V O C A B U L Les AGEs et leurs RAGEs A I R E dans lequel interviennent des phénomènes majeurs d’oxydation (on parle de “glycoxydation”), modifie les propriétés structurales et fonctionnelles des protéines : formation de pontages intermoléculaires, augmentation de la résistance aux enzymes protéolytiques, troubles d’association, troubles de fixation aux récepteurs spécifiques, diminution de l’activité enzymatique. Ph. Gillery* L’ usage abusif des abréviations et sigles divers, si fréquent dans la vie courante (voir l’ésotérisme d’une “adresse” Internet), n’épargne ni la médecine ni la biologie. Il s’ensuit l’instauration progressive d’un néovocabulaire où les acronymes miment les anciens vocables. Ainsi AGE n’a-t-il plus rien à voir, au moins directement, avec le vieillissement, ni RAGE avec une maladie transmissible. Le sigle AGE (de l’anglais Advanced Glycation End products) désigne les produits de glycation avancés, également appelés “produits de Maillard”, du nom du chimiste français qui les découvrit au début du siècle dans les aliments. La “glycation” est définie comme étant la fixation non enzymatique, lente et irréversible d’oses simples (ou de leurs dérivés) sur les groupements aminés libres des protéines. Cette réaction se produit en plusieurs étapes. Dans un premier temps, la réaction entre ose et groupement aminé conduit à la formation d’une base de Schiff, ou aldimine. Cette réaction est très rapide, mais réversible car l’aldimine est instable. Dans un second temps, la base de Schiff subit un réarrangement moléculaire, formant une liaison céto-amine stable, selon une réaction lente et pratiquement irréversible. Ces produits glyqués sont connus sous le nom de “produits d’Amadori” et constituent les produits précoces de glycation. Ultérieurement, les protéines glyquées *Laboratoire central de biochimie, CHU, Reims. peuvent subir différentes modifications, comme des fragmentations oxydatives, formant des intermédiaires réactifs tels que les désoxyglucosones et la Nε-carboxyméthyllysine (CML), capables de réagir entre eux et/ou avec d’autres protéines pour donner naissance, à long terme, à des produits stables, fluorescents, les “produits de glycation avancés” ou AGEs. Ils possèdent des structures polycycliques, complexes, et certains d’entre eux, comme la pentosidine ou la pyrraline, ont été caractérisés. Il est possible de doser les AGEs dans les échantillons biologiques, en particulier dans le sang. Des méthodes chromatographiques peuvent être utilisées pour quantifier les composants de nature bien définie, comme par exemple la pentosidine. Des méthodes immunologiques peuvent également être utilisées. Leur mise en œuvre nécessite la préparation d’anticorps spécifiques dirigés contre certains épitopes des AGEs, et n’est encore pas de pratique courante dans les laboratoires. La glycation non enzymatique est un phénomène général qui affecte toutes les protéines de l’organisme : circulantes et tissulaires, extra- et intracellulaires. Son intensité est directement proportionnelle à la durée de vie de celles-ci, et à la concentration de glucose, sucre principal de l’organisme. On connaît par exemple l’intérêt de doser l’HbA1c, produit de glycation de l’HbA de type Amadori, pour évaluer l’équilibre glycémique chez le patient diabétique. Dans les tissus, la réaction de glycation progresse jusqu’au stade d’AGE. Ce processus, 39 Les protéines modifiées par les AGEs sont reconnues par des récepteurs membranaires, les “protéines fixant les AGEs”, présents sur divers types cellulaires. La mieux connue est une protéine de 45 kDa appartenant à la superfamille des immunoglobulines et appelée RAGE (récepteur des AGEs), à laquelle est souvent associée une protéine proche de la lactoferrine. Le RAGE est exprimé dans les cellules endothéliales, les cellules musculaires lisses, les cardiomyocytes, les monocytes et certains neurones. Son gène est localisé sur le chromosome 6. La fixation au RAGE des protéines modifiées par les AGEs provoque l’activation de voies de transduction intracellulaires impliquant, suivant les cellules, les MAP kinases et NF-κB. Cependant, d’autres substrats que les AGEs pourraient être les ligands physiologiques de ce récepteur. Différentes autres protéines fixant les AGEs ont été identifiées, et sont parfois appelées AGE-R 1, 2 et 3. Elles correspondent respectivement à la protéine OST-48 du complexe oligosaccharyltransférase membranaire, la protéine 80 K-H, substrat membranaire de protéines kinases, et la galectine-3, lectine spécifique du lactose (32 kDa). Les récepteurs “scavengers” des macrophages sont également capables de fixer les protéines modifiées par les AGEs, et de les internaliser par endocytose, mais on ne connaît pas encore avec certitude leur véritable rôle physiologique. Il n’est pas encore évident que toutes ces protéines jouent effectivement le rôle de véritables récepteurs assurant la transduction des messages. Les AGEs et leurs récepteurs sont impliqués dans de nombreuses pathologies : de façon évidente dans les complications dégénératives du diabète, au premier rang desquelles la néphropathie diabétique, mais aussi dans l’athérosclérose, certaines Le Courrier de l’Arcol (1), n° 1, mars 1999 V maladies neurologiques (maladie d’Alzheimer, maladie de Pick) et dans des phénomènes généraux tels que le vieillissement. Dans l’athérosclérose, l’accumulation des AGEs dans la paroi vasculaire semble participer au déclenchement de processus conduisant aux anomalies caractéristiques de la maladie : modifications structurales de la matrice, augmentation du stress oxydatif, induction de l’expression Le Courrier de l’Arcol (1), n° 1, mars 1999 O C A B U L de molécules d’adhésion comme VCAM-1. Dans le cas des maladies neurologiques, des phénomènes d’oxydation isolés paraissent pouvoir par eux-mêmes générer la production d’AGEs. Le rôle pathogène des AGEs justifie des essais d’intervention thérapeutique dans le but d’inhiber leur formation (utilisation de l’aminoguanidine), voire de les détruire 40 A I R E dans les tissus (utilisation du bromure de N-phénylacylthiazolium). D’autres approches visent à complexer les AGEs circulants par injection de formes solubles de RAGEs afin de favoriser leur élimination. Des travaux menés chez l’animal et, depuis peu, chez l’homme, suggèrent que ces substances pourraient retarder l’apparition de complications dégénératives, notamment au ❍ cours du diabète sucré.