M ise au point ● E. Haddad* Peut-on regreffer un patient ayant présenté un syndrome lymphoprolifératif lié au virus d’Epstein-Barr au cours d’une première greffe ? RÉSUMÉ. La première mesure thérapeutique devant un syndrome lymphoprolifératif survenant chez un patient transplanté et lié au virus d’EpsteinBarr (SLP-EBV) consiste en une baisse importante de l’immunosuppression. Cette mesure a parfois pour effet d’entraîner un rejet pouvant conduire à la perte du greffon. La question de la retransplantation du patient une fois le SLP-EBV guéri correspond donc à une situation non exceptionnelle. Plusieurs publications démontrent la faisabilité d’une telle procédure, sans que cela entraîne forcément la récidive du SLP-EBV. Cette constatation peut s’expliquer par la physiopathologie de l’infection à EBV et par les mécanismes de la survenue du SLP-EBV. Néanmoins, tous les moyens permettant d’apprécier au mieux, pour chaque patient, le risque de récidive et de détecter cette dernière le plus précocement possible doivent être mis en œuvre dans cette situation. Il est possible que, dans l’avenir, la prise en charge de ces patients à haut risque justifie la mise en place de thérapeutiques innovantes, comme l’utilisation de lignées congelées de lymphocytes T cytotoxiques spécifiques de l’EBV provenant de l’hôte ou d’une banque de donneurs. Mots-clés : Syndrome lymphoprolifératif - EBV - Transplantation. PHYSIOPATHOLOGIE DE L’INFECTION PAR L’EBV ET DU SLP ans une mini-review du journal Cell en 1994, George Klein écrit, au sujet des syndromes lymphoprolifératifs D liés à l’EBV (EBV-SLP) : “The immunoblastomas of kidney L’EBV est un membre de la famille des Herpèsvirus. Il infecte les cellules épithéliales de l’oropharynx et les lymphocytes B (LB) (2). Le récepteur du virus sur ces cellules est la molécule CD21, appelée également CR2, qui est, en fait, le récepteur de la fraction C3d du complément (2). L’infection des cellules épithéliales est suivie d’une réplication virale intense avec relargage de virions et lyse cellulaire. En revanche, le destin des lymphocytes B infectés par l’EBV est très particulier. En effet, lorsque l’EBV infecte le LB, son génome linéaire devient circulaire pour se retrouver dans le noyau, en position extrachromosomique, sous forme d’épisome. Cette infection par l’EBV active les LB, qui se transforment en immunoblastes, sécrètent des immunoglobulines, passent de la phase G0 à la phase G1, et acquièrent alors la capacité de proliférer indéfiniment. Cela est aussi vrai in vivo qu’in vitro lorsque des LB circulants sont mis dans un milieu de culture en présence d’EBV. C’est ainsi qu’on obtient des lignées immortalisées de LB. Les mécanismes responsables de cette transformation des LB sont complexes et sont liés schématiquement à l’expression par l’EBV de neuf protéines virales : six antigènes nucléaires (EBNA1-EBNA6) et trois protéines de membrane (LMP1, LMP2A et 2B) (1, 3). Actuellement, plusieurs mécanismes sont avancés pour expliquer cette immortalisation des LB : l’activation par la protéine virale EBNA2 de la cycline D2 (4), responsable du passage des LB de la phase G0 à la phase G1, et l’induction par l’ensemble des protéines virales de la protéine Bcl-2, qui est une molécule inhibant l’apoptose (5). transplant recipients may regress without any treatment if the immunosuppressive regimen is lifted and the patient allowed to reject his or her kidney. No second lymphoma appears after a second kidney transplantation, as a rule” (1). Peut-on être aussi affirmatif ? Sur quels arguments repose cette assertion ? La littérature la confirme-t-elle ? Dispose-t-on, avant de regreffer le patient, d’examens biologiques permettant de définir cette nouvelle greffe comme étant particulièrement à risque ou, au contraire, comme n’étant pas particulièrement risquée ? Peut-on utiliser n’importe quelle immunosuppression pour une seconde greffe ? Faut-il prévoir des armes thérapeutiques spécifiques avant de regreffer le patient ? Comment surveiller efficacement la survenue d’une éventuelle récidive ? Autant de questions qui seront abordées dans cet article. Néanmoins, il est nécessaire au préalable d’expliquer en détail les mécanismes de l’infection à EBV et de la survenue du SLP. * Service de néphrologie pédiatrique, hôpital Robert-Debré, 75019 Paris. 182 Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2002 M ise au point Une à deux semaines après l’infection et la prolifération des LB, des lymphocytes T cytotoxiques spécifiques de l’EBV (EBV-CTL) apparaissent et détruisent ces LB infectés. Cette phase de prolifération des LB et de son contrôle par les EBVCTL se traduit cliniquement, dans certains cas, par le fameux syndrome mononucléosique. Ces EBV-CTL reconnaissent des protéines virales présentées en association avec le système HLA de l’hôte par les LB, à l’exception notable de la protéine EBNA1, contre laquelle aucun clone de CTL n’a pu être isolé (1). Cette caractéristique explique la suite des événements. En effet, un certain nombre de LB infectés par l’EBV, via un mécanisme complexe mettant en cause les protéines LMP1 et LMP2A du virus EBV, vont retourner à un état quiescent et se comporter comme des LB au repos circulant librement dans le pool des LB mémoires (3). Ces LB au repos infectés par l’EBV ne sont pas détruits par les CTL, probablement parce qu’ils n’expriment que la protéine EBNA1. Ainsi, ils peuvent persister indéfiniment dans l’organisme. Ces LB sont, chez le sujet sain, “inoffensifs”, sauf si, comme c’est le cas de manière exceptionnelle, il existe en leur sein une translocation juxtaposant l’oncogène c-myc aux gènes des immunoglobulines. Il apparaît alors une prolifération de ces LB de manière clonale et maligne sous la forme d’un lymphome de Burkitt dont la survenue ne dépend pas du statut immunitaire de l’hôte. Ces LB au repos peuvent de plus, à tout moment, se retransformer en immunoblastes via une réactivation du génome EBV et une réexpression des protéines virales EBNA2-6 et LMP1-2. Cependant, cette réexpression des protéines virales les trahit aux yeux du système immunitaire, et les CTL les détruisent d’autant plus rapidement que, l’organisme ayant déjà eu affaire à eux, les protéines imunogènes sont immédiatement reconnues par les LT mémoires. Ce contrôle de la transformation de ces LB au repos par les CTL n’a aucune traduction clinique ni biologique. important d’effectuer une étude en biologie moléculaire des SLP, afin de déterminer la clonalité ou non de la prolifération, et de rechercher s’il existe un réarrangement chromosomique ou une expression d’oncogènes. Ces données physiopathologiques expliquent également pourquoi, chez les receveurs qui n’ont jamais rencontré l’EBV, le risque de développer un SLP est plus grand et le pronostic plus sévère. En effet, dans cette situation, le système immunitaire doit faire face à une primo-infection qui s’accompagne d’une véritable “explosion” dans l’organisme, étant donné la charge virale, de LB immortalisés qui prolifèrent. De plus, le système immunitaire ne peut pas compter, dans cette situation, sur la présence de LT mémoires ayant déjà appris à reconnaître les protéines immunogènes de l’EBV. Une immunodépression dans ce contexte est donc plus souvent responsable du noncontrôle de la prolifération des LB que dans le contexte d’un receveur déjà immunisé. COMMENT GUÉRIT-ON D’UN SLP ET POURQUOI PEUT-ON RETRANSPLANTER ? Une baisse de l’immunosuppression est capable, dans environ 40 % des cas, de contrôler la prolifération B liée à l’EBV. Dans les cas où la baisse de l’immunosuppression n’est pas suffisante, les traitements possibles, que nous ne détaillerons pas ici, reposent sur la destruction ou l’inhibition de la croissance des immunoblastes. Dans certains cas, notamment dans les cas des SLP survenant tardivement après greffe à un moment où le patient est peu immunodéprimé, une chimiothérapie peut être nécessaire. On estime actuellement que les SLP post-transplantation d’organe peuvent guérir dans environ 60 à 70 % des cas. Que signifie la guérison d’un SLP ? Il s’agit en fait simplement d’un retour à l’état de base, avec un système immunitaire qui arrive à contrôler la prolifération de LB infectés par l’EBV. Tous les LB ayant proliféré sont détruits, et ne persistent dans l’organisme que les LB infectés au repos. En fin de compte, un patient guéri d’un SLP est comme un patient qui a rencontré l’EBV et qui présente dans l’organisme des LB au repos infectés par l’EBV. Si certains de ces LB se mettent à réexprimer les protéines virales et à proliférer, alors les EBV-CTL vont rentrer en action et les détruire. Dans cette vision des choses, on peut considérer qu’un patient guéri d’un SLP a autant de risques de développer un SLP en cas de nouvelle immunosuppression qu’un patient ayant déjà rencontré l’EBV et recevant sa première greffe. Alors, à la question : “Peut-on regreffer ?”, la réponse est évidemment : oui. On pourrait même, dans cette logique, affirmer qu’un patient qui n’a jamais rencontré l’EBV au moment de la greffe est plus à risque de développer un SLP qu’un patient qui a guéri d’un SLP. Cette théorie logique repose néanmoins sur le postulat que la transformation d’un LB au repos est un événement rare, non massif, c’est-à-dire ne concernant pas tous les LB au repos d’un coup, et surtout stochastique, c’est-à-dire où rien, hormis le hasard, n’a été responsable d’une prolifération de ces LB. Tout cela explique la physiopathologie des EBV-SLP. En effet, après transplantation d’organe, l’immunosuppression nécessaire à la prévention du rejet ou, plus souvent, au traitement d’un rejet altère la capacité de surveillance des CTL, qui ne sont donc plus aptes à contrôler la prolifération des LB infectés par l’EBV. Ces derniers se remettent alors à exprimer l’ensemble des protéines virales. Il s’ensuit un syndrome lymphoprolifératif constitué de lymphocytes B le plus souvent polyclonaux et non malins au sens biologique du terme. Le terme lymphome est donc impropre dans cette situation. Cette prolifération peut d’ailleurs être monoclonale, sans pour autant être maligne. Parfois, néanmoins, un clone lymphocytaire B issu de cette prolifération polyclonale ou monoclonale subit un réarrangement chromosomique lui permettant d’exprimer certains oncogènes, principalement n-myc. Ce clone malin prend le dessus sur les autres LB, et la prolifération peut alors s’apparenter à un vrai lymphome. Bien entendu, le pronostic est plus sévère dans cette situation, car la restauration d’un système immunitaire compétent ne suffit pas à éteindre cette prolifération. C’est pourquoi il est 183 Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2002 M ise au point augmentation du nombre de LB est un signe indirect de lymphoprolifération et doit interdire la retransplantation. On ne peut donc retransplanter que si la charge virale est au minimum, en fonction des valeurs de référence du laboratoire qui effectue sa quantification. Cet aspect justifie pleinement, dans cette situation, l’utilisation de PCR dite “quantitative”, qui permet non seulement de déceler la présence du génome de l’EBV, mais également de quantifier le nombre de copies. Une autre façon de raisonner serait de considérer que, si un patient a présenté un SLP, c’est que ses LB au repos ont une propension particulière à se mettre à proliférer, que cela soit lié à l’hôte, au virus, ou à toute autre cause environnementale. Cette cause, quelle qu’elle soit, serait donc présente lors de la seconde greffe, et induirait alors un risque pour le patient de développer un nouveau SLP. En quelque sorte, étant donné qu’on ne comprend pas pourquoi, à risque égal, certains patients vont développer un SLP et d’autres non, on estime que le fait d’avoir déjà développé un SLP entraînerait un risque de développer de nouveau un SLP. Cet argumentaire logique est renforcé par le fait qu’une seconde transplantation surviendra chez un patient ayant déjà reçu de nombreux agents immunosuppresseurs pendant une longue durée, et qu’il est connu que la durée cumulée d’immunosuppression est un facteur de risque majeur d’infections opportunistes. Comment être certain que le système immunitaire a retrouvé sa compétence ? Le meilleur argument est la guérison du SLP. Néanmoins, celleci n’est pas suffisante en elle-même pour prouver une bonne reconstitution immunitaire. L’autre argument essentiel est une sérologie EBNA positive. En effet, l’organisme ne fabrique des anticorps anti-EBNA que lorsque l’antigène EBNA est présent dans l’organisme. Or, cet antigène n’est relargué par les LB infectés par l’EBV que lorsqu’ils sont détruits par les CTL (8, 15). Une sérologie EBNA positive témoigne donc de l’efficacité des EBV-CTL. Aussi, on observe souvent, lors de la survenue d’un SLP, une modification du statut sérologique du patient, avec parfois l’apparition d’IgM anti-VCA, parfois une augmentation des IgG anti-EA et anti-VCA, et surtout une disparition des IgG anti-EBNA. Cet argument sérologique est peu connu des cliniciens. Or, il est important de souligner ici qu’une négativation de la sérologie EBNA chez un patient greffé doit faire craindre la survenue possible d’un SLP. Néanmoins, certains sujets sains (environ 20 %) ne présentent jamais d’antiEBNA et sont pourtant parfaitement immunocompétents. La non-réapparition des anti-EBNA ne peut donc être considérée comme le témoin d’une mauvaise restauration du système immunitaire que si le sujet était EBNA positif avant la greffe. Il est en fait probable que la vérité se situe entre ces deux visions extrêmes du problème, et que l’on peut regreffer un patient ayant présenté un SLP lors d’une première greffe. Un tel patient doit probablement être considéré comme à risque, mais ce risque ne devrait pas interdire la procédure. En effet, plusieurs observations rapportées dans la littérature confirment que l’on peut retransplanter un patient ayant présenté un SLP-EBV lors d’une première greffe, qu’elle soit rénale (6, 7), pulmonaire (8), hépatique (9-12), intestinale (13) ou cardiaque (14). On peut également, dans cet argumentaire, s’appuyer sur les nombreux cas de la littérature de SLP ayant régressé et n’ayant pas récidivé lors d’une reprise massive de l’immunosuppression pour cause de rejet, la problématique étant la même. COMMENT APPRÉCIER LE RISQUE DE RÉCIDIVE Il est logique de conseiller également une normalisation de l’immunoélectrophorèse, si celle-ci s’était modifiée lors du SLP, avec l’apparition d’un ou plusieurs pic(s). Ces pics sont, en effet, le témoin d’une prolifération d’un ou plusieurs clone(s) de LB hautement suspect(s) d’être proliférant(s) et d’échapper au contrôle du système immunitaire. Il est crucial dans cette situation de tout faire pour démontrer que tous les LB sont au repos, que la charge virale est à son minimum et que le système immunitaire a bien contrôlé la prolifération des LB transformés. Le SLP doit être guéri Il est évident que, cliniquement, avant de proposer une nouvelle greffe, aucun signe du SLP ne doit plus être présent. Tous les sites de la lymphoprolifération doivent être vierges de toute infiltration par les LB. Dans le cadre de la transplantation d’organe, le greffon étant le plus souvent le point de départ du SLP, il est préférable, lorsque cela est possible, de réaliser une transplantectomie. La question la plus délicate est probablement celle des SLP malins, s’apparentant à un lymphome, avec expression d’un oncogène, et ayant guéri. Le plus souvent, ces SLP nécessitent l’utilisation d’une chimiothérapie. En effet, un système immunitaire même compétent ne peut contrôler la prolifération d’un clone malin. C’est le cas, d’ailleurs, pour tous les lymphomes des sujets non greffés. Ainsi, cette situation s’apparente à celle d’un cancer où la moindre cellule clonale résiduelle maligne peut, à tout moment, se remettre à proliférer et être responsable d’une récidive du lymphome. On peut considérer qu’un système immunitaire compétent ne peut rien face à un lymphome en pleine poussée, mais qu’il est crucial que ce système immunitaire soit compétent lorsque la guérison est obtenue, afin de pouvoir contrôler la prolifération d’éventuelles cellules résiduelles en très faible nombre dans l’organisme. Dans ce La charge virale doit être faible La mesure de la charge virale consiste à quantifier par PCR le nombre de copies de l’EBV. Cela revient à quantifier les LB porteurs de l’EBV. Si tous les LB sont au repos, leur nombre sera faible et la charge virale comparable à celle d’un sujet sain ayant rencontré l’EBV. Une charge virale augmentée indique que le nombre de LB porteurs de l’EBV est augmenté. Cette 184 Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2002 M ise au point drer la survenue d’un rejet massif obligeant à une augmentation de l’immunosuppression. Pour démontrer avec le plus de fiabilité possible le risque imminent de récidive du SLP, on s’aidera des signes indirects cités ci-dessus (sérologie EBNA, immunoélectrophorèse). Afin de détecter au plus vite un SLP débutant, on effectuera un examen clinique répété à la recherche de signes tumoraux, avec une imagerie au moindre doute et la biopsie de toute masse tumorale suspecte. On recherchera également les signes biologiques indirects inconstants que sont l’augmentation du taux sérique des LDH et/ou de la CRP. On effectuera, enfin, une numération des LB circulants avec une étude de l’expression du CD23, marqueur d’activation des lymphocytes B. On pourra aussi rechercher une prolifération spontanée in vitro des LB issus du sang circulant, signe, en général, de mauvais pronostic. L’idée n’est pas d’effectuer ces examens de manière systématique, mais d’utiliser, en cas de doute, l’ensemble de l’arsenal diagnostique et pronostique afin de définir au mieux la conduite à tenir. contexte, une nouvelle immunosuppression est particulièrement risquée. En effet, la nouvelle prolifération de cellules malignes ne sera probablement pas sensible à une baisse de l’immunosuppression et justifiera une nouvelle chimiothérapie qui, non seulement, ne sera pas obligatoirement efficace mais qui, de plus, pourra être extrêmement toxique sur un tel terrain. Avant de regreffer le patient, on peut, à l’aide de techniques de biologie moléculaire, rechercher dans le sang circulant les LB présentant un réarrangement clonal de leurs gènes d’immunoglobulines (réarrangement identifié lors de la survenue du lymphome). Cette façon de déterminer la “maladie résiduelle” est de pratique courante en hématologie dans certains lymphomes ou leucémies, et peut être particulièrement utile dans ce contexte, afin de déterminer la faisabilité d’une seconde transplantation. QUELLE IMMUNOSUPPRESSION POUR LA SECONDE GREFFE ? Il va de soi que, dans ce contexte, le clinicien aura tendance à utiliser les protocoles les moins immunosuppresseurs. Néanmoins, les SLP font souvent suite à la survenue d’un rejet ayant nécessité une immunosuppression massive. Il faut donc une immunosuppression suffisante pour ne pas trop augmenter le risque de rejet. En effet, les agents immunosuppresseurs utilisés pour traiter un rejet sont souvent plus agressifs qu’une forte immunosuppression à visée préventive. Le mieux est alors l’ennemi du bien. Il est ainsi tentant, dans cette situation, d’utiliser en fin de compte une immunosuppression classique. Il est intéressant de constater que les quelques cas de seconde greffe après SLP rapportés dans la littérature ne comportaient pas une modification substantielle du protocole d’immunosuppression, Demircin et al. (6) ayant même utilisé un protocole nettement plus lourd lors de la seconde greffe ! FAUT-IL, AVANT LA SECONDE GREFFE, PRÉVOIR DES MOYENS THÉRAPEUTIQUES INNOVANTS À UTILISER EN CAS DE RÉCIDIVE ? Dans le cadre de la greffe de moelle osseuse, il a été montré que l’on pouvait utiliser des EBV-CTL du donneur pour traiter un SLP (17, 18). Dans le contexte de la greffe d’organe, on ne peut évidemment pas utiliser des EBV-CTL du donneur. Dans cette situation, la première alternative consiste à utiliser des lymphocytes T du receveur. Le risque est, bien entendu, le rejet de la greffe. Afin de diminuer ce risque, l’idée est de générer in vitro des lignées de CTL spécifiques de l’EBV (19) qui, théoriquement, devraient être capables de contrôler la prolifération des lymphocytes B infectés par l’EBV sans s’attaquer à l’allogreffe. Étant donné le temps de préparation de telles lignées (environ 12 semaines), celles-ci doivent être préparées in vitro avant la greffe, congelées et utilisées in vivo en cas de survenue du SLP. Si cette démarche est théoriquement séduisante, elle est en pratique inconcevable à ce jour pour tous les patients. En revanche, son utilisation se discute pour des patients à risque, comme dans le cadre qui nous concerne ici. Néanmoins, la génération de ces lignées est très coûteuse en temps et en matériel, et, aujourd’hui, peu de laboratoires de thérapie cellulaire sont disposés, faute de moyens, à réaliser des lignées CTL spécifiques de l’EBV pour ces receveurs à risque. D’ailleurs, cela se justifie-t-il vraiment, étant donné le “faible” risque de récidive ? Une autre approche pourrait s’avérer plus séduisante. Cette méthode consiste à générer in vitro une banque de lignées T de CTL spécifiques de l’EBV à partir de donneurs de sang, en constituant cette banque de façon à ce que l’ensemble du système HLA soit représenté. Si un SLP survient chez un receveur d’organe, on choisit alors la lignée EBV-CTL la plus compatible possible dans le système HLA, sans exiger une parfaite compatibilité. Il suffit pour cela, en théorie, d’un seul HLA de classe I compatible pour espérer que ces CTL soient efficaces. Si le receveur est, par exemple, de phénotype A2, il est pro- COMMENT SURVEILLER LE PATIENT APRÈS LA DEUXIÈME GREFFE Une surveillance régulière de la charge virale est conseillée. L’intérêt d’une telle pratique chez tous les greffés est discutable. En effet, de nombreux patients greffés présentent régulièrement une augmentation de leur charge virale sans pour autant développer de SLP. Cependant, les études les plus récentes semblent montrer que l’utilisation de la PCR quantitative permet de corréler de façon statistiquement significative la survenue de SLP à une augmentation nette de la charge virale (16). Si l’extension de cette méthode à tous les patients greffés est discutable en termes de rapport coût/efficacité, cette surveillance semble justifiée dans le contexte d’une retransplantation après SLP. L’augmentation de la charge virale sera ainsi détectée plus vite, et permettra au clinicien de mieux surveiller le risque de récidive du SLP. L’attitude à adopter en cas d’augmentation de la charge virale n’est malheureusement pas simple à définir. Comme dans le cas du choix du protocole d’immunosuppression, on sera tenté de diminuer l’immunosuppression, en évitant les à-coups trop brutaux qui pourraient engen- 185 Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2002 M ise au point bable qu’un lymphocyte T d’un donneur A2, mis en présence du virus EBV in vitro, saura reconnaître in vivo au moins un antigène du virus EBV présenté par la molécule A2. Une équipe anglaise a récemment fait état d’une telle expérience avec succès (20), et un programme de constitution d’une banque de CTL est en cours au Royaume-Uni dans le cadre d’un protocole multicentrique. Actuellement, les auteurs affirment couvrir, avec leur banque de CTL, plus de 98 % des groupes HLA communément rencontrés au Royaume-Uni. L’avenir dira si ce traitement est efficace pour un plus grand nombre de patients et si cette approche préventive audacieuse est justifiée. ■ R É F É R E N C E S 9. Chachap P, Carone Filho E, Porta G et al. 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Blood 1994 ; 84 : 972-84. lymphoproliferative disease using partially HLA-matched Epstein-Barr virus-specific cytotoxic T cells. Transplantation 2001 ; 72 : 1399-402. Grand Prix éditorial 2002 du SNPM* Lors de la remise des prix, le 8 octobre dernier, notre groupe de presse a été cité et primé dans plusieurs catégories de prix. Le Courrier de la Transplantation a été sélectionné pour le prix du meilleur article présentant des travaux originaux en chirurgie pour son article “Le donneur vivant en transplantation rénale chez l’enfant“ paru dans le numéro 2 de septembre 2001 . Un grand bravo et merci à l’auteur. * Syndicat National de la Presse Médicale et des professions de santé 186 Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 4 - oct.-nov.-déc. 2002