Comprenons d’abord que le Réel fait référence à l’Absolu, la pure Conscience,
l’unique Origine et Père de tout ce qui est et que l’irréel fait allusion à cet univers
illusoire de la forme et de la matière apparente qui n’est au fond vraiment que
l’énergie créatrice du Réel. Ailleurs, nous rencontrerons ce même couple sous les
noms de Brahman et Maya, Purusha et Prakriti ou Shiva et Shakti. Ces termes
divisent conceptuellement les deux aspects de la Réalité unique qui est perçue dans
‘’l’expérience mystique’’ dont parle notre Voyant. Il ne s’agit que d’une division
conceptuelle, et pas d’une division réelle de la Réalité ultime.
Ensuite, l’hymniste continue en tentant d’expliquer comment l’impulsion créatrice
jaillit au sein de l’existence non-duelle en provoquant la manifestation de l’univers :
3. Au commencement, les ténèbres étaient enveloppées par les ténèbres,
Tout n’était qu’un unique océan indifférencié ;
Puis, au sein de cette Existence unique indifférenciée
Quelque chose jaillit de la chaleur de l’énergie concentrée.
4. Ce qui jaillit en Cela au départ, c’est le désir,
Qui est la semence primordiale du mental.
Les sages qui ont fouillé profondément au fond de leur propre cœur
Ont perçu le lien entre le Réel et l’irréel.
Les mystiques des générations successives qui ont vu Cela par eux-mêmes dans les
profondeurs de la contemplation ont reconnu l’auteur de cet hymne comme
quelqu’un connaissant la vision mystique. Il était lui-même un de ces sages qu’il
décrit et qui en cherchant profondément à l’intérieur d’eux-mêmes ont perçu ‘’le lien
entre le Réel et l’irréel’’. Il avait vu Cela d’où toute la Création jaillit, car dans cette
expérience mystique de l’unité, on retourne – non pas temporellement, mais
causalement – au commencement des choses, à la Conscience éternelle et immuable à
partir de laquelle jaillit le monde manifesté. Là, dans cette immobilité parfaite, le jour
et la nuit et la vie et la mort n’existent pas ; ceux-ci sont indifférenciables dans cet état
qui précède la venue à l’existence de tels opposés. Tous ces opposés complémentaires
dépendent pour leur existence d’une différenciation préalable au sein de l’Un qui
crée ce qui perçoit et ce qui est perçu.
La source subtile de cette différenciation est le désir, dit notre mystique, c’est-à-dire
l’impulsion au sein de l’Un de créer en Lui-même un ‘’objet’’, un ‘’autre’’ dans
l’optique de se réjouir et de se divertir. N’est-ce pas la même chose en ce qui nous
concerne ? Le même processus subtil n’intervient-il pas dans toutes nos constructions
mentales particulières et personnelles ? Un désir apparaît, d’abord, bientôt suivi par
la formation d’une pensée ou d’un scénario pour satisfaire, assouvir le désir, et puis
la délectation. C’est ce mouvement subtil du désir qui en vient à s’exprimer par
l’entremise du mental ou de la mentalisation, et par la production de toute cette
imagerie mentale, nous créons au sein de notre Conscience intégrale une dualité qui
est artificielle : un ‘’voyant’’ (le sujet témoin) et un ‘’vu’’ (l’objet de la vision
intérieure). Et c’est ainsi qu’à l’intérieur de nous-mêmes, nous faisons l’expérience
d’une reproduction microcosmique du processus qui opère en tant que Création