Leif Ne dergaard-H ansen
226 La corrélation quand il mentionne le point de vue agnostique de Locke
est aussi évidente:
«Locke parait le seul qui ait oté la con-
tradiction entre la matiére et la pensée en
recourant tout d’un coup au créateur de
toute pensée et de toute matiére, et en di-
sant modestement: Celui qui peut tout ne
peut-il pas faire penser un étre matériel,
un atome, un élément de la matiére? II s’en
est tenu å cette possibilité en homme sage.
Affirmer que la matiére pense en effet,
parce que DIEU a pu lui communiquer ce
don, ferait le comble de la témérité; mais
affirmer le contraire est-il moins hardi?»
(Elemens de Newton I, vii).
«Un petit partisan de Locke était lå tout
auprés; et quand on lui eut enfin adressé
la parole: «Je ne sais pas, dit-il comment
je pense, mais je sais que j’ai jamais pensé
qu’å l’occasion de mes sens. Qu’il y ait des
substances immatérielles et intelligentes,
c’est de quoi je ne doute pas; mais qu’il soit
impossible å Dieu de communiquer la pen
sée å la matiére, c’est de quoi je doute fort.
Je révére la puissance éternelle, il ne m’ap-
partient pas de la borner; je n’affirme rien,
je me contente de croire qu’il y a plus de
choses possibles qu’on ne pense.
L’animal de Sirius sourit: il ne trouva
pas celui-lå le moins sage .. .»
(Mierom. Chap. VIII).
On ne doit pas s’étonner du fait que, dans Micromégas, on ne trouve
aucun disciple de Newton, car Micromégas, porte-parole de Voltaire, est lui-
méme un disciple de Newton, et on ne parle dans Les élémens de Newton
de sa conception de l’åme, que dans cette remarque finale, qui aurait pu
servir aussi bien dans Micromégas, car lui aussi est trop prudent pour se
prononcer sur cette question épineuse:
«Si on veut savoir ce que Newton pensait sur l’åme et sur la maniére dont elle opere,
et lequel de tous ces sentiments il embrassait, je répondrai qu’il n’en suivait aucun. Que
savait done sur cette matiére celui qui avait soumis l’infini au calcul, et qui avait découvert
les lois de la pesanteur? II savait douter.» (Elemens de Newton I. partie, chapitre VII
in fine).
On peut, par ailleurs, mentionner que, déjå dans les Lettres philoso-
phiques (1734) on trouve les éléments sur lesquels ce chapitre est båti,7 p. ex.
la réfutation de la doctrine de Descartes sur «les idées innées» au profit de
la doctrine de Locke sur l’åme comme «tabula rasa» dés la naissance.
«Notre Descartes ... assura que l’on
pense toujours, & que l’åme arrive dans le
corps pourvue de toutes les notions méta-
physiques ... qu’elle oublie malheureuse-
ment en sortant du ventre de sa mére.
(Lettres philosophiques publiées
par Lanson I p. 168).
«Le cartésien prit la parole et dit: «L’åme
est un esprit pur qui a regu dans le ventre
de sa mére toutes les idées métaphysiques,
et qui, en sortant de lå, est obligée d’aller
å l’école, et d’apprendre tout de nouveau
ce qu’elle a si bien su et qu’elle ne saura
plus.» (Micromégas, chapitre VII).
Un propos de la 13iéme Lettre, sur Mr Locke, est en réalité une anticipa
tion de toute la scene de Micromégas dans la discussion entre les philosophes,