S U P P O R T e s è h t Syn I V E C A R E Les soins palliatifs L. Batel-Copel* D u strict point de vue français, l’année 1998 fut riche dans le domaine des soins palliatifs, à la fois en ce qui concerne la mise sur le marché de drogues attendues depuis longtemps et en raison des nombreux débats nationaux qui ont eu trait à des aspects éthiques de notre législation ainsi qu’à la promotion des soins palliatifs et de la lutte contre la douleur. Sur le plan international, les débats éthiques rejoignent les réflexions françaises, mais nombre d’études et de réflexions d’outre-Atlantique et de certains pays d’Europe du Nord sont fondées sur des produits auxquels nous n’avons pas encore accès en France. LE FENTANYL TRANSDERMIQUE (DUROGESIC®) Assurément, l’arrivée du fentanyl transdermique avec réservoir de 72 heures sur le marché français est la grande nouveauté de l’année. Il convient cependant de l’utiliser dans de bonnes conditions. Tout d’abord, en ce qui concerne l’équi-analgésie : par rapport aux morphiniques plus classiques, elle a été relativement bien établie pour les douleurs cancéreuses stables (1, 2, 3), mais il y a discordance des études concernant la conversion de dose entre morphine et fentanyl (5). De nouvelles études sont en cours, en particulier au sein de l’EORTC, pour obtenir un consensus sur les équivalences de doses. Par ailleurs, pour des douleurs plus aiguës, comme en postopératoire, la morphine permet une meilleure analgésie que le fentanyl (4), et l’on sait que l’adaptation des doses, notamment lorsque le maniement des entredoses ou des fenêtres thérapeutiques n’est pas bien contrôlé, est difficile avec ce type de galénique. En ce qui concerne les effets secondaires, la diminution de l’incidence de la constipation est retrouvée dans toutes les études de manière évidente (1, 2, 3), mais la survenue d’autres effets secondaires, notamment dyspnée, diarrhée, troubles cognitifs et troubles du sommeil, est retrouvée avec une incidence parfois plus importante pour le fentanyl (3) et ne doit pas être négligée. D’ailleurs, les études de qualité de vie disponibles montrent globalement une équivalence de la morphine orale et du fentanyl transdermique (2, 3). Quoi qu’il en soit, toutes les études actuellement disponibles s’accordent à dire qu’il y a une préférence du patient pour le dispositif transdermique ; celui-ci devra donc faire partie des opioïdes couramment utilisés, notamment lorsque la voie orale n’est pas possible. * Unité mobile d’accompagnement et de soins continus, Institut Curie, Paris. 264 LES AUTRES MORPHINIQUES Dans le traitement de la douleur, les médecins français n’avaient jusqu’à aujourd’hui à leur disposition qu’un seul agoniste µ pur : la morphine. La “rotation” des opioïdes était donc impossible. Pourtant, lorsque les effets secondaires, notamment neurologiques, surviennent avec la morphine, on les attribue le plus souvent à certains métabolites (comme le morphine-6-glucuronide) ; il est alors admis, sur le plan international, de lui substituer un autre opioïde de même classe. Jusqu’à l’année dernière, seuls certains centres disposaient de méthadone pour permettre cette rotation ; désormais, le fentanyl, et bientôt l’hydromorphone et l’oxycodone, permettront d’élargir nos possibilités. Un autre nouveau produit, le Kapanol®, est, lui, un sulfate de morphine classique dont la galénique permet, en théorie, une seule administration quotidienne. Les études actuellement disponibles sur ce produit sont cependant insuffisantes pour qu’on soit certain de l’équi-analgésie avec les autres formes (Moscontin® ou Skénan®) (6). Dans les prochains mois, on attend en outre, avec beaucoup d’impatience, l’arrivée d’une morphine en comprimé à libération immédiate qui permettra enfin la prescription d’entredoses et la titration rapide du besoin morphinique. AUTRES NOUVEAUTÉS PHARMACOLOGIQUES FRANÇAISES Cette année, la scopolamine a enfin obtenu l’AMM pour le traitement des râles agoniques (diminution des sécrétions des voies aérodigestives supérieures non dégluties lorsque le patient est inconscient). Le recours à cette molécule doit donc maintenant faire partie des standards en phase toute terminale, mais ne doit pas faire oublier que la surcharge hydrique est également une cause fréquente d’inconfort respiratoire en fin de vie. AU NIVEAU INTERNATIONAL L’élargissement de l’éventail des différents morphiniques n’est plus d’actualité dans la littérature anglo-saxonne en dehors du développement de “rescue doses” de fentanyl par inhalation de bouffées intranasales. Les questions actuelles relèvent de la place des dérivés du cannabis, de la place des amphétamines dans le traitement des effets secondaires liés aux opiacés, mais aussi dans la dépresLa Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 6 - décembre 1998 sion avec ralentissement psychomoteur et hypersomnie en phase palliative, et encore du rôle des anti-HT3 dans les vomissements liés aux cancers avancés non traités par chimiothérapie ou radiothérapie. LES DÉBATS ÉTHIQUES ET POLITIQUES L’actualité de cet été (faits divers reflétant essentiellement la souffrance de certains soignants face à celle de leurs patients), associée à une réflexion, déjà engagée au niveau ministériel, de lutte contre la douleur a fait éclore de nombreux débats médiatiques pas toujours très heureux et très certainement facteurs de confusion pour la plupart des Français. Quoi qu’il en soit, de nombreuses mesures ont été annoncées par le gouvernement : suppression du carnet à souche à partir du 1er janvier 1999, remplacé par la prescription bientôt générale sur ordonnance sécurisée, généralisation obligatoire de l’évaluation quotidienne de la douleur par EVA pour les patients hospitalisés, dotation de moyens financiers supplémentaires pour les soins palliatifs, mise en route d’une réflexion sur un “congé d’accompagnement” pour les proches des patients en fin de vie, etc. Il a par ailleurs été décidé de remettre à plus tard les débats concernant les difficiles décisions de fin de vie, car la sérénité nécessaire doit attendre une actualité moins brûlante. CONCLUSION Il y a actuellement, au niveau français, une grande diversification des morphiniques disponibles, nécessitant de la part de tous, un effort de formation et une rigueur accrue dans le traitement de la douleur. À l’inverse, il n’y a pas d’évolution franche, cette année, dans le traitement des autres symptômes liés au cancer avancé. En revanche, les réflexions concernant les difficiles situations de fin de vie se sont généralisées. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Wong J.O., Chiu G.L., Tsaa C.J., Chang C.L. Comparison of oral controlledrelease morphine with transdermal fentanyl in terminal cancer pain. Acta Anaesthesiol Sin 1997 ; 35 (1) : 25-32. 2. Payne R., Mathias S.D., Pasta D.J., Wanke L.A., Williams R., Mahmoud R. Quality of life and cancer pain : satisfaction and side effects with transdermal fentanyl versus oral morphine. J Clin Oncol 1998 ; 16 (4) : 1588-93. 3. Ahmedzai S., Brooks D. Transdermal fentanyl versus sustained-release oral morphine in cancer pain : preference, efficacy and quality of life. The TTSFentanyl Comparative Trial Group. Journal of Pain & Symptom Management 1997 ; 13 (5) : 254-61. 4. Claxton A.R., McGuire G., Chung F., Cruise C. Evaluation of morphine versus fentanyl for postoperative analgesia after ambulatory surgical procedures. Anesthesia & Analgesia 1997 ; 84 (3) : 509-14. 5. Donner B., Zenz M., Tryba M., Strumpf M. Direct conversion from oral morphine to transdermal fentanyl : a multicenter study in patients with cancer pain. Pain 1996 ; 64 (3) : 527-34. 6. Gourlay G.K., Cherry D.A., Onley M.M., Tordoff S.G., Conn D.A., Hood G.M., Plummer J.L. Profils pharmacocinétique et pharmacodynamique comparés de Kapanol™ en monoprise quotidienne (durée d’action 24 h) versus MS Contin™ en prise biquotidienne (durée d’action 12 h) dans le traitement des douleurs cancéreuses sévères. Pain 1997 ; 69 : 295-302. 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