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2007,
AVIGNON
LE CONTRE-POUVOIR DE LA DISTRIBUTION :
UNE SYNTHESE DES THEORIES ECONOMIQUES, STRATEGIQUES ET DE
MARKETING DES CANAUX
Enrico COLLA
Professeur
NEGOCIA
Résumé
L’article propose une analyse historique des théories et des méthodes de recherche, relatives
au contre-pouvoir (« countervailing power »), de la grande distribution dans le secteur des
biens de grande consommation. Ce concept, élaboré par l’économiste américain John Kenneth
Galbraith dans les années ’50, n’a pas été bien reçu par les économistes académiques de son
époque. Mais, par la suite, il a été reconsidéré et il s’est avéré pertinent dans l’analyse des
relations fabricants/distributeurs. Beaucoup de spécialistes d’économie industrielle, stratégie
et marketing, ont repris et approfondi l’intuition de Galbraith et ont fait avancer la
compréhension de la nature de la concurrence horizontale et verticale dans les canaux de
distribution.
Mot clés : contre-pouvoir, grande distribution, concurrence verticale, négociation.
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Introduction : le « countervailing power » dans la formulation de Galbraith
A partir des années 1950 et dans plusieurs de ses œuvres, qui ont connu un grand succès de
public et ont été traduites dans de très nombreux pays, l’économiste nord-américain John
Kenneth Galbraith a affirmé que l’existence d’un fort pouvoir du marché dans le système
économique donne lieu à la constitution d’une autre position de pouvoir qui le contraste, voire
le neutralise (Galbraith 1952). Ce phénomène a eu lieu notamment sur le marché du travail,
des syndicats forts se sont constitués face à des grands groupes industriels. Mais, à son
avis, tous les secteurs industriels oligopolistiques favorisent la création de forts oligopoles à
l’achat qui exercent un contre-pouvoir sur les premiers. L’exercice de ce contre-pouvoir
permet, selon Galbraith et c’est le second aspect de sa théorie - de limiter l’ampleur des
profits réalisés par les grands groupes industriels en apportant ainsi un avantage aux
consommateurs. Une des plus importantes manifestations de la constitution de ce contre-
pouvoir se réalise dans les relations entre vendeurs et acheteurs de produits de grande
consommation. Galbraith cite, à ce propos, les grandes chaînes alimentaires, la vente par
correspondance, les grands magasins et les centrales d’achat. Les deux exemples les plus
significatifs concernent Sears, Roebuck &Company et Great Atlantic & Pacific Tea
Company (A&P). Grâce à sa position de grand et indispensable client, la première avait
obtenu d’un de ses fournisseurs, Goodyear Tyre and Rubber Company, une baisse de 29 à
40% sur le prix de marché des pneumatiques. Grâce à sa taille, à ses informations sur le
marché et à la menace de devenir elle-même un producteur, A&P avait obtenu quant à elle
une réduction des prix d’environ 10% auprès de ses trois fournisseurs de « corn flakes ».
Condition principale pour pouvoir exercer un contre pouvoir, souligne Galbraith : l’existence
même d’un pouvoir de marché « originaire », qui fait qu’ils y a des ressources à concéder de
la part des détenteurs de ce pouvoir. Vu la structure concurrentielle du secteur, les
agriculteurs, par exemple, ne disposent pas de beaucoup de marges à céder aux acheteurs. Le
mécanisme de la concurrence suffit à réduire ces profits au minimum. En outre, pour
Galbraith, les grands détaillants disposent de diverses armes dans la gociation. Entre autre
ils peuvent se concentrer sur un seul fournisseur, lui assurer un volume d’affaires élevé en
échange d’un prix inférieur. Enfin, comme les programmes de production des grands
fabricants sont liés aux commandes de certains grands détaillants, la seule incertitude sur la
confirmation des commandes constitue une menace susceptible d’amener les producteurs à
faire des concessions sur les prix.
Les producteurs, de leur côté, se protègent de ce contre-pouvoir en essayant de maintenir leur
domination sur des organisations de petits détaillants dépendant d’eux. Une autre option,
praticable dans certains secteurs, comme l’automobile et l’industrie du pétrole, est
l‘intégration de la distribution jusqu’au consommateur.
1. La critique de Stigler et ses limites
Malgré son rôle prééminent dans la profession il a été notamment président de l’American
Economic Association - et son succès comme auteur, les idées de J.K.Galbraith n’ont pas
toujours été prises au sérieux par la majorité des économistes. C’est George Stigler qui a
formulé (dans un article publié en 1954 dans la prestigieuse « The American Economic
Review ») une des premières critiques au concept de « countervailing power » en le taxant,
entre autres, de « romantique ». La critique de Stigler s’adresse à la fois à la théorie et à
l’évidence empirique. En ce qui concerne la première, il se limite à affirmer que Galbraith, en
réalité, n’explique pas sa théorie car il la considère comme démontrée par les faits. Or,
souligne Stigler, une théorie de l’oligopole bilatéral n’existe pratiquement pas (« can hardly
be said to exist ») et sur la base des théories existantes, il faudrait plutôt s’attendre à ce que
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l’oligopole bilatéral soit monopolistique dans son fonctionnement. Les distributeurs
oligopolistes n’étant pas en concurrence entre eux, ils n’amélioreraient pas la situation des
consommateurs. Même au cas ils arriveraient à s’approprier une partie des profits des
fabricants, grâce à un comportement collusif, ils les garderaient pour eux, sans réduire le prix
au détail.
Au plan empirique, et en ce qui concerne plus spécialement les relations fabricants/
distributeurs, Stigler contredit aussi Galbraith en soulignant que, d’un côté, de grandes
chaînes se sont formées dans des secteurs les fabricants n’ont pas atteint un niveau aussi
élevé de concentration (médicaments, habillement, chaussures, meubles), de l’autre elle ne se
sont pas constituées dans des secteurs la concentration des fabricants est très élevée e
(produits du pétrole, voitures, cigarettes). Mais si le rapport entre concentration des fabricants
et concentration des distributeurs n’est pas constaté dans tous les secteurs, alors l’existence
de cette correspondance dans certains secteurs seulement peut être épisodique et avoir des
causes différentes de celle qui sont évoquées par Galbraith. Stigler conteste enfin que les
chaînes aient réussi à vendre leurs produits à prix plus bas que les vendeurs indépendants
principalement à cause du prix d’achat inférieur.
Limites de la critique de Stigler
Au plan théorique Stigler ne considère pas la thèse de Galbraith comme démontrée parce
que, selon les théories microéconomiques dominantes à l’époque, le comportement
oligopolistique était plus proche du monopole que de la concurrence ¹. Stigler n’exclut pas,
par ailleurs, qu’il soit possible de formuler une théorie différente et, comme nous le verrons, il
proposera lui-même un modèle novateur quelques années plus tard.
En ce qui concerne le point central de la théorie du « countervailing power » de Galbraith (la
capacité des distributeurs à limiter les profits des fabricants), Stigler avance un seul contre-
argument. Mais sa référence aux conclusions d’un rapport de la Federal Trade Commission
apparaît difficilement utilisable pour désavouer la thèse de Galbraith sur la capacité des
grandes chaînes à réduire leur prix au détail grâce à des prix d’achat plus bas².
Les critiques de Stigler n’arrêtent pas le débat théorique ni la recherche de confirmations
empiriques. Lui-même reprendra le thème, quelques années plus tard en montrant que, dans
un cadre d’oligopole bilatéral, les vendeurs sont plus incités à accorder des réductions secrètes
(discriminations) de prix selon que le nombre d’acheteurs par vendeurs diminue (Stigler
1964). Mais les réductions secrètes des prix finissent toujours pour être connues, les acheteurs
discriminés négativement demandent alors les mêmes réductions que les autres, et la
diminution du nombre des acheteurs finit par être un facteur d’intensification de la
concurrence par les prix La démonstration empirique de Stigler est plutôt limitée et ne
concerne pas spécialement le secteur de la distribution des produits de grande consommation,
mais au cours des décennies successives beaucoup de contributions nourriront le débat sur le
contre-pouvoir de la distribution. L’objectif de la communication n’étant pas de retracer une
histoire détaillée de l’évolution du concept de contre-pouvoir, elle se limitera à présenter les
contributions les plus significatives, identifiées sur la base de l’importance que les auteurs
successifs leur ont accordée.
2. Le contre-pouvoir selon Michael Porter : théorie et analyse empirique
Michael Porter a abordé à plusieurs reprises le thème du contre-pouvoir des distributeurs et sa
démonstration à travers une analyse empirique. Dans l’ouvrage le plus complet qu’il ait écrit
à ce propos (Michael Porter 1976), il refuse l’idée de Galbraith selon laquelle la concentration
des distributeurs serait due à la concentration des fabricants. A son avis, beaucoup d’autres
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facteurs peuvent contribuer à expliquer l’origine et le développement des grandes chaînes de
distribution, et la concentration des fabricants n’est pas un facteur indispensable à cet effet. La
structure de la distribution est plutôt déterminée, à son avis, par les caractéristiques du
produit, qui influencent le comportement d’achat des consommateurs.
Par contre, Porter accepte l’idée de Galbraith selon laquelle le pouvoir des distributeurs
limite le niveau des profits des producteurs, tout en discutant l’importance relative des
sources de ce pouvoir. Alors que selon Galbraith, ce contre-pouvoir s’explique
essentiellement par la concentration des distributeurs, et donc par leur taille, Porter soutient
que la capacité des distributeurs à différencier leur offre est une explication encore plus
importante que la première.
Quand le nombre des acheteurs d’un produit est proche du nombre des fabricants sur un
marché oligopolistique, la possibilité, voire la menace, implicite sinon explicite de refus de
vente constitue, selon Porter, une source de pouvoir. Puisque la plupart des distributeurs
proposent plusieurs produits, la menace des producteurs de retirer les leurs est moins
efficace. La concurrence de ces derniers exerce une pression indirecte sur un marché
d’oligopole bilatéral, selon Porter, à travers la possibilité des fabricants de faire des
concessions secrètes à des distributeurs. Ce dernier argument s’appuie sur la théorie de
l’oligopole de Stigler (Stigler 1964).
En revanche, la capacité de différentiation se manifeste dans le contrôle des distributeurs de
beaucoup d’attributs du service commercial qui ont une influence sur le comportement
d’achat des consommateurs. Ces facteurs peuvent être la réputation et l’image du magasin,
l’environnement du magasin (« the physical amenities »), les différents services offerts, ainsi
que l’identité du magasin. Les facteurs structurels (taille et concentration des entreprises et
des magasins, etc.) et la capacité de différenciation donnent aux distributeurs un pouvoir dans
la négociation qui leur permet de réduire les profits des fabricants.
Le pouvoir des distributeurs est différent dans les magasins « convenience », (qui
correspondent à peu près aux grandes surfaces alimentaires - GSA), et « non convenience »
(qui correspondent plutôt aux chaînes spécialisées). Selon l’analyse de Porter, la publicité des
fabricants est le principal facteur de vente des produits de marque dans les GSA, alors que
le rôle du distributeur est beaucoup plus important pour les produits vendus dans les chaînes
non alimentaires. Dans celles-ci, la publicité des fabricants ne suffit pas et les efforts de vente
des distributeurs deviennent essentiels.
Les possibilités de différenciation des distributeurs « alimentaires » étant faible, selon
Porter, leur pouvoir face aux fabricants est basé principalement sur les facteurs structurels.
Par contre, le pouvoir des distributeurs non alimentaires est plus important, puisqu’il est basé
sur leur capacité à différencier leur service, mais aussi à favoriser la vente d’un produit d’un
fabricant plutôt que celui d’un autre.
Face à cette possibilité, voire à cette menace, les fabricants seront amenés à réduire leur prix
aux distributeurs, augmenter leurs marges ou dépenser des ressources pour convaincre les
distributeurs à promouvoir leurs produits et non pas ceux des concurrents.
Le pouvoir des distributeurs diffère aussi selon leur contribution à la différenciation de chaque
produit et marque : il est plus élevé pour les marques de distributeurs (MDD) et les marques
industrielles non soutenues par la publicité plutôt que pour les grandes marques.
Ces variations des stratégies des distributeurs et des fabricants sont, pour Porter, des sources
supplémentaires d’interaction qui déstabilisent les concurrents et empêchent leurs collusions
tacites.
Dans d’autres ouvrages, plus normatifs, M. Porter traite le sujet du pouvoir des acheteurs
tous secteurs confondus et il définit les circonstances qui lui sont favorables (Porter 1980,
1985). Aux facteurs déjà mis en évidence précédemment, (la concentration, la taille, le degré
de différenciation, la menace d’intégration verticale), il en ajoute d’autres : les coûts de
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changement de fournisseur et l’ampleur des informations disponibles sur le marché (la
demande, les prix, les coûts, etc .). Finalement, d’après lui, l’objectif des acheteurs, donc des
distributeurs, est de trouver des mécanismes pour compenser ou surmonter le pouvoir des
fournisseurs. « Dans certains cas, ce pouvoir est bâti dans l’économie du secteur, et il est en
dehors du contrôle de l’entreprise. Néanmoins, dans beaucoup de cas il peut être mitigé par la
stratégie » ( M.Porter 1980).
Dans le modèle de Porter il n’y a pas de contradiction entre le pouvoir fort des distributeurs
en amont et l’intensité de leur concurrence horizontale. L’exercice du pouvoir des
distributeurs vis-à-vis des fabricants n’est pas, pour lui, incompatible avec des retours sur
investissements « normaux » pour les distributeurs. Leur niveau de profits dépend, comme
dans tout secteur, de beaucoup d’autres facteurs qui définissent le cadre de son modèle de
concurrence élargie (barrière à l’entrées, produits de substitution, pouvoir des consommateurs,
facteurs d’intensification de la concurrence horizontale comme la diversité des stratégies des
opérateurs, etc.) (Porter 1980).
En outre, pour Porter les profits potentiels à la fois des fabricants et des distributeurs
dépendent du degré global de différenciation du produit pour chaque groupe stratégique. Mais
la répartition de ce profit potentiel entre fabricants et distributeurs est différent pour chaque
groupe stratégique et se base sur leur pouvoir relatif et la structure de chaque marché.
L’analyse empirique du pouvoir des distributeurs chez Porter
Pour vérifier ces thèses, Michael Porter a effectué un test empirique, à travers des
régressions multiples qui essaient d’expliquer les taux de profits des fabricants par la
structure du secteur et la différenciation du produits. L’analyse est conduite dans 42 secteurs
de produits de consommation, divisés en « convenience » et « non convenience » et, dans les
deux groupes, les profits sont corrélés à douze variables.
Les résultats ne sont pas très positifs pour les secteurs « convenience », aucune des variables
utilisées n’étant vraiment significative. Toutes les variables de concentration ont un signe
négatif dans la régression l’augmentation de la concentration des distributeurs est
accompagné d’une diminution des profits des fabricants- mais leur capacité explicative est
faible. Il obtient le même résultat pour la mesure (un index Herfindahl) de la multiplicité des
canaux de distribution. Ici aussi, le signe négatif correspond à l’hypothèse, mais la
significativité est faible. La seule variable explicative significative est le ratio
publicité/ventes des distributeurs, ce qui confirmerait selon Porter - l’hypothèse que la
publicité des distributeurs favoriserait l’augmentation des profits totaux du secteur plus que le
pouvoir contractuel des distributeurs. Les grands distributeurs alimentaires auraient donc un
pouvoir limité, à cause de leur faible contribution à la différenciation du produit et de la
densité de leur réseaux.
Les résultats sont plus positifs pour les secteurs « non convenience »: les régressions
confirment l’hypothèse selon laquelle une concentration élevée des distributeurs conduit à une
réduction des profits des fabricants. L’importance de la différenciation du produit est aussi
confirmée, selon Porter, par la relation négative avec les profits des fabricants et la
significativité élevée de la profondeur de l’assortiment des distributeurs (mesure du degré de
différenciation). Le pouvoir des distributeurs « non convenience » serait donc dû à leur
capacité de différenciation du produit (ainsi qu’à des localisations plus sélectives).
Limites de la théorie et de l’analyse empirique de Porter
La théorie de Porter sur le contre-pouvoir des distributeurs repose sur deux éléments
principaux .Le premier est l’idée que le contre-pouvoir des distributeurs est source de
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