Cas cliniqueC J.M. Kuhn* L a pathologie endocrinienne de Madame A., âgée de 24 ans, a débuté lorsqu’elle avait 17 ans. À cette date, elle n’avait pas d’antécédent personnel ou familial particulier et ne suivait aucun traitement. Son développement pubertaire était complet et, après l’apparition des premières règles à l’âge de 13 ans, ses cycles ont été spontanément réguliers pendant 4 ans. L’apparition à l’âge de 17 ans d’une aménorrhée secondaire associée à une galactorrhée et à des céphalées a fait déterminer le taux de prolactine plasmatique. Celui-ci a été retrouvé élevé à plusieurs reprises : 40 ng/ml, pour une norme inférieure à 25. L’examen par IRM de la région hypophysaire (figure 1) a confirmé la présence d’un volumineux adénome antéhypophysaire affleurant, sans le comprimer, le chiasma optique, le champ visuel s’avérant normal. Figure 1. IRM hypophysaire objectivant la présence d’un volumineux adénome affleurant le chiasma optique sans le comprimer. À ce stade, plusieurs hypothèses diagnostiques étaient compatibles avec les tableaux clinique, biologique et radiologique. L’hypothèse d’un adénome hypophysaire à prolactine permettait d’expliquer le syndrome aménorrhéegalactorrhée mais se heurtait, a contrario, à la dissociation entre un taux de prolactine peu élevé et un volumineux adénome. Si le diagnostic de prolactinome était retenu, il fallait alors admettre que cet adénome soit en grande partie nécrotique. La deuxième hypothèse était celle d’un adénome non sécrétant responsable d’une hyperprolactinémie fonctionnelle. En 2007, le volume de l’adénome hypophysaire contre-indiquerait la réalisation d’une exploration dynamique utilisant la TRH ou la GnRH. Ce test a été effectué au début de l’histoire endocrinienne de Madame A., bien avant * CHU de Rouen. 2007. La prolactine s’élève de 40 à 95 ng/ml après administration de TRH, ce qui constituait un argument en faveur du caractère fonctionnel de l’hyperprolactinémie, vraisemblablement de déconnexion. Par ailleurs, si l’adénome hypophysaire n’est pas directement responsable de la sécrétion de prolactine, il peut être la source d’autres sécrétions anormales. L’examen clinique de Madame A. est, à cette date, peu informatif dans ce domaine. Elle mesure 1,73 m et pèse 54 kg. La pression artérielle est à 110/70 mmHg. Il n’y a aucun signe de catabolisme tissulaire. Elle est cliniquement euthyroïdienne. Enfin, il n’y a pas de signe clinique étayant l’hypothèse d’une acromégalie, mais nous ne disposons pas d’une courbe de croissance. Au demeurant, le résultat de l’exploration fonctionnelle hypophysaire apportera de précieuses informations. Il existe une insuffisance gonadotrope vraisemblablement satellite de l’hyperprolactinémie. Les fonctions corticotrope et thyréotrope s’avèrent parfaitement normales. Le taux d’hormone de croissance atteint 84 ng/ml, s’élevant à 147 après administration de TRH. L’IGF-1 plasmatique, égal à 1 656 ng/ml, est situé très largement au-dessus de la norme pour l’âge. In fine, le diagnostic qui est retenu est celui de macroadénome somatotrope associé à une hyperprolactinémie de déconnexion. Compte tenu du volume de l’adénome, l’option est prise d’une intervention neurochirurgicale par voie transsphénoïdale. L’examen anatomopathologique de la pièce d’exérèse confirmera la nature somatotrope de l’adénome. En postopératoire, les céphalées disparaissent, de même que la galactorrhée et des cycles spontanés réapparaissent. Un mois après l’intervention, la prolactinémie est à 14 ng/ml, le taux de GH à 58 ng/ml et celui d’IGF-1 à 952 ng/ml. Le reste de la fonction antéhypophysaire s’inscrit dans la norme. Le suivi ultérieur confirmera la persistance d’une hypersécrétion d’hormone de croissance en dépit de la réduction volumétrique tout à fait considérable obtenue par le geste neurochirurgical (figure 2). Ce geste sera complété par la réalisation d’une radiothérapie stéréotaxique par gamma knife suivie d’un traitement par analogue de la somatostatine dans l’attente de l’obtention de la pleine efficacité du traitement radiothérapique. Une contraception par Implanon® (étonogestrel) est simultanément assurée. En dépit de la triple étape thérapeutique (neurochirurgicale, radiothérapique, puis médicale par analogue de la somatostatine), l’hypersécrétion somatotrope persiste. L’évolution des taux d’IGF-1 plasmatique est représentée sur la figure 3. Sous traitement, le taux d’hormone de croissance s’abaisse à 2 ng/ml et celui d’IGF-1 à 580 ng/ml. La prolactine est à 23 ng/ml et le reste de la fonction antéhypophysaire s’inscrit dans la norme. Ces résultats amènent à modifier la stratégie thérapeutique en interrompant le traitement par Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 2, mars-avril 2007 as clinique GH or not GH ? Telle est la question 73 Cas clinique Cas clinique Figure 2. IRM hypophysaire effectuée 3 mois après la réalisation d’une intervention transsphénoïdale et avant celle d’une radiothéraphie stéréotaxique. analogue de la somatostatine et en le remplaçant par du pegvisomant. À noter, 10 mg par jour de l’antagoniste de la GH permettent de normaliser parfaitement le taux d’IGF-1 plasmatique qui s’abaisse dès le premier mois à 200 ng/ ml (figure 3). Les bilans ultérieurs confirmeront à la fois l’excellente tolérance et l’efficacité du traitement médical s’opposant à l’effet hépatique de la GH. Neurochirurgie Gamma knife SMS PEG 10 000 2 000 * plasmatique réduit son effet de “rétrocontrôle négatif” exercé sur la sécrétion de l’adénome hypophysaire, l’élévation secondaire et attendue du taux plasmatique de GH n’atteint jamais un tel chiffre. Le résultat obtenu est donc très vraisemblablement lié à la présence d’un artéfact, le kit de dosage utilisé reconnaissant à la fois la GH native et le pegvisomant, dont la structure moléculaire est proche de celle de l’hormone de croissance. Informations prises auprès du laboratoire, il apparaît que la méthode de dosage de la GH a été récemment modifiée, le kit Dia Sorin Liaison® ayant remplacé la technique précédente, qui utilisait la GH Advantage®. La mesure sur le même échantillon plasmatique du taux d’hormone de croissance à l’aide de cette dernière méthode a confirmé le caractère artéfactuel du chiffre obtenu avec la nouvelle technique de dosage. Dans l’interprétation des paramètres hormonaux de surveillance, il faut donc tenir compte des possibles interférences du traitement par pegvisomant dans le dosage utilisé pour la mesure de la GH. Une élévation majeure des taux de GH ne doit pas faire conclure ex abrupto à une exacerbation majeure de la sécrétion du reliquat adénomateux sous-tendu par un défreinage secondaire à la normalisation des taux d’IGF-1 et, éventuellement, à son expansion volumétrique. Cette dernière conséquence du traitement par pegvisomant, au demeurant exceptionnellement rapportée dans la littérature, peut être totalement exclue chez Madame A., l’examen par IRM réalisé dans le cadre du bilan de surveillance retrouvant une hypophyse de dimensions tout à fait normales (figure 4). 100 1 000 10 0 GH (ng/ml) IGF-1 (ng/ml) 1 000 1 Base 0 18 36 42 54 Mois Figure 3. Évolution des taux plasmatiques de GH et d’IGF-1 au cours du traitement. Les taux de GH ont été déterminés par la méthode GH Advantage®, à l’exception du dernier en date (marqué d’un astérisque), qui a été mesuré avec le kit de dosage Dia Sorin Liaison®. Le tout dernier bilan de surveillance, réalisé à l’âge de 24 ans, alors que la contraception est assurée désormais par stérilet, confirme l’intégrité de la fonction antéhypophysaire et la normalisation du taux d’IGF-1 plasmatique qui est réduit à 178 ng/ml. En revanche, le taux d’hormone de croissance est considérablement élevé et atteint 4 000 ng/ ml. Ce dernier chiffre, communiqué en urgence par le laboratoire dès l’obtention du résultat, devait-il faire remettre en question la stratégie thérapeutique précédemment adoptée ? En effet, si la normalisation du taux d’IGF-1 74 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 2, mars-avril 2007 Figure 4. IRM hypophysaire du dernier bilan de surveillance, contemporain de la mesure du taux de GH plasmatique par la méthode Dia Sorin Liaison®. Dans le cas précis de Madame A., le traitement par antagoniste de la GH a été poursuivi au rythme d’une injection trois fois par semaine et le taux d’hormone de croissance a été mesuré en sélectionnant précisément un kit de dosage dénué de cette interférence artéfactuelle. • Van der Lely AJ et al. Lancet 2001;358:1754-9. • Jehle S et al. J Clin Endocrinol Metab 2005;90:1588-93.