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Le Courrier des addictions (2), n° 1, mars 2000
Et si la cigarette rendait
psychopathe ?
Deux études importantes recourant à des
méthodologies rigoureuses présentent en
même temps des résultats concordants
qui vont certainement intriguer la plupart
des lecteurs des respectables journaux
qui en publient les résultats.
•Brennan a suivi une cohorte de 4 169
garçons, nés entre 1959 et 1961 à
Copenhague, en évaluant les consomma-
tions de cigarettes pendant leurs gros-
sesses. En recherchant les arrestations sur
les registres de la criminalité danoise
lorsque ces garçons avaient atteint l’âge
de 34 ans, les auteurs ont pu comparer le
nombre des délits en fonction des
consommations de leurs mères, des
conditions sociales, des suivis de grosses-
se, des antécédents psychiatriques ou cri-
minels des parents et des conditions de
rejets familiaux. Une analyse par régres-
sion logistique amène à reconnaître un
facteur dose-dépendant de l’utilisation de
tabac en cours de grossesse comme
déterminant l’apparition de conduites
délictueuses à l’âge adulte, indépendant
des autres variables.
• Rasanen a suivi pour sa part une
cohorte de 5 636 garçons jusqu’à 28 ans,
en Finlande, avec une méthodologie
assez comparable. Les fils de mères qui
ont fumé pendant leur grossesse ont un
risque de commettre des délits à l’âge
adulte multiplié par deux. Le fait de
fumer pendant la grossesse intervient à
lui seul dans 4 % de la variance associée
aux conduites délictueuses, mais lors-
qu’il est associé à une grossesse précoce
(âge de la mère de moins de 20 ans), une
famille monoparentale, une grossesse
non désirée, le risque est alors multiplié
par 9 pour des délits avec violence et par
14 pour des délits répétés.
Les auteurs s’avancent assez peu sur le
terrain des hypothèses qui permettraient
de comprendre ce phénomène. Encore
faut-il se souvenir que d’autres auteurs
avaient pu montrer auparavant une in-
fluence de la consommation de cigarettes
pendant la grossesse sur le développe-
ment d’un syndrome d’hyperactivité avec
déficit de l’attention chez l’enfant et que
celui-ci peut souvent s’accompagner de
troubles des conduites qui, à l’âge adulte,
évoluent en partie vers d’authentiques
troubles de la personnalité antisociale
avec des conduites de délinquance.
– Rasanen P., Hakko H., Isohanni M.,
Hodgins S., Tiihonen J. Maternal smoking
during pregnancy and risk of criminal
behavior among adult male offspring in the
northern Finland 1996 birth cohort. Amer.
J. Psychiatry 1999 ; 156, 6 : 857-62.
– Brennan P., Grekin E., Mednick S.
Maternal smoking during pregnancy
and adult male criminal outcomes. Arch.
Gen. Psychiatry 1999 ; 56 : 215-22.
Dépendance à la cocaïne
et traitements
L’usage de cocaïne s’est développé aux
États-Unis dans les années 80, en deve-
nant en dix ans un problème de santé
publique majeur. Cette vague de consom-
mation et d’abus est apparue à une
époque où on ne disposait que de peu
d’éléments pour comprendre son poten-
tiel de dépendance et où il n’existait pas
de traitements spécifiques efficaces. On
doit finalement à cette évolution des
consommations, des travaux plus fonda-
mentaux sur la dépendance. Pour simpli-
fier, on est passé d’un modèle de la
dépendance comme un trouble des récep-
teurs (par exemple dans l’héroïnomanie) à
des phénomènes plus complexes d’appé-
tence irrépressible pour un produit. On
traite un manque, puis on finit par essayer
de traiter des envies ou leur réalisation.
Des interventions psychothérapeutiques,
pharmacologiques et psychosociales ont
été préconisées mais les résultats de ces
prises en charge restent souvent discutés.
Des études nationales récentes et soute-
nues par le NIDA relancent le débat.
• Crits-Cristoph propose une étude mul-
ticentrique d’efficacité de quatre formes
d’interventions psychosociales, dans une
population de 487 patients dépendants de
la cocaïne. Par tirage au sort, les patients
ont été soumis à l’une de ces modalités et
suivis sur un an : un counselling indivi-
duel (IDC) et de groupe sur la cocaïne
(GDC), une thérapie cognitive associée au
GDC, une psychothérapie dynamique de
soutien et d’expression associée au GDC
et au counselling de groupe (GDC). Le
suivi est essentiellement évalué à partir
des scores de l’ASI (“Addiction severity
index”) et cette étude ne dispose pas
d’examens d’urines. Les résultats de cette
évaluation sont très fortement en faveur
de la supériorité des techniques de coun-
selling sur les psychothérapies en termes
de consommations mais aussi de réten-
tion. Les études précédentes sur l’efficaci-
té des psychothérapies étaient réalisées en
majorité sur des patients recevant de la
méthadone ou sur des sous-groupes pré-
sentant des troubles psychiatriques plus
importants, par exemple des personnalités
antisociales. Elles reconnaissaient une
plus grande efficacité des thérapies cogni-
tives aux thérapies dynamiques mais sans
réelle différence d’efficacité avec le coun-
selling. Mais il est vrai que pour juger de
l’efficacité de psychothérapies sur des
populations randomisées, on peut sous-
estimer des effets dans des populations
plus ciblées. Il reste évident, à travers ces
données, que pour soigner des dépen-
dances à la cocaïne, il faut pouvoir très
simplement aborder avec les patients leur
mode de consommations.
• Simpson a évalué, là encore dans une
étude multicentrique, le devenir à un an
de 1 605 patients initialement dépendants
de cocaïne et sortant des programmes
communautaires. Cinq cent quarante-
deux d’entre eux avaient suivi des traite-
ments résidentiels en communauté théra-
peutique pour des durées de quatre à six
mois. Quatre cent quatre-vingt-cinq
patients étaient admis dans des pro-
grammes ambulatoires, en moyenne de
six mois. Six cent cinq patients avaient
été hospitalisés pour des durées en
moyenne de 25 jours. Vingt-trois pour
cent de l’ensemble des patients utilisaient
à nouveau de la cocaïne après un an. Dix-
huit pour cent étaient revenus à un pro-
gramme de traitement. Les taux de
rechutes les plus élevés étaient corrélés
avec la sévérité des consommations ini-
tiales et avec des durées de traitement
inférieures à 90 jours. On est donc tenté
de proposer, dans les cas de dépendance
à la cocaïne, une évaluation fine des
besoins des patients et, pour les cas les
plus sévères, d’orienter les propositions de
soins sur des durées longues et dépassant
de toute façon notre classique sevrage hos-
pitalier d’une semaine. Cette étude suggè-
re en tout cas que l’influence de prises en
charge des dépendances à la cocaïne ne
peut se décliner en semaines de traitement.
– Crits-Christoph P., Siqueland L., Blaine J.
Psychosocial treatments for cocaine
dependence. Arch. Gen. Psychiatry
1999 ; 56 : 493-501.
– Simpson D., Joe G., Fletcher B., An-
glin D. A national evaluation of treatment
outcomes for cocaine dependence. Arch.
Gen. Psychiatry 1999 ; 56 : 507-12.
J.B.
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