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Sommaire
• Prise en charge
à domicile
• Douleur :
ressenti, expression
et prise en compte
• Anorexie :
une réalité quotidienne
• Fractures :
ne plus taire les chutes
mais les prévenir
Gériatrie
Vieillir, plus que jamais
un enjeu de société
• Cancer et vieillesse
• Soins palliatifs :
unité mobile
et unité fixe
• Euthanasie :
le point de vue
de Jalmalv
• Maltraitance :
la fin des tabous ?
• La violence
et l’institution
L’homme serait programmé pour vivre 120 ans.
En dehors de quelques centenaires (ils sont environ
6 000 selon la fondation Ipsen), peu de personnes atteignent
encore cet âge. La longévité a ses limites. Outre le patrimoine
génétique, c’est l’environnement et le mode de vie qui
influencent cette augmentation constante de l’espérance de vie.
A
penser (régimes de retraite, assurances maladie,
structures d’accueil pour les personnes dépendantes). Car considérer que tout le monde
vieillira en bonne santé est un leurre, même si
nos séniors (26 % de la population en 2020),
très courtisés par le marketing, ont l’allure alerte
et encore quelques moyens financiers.
Les facteurs psychosociaux sont importants.
En effet, une bonne intégration dans la société
améliore la vie des personnes et permet la prévention de maladies comme l’ostéoporose, les
affections cardiovasculaires, les infections... L’alimentation, qui doit rester le plus longtemps possible source de plaisir et, bien sûr, de santé, est
aussi essentielle à la qualité de vie. Mais elle est
souvent conditionnée par le niveau de vie.
Quoi qu’il en soit, une personne qui avance en âge
devient fragile et exposée à la survenue de maladies multiples. Après 65 ans, le taux d’hospitalisation augmente, atteignant même 80 pour 1 000
chez les femmes de plus de 80 ans.
●●●
© R. Raguet-Phanie
u début du siècle, l’espérance de vie n’était
que d’une cinquantaine d’années. Elle dépasse aujourd’hui 74 ans chez les hommes et
82 ans chez les femmes. Vingt pour cent de la
population ont plus de 60 ans. Cette longévité
pose déjà, et posera à plus ou moins long terme,
des problèmes éthiques dans le choix d’une thérapie, ainsi que des problèmes économiques que
les politiques évitent de prendre de front. Parce
que, quelle que soit la croissance des pays industrialisés, pour ne citer qu’eux, tout sera à re-
Répartition par âge (%)
Moins de 20 ans
20 à 59 ans
60 ans et plus
Dont 65 ans et +
Dont 75 ans et +
1970
33,2
48,8
18,0
1980
30,6
52,4
17,0
1990
27,8
53,2
19,0
13,9
6,8
1999
25,7
53,9
20,4
15,8
7
Répartition par âge de la population française (source INSEE,INED, 1999).
Population totale
60 ans et plus
60-64 ans
65-69 ans
70-74 ans
75-79 ans
80-84 ans
85-89 ans
90-94 ans
95 ans et plus
58 966 834
12 051 442
2 755 774
2 745 620
2 439 013
1 962 467
917 409
826 483
322 511
82 165
Les plus de 60 ans : combien sont-ils ?
15
Gériatrie
●●●
Pourquoi vieillit-on ?
Certaines de nos cellules sont programmées. Les
cellules germinales transmettent notre capital génétique et perpétuent l’espèce, mais les cellules
somatiques qui constituent notre organisme sont
appelées à mourir dans un processus entamé dès
la naissance. L’apoptose est le terme qui désigne
la mort cellulaire programmée. Pour certains, elle
est impliquée dans le processus de vieillissement.
D’autres pistes existent cependant, par exemple
celle des effets des radicaux libres dont il est
beaucoup question actuellement. On leur prête
un effet oxydant très impliqué dans les altérations cellulaires. Sur le plan biochimique, ils représentent, par le biais d’un électron non apparié, une grande agressivité qui peut faire des
dégâts en entraînant dans les cellules des réactions à l’origine d’altérations moléculaires. L’oxydation peut attaquer les lipides des membranes
(lipoperoxydation), mais aussi atteindre l’ADN
(patrimoine génétique des cellules) en provoquant des cassures chromosomiques. On accuse
également les radicaux libres d’influer sur plusieurs pathologies augmentant avec l’âge. Par
ailleurs, les facteurs environnementaux comme
la consommation de tabac et d’alcool, ainsi que
certaines pollutions (ozone, radiations, rayonnements ultraviolets, polluants) favorisent toutes
les fragilités dues à l’âge.
Certains avancent aussi, d’après des expériences
faites sur les rats, que si une alimentation équilibrée est une garantie du bien-vieillir, manger
peu serait un moyen de longévité. D’autres mettent en garde contre l’entrée dans le système
souvent rencontré chez la personne âgée d’une
inappétence chronique, responsable d’une restriction énergétique. Celle-ci s’accompagne en
effet d’une réduction de la densité nutritionnelle, ce qui mène à des risques de carences sévères en micronutriments d’origine alimentaire
indispensables au maintien d’une bonne santé.
Il est évident que les personnes atteintes d’une
pathologie vieillissent mal ou ont une longévité réduite. D’autant que les maladies les plus
fréquentes sont invalidantes, voire mortelles
puisqu’il s’agit des maladies cardiovasculaires,
des cancers et des tumeurs.
Andrée-Lucie Pissondes
Points de repère
• A quel âge devient-on une personne âgée ?
Selon certaines statistiques, sont prises en compte
les personnes de plus de 65 ans, surtout quand il
s’agit de souligner statistiquement les performances
d’un produit par rapport à la population. La plupart
des gériatres commencent à parler de personnes
âgées à partir de 75 ans. « Mais tout est arbitraire,
et les chiffres sont difficiles à démêler, s’insurge Pascal Champvert, président de l’ADEHPA. Entre une
personne de 60 ans et une de 80, il y a une génération d’écart. Ce peut être la fille et la mère ! » Toujours est-il que, lorsque les statistiques disent qu’une
personne âgée sur deux vit à son domicile, il s’agit
des plus de 60 ans. Selon les économistes, la personne est“âgée” quand elle entre dans la période
qui précède de 10 ans l’âge moyen de mortalité.
• Quand une personne âgée quitte-t-elle
son domicile ?
Parmi les établissements qui accueillent les personnes
âgées, il faut déjà distinguer les maisons de retraite
des maisons médicalisées. L’âge moyen est de 83 ans.
Le découpage par tranches d’âge est certes arbitraire,
mais il faut bien se baser sur des données concrètes
pour traiter statistiquement du paysage et des besoins concernant une population cible. Ainsi, on évalue le pourcentage des personnes vivant en institution
16
à environ 10 % quand elles sont prises en compte à
partir de 60 ans, à environ 30 % quand elles ont plus
de 80 ans et à 60 % au-delà de 90 ans. « Il ne faut
pas oublier le rôle des familles qui gardent chez elles
leur aïeul. Elles souffrent d’un véritable épuisement,
et cette prise en charge s’appuie sur le bénévolat,
essentiellement celui des femmes », souligne Pascal
Champvert.
• Qu’est-ce qui motive l’entrée en établissement ?
Deux phénomènes sont à l’origine de l’entrée en établissement. Ils sont parfois dissociés tout en étant difficiles à démêler. Ce sont l’isolement (personne
n’ayant pas de famille, personne ayant de la famille
mais éloignée, personne souffrant d’une pathologie
nécessitant un certain suivi, ou d’un handicap) et le
handicap (personne pas forcément isolée).
D’après la dernière circulaire MARTHE du ministère
de la Santé, qui prend en compte, ensemble et ainsi
libellés “les foyers-logements” et “les autres établissements” (ce qui ne facilite pas une juste vue de la
réalité), 34 % des personnes ne souffrent pas de pathologies invalidantes et 66 % sont des personnes
handicapées, selon les différents paliers 1, 2, 3 et 4.
Selon ces calculs, on peut estimer approximativement
que 60 % des personnes qui vivent en foyers-logements ont moins de 80 ans.
Prise en charge à domicile
Un rôle clé pour les libérales
En activité libérale, les personnes âgées représentent la majorité
de la clientèle. Les infirmier(ère)s sont, en quelque sorte,
les précurseurs du maintien de la personne à domicile.
L
• les soins d’hygiène et les manipulations (lever,
mise au fauteuil, coucher) ;
• les soins liés à l’incontinence (pose d’étuis
péniens, soins de sondes urinaires ou de cathéters sus-pubiens ;
• la surveillance d’un patient sous oxygénothérapie.
Les soins prescrits concernent aussi ceux des
escarres, des ulcères variqueux et la mise sous
perfusion...
Compte tenu de la solitude, du déficit visuel, du
manque de force ou de la sénilité de certains,
l’infirmier(ère) doit surveiller la bonne observance des traitements médicamenteux. Il peut
préparer, selon une méthode définie, comprise
par le patient ou la famille, le traitement de la
journée ou l’administrer lui-même.
L’infirmier(ère) doit se faire accepter par le
patient et sa famille afin d’instaurer un climat
de confiance qui sera le meilleur garant de la
qualité des soins. Son rôle est aussi d’aider, de
conseiller jusque, parfois, dans le choix d’une
maison de retraite, par exemple. Ce qui n’est pas
chose facile, car le frein des familles est souvent
financier. Des associations* existent, qui prennent plus ou moins en compte le handicap de la
personne âgée, comme France Alzheimer. Plus
proche du terrain, l’infirmier(ère) sait ce qui se
passe dans la région. Mais, bien souvent, le placement se fait par l’intermédiaire du service social des mairies, aujourd’hui très impliquées
dans la prise en charge de ces populations.
Afin que la personne soit vraiment au centre
des soins, le travail doit toujours être conçu
dans le souci d’une indispensable coordination
entre tous les acteurs de la santé (médecin, infirmière, aide ménagère, kinésithérapeute...).
a prise en charge à domicile, des vieillards
surtout, se fait même en l’absence de pathologies connues. Le vieillissement “normal” s’accompagne toujours, au fur et à mesure des années qui passent, de déficits à l’origine d’une
dépendance ou d’une certaine perte d’autonomie. Le système de maintien à domicile permet
de conserver le plus longtemps possible une
qualité de vie. Le placement tardif en institution,
surtout contre la volonté inconsciente de la personne, peut représenter une rupture dramatique
pour elle. Et le souhait clairement affiché par
tous est celui de rester chez soi.
Intervention sur prescription
Les infirmier(ère)s libéraux interviennent sur
prescription d’un médecin de ville ou d’un hospitalier, conformément à la nomenclature. Cette
prescription doit être formulée avec le plus de
précision possible et ne doit pas se borner à prescrire simplement la distribution de tel ou tel médicament, car elle conditionne le remboursement des actes par la CAM.
Parmi les motifs de visites à domicile les plus
courants figurent :
© Voisin-Phanie
A.-L.P.
* Un annuaire des associations répertorie les diverses associations de santé dont celles pour les personnes âgées (B. Tricot
Consultant : BP 33 - 34150 Gignac - Tél. : 04 67 57 20 22).
17
Gériatrie
Douleur
Ressenti, expression
et prise en compte
La douleur chez une personne âgée était, il y a peu
de temps encore, bien souvent sous-estimée.
Quand la communication verbale est possible,
il convient d’entendre sa plainte. Et si des pathologies
démentielles rendent cette communication difficile,
le corps âgé douloureux connaît un langage qu’il faut savoir
déchiffrer. Règle incontournable : toujours croire la personne.
L
personnes âgées répondent favorablement à des
doses plus faibles d’antalgiques. Des raisons
pharmacologiques sont, là, seules en cause.
D’ailleurs, dans une unité de gérontologie, un
même questionnaire a été soumis aux soignants
et aux malades : il s’est avéré que 45 % des personnes âgées ont dit avoir des douleurs. Quant
aux soignants, ils n’étaient guère moins nombreux puisque 41 % avaient des douleurs rhumatismales notamment.
En revanche, l’expression de la douleur est sans
doute différente chez un grand nombre de personnes âgées, celles-ci étant d’une génération
peu habituée à se plaindre. Les idées reçues sont
légion : la douleur fait partie du vieillissement
normal, une plainte douloureuse est entendue
comme une faiblesse de caractère, trop de
plaintes risquent d’épuiser l’entourage familial et
d’aboutir à un placement...
A l’inverse, la douleur peut être un moyen de
communiquer avec l’entourage de façon à obtenir
a vieillesse s’accompagne souvent de pathologies susceptibles de générer des douleurs :
cancer, ostéo-arthropathies dégénératives, lombalgies, rétractions ostéo-tendineuses chez les
patients grabataires, pathologies vasculaires
oblitérantes, céphalées, crampes...
La douleur est un symptôme fréquent : entre 25
et 75 % selon les auteurs et les lieux où sont examinés les patients âgés, et elle est plus souvent
chronique qu’aiguë. Il y a pourtant peu d’études
la concernant. Pour preuve, la bibliographie en
la matière fait figure de parent pauvre en regard
des publications consacrées à la douleur chez
l’enfant. De nombreux facteurs expliquent en
partie cet état de fait. Les connaître permet de
porter son attention sur le ressenti et l’expression de la douleur chez les personnes âgées.
La prévalence de la douleur chronique chez les
sujets âgés a longtemps été mal évaluée, notamment en raison de l’exclusion fréquente des sujets de plus de 65 ans des séries étudiées. Depuis
1985, certaines ont fait l’objet de publications.
L’étude Sternbach datant de 1986 (Sternbach R.R.
Survey of pain in United States : the Nuprin Pain
Report. Clin J Pain 1986 ; 2 : 49-53), pour ne citer
qu’elle, recense, après 65 ans, 71 % de patients
présentant des douleurs articulaires, 50 % des
céphalées, 49 % des lombalgies et 42 % des douleurs musculotendineuses.
Il est encore souvent affirmé que les personnes
âgées souffrent moins que les personnes plus
jeunes. Ces allégations n’ont jamais été prouvées, et sont souvent fondées sur le fait que les
18
© Alix-Phanie
Savoir entendre...
premier acteur de l’entourage d’une personne
âgée à déceler une situation douloureuse.
Une douleur non exprimée, donc non traitée,
peut entraîner de nombreux effets pathologiques : troubles du sommeil, troubles de l’appétit, constipation, irritabilité (gémissements,
cris, agitation) ou, au contraire, prostration, ralentissement psychomoteur, repli sur soi, tant
physiquement que socialement, abandon des activités ordinairement appréciées, dépression...
son attention : l’écoute est donc essentielle, et il
importe de faire la part entre un problème physique réel et une difficulté dans un tout autre domaine. Enfin, les personnes âgées connaissent de
vrais épisodes dépressifs et la douleur est pour
elles un moyen de somatiser cette pathologie. Sa
description en est souvent évocatrice : douleur
diffuse, sans caractère particulier... « Quelle que
soit la plainte, il faut toujours croire la personne, insiste le Dr S. Lefebvre-Chapiero (hôpital PaulBrousse, Paris). Le doute doit toujours profiter au
malade car, derrière toute plainte, il existe quelque
chose. Un petit “truc” : au lieu de demander “avezvous mal ?”, il faut plutôt demander “dites-moi où
vous avez mal”. »
Le modèle de l’enfant
... et savoir reconnaître
© Burger-Phanie
Un des principaux facteurs de difficulté d’évaluation de la douleur chez les personnes âgées est lié
à la détérioration souvent importante des fonctions intellectuelles (syndrome démentiel, aphasie séquellaire d’accident vasculaire cérébral,
troubles de la mémoire, Alzheimer…) à l’origine
de graves troubles de la communication verbale.
De même, si, pour différentes raisons, la douleur
n’est pas exprimée par un sujet ne présentant pas
d’altération de la communication verbale, de
nombreux signes doivent alerter l’entourage. Les
observations et évaluations infirmières trouvent là
toute leur place. Par leur présence régulière, leur
connaissance du sujet, leur reconnaissance de ces
signes, le personnel soignant est bien souvent le
Dans le vécu douloureux, les âges extrêmes se
rejoignent. En effet, les attitudes physiques,
qu’il s’agisse des postures ou mimiques, sont les
mêmes chez l’enfant douloureux et le sujet âgé
douloureux. L’attention du soignant doit être retenue dès lors qu’un patient âgé présente un visage aux traits anormalement crispés, tirés ou
atones, au regard fixe, vide et absent. De même,
des mains en poing serré ou crochetant les
draps signalent une douleur. Enfin, une position corporelle inhabituelle doit faire penser à
une position antalgique de repos et des gestes
de défense lors des soins à la protection d’une
zone douloureuse.
Il existe actuellement peu d’outils d’évaluation
de la douleur adaptés à la personne âgée, surtout si cette dernière est dans l’impossibilité de
communiquer. Les plus utilisées sont l’échelle
Doloplus© (évaluation comportementale de la
douleur chez la personne âgée), et l’ECS SaintePérine (signes d’évaluation de la douleur chez la
personne âgée atteinte de détérioration mentale). Elles ne sont pas sans rappeler l’Echelle
Douleur Enfant Gustave-Roussy. Certaines sont
plus compréhensibles que d’autres et le soignant doit s’assurer que la personne a bien compris ce qu’on lui demande.
Il est toujours difficile de prendre en charge la
souffrance des autres. D’autant plus quand deux,
voire trois générations, séparent le soignant de
son malade.
La prise en charge de la douleur doit être un objectif primordial chez la personne âgée. Parce qu’à
plus de 75 ans, le cancer représente la moitié des
décès. En outre, les douleurs rhumatismales sont
très nombreuses. Il ne faut pas hésiter à faire prescrire de la morphine et à expliquer au patient que
le mot morphine n’a aucune relation avec la mort
puisqu’il est issu de Morphée, le dieu du sommeil.
Le soignant doit se débarrasser de ses propres réticences pour faire admettre un soin qui soulage.
Les personnes âgées ont le droit de poursuivre
leur parcours sans souffrir.
Isabelle Forestier
19
Gériatrie
Anorexie
Une réalité quotidienne
Les personnes âgées ont tendance à diminuer leurs apports
caloriques et à développer une anorexie au cours de leur
vieillissement. Cette anorexie dépend non seulement
d’un vieillissement sensoriel, mais aussi d’une altération de la régulation
hormonale et des neurotransmetteurs impliqués dans l’appétence.
n dehors de toute pathologie, la sénescence est
susceptible d’entraîner une diminution de la
E
prise alimentaire chez le sujet âgé. De nombreuses
études montrent une diminution de l’apport calorique par rapport aux sujets jeunes. De plus, différents travaux menés sur la dépense énergétique totale chez des sujets âgés en bonne santé suggèrent
que leurs besoins énergétiques sont nettement supérieurs aux besoins énergétiques recommandés.
Mécanismes physiopathologiques
Le vieillissement de l’appareil digestif, et tout
particulièrement gastrique, pourrait être à l’origine d’une diminution de la prise alimentaire
chez le grand vieillard. En effet, le passage des aliments du fundus gastrique vers l’antre est accéléré, entraînant une stagnation du bol alimentaire
dans l’antre. Ce retard de vidange gastrique rend
compte d’un excès de relaxation antrale responsable d’une sensation précoce de satiété avec, en
pratique, l’arrêt de la prise du repas.
Le vieillissement neurosensoriel peut de plus influer sur les qualités hédoniques de l’alimentation et participer à l’anorexie. En effet, le plaisir
de manger dépend du goût, de la vision, de
l’odeur, de la texture et de la température des aliments. La perception de ces aliments, ainsi que
l’expérience sensorielle de la mastication, sont
dépendantes de nombreuses pathologies, de
handicaps bucco-dentaires et de polymédication.
La régulation de la prise alimentaire est soumise à
un certain nombre de mécanismes auxquels participent des neurotransmetteurs et des hormones
que l’on peut regrouper en facteurs de satiété (qui
diminuent la prise alimentaire) et en facteurs orexigènes (qui augmentent l’appétence). En schématisant, on peut considérer que la prise alimentaire est
sous la dépendance d’une régulation centrale soumise à un système périphérique de satiété. Or, ce
centre de la faim est fragilisé par la sénescence et
surtout rapidement perturbé par les pathologies intercurrentes et tout particulièrement infectieuses.
20
Les causes d’anorexie
Les causes d’anorexie sont multiples et fréquemment intriquées :
• causes psychologiques : perte du conjoint,
d’un être cher, d’un animal familier, isolement
familial, mise en institution, état dépressif...
• vieillissement sensoriel : diminution du goût
(accentué par la carence en zinc fréquente au
cours de la dénutrition), de l’odorat et de la vision, ensemble de facteurs susceptibles de perturber la préparation et/ou la prise des mets.
• causes iatrogènes : polymédication, notamment les psychotropes, responsables d’une hyposialie entraînant une diminution du goût, mais
également une altération de la digestibilité des
aliments, avec dyspepsie ; les régimes nécessaires
ou excessifs (régime sans graisse, sans fibre, sans
sel, sans sucre...), surtout récemment instaurés et
entraînant la conception de plats insipides ; les
idées reçues sur l’alimentation telles que “moins
manger quand on est vieux, c’est normal”.
• causes pathologiques : troubles bucco-dentaires
bien entendu, mais plus spécifiquement les pathologies digestives (cancers divers, gastrite
atrophique...) et surtout les pathologies ulcéreuses gastriques ou de l’intestin grêle, évoluant
fréquemment à bas bruit, indolores, et dont les
manifestations cliniques sont l’anorexie, le dégoût des aliments carnés, la dyspepsie et l’amaigrissement, entraînant des phénomènes de malabsorption digestive.
Tous les phénomènes infectieux, inflammatoires,
et néoplasiques sont susceptibles d’entraîner une
anorexie, de même que les affections métaboliques telles les dysthyroïdies, fréquentes en gériatrie ; enfin, citons les pathologies neurologiques avec troubles de la déglutition.
Des conséquences lourdes
Peu à peu, la dénutrition protéino-énergétique
entraîne une fonte de la masse musculaire, responsable des chutes et des fractures, d’une baisse
des moyens de défense immunitaire favorisant les
infections, elles-mêmes sources d’hypercatabolisme aggravant encore la dénutrition. Cette spirale infernale augmente la morbidité opératoire,
le risque d’escarres, les infections intercurrentes et
la grabatisation. Ces conséquences directes de la
dénutrition peuvent s’observer au domicile du
patient, en maison de retraite ou lors d’une hos-
pitalisation. Elles entraînent une perte de la qualité de vie, une souffrance, et engendrent un coût
médical important. C’est pourquoi l’identification
et l’amélioration des problèmes nutritionnels
chez les sujets âgés sont, actuellement, une des
meilleures stratégies pour améliorer leur qualité
de vie et surtout prévenir les pathologies lourdes.
I.F.
Conduite à tenir devant une anorexie du sujet âgé
Q
uelques règles simples permettent de dépister la plupart des causes d’anorexie et de
tenter d’apporter une solution orexigène.
• En premier lieu, et quel que soit l’état du sujet,
il faut toujours penser à rechercher une cause
iatrogène (polymédication, nouveau médicament) ou organique, et tout particulièrement
duodénogastrique, dont la prise en charge adaptée entraîne un retour rapide à l’appétence.
• Il importe de stopper les régimes qui paraissent abusifs, surtout s’ils viennent d’être instaurés, et, chez le diabétique très âgé, de veiller à ne
pas se montrer trop strict : les sucreries peuvent
être données au décours du repas principal. Il
convient alors d’éviter d’apporter les sucres en
dehors des repas.
• En cas d’isolement du sujet âgé, il faut mobiliser l’entourage familial ou amical s’il existe, et, à
défaut ou en complémentarité, l’ensemble des
aides sociales (auxiliaires de vie, aides ménagères, portage des repas à domicile...).
Quelques conseils
• Faire preuve d’originalité dans les propositions de repas, variés et goûteux.
• Penser à fractionner les repas dans la journée,
l’anorexique préférant bien souvent de petites
quantités d’aliments à de grosses portions que
son cerveau refusera.
• Utiliser des compléments alimentaires (crèmes
nutritives hypercaloriques en dessert) et des
compléments liquides mais à distance des repas
(au moins une heure avant).
• Faire boire le sujet énormément. De plus, en
fonction des goûts des patients, de plus en plus
de structures pour personnes âgées n’hésitent
pas à proposer soit un verre de vin cuit sucré
avant le repas, soit un ou deux verres de vin ou
de bière à table, détail permettant de mieux apprécier tant la convivialité du moment que les
aliments proposés.
• En cas de pathologie dépressive avérée, faire
prescrire des antidépresseurs, en évitant les sérotoninergiques.
Il est possible de recourir aux thérapeutiques adjuvantes contribuant à faire régresser l’anorexie.
Néanmoins, dans quelques cas particuliers, la
simple évaluation nutritionnelle peut s’avérer
insuffisante et il convient alors d’avoir recours à
des centres d’évaluation gériatrique. Une recherche exhaustive des causes, et notamment la
réalisation de tests dynamiques ou décours d’un
repas (pancréaulauryl test et dosages de cholescystokinine) permettra de mieux apprécier l’absorption intestinale des nutriments et (peut-être)
de proposer des extraits pancréatiques.
Enfin, dans certaines formes sévères d’anorexie,
sur décision médicale, il peut être décidé la pose
d’une sonde nasogastrique ou d’une sonde de gastrostomie percutanée, et ce en fonction de l’état du
patient et de la durée prévisible du traitement.
I.F.
Anorexie et Alzheimer
La perte de poids est un problème nutritionnel fréquemment observé chez les patients présentant une démence de type Alzheimer.
Au seul stade du diagnostic de la maladie, la perte de poids concerne déjà 40 % des patients. Selon certains auteurs, elle serait une
conséquence des troubles neuropsychiatriques associés à la maladie : perte de la mémoire (incapacité à se rappeler le dernier repas),
désorientation, apraxie, indifférence, atteinte du jugement, troubles de l’humeur (anxiété, tristesse), perte d’autonomie pour les activités
quotidiennes (incapacité à préparer les repas, à manger seul…), modification des habitudes alimentaires, troubles lors de l’alimentation
(mâchonnement continu des aliments, troubles de la déglutition…), polymédication. La dénutrition serait alors la conséquence d’une baisse
des apports alimentaires. Selon d’autres auteurs, certains troubles du comportement tels que l’agitation et la déambulation apparaissant
avec l’évolution de la maladie, s’accompagneraient d’une augmentation des besoins énergétiques. De nombreuses hypothèses sont donc
formulées pour expliquer la perte de poids, mais aucune n’apporte pour l’instant de réponse satisfaisante.
21
Gériatrie
Fractures
Ne plus taire les chutes
mais les prévenir
Un tiers à la moitié des personnes de 65 ans et plus chutent
au moins une fois par an. On compte ainsi plus de 2 millions de chutes
chaque année dans cette population. Environ 25 % de ces chutes
sont suivies d’une hospitalisation d’une durée moyenne de 22 jours.
L
es chutes et leurs conséquences engendrent
des plaies à l’origine d’un grand nombre d’ulcères de jambe, particulièrement graves chez le
sujet âgé. L’hospitalisation génère souvent un
choc psychologique. Les accidents de la vie courante restent la première cause de mortalité de
cette tranche d’âge, avec près de 9 000 chutes fatales par an. C’est pourquoi une première campagne nationale de prévention des chutes chez
les personnes âgées fut lancée par la Caisse nationale d’assurance maladie et le Comité français
d’éducation pour la santé en 1997.
Enjeux et dépendance
Les fractures de l’extrémité supérieure du fémur
restent un facteur majeur de dépendance. Leur
nombre annuel est estimé à 50 000 aujourd’hui. Si
rien n’est fait, un doublement de leur fréquence est
attendu pour l’an 2050 en Europe, du fait de l’augmentation de l’espérance de vie. Le taux de fractures du fémur augmente en effet avec l’âge. En
France, elles frappent 170 femmes pour 100 000,
contre 62 hommes pour 100 000. Au moment de
l’accident, 87 % des personnes ont plus de 70 ans.
Quant aux tassements vertébraux, qui causent
douleurs, déformations et infirmités, le nombre de
nouveaux cas se situerait entre 40 000 et 60 000
par an. Le nombre annuel des fractures du poignet
liées à l’ostéoporose avoisinerait aussi les 50 000.
Outre les aspects médicaux et nutritionnels, le
maintien d’une activité physique et la prévention
des chutes deviennent prioritaires. Car la chute
n’est pas une fatalité. Obstacles et situations de la
vie de tous les jours, dans un appartement comme
dans la rue, sont fréquemment mis en cause. Aussi
la prévention concerne-t-elle le logement, qui doit
être aménagé pour limiter les risques de chute et
de glissade. Les accès et escaliers ne doivent pas
restreindre la fréquence des sorties du domicile,
empêchant les activités nécessaires à une bonne tenue musculaire. Tout l’environnement doit être
22
mieux adapté aux personnes âgées dans la cité et
amélioré en fonction des besoins. Les soignants, libéraux et hospitaliers, ont un rôle prépondérant
d’éducateurs de santé à jouer. Ils peuvent promouvoir des modes de vie favorisant une espérance de vie plus longue sans incapacité.
Marc Blin
Ostéoporose et prévention
L’ostéoporose, souvent associée aux chutes du sujet âgé, demeure
un facteur de risque de dépendance majeur. Ainsi, 12 % à 25 %
des personnes ayant une fracture du fémur décèdent dans l’année
qui suit, en raison de causes diverses principalement liées à l’immobilisation qui s’ensuit. Quarante à 80 % des survivants ne marchent pas normalement. Un an après une fracture, 20 % des personnes ont connu une diminution de leur autonomie domestique.
On sait que 40 % des femmes et 13 % des hommes âgés de
50 ans aujourd’hui connaîtront, suite à une chute, au moins une
fracture liée à l’ostéoporose. Outre le préjudice sur la santé de la
personne, les effets sociaux et économiques de cette pathologie
iront en s’accentuant. Il importe donc de promouvoir les mesures
de prévention de l’ostéoporose selon un rapport de l’INSERM demandé par la Direction générale de la Santé et rendu public en
février 1997. Les perspectives démographiques rendent nécessaire
l’initiation d’actions pour poser un diagnostic précoce et prévenir
la morbidité et la mortalité liées aux complications de ce “fléau
silencieux”. C’est particulièrement vrai pour les femmes, frappées
plus tôt. Mais, avec l’allongement de la durée de vie, de plus en
plus d’hommes souffrent également d’ostéoporose.
L’ostéoporose post-ménopausique apparaît dès 60-65 ans. Elle est
à l’origine des tassements vertébraux qui touchent 5 à 10 % des
femmes en période post-ménopausique, car elle prédomine sur
l’os spongieux.
L’ostéoporose corticale intervient en revanche à partir de
70-75 ans. Elle touche 3 femmes pour 1 homme et provoque
essentiellement des fractures du col du fémur. Le risque de susciter ce type de fractures est évalué à 16 % chez les femmes après
65 ans, et à 6 % chez les hommes. Les tassements vertébraux
concerneraient 4 à 7 % des hommes après 80 ans.
Cancer et vieillesse
Doit-on privilégier
des soins spécifiques ?
La fréquence du cancer lié à l’âge se connaît grâce à deux sources
d’information. D’une part, les registres de morbidité permettent
de connaître l’incidence d’une maladie dans une population ;
d’autre part, les certificats de décès permettent de dénombrer
les causes médicales déclarées comme étant à l’origine des décès.
D’
après l’Inserm qui exploite les données de
mortalité depuis plus de vingt ans, on estime à environ 110 000 par an les nouveaux cas
de cancers masculins et 80 000 les cas de cancers
féminins (années 80/90). L’incidence augmente
avec l’âge, avec des taux de plus en plus élevés
après 60 ans. Les cancers les plus fréquemment
rencontrés sont ceux du poumon, de la prostate,
du côlon-rectum, de la vessie chez l’homme ;
ceux du sein, du côlon, de l’estomac, de l’ovaire
et du pancréas chez la femme.
On constate souvent que, chez ces personnes, la
maladie est considérée comme une fatalité. Peu
de place est laissée à la prévention et au dépistage. On imagine peu que le cancer peut être
traité avec succès ou, tout au moins, de façon satisfaisante. Les campagnes de prévention s’adressent majoritairement aux sujets jeunes alors que
la survenue des cancers continue de croître chez
les personnes plus âgées.
L’âge et la fréquence
Comment peut-on expliquer la fréquence des
cancers après 65 ans ? On pense qu’une modification de l’état immunitaire facilite l’action des
facteurs de risque carcinogènes. L’augmentation
de la durée de vie accroîtrait aussi la durée d’exposition aux facteurs de risque connus (cancers
colorectaux par exemple).
Beaucoup de gériatres pensent que le cancer n’est
pas le problème majeur de la vieillesse comparé
aux maladies cardiovasculaires, dégénératives ou
infectieuses. Ils accusent plutôt l’addition chronologique des facteurs de stimulation de la multiplication cellulaire. Mais si le cancer bronchique ou
celui de l’estomac sont plus fréquents chez les sujets âgés, ces spécialistes avancent que cela est dû
respectivement à de meilleurs soins aux fumeurs
et aux progrès de l’alimentation qui retardent l’ag-
gravation des tumeurs. Il en serait de même pour
les cancers cutanés qui sont liés aux irradiations
solaires accumulées. Même les cancers spécifiques
comme celui de la prostate ou le squire mammaire
sont controversés quant à leur apparition due à la
vieillesse. Est également controversée l’idée d’une
évolution plus lente liée à l’âge. Car l’explication
de ce phénomène n’est pas particulièrement
éclaircie. Toujours selon les gériatres, la gravité du
pronostic est plus souvent liée au manque de prévention et à un diagnostic trop tardif dus souvent
à la négligence du malade ou du médecin.
Des soins spécifiques ?
« Soigner les personnes âgées doit prendre en compte
les modifications physiologiques comme la diminution
de l’absorption intestinale, du métabolisme, du flux hépatique, du taux de protéines, de la teneur en eau du
corps, de la filtration glomérulaire et de la réabsorption tubulaire, de la fonction cardiaque, de la conduction nerveuse périphérique et des fonctions immunes,
explique le Dr François Lokiec du service de pharmacologie du centre René-Huguenin de SaintCloud (92). Ces modifications physiologiques ne sont
pas sans conséquences sur la pharmacocinétique des
médicaments administrés. L’augmentation de la teneur en graisse (15 à 30 %) pour des molécules lipophiles, la baisse de la teneur en eau (40 à 30 %) pour
les molécules hydrophiles et la diminution du taux des
protéines pour les substances qui s’y fixent modifient le
comportement des médicaments. Les agents anticancéreux métabolisés par le foie ou excrétés par le rein
vont avoir une pharmacocinétique modifiée. » Et de
se poser la question : faut-il modifier la chimiothérapie anticancéreuse dans cette population ? Si
oui, de quelle manière et avec quels outils ?
A.-L.P.
D’après les interventions faites lors
de la journée “Cancer et sujet âgé” du centre René-Huguenin.
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