Cas clinique Post-partum céphalalgique Jean-Marc Kuhn* M * Service d’endocrino­ logie, diabète et maladies métaboliques, CHU de Bois-Guillaume, Rouen. adame L.F., âgée de 32 ans, est hospitalisée dans un service d’endocrinologie en raison de la découverte d’une masse hypophysaire mise en évidence sur l’imagerie par résonance magnétique (IRM) encéphalique effectuée dans le bilan étiologique d’intenses céphalées. Celles-ci ont débuté deux mois après la naissance de son deuxième enfant. Attribuées initialement à des algies vasculaires de la face, ces céphalées ont résisté à un traitement associant Bi-profenid® (kétoprofène), prescrit sous couvert d’une protection gastrique (Inexium 20® [ésoméprazole]), Laroxyl® (amitriptyline), Lexomil® (bromazépam) et en cas d’accès céphalalgique aigu Relpax 40® (élétriptan). Une contraception orale par Triella® (ethinyl-estradiol et noréthi­ stérone) a été reprise 21 jours après l’accouchement. La patiente n’a pas souhaité mettre en route un allaitement maternel. Lors de l’hospitalisation sont notés, outre d’intenses céphalées, une asthénie et une photophobie majeures, des nausées et vomissements. Madame L.F. pèse 55 kg pour une taille de 1,66 m. L’examen neurologique clinique ne retrouve pas d’anomalie. En particulier, il n’y a pas de signes méningés. Le champ visuel est normal. La pression artérielle est mesurée à 120/70 mmHg et le rythme cardiaque est régulier à 76 pulsations/mn. Il n’est pas retrouvé de galactorrhée ni de signes cliniques de déficit ou d’hypersécrétion hormonale hypophysaire. La diurèse quotidienne est de 1,6 l/24 h. L’examen par IRM de la région hypophysaire retrouve une masse intraet suprasellaire affleurant le chiasma optique prenant le contraste de façon quasi homogène après injection de gadolinium (figure 1). La natrémie s’inscrit dans la norme à 143 mmol/l. L’évaluation biologique des fonctions hypophysaires fournit les informations suivantes. L’ACTH (adénocorticotrophine) = 7 pg/ml et le cortisol plasmatique s’élève de 30 (N > 300) à 90 nmol/l après administration de 250 µg de Synacthène® (tétracosactide) [N > 600]. La TSH (Thyroid Stimulating Hormone) plasmatique (1,05 mU/l à l’état basal, N = 0,1-4,5) s’élève à 11,4 après injection de TRH (Thyrotropin Releasing Hormone) et la T4 libre est à 9,8 pmol/l (N = 10-22). La GH (Growth Hormone) = 6 mU/l dans les conditions basales subit une ascension à 67 mU/l après stimulation par GHRH (Growth Hormone Releasing Hormone). L’IGF-1 = 98 ng/ml s’inscrit dans la norme comprise entre 80 et 350 pour la tranche d’âge. LH (Luteinazing Hormone) et FSH (Folicle-Stimulating Hormone) sont respectivement mesurées à 0,1 et 0,3 U/l. Elles s’élèvent respectivement à 15,4 et 3 après stimulation aiguë par GnRH (Gonadotropin-Releasing Hormone). L’estradiolémie basale est de 27 pg/ml. La prolactine Figure 1. Aspect de l’hypophyse par IRM au moment du diagnostic d’hypophysite lymphocytaire. 350 Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 10 - décembre 2010 Post-partum céphalalgique s’élève de 61 (N < 25) à 195 ng/ml après stimulation par la TRH. À l’exception des données de l’exploration gonadotrope, qui sont à interpréter en fonction du contexte thérapeutique (Triella®), ce bilan objective la présence d’un déficit corticotrope prédominant associé à une insuffisance thyréotrope modérée alors que la sécrétion de GH paraît normale et qu’ une hyperprolactinémie avec un profil de réponse poststimulatif d’allure fonctionnelle est mise en évidence. Le contexte de post-partum récent, l’aspect de l’hypophyse sur l’IRM, le caractère dissocié du déficit hypophysaire, où l’atteinte corticotrope est la plus prononcée, et l’hyperprolactinémie réactive à la TRH font retenir l’hypothèse d’une hypophysite lymphocytaire. Ce diagnostic, qui sera confirmé chez madame L.F. par l’évolution sous traitement, est en accord avec les caractéristiques habituelles de ces hypophysites (1). Elles surviennent, en effet, préférentiellement chez la femme en période d’activité génitale et plus spécifiquement pendant le dernier trimestre de la grossesse ou dans les mois qui suivent un accouchement de déroulement normal (en particulier, sans hémorragie massive ou choc cardio-vasculaire). Les hypophysites lymphocytaires sont responsables neuf fois sur dix d’une insuffisance hypophysaire plus ou moins complète où domine le déficit corticotrope. L’hyperprolactinémie, qui fait discuter la possibilité d’un macroprolactinome lorsqu’elle s’associe à une image radiologique hypophysaire d’allure tumorale, est loin d’être rare dans ce cadre pathologique. Les caractéristiques de l’IRM – qui met en évidence une augmentation symétrique des dimensions de l’hypophyse qui reste homogène et qui s’associe à un épaississement de la tige pituitaire, par ailleurs non déviée – sont également très évocatrices d’un processus d’hypophysite lymphocytaire. Ce tableau clinique, biologique et radiologique a permis d’éviter d’avoir recours à une biopsie hypophysaire, geste parfois nécessaire mais d’une certaine agressivité (2). Le traitement de l’hypophysite lymphocytaire reste médical, repose sur une corticothérapie anti-inflammatoire, avec une posologie initiale de prednisone voisine de 1 mg/kg, et a trois chances sur quatre de réduire les dimensions de l’hypophyse (1). Cette approche thérapeutique, employée pour traiter madame F.L., a permis de faire disparaître les symptômes cliniques en quelques jours et d’obtenir une normalisation de l’image radiologique en quelques mois (figure 2). La mise en route du traitement par corticoïdes a cependant révélé l’existence d’un diabète insipide dont la symptomatologie initiale était atténuée par le déficit corticotrope. L’introduction d’un traitement par Minirinmelt® (desmopressine) a permis de juguler ce diabète insipide dont l’association au déficit anté-hypophysaire semble fréquente au décours des hypophysites lymphocytaires (1). L’efficacité clinique et radiologique du traitement médical n’a cependant pas permis l’obtention d’une “récupération” de la fonction sécrétoire hypophysaire. Cette évolution endocrinienne, loin d’être rare au cours des hypophysites lymphocytaires, implique d’identifier la persistance des déficits pituitaires et, si nécessaire, de maintenir une substitution hormonale. ■ Références 1. Gutemberg A et al. Eur J Endocrinol 2006;155:101. 2. Howlett TA et al. Clin Endocrinol 2010;73:18. Figure 2. Aspect radiologique (IRM) de la région hypothalamo-hypophysaire après traitement médical par stéroïdes anti-inflammatoires. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 10 - décembre 2010 351