non pas
sur la nature des questions abordées, mais plutôt sur la nature des moyens mis en
oeuvre pour y répondre. Les années 40 furent décisives et consommèrent cette
rupture à la suite de l'adoption quasi générale par les chercheurs de la méthode
expérimentale pour résoudre ces "vieux" problèmes rhétoriques. Cependant si
Hovland et Aristote partagent mêmement la croyance selon laquelle il est
nécessaire dans cette démarche de transcender le particulier, leurs "Rhétoriques"
respectives diffèrent, non seulement par la méthodologie utilisée mais également
par la nature de leurs préoccupations. Les recherches de Hovland (et de
nombreux autres par la suite) en voulant s'affranchir du contingent ont focalisé
les réflexions théoriques sur la forme et la structure des messages émis vers une
cible plutôt que sur leur contenu, leur sens.
Leurs premières études furent menées pendant la seconde guerre mondiale à la
demande du département de la guerre afin d'étudier les différentes techniques
utilisées par l'armée des États Unis pour maintenir le moral des soldats
américains engagés sur les différents fronts. Elles se poursuivirent ensuite à
l'université de Yale et furent le point de départ d'un grand courant de recherche
d'une extrême complexité.
Cependant avant de discuter les principaux concepts, théories et résultats
expérimentaux qui structurent le champ social de la persuasion, arrêtons-nous un
instant sur les différentes implications suscitées par le concept de persuasion,
ainsi que sur certaines caractéristiques qui le définissent. Pour ce faire,
reprenons la référence faite au début de l’exposé à l’histoire d’Adam et Eve .
Imaginons que quelqu'un dise par exemple :
"Eve a persuadé Adam de croquer la pomme".
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* En premier lieu, on peut dire que cette proposition n'a de sens que si elle
remplit une première condition, dite condition de réussite.
En effet, on ne peut dire dans une même proposition : Eve a persuadé
Adam mais a échoué.
Cette condition de réussite est inhérente au concept de persuasion et implique à
son tour deux autres conditions :
la présence d'un but et
l'existence d'une intention, celle d'atteindre ce but.
Parler de condition de réussite nécessite un critère permettant de juger si la
condition est ou non remplie et implique qu'un but soit atteint
intentionnellement. Ainsi, si l’on entend la proposition :
"Eve a persuadé Adam de croquer la pomme"
on est en droit d'inférer
Qu’Eve avait un but préalable : faire croquer la pomme à Adam
* et que ce but a été atteint intentionnellement : Adam n'a pas croqué
la pomme incidemment.
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* · En second lieu on peut se demander quelle condition doit être remplie
pour qu'Adam soit effectivement "persuadé".
Imaginons qu'il ait croqué la pomme à la suite d'un honteux chantage de la
part d'Eve (tout est possible, non ?) ou bien encore sous la contrainte d'une
menace quelconque (après tout, dans cette histoire il y avait aussi un serpent !).
Dirions-nous alors qu'Adam a effectivement été persuadé de faire ce qu'il a fait ?
Certes non !
Tout procès persuasif implique donc peu ou prou
qu'il se déroule dans un espace de liberté. Chaque
fois que l'on peut mettre en doute la liberté de
quelqu'un dans une action quelconque on peut
contester qu'il y ait eu persuasion.
Liberté et persuasion vont indissociablement de pair, il ne peut y avoir de
procès persuasif si la personne persuadée de faire, de dire, de penser, etc.
quelque chose ne l'ait été librement ou du moins ait eu l'illusion d'avoir
librement consenti à se conformer à l'objet de la persuasion.
2. Il ne peut y avoir de persuasion sans l'intermédiaire d'un médium, et ce
médium est essentiellement de nature langagière. "L'homme se mène par
la parole comme le boeuf par les cornes" dit un proverbe basque.
C’est dire que la parole est au centre de la problématique de la persuasion.
On notera que : Si toute communication n'est pas persuasive, elle est néanmoins
la plupart du temps au centre du procès persuasif.
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