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Le Courrier de l’Arcol (1), n° 1, mars 1999
usage abusif des abréviations et
sigles divers, si fréquent dans la vie
courante (voir l’ésotérisme d’une “adresse”
Internet), n’épargne ni la médecine ni la
biologie. Il s’ensuit l’instauration progressi-
ve d’un néovocabulaire où les acronymes
miment les anciens vocables. Ainsi AGE
n’a-t-il plus rien à voir, au moins directe-
ment, avec le vieillissement, ni RAGE avec
une maladie transmissible.
Le sigle AGE (de l’anglais Advanced
Glycation End products) désigne les pro-
duits de glycation avancés, également appe-
lés “produits de Maillard”, du nom du chi-
miste français qui les découvrit au début du
siècle dans les aliments. La “glycation” est
définie comme étant la fixation non enzy-
matique, lente et irréversible d’oses simples
(ou de leurs dérivés) sur les groupements
aminés libres des protéines. Cette réaction
se produit en plusieurs étapes.
Dans un premier temps, la réaction entre ose
et groupement aminé conduit à la formation
d’une base de Schiff, ou aldimine. Cette
réaction est très rapide, mais réversible car
l’aldimine est instable.
Dans un second temps, la base de Schiff
subit un réarrangement moléculaire, for-
mant une liaison céto-amine stable, selon
une réaction lente et pratiquement irréver-
sible. Ces produits glyqués sont connus
sous le nom de “produits d’Amadori” et
constituent les produits précoces de glyca-
tion. Ultérieurement, les protéines glyquées
peuvent subir différentes modifications,
comme des fragmentations oxydatives, for-
mant des intermédiaires réactifs tels que les
désoxyglucosones et la Nε-carboxyméthyl-
lysine (CML), capables de réagir entre eux
et/ou avec d’autres protéines pour donner
naissance, à long terme, à des produits
stables, fluorescents, les “produits de glyca-
tion avancés” ou AGEs. Ils possèdent des
structures polycycliques, complexes, et cer-
tains d’entre eux, comme la pentosidine ou
la pyrraline, ont été caractérisés.
Il est possible de doser les AGEs dans les
échantillons biologiques, en particulier dans
le sang. Des méthodes chromatographiques
peuvent être utilisées pour quantifier les
composants de nature bien définie, comme
par exemple la pentosidine. Des méthodes
immunologiques peuvent également être
utilisées. Leur mise en œuvre nécessite la
préparation d’anticorps spécifiques dirigés
contre certains épitopes des AGEs, et n’est
encore pas de pratique courante dans les
laboratoires.
La glycation non enzymatique est un
phénomène général qui affecte toutes les
protéines de l’organisme : circulantes et tis-
sulaires, extra- et intracellulaires. Son inten-
sité est directement proportionnelle à la
durée de vie de celles-ci, et à la concentra-
tion de glucose, sucre principal de l’organis-
me. On connaît par exemple l’intérêt de
doser l’HbA
1c
, produit de glycation de
l’HbA de type Amadori, pour évaluer l’équi-
libre glycémique chez le patient diabétique.
Dans les tissus, la réaction de glycation pro-
gresse jusqu’au stade d’AGE. Ce processus,
dans lequel interviennent des phénomènes
majeurs d’oxydation (on parle de “glycoxy-
dation”), modifie les propriétés structurales
et fonctionnelles des protéines : formation
de pontages intermoléculaires, augmentation
de la résistance aux enzymes protéolytiques,
troubles d’association, troubles de fixation
aux récepteurs spécifiques, diminution de
l’activité enzymatique.
Les protéines modifiées par les AGEs sont
reconnues par des récepteurs membranaires,
les “protéines fixant les AGEs”, présents sur
divers types cellulaires. La mieux connue est
une protéine de 45 kDa appartenant à la
superfamille des immunoglobulines et appe-
lée RAGE (récepteur des AGEs), à laquelle
est souvent associée une protéine proche de
la lactoferrine. Le RAGE est exprimé dans
les cellules endothéliales, les cellules muscu-
laires lisses, les cardiomyocytes, les mono-
cytes et certains neurones. Son gène est loca-
lisé sur le chromosome 6. La fixation au
RAGE des protéines modifiées par les AGEs
provoque l’activation de voies de transduc-
tion intracellulaires impliquant, suivant les
cellules, les MAP kinases et NF-κB.
Cependant, d’autres substrats que les AGEs
pourraient être les ligands physiologiques de
ce récepteur. Différentes autres protéines
fixant les AGEs ont été identifiées, et sont
parfois appelées AGE-R 1, 2 et 3. Elles cor-
respondent respectivement à la protéine
OST-48 du complexe oligosaccharyl-
transférase membranaire, la protéine 80 K-H,
substrat membranaire de protéines kinases, et
la galectine-3, lectine spécifique du lactose
(32 kDa). Les récepteurs “scavengers” des
macrophages sont également capables de
fixer les protéines modifiées par les AGEs,et
de les internaliser par endocytose, mais on ne
connaît pas encore avec certitude leur véri-
table rôle physiologique. Il n’est pas encore
évident que toutes ces protéines jouent effec-
tivement le rôle de véritables récepteurs assu-
rant la transduction des messages.
Les AGEs et leurs récepteurs sont impli-
qués dans de nombreuses pathologies : de
façon évidente dans les complications
dégénératives du diabète, au premier rang
desquelles la néphropathie diabétique,
mais aussi dans l’athérosclérose, certaines
*Laboratoire central de biochimie,
CHU, Reims.
Les AGEs et leurs RAGEs
Ph. Gillery*
L
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maladies neurologiques (maladie
d’Alzheimer, maladie de Pick) et dans des
phénomènes généraux tels que le vieillis-
sement. Dans l’athérosclérose, l’accumula-
tion des AGEs dans la paroi vasculaire
semble participer au déclenchement de pro-
cessus conduisant aux anomalies caracté-
ristiques de la maladie : modifications
structurales de la matrice, augmentation du
stress oxydatif, induction de l’expression
de molécules d’adhésion comme VCAM-1.
Dans le cas des maladies neurologiques,
des phénomènes d’oxydation isolés parais-
sent pouvoir par eux-mêmes générer la
production d’AGEs.
Le rôle pathogène des AGEs justifie des
essais d’intervention thérapeutique dans le
but d’inhiber leur formation (utilisation de
l’aminoguanidine), voire de les détruire
dans les tissus (utilisation du bromure de
N-phénylacylthiazolium). D’autres ap-
proches visent à complexer les AGEs circu-
lants par injection de formes solubles de
RAGEs afin de favoriser leur élimination.
Des travaux menés chez l’animal et, depuis
peu, chez l’homme, suggèrent que ces sub-
stances pourraient retarder l’apparition de
complications dégénératives, notamment au
cours du diabète sucré.
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