FASCIITES NECROSANTES ET ANTI-INFLAMMATOIRES NON-STEROIDIENS (A propos de 8 cas) A. EL BAKALI, A. YAZIDI, K. SENOUCI, F. BENNOUNA-BIAZ RESUME 1 - INTRODUCTION La fasciite nécrosante est une infection rare, mais gravissime, mettant en jeu le pronostic vital et fonctionnel. Nécessitant un traitement chirurgical en urgence. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens semblent favoriser ou aggraver ces fascilites. A travers huit cas de fascilites nécrosantes colligés à la clinique dermatologique IBN SINA de Rabat. Nous précisons les signes cliniques de cette affection, nous insistons sur l'intérêt d'un diagnostic précoce et nous attirons l'attention sur le danger des AINS devant des infections inflammatoires aiguës des membres. Mots-clés : fascilites nécrosantes, anti-inflammatoires non stéroïdiens, traitement. La fasciite nécrosante se définit comme une inflammation aiguë d'origine infectieuse et à évolution nécrosante du fascia et du tissu sous cutané. La nécrose est retardée par rapport à la nécrose du fascia. C'est une affection qui compromet souvent le pronostic vital et la fonction du membre. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens semblent favoriser ou aggraver la fasciite. Le traitement de l'affection est chirurgical, l'antibiothérapie systématique seule ne peut la contrôler. 2 - NOS OBSERVATIONS Cas n° Age Sexe Dg initial Drogues administrées Délai (j) Siège Evolution 1 21/F Erysipèle PeniG + Piroxicam 4 M.I.G. Bonne 2 80/H Lymphangite PeniM + Propionates 6 M.I.G. Bonne 3 45/H Erysipèle PeniG + Propionates 4 M.I.D. Amputation 4 30/F Erysipèle 10 M.I.D. Décès 5 60/H Erysipèle + Pyodermite PeniG + Indolés 6 M.I.G. Décès 6 73/H Erysipèle PeniM + Amin Propion+Indolés 6 M.S.D. Bonne 7 100/F Erysipèle+ brûlure PeniG + Indolés 4 M.I.D. Bonne 8 17/H Erysipèle PeniG + Indolés 6 M.S.D. Bonne Clinique dermatologique, CHU Avicienne - Rabat. Médecine du Maghreb 1995 n° 50 FASCIITES NÉCROSANTES… Signes cliniques * œdème inflammatoire * plages ecchymotiques * bulles hémorragiques * nécrose cutanée * choc septique 7 8 cas 6 cas 6 cas 5 cas 2 cas 3 - COMMENTAIRES 1 - Physiopathologie Le mécanisme de la fasciite nécrosante n'est pas encore élucidé, on décrit des réactions d'hypersensibilité (3, 6). On discute la possibilité d'existence de toxines bactériennes responsables du syndrome septicémique. Certains auteurs évoquent un déséquilibre particulier entre l'agent infectieux et un terrain débilité (6). Certes le rôle de l'ischémie locale, secondaire à la thrombose vasculaire, joue un rôle dans la progression de l'infection. 2 - L'aspect clinique La fasciite nécrosante survient le plus souvent chez les sujets âgés. Elle est très rarement retrouvée chez l'enfant (6, 8)., Classiquement il n'existe pas une prédominance de sexe C'est une affection qui siège souvent au niveau du membre inférieur (1, 4, 10), mais elle peut siéger n'importe où, notamment au membre supérieur (6). Tout débute par un œdème inflammatoire douloureux et fébrile qui fait penser à une cellulite banale, mais l'absence du bourrelet périphérique et d'adénopathie et l'aggravation ou la non amélioration sous antibiotiques doit faire reconsidérer ce diagnostic. La porte d'entrée est souvent minime ou passe inaperçue (6, 4), très vite apparaissent des plages ecchymotiques puis des décollements bulleux et des phlyctènes à contenu hémorragique le plus souvent, voire de pla-cards de nécrose. L'évolution rapide des signes cutanés est impressionnante. Cette affection reste limitée au fascia et à la peau, mais l'atteinte musculaire reste possible secondaire à une effraction aponévrotique lors du traumatisme responsable de la porte d'entrée ou lors des aponévrotomies de décharge (6). La présence de crépitations et des images gazeuses témoignent d'une cellulite à anaérobies. Parallèlement aux signes locaux s'installe un syndrome infectieux qui s'aggrave très rapidement et donne un tableau de choc septique. Dans notre série l'âge moyen est de 53 ans, le siège de la fasciite est surtout le membre inférieur (6 cas) et le membre supérieur seulement dans 2 cas. La plupart des signes spécifiques de la fasciite sont retrouvés. Le tableau clinique est compliqué par un choc septique chez 2 patients. 3 - Facteurs de risque On retrouve fréquemment chez les sujets présentant une fasciite nécrosante des facteurs favorisants, en effet de nombreux auteurs mettent en cause la prise d'A.I.N.S. (2, 9, 10, 11), 71 % des cas de RIMAILHO et coll. (9), 50 % des cas de RAUHEAY (10), 20 % des cas de BRUN-BUISSON and all. (2). Ces anti-inflammatoires semblent agir en diminuant l'inactivation bactérienne par les granulocytes (6). Parmi les facteurs généraux il faut retenir le diabète (6, 10), mais de nombreuses pathologies peuvent être retrouvées (6, 10) : la stase veineuse, l'insuffisance rénale, l'obésité, l'éthylisme, le lymphœdème et les artériopathies. Dans notre série, 7 de nos malades avaient pris des A.I.N.S. lors de l'apparition des premiers symptômes. La durée de la prise d'A.I.N.S. avant l'apparition des signes évocateurs de la fasciite nécrosante était en moyenne de 6 jours. 4 - Biologie Le diagnostic de la fasciite nécrosante est clinique. Le bilan sera réalisé en urgence pour évaluer le retentissement général, et surtout la recherche de germes en cause pour adapter l'antibiothérapie en post-opératoire. Cette recherche se fait, soit par prélèvement local (1, 10), soit par hémoculture. Le germe le plus souvent isolé est le streptocoque bêta hémolytique du groupe A, ce qui concorde avec les premiers travaux de MELENEY (7) décrivant cette pathologie. Mais actuellement d'autres germes sont mis en évidence (6) : streptocoques d'autres groupes, staphylocoque aureus, enterobactéries, bactéroïdes, bactéries anaerobies et le pseudomonas. Parfois aucun germe n'est retrouvé malgré des prélèvements multiples (1, 6), d'où l'intérêt d'une antibiothérapie triple associant (Pénicilline G, aminoside et un anti-anaerobie). Dans notre série nous avons isolé le streptocoque bêta hémolytique du groupe A dans 2 cas et dans un cas le pseudomonas. 5 - Diagnostic différentiel Seront discutés les diagnostics suivants : - La cellulite simple : présence d'adénopathie, de lym- Médecine du Maghreb 1995 n°50 A. EL BAKALI, A. YAZIDI, K. SENOUCI, F. BENNOUNA-BIAZ 8 phangite. - L'érysipèle : caractérisé par un début brutal, une fièvre élevée et surtout le bourrelet périphérique. - La cellulite gangréneuse avec atteinte musculaire. - La gangrène gazeuse : caractérisée par la présence de crépitations sous cutanées, l'intensité des signes généraux, l'extension de la nécrose au muscle et la présence de colostrodium. - Le pyoderma gangrenosum : d'évolution lente et torpide avec une bordure bien limitée. - La gangrène post-opératoire d'évolution plus lente après une intervention, souvent abdominale. - La gangrène bactérienne progressive : survenant le plus souvent chez les immunodéprimés. 6 - Traitement Tous les auteurs s'accordent sur l'urgence du traitement chirurgical. Le rôle de l'antibiothérapie est de prévenir les septicémies et les autres localisations viscérales ; elle ne peut à elle seule contrôler l'infection (7). Certains auteurs mentionnent l'utilité de la prescription d'anticoagulants donnés précocement (5, 6, 10). Dans notre série nous avons eu recours à des excisions des tissus nécrosés avec des incisions de décharge dans 7 cas et dans un cas on a eu recours à l'amputation du membre. La persistance de l'infection a nécessité des interventions ité- ratives dans 4 cas. Dans tous les cas nous avons associé au traitement chirurgical l'antibiothérapie triple et dans 5 cas les anticoagulants. 7 - Evolution Le pronostic vital de la fasciite nécrosante est mis en cause la mortalité varie de 20 à 70 % selon les séries (7, 6, 10). Le décès est dû essentiellement au choc septique et l'embolie pulmonaire (10). L' âge, les tares viscérales, le retard apporté au diagnostic et au traitement sont des facteurs de mauvais pronostic. Les séquelles liées à l'excision chirurgicale sont fréquentes, d'autres séquelles plus graves peuvent se rencontrer (6) : raideur, arthrodèse et amputation. Dans notre série nous déplorons 2 décès, par choc septique et un cas de séquelle dûe à l'amputation du membre. CONCLUSION Les signes cutanés sont importants pour le diagnostic d'une fasciite nécrosante. Seuls le geste chirurgical en urgence et un diagnostic précoce peuvent diminuer la mortalité et la morbidité de cette affection. Enfin le recours aux A.I.N.S. devant des infections inflammatoires aiguës des membres nous semble dangereux. BIBLIOGRAPHIE 1 - BERNARD P. Les cellulites infectieuses de la jambe. Rev. Prat. (Paris), 1989, 39, 9. 2 - CHRISTIAN .L., BRUN B., SAADA M., TRUNSET P., RAPIN M. Haemolytic streptococcal gangrene and non steroidal anti inflammatorydurgs. Britch Med. Journal Vol. 290, 15 June 85. 3 - CRICK X.B., BELAICH S. Les cellulites infectieuses gangréneuses. A propos de deux observations. Méd.Hyg., 1984, 42, 1401-1406. 4 - DEVASTER J.M., STRUELENS M.J., SCHOULENS G., THYS J.P., SERAYS E. Erysipèle fulminant. Rev. 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