Une à deux semaines après l’infection et la prolifération des
LB, des lymphocytes T cytotoxiques spécifiques de l’EBV
(EBV-CTL) apparaissent et détruisent ces LB infectés. Cette
phase de prolifération des LB et de son contrôle par les EBV-
CTL se traduit cliniquement, dans certains cas, par le fameux
syndrome mononucléosique. Ces EBV-CTL reconnaissent des
protéines virales présentées en association avec le système HLA
de l’hôte par les LB, à l’exception notable de la protéine
EBNA1, contre laquelle aucun clone de CTL n’a pu être isolé
(1). Cette caractéristique explique la suite des événements. En
effet, un certain nombre de LB infectés par l’EBV, via un méca-
nisme complexe mettant en cause les protéines LMP1 et
LMP2A du virus EBV, vont retourner à un état quiescent et se
comporter comme des LB au repos circulant librement dans le
pool des LB mémoires (3). Ces LB au repos infectés par l’EBV
ne sont pas détruits par les CTL, probablement parce qu’ils
n’expriment que la protéine EBNA1. Ainsi, ils peuvent persis-
ter indéfiniment dans l’organisme. Ces LB sont, chez le sujet
sain, “inoffensifs”, sauf si, comme c’est le cas de manière
exceptionnelle, il existe en leur sein une translocation juxtapo-
sant l’oncogène c-myc aux gènes des immunoglobulines. Il
apparaît alors une prolifération de ces LB de manière clonale
et maligne sous la forme d’un lymphome de Burkitt dont la sur-
venue ne dépend pas du statut immunitaire de l’hôte. Ces LB
au repos peuvent de plus, à tout moment, se retransformer en
immunoblastes via une réactivation du génome EBV et une
réexpression des protéines virales EBNA2-6 et LMP1-2.
Cependant, cette réexpression des protéines virales les trahit
aux yeux du système immunitaire, et les CTL les détruisent
d’autant plus rapidement que, l’organisme ayant déjà eu affaire
à eux, les protéines imunogènes sont immédiatement recon-
nues par les LT mémoires. Ce contrôle de la transformation de
ces LB au repos par les CTL n’a aucune traduction clinique ni
biologique.
Tout cela explique la physiopathologie des EBV-SLP. En
effet, après transplantation d’organe, l’immunosuppression
nécessaire à la prévention du rejet ou, plus souvent, au trai-
tement d’un rejet altère la capacité de surveillance des CTL,
qui ne sont donc plus aptes à contrôler la prolifération des
LB infectés par l’EBV. Ces derniers se remettent alors à expri-
mer l’ensemble des protéines virales. Il s’ensuit un syndrome
lymphoprolifératif constitué de lymphocytes B le plus sou-
vent polyclonaux et non malins au sens biologique du terme.
Le terme lymphome est donc impropre dans cette situation.
Cette prolifération peut d’ailleurs être monoclonale, sans
pour autant être maligne. Parfois, néanmoins, un clone lym-
phocytaire B issu de cette prolifération polyclonale ou mono-
clonale subit un réarrangement chromosomique lui permet-
tant d’exprimer certains oncogènes, principalement n-myc.
Ce clone malin prend le dessus sur les autres LB, et la pro-
lifération peut alors s’apparenter à un vrai lymphome. Bien
entendu, le pronostic est plus sévère dans cette situation, car
la restauration d’un système immunitaire compétent ne suf-
fit pas à éteindre cette prolifération. C’est pourquoi il est
important d’effectuer une étude en biologie moléculaire des
SLP, afin de déterminer la clonalité ou non de la proliféra-
tion, et de rechercher s’il existe un réarrangement chromo-
somique ou une expression d’oncogènes. Ces données phy-
siopathologiques expliquent également pourquoi, chez les
receveurs qui n’ont jamais rencontré l’EBV, le risque de déve-
lopper un SLP est plus grand et le pronostic plus sévère. En
effet, dans cette situation, le système immunitaire doit faire
face à une primo-infection qui s’accompagne d’une véritable
“explosion” dans l’organisme, étant donné la charge virale,
de LB immortalisés qui prolifèrent. De plus, le système
immunitaire ne peut pas compter, dans cette situation, sur la
présence de LT mémoires ayant déjà appris à reconnaître les
protéines immunogènes de l’EBV. Une immunodépression
dans ce contexte est donc plus souvent responsable du non-
contrôle de la prolifération des LB que dans le contexte d’un
receveur déjà immunisé.
COMMENT GUÉRIT-ON D’UN SLP
ET POURQUOI PEUT-ON RETRANSPLANTER ?
Une baisse de l’immunosuppression est capable, dans envi-
ron 40 % des cas, de contrôler la prolifération B liée à l’EBV.
Dans les cas où la baisse de l’immunosuppression n’est pas
suffisante, les traitements possibles, que nous ne détaillerons
pas ici, reposent sur la destruction ou l’inhibition de la crois-
sance des immunoblastes. Dans certains cas, notamment dans
les cas des SLP survenant tardivement après greffe à un
moment où le patient est peu immunodéprimé, une chimio-
thérapie peut être nécessaire. On estime actuellement que les
SLP post-transplantation d’organe peuvent guérir dans envi-
ron 60 à 70 % des cas. Que signifie la guérison d’un SLP ? Il
s’agit en fait simplement d’un retour à l’état de base, avec un
système immunitaire qui arrive à contrôler la prolifération de
LB infectés par l’EBV. Tous les LB ayant proliféré sont
détruits, et ne persistent dans l’organisme que les LB infec-
tés au repos. En fin de compte, un patient guéri d’un SLP est
comme un patient qui a rencontré l’EBV et qui présente dans
l’organisme des LB au repos infectés par l’EBV. Si certains
de ces LB se mettent à réexprimer les protéines virales et à
proliférer, alors les EBV-CTL vont rentrer en action et les
détruire. Dans cette vision des choses, on peut considérer
qu’un patient guéri d’un SLP a autant de risques de dévelop-
per un SLP en cas de nouvelle immunosuppression qu’un
patient ayant déjà rencontré l’EBV et recevant sa première
greffe. Alors, à la question : “Peut-on regreffer ?”, la réponse
est évidemment : oui. On pourrait même, dans cette logique,
affirmer qu’un patient qui n’a jamais rencontré l’EBV au
moment de la greffe est plus à risque de développer un SLP
qu’un patient qui a guéri d’un SLP. Cette théorie logique
repose néanmoins sur le postulat que la transformation d’un
LB au repos est un événement rare, non massif, c’est-à-dire
ne concernant pas tous les LB au repos d’un coup, et surtout
stochastique, c’est-à-dire où rien, hormis le hasard, n’a été
responsable d’une prolifération de ces LB.
Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o4 - oct.-nov.-déc. 2002
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