Une cellulite qui ne guérit pas Dr Alexandre Lafleur, médecin résident Dr Patrice Savard, médecin résident Dre Louise Côté, M.D., FRCPC Présenté au Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL), département d’infectiologie, octobre 2009. Le cas de Robert Robert, un patient de 68 ans atteint d’un diabète de type 2 et d’une hépatite B chronique, souffre d’une cellulite du membre inférieur gauche depuis 72 heures. Il attribue cette dernière à une blessure survenue il y a une semaine. L’infection ne s’améliore pas malgré un traitement de céphalexine per os depuis 48 heures et sa blessure Photographie médicale, CHUL, Dre Louise Côté (2008). présente un aspect bulleux depuis 24 heures. Robert demeure en bon état général; ses signes vitaux sont stables et il ne souffre d’aucune douleur. Les globules blancs sont à 11 000 et les enzymes musculaires sont normales. s e t i rdblessé; ependant,le © e t nt • Il a marché dans un lac d’eau douce t près de chez lui le jour où il s’est n i uve nnel e p e h rc fraîches; diagnostic l risées perso • Il a terminé la journée pariun souper d’huîtresia g e r o y eaurait sag aut lar u • Il possède un chien et ignore si celui-ci pu lécher blessure; différentiel de s p e m nn leu o m rso pour • Il marche pieds nus dans la maison. o C e p c la cellulite est s ie n . Le coup o e i é e t rohib erdiagnostiques u un Quelles sont vosphypothèses quant aux germes ayant vaste et les b i t m r i s r t e possiblement causé l’infection de Robert? p germes enet disautorisaélieser et im e tion noner, visu t cause ne n Ve L’utilisaer, affich L’infection des tissus mous répondent rg cha é ’infection des tissus mous est une raison de consultation fréquente. Qu’il l é past tous à ces Ls’agisse d’un impétigo, d’un érysipèle ou d’une cellulite, ces infections sont antibiotiques souvent causées par un staphylocoque (dont S. aureus) ou un streptocoque. Ainsi, la majorité des patients noteront une amélioration de leurs symptômes après de première l’amorce d’un traitement à base d’une céphalosporine de première génération ou d’une pénicilline antistaphylocoque. Cependant, le diagnostic différentiel de la ligne. C Votre questionnaire ciblé vous permet de découvrir les facteurs de risque suivants : cellulite est vaste et les germes en cause ne répondent pas tous à ces antibiotiques de première ligne. En plus de dépister les infections graves, telle une fasciite nécrosante, le clinicien doit donc reconnaître les facteurs de risque d’une infection à un germe résistant, notamment le S. aureus résistant à la méthicilline (SARM) acquis dans la communauté (SARM-AC). 46 le clinicien novembre 2010 Une cellulite qui ne guérit pas Procéder à une investigation adéquate Tableau 1 Diagnostic différentiel de l’infection des tissus La dermite de stase peut parfois être confondue avec une infection cutanée mous S’agit-il vraiment d’une cellulite? (Tableau 1). Il est primordial d’orienter l’examen clinique vers la recherche d’un abcès sous-cutané, d’une bursite infectée ou d’une arthrite septique, car ces pathologies nécessitent souvent un drainage. En présence d’atteinte du membre inférieur, une échographie Doppler doit être envisagée selon la probabilité clinique de thrombose veineuse. Autre piège à éviter : l’arthrite microcristalline s’accompagne fréquemment de signes inflammatoires et d’une température corporelle qui miment une infection des tissus mous. Dermite de stase, lipodermatosclérose Érythème de déclivité de l’insuffisance artérielle (il blanchit à l’élévation du membre) Arthrite ou bursite septique (souvent olécrânienne) Arthrite microcristalline ou inflammatoire Infection à herpès zoster (zona) ou simplex (Whitlow) Serait-ce une fasciite nécrosante ou une gangrène gazeuse? La fasciite nécrosante et la gangrène gazeuse sont des infections graves associées à un risque d’amputation et de mortalité. La fasciite de type II, souvent causée par un streptocoque bêta-hémolytique du groupe A, est classiquement associée à une douleur aiguë. La fasciite polymicrobienne de type I se retrouve chez des patients avec plusieurs comorbidités, dont le diabète, et peut se présenter de façon plus sournoise avec une douleur modérée. Le dosage des CK s’avère peu sensible pour la détection d’une fasciite, car celle-ci ne s’accompagne pas systématiquement d’une myosite ou d’un syndrome du compartiment. La tomodensitométrie et la résonance magnétique offrent, quant à elles, peu de spécificité pour le diagnostic. Une fascite nécrosante ou une gangrène gazeuse présentent des signes souvent tardifs (voir Encadré 1 pour les caractéristiques cliniques); en cas de doute diagnostique, le clinicien ne doit pas hésiter à demander l’avis d’un spécialiste afin de procéder à une exploration chirurgicale d’urgence. Est-ce que des germes inhabituels seraient en cause? Les comorbidités du patient, notamment le diabète de type 2, peuvent suggérer une cause polymicrobienne. Le patient neutropénique, plus sujet à une infection à Pseudomonas aeruginosa, doit souvent subir un traitement intraveineux à large spectre. L’utilisation de drogues par voie intraveineuses doit être recherchée, car elle engendre fréquemment des infections polymicrobiennes (incluant à SARM-AC) et elle peut s’accompagner d’abcès ou de thrombophlébites septiques. Le Tableau 2 indique les germes pouvant infecter une plaie lors d’un contact avec un animal ou de l’eau contaminée. Pyoderma gangrenosum ou vasculite cutanée Réaction allergique, dermatite de contact, syndrome de Sweet, syndrome de Stevens-Johnson Réaction inflammatoire à la suite d’une piqûre d’insecte, Erythema migrans (maladie de Lyme) Thrombose veineuse superficielle ou profonde Encadré 1 Caractéristiques cliniques suggérant une fasciite nécrosante ou une gangrène gazeuse • Sepsis sévère, tableau clinique de choc toxique streptococcique; • Douleur disproportionnée; • Progression rapide et œdème dépassant la zone d’érythème; • Anesthésie du site de l’infection; • Ecchymoses associées; • Induration du site; • Phlyctènes (surtout hémorragiques); Infection à SARM-AC • Emphysème sous-cutané (signe souvent tardif); On note en Amérique du Nord une incidence accrue d’infections cutanées à SARM-AC. Ce germe est retrouvé plus fréquemment chez les populations à • État post-traumatique avec corps étrangers ou site opératoire. le clinicien novembre 2010 47 Une cellulite qui ne guérit pas Encadré 2 Tableau 2 Population à risque d’infection à SARM-AC Germes associés aux facteurs de risque d’infection des tissus mous • Personne ayant un contact étroit avec un patient infecté à SARM-AC ou un antécédent personnel d’infection à SARM-AC; • Prisonnier; Facteurs de risque Germes à considérer Infection du pied chez le diabétique Gram positif (S. aureus) Gram négatif (entérobactéries, parfois Pseudomonas) Anaérobies (Bactéroïdes sp, Peptococcus) Cirrhose Bacilles gram négatif Klebsiella pneumoniæ Escherichia coli Capnocytophaga canimorsus Campylobacter fetus Vibrio vulnificus Utilisateur de drogues intraveineuses SARM-AC Streptocoque viridans Gram négatif (dont P. aeruginosa) et anaérobes Eikenella corrodens Eau douce Aeromonas hydrophila Ingestion de fruits de mer crus (huîtres) Eau salée Vibrio sp Mycobacterium marinum Bain et spa (surtout folliculite) Pseudomonas æruginosa Morsures Grams positifs, gram négatifs, anaérobes • Homme ayant des relations sexuelles avec des hommes; • Militaire; • Joueur d’une équipe sportive s’il y a partage d’équipement sportif ou sport de contact; • Utilisateur de drogues intraveineuses; • Amérindiens et enfants (dans une communauté où la prévalence est élevée). Humaine Eikenella corrodens Chien Capnocytophaga canimorsus, Pasteurella, Capnocytophaga cynodegmi Chat Pasteurella multocida, Hæmophilus felix Boucher et vétérinaire Dr Alexandre Lafleur est médecin résident en médecine interne à l’Université Laval. Erysipelothrix rhusiopathiæ risque énumérées dans l’Encadré 2 et transmis par contact cutané étroit ou partage de matériel contaminé. Le SARM-AC est souvent associé à un abcès cutané qui doit faire l’objet d’un drainage et d’une culture, afin d’en déterminer le profil de sensibilité. Morsures et autres situations cliniques particulières Dr Patrice Savard est médecin résident en microbiologie-infectiologie à l’Université Laval. Dre Louise Côté est microbiologiste-infectiologue au Centre hospitalier universitaire de l’Université Laval. 48 Toute morsure humaine doit être traitée empiriquement, et ce, même en l’absence de signe inflammatoire – rappelez-vous qu’une blessure par coup de poing au niveau des dents est une morsure indirecte. Les morsures animales doivent être traitées d’emblée si elles ont une large superficie, si elles sont associées à une cellulite symptomatique ou si elles touchent un patient immunosupprimé ou une partie du corps à risque, telle une articulation ou la main (redoutez alors la ténosynovite). Les mesures de prévention par rapport le clinicien novembre 2010 Une cellulite qui ne guérit pas T oute morsure humaine doit être traitée empiriquement, et ce, même en l’absence de signe inflammatoire (...). au tétanos et à la rage doivent être appliquées au besoin. Il est aussi important de s’assurer de l’absence de tout corps étranger pouvant empêcher la guérison. Une ostéomyélite ou une arthrite septique doivent être recherchées, en particulier en présence d’un ulcère avec contact osseux ou de matériel orthopédique. Une infection du visage, d’un site opératoire, des organes génitaux ou d’une plaie de pression doit faire l’objet d’investigations plus extensives et dans un tel cas, l’avis d’un spécialiste est souvent souhaitable. C À retenir • Certaines conditions, dont la dermite de stase et la goutte, miment une infection des tissus mous. • Un germe inhabituel doit être suspecté en fonction des facteurs de risque du patient et explique parfois l’absence de réponse au traitement antibiotique de première intention. • Le SARM-AC est résistant aux antibiotiques habituels contre S. aureus et doit être suspecté en cas d’abcès cutané, d’absence de réponse au traitement et chez les groupes à risque. • En cas de symptômes alarmants, l’exploration chirurgicale est la procédure de choix afin d’écarter la possiblité d’une fasciite nécrosante. Retour sur le cas de Robert Le diagnostic différentiel de cette infection bulleuse comprend les germes suivants : Streptococcus pyogenes (fasciite nécrosante), Clostridium sp. (gangrène gazeuse), S. aureus dont SARM-AC, P. aeruginosa, entérobactéries, Aeromonas hydrophila, Vibrio sp. et Pasteurella multocida. Le patient présente des facteurs de risque pour l’ensemble de ces germes, mais plus particulièrement pour les trois derniers, étant donné ses expositions récentes. Robert est donc admis aux soins intensifs pour une observation étroite, tout en étant conjointement suivi par une équipe chirurgicale. Un traitement de pipéracillinetazobactam intraveineux combiné à la doxycycline* est initié. Le traitement est ensuite modifié pour inclure de la ticarcilline-clavulanate, étant donné les hémocultures positives pour Pasteurella multocida. La cellulite bulleuse à Pasteurella est une manifestation rare d’une infection généralement acquise par morsure animale. Elle nécessite un traitement à large spectre. Bibliographie : 1. Stevens DL, et coll. Practice guidelines for the diagnosis and management of skin and soft-tissue infections. Clin infect dis 21 novembre 2005; 41(10):1373-1406. 2. Stevens DL, Eron LL. Cellulitis and Soft-Tissue Infections. Ann intern med 6 janvier 2009; 150(1):ITC 11. 3. Puvanendran R, et coll. Necrotizing fasciitis. Can Fam Physician 2009;(55):981-987. 4. Chambers HF, et coll. Management of Skin and Soft-Tissue Infection. N Engl J Med 4 septembre 2008; 359:1063-1067. 5. Daum RS. Skin and Soft-Tissue Infections Caused by Methicillin-Resistant Staphylococcus aureus. N Engl J Med 26 juillet 2007; 357-380. 6. Stryjewski ME, Chambers HF. Skin and soft-tissue infections caused by community-acquired methicillinresistant Staphylococcus aureus. Clin Infect Dis juin 2008; 46(Suppl 5): S368-77. *Ces choix de traitement sont à titre indicatif. Se référer aux lignes directrices citées dans la bibliographie. le clinicien novembre 2010 49