Le rôle de la personne âgée
dans notre société actuelle par Pascale Martin, sociologue,
membre du Conseil d'Administration del’ASEV.
Je vais essayer d’être concise, le thème est vaste et nous ne pouvons le développer. Mon but ne sera
donc pas de vous parler du rôle de la personne âgée dans la société, mais bien d’attirer votre
attention sur quelques points qui peuvent frapper le sociologue, qui interpellent. L’approche sera plutôt
macro-sociologique, l’aspect ‘micro’ a, lui, été abordé par les orateurs précédents.
Une première chose me pose problème. On parle toujours ‘des seniors’ ou ‘des personnes âgées’
comme s’il existait un groupe homogène. Or, quand nous disons communément ‘personne âgée’, il
faut savoir qu’il s’agit d’une diversité de personnes : des paysans et artisans de nos campagnes, des
travailleurs du bois, du fer et de la terre, des ouvriers ou ouvrières de l’industrie, des professeurs, des
cadres d’entreprises, des hommes ou femmes de science. Ce sont aussi des citadins ou des ruraux.
Ce sont des femmes ou des hommes. Une diversité de personnes, diverses par leur position sociale,
diverses par leurs âges – on est âgé à tous les âges. Diverses par leur histoire, par la singularité de
leur expérience de vie. Donc, quand on parle de "personnes âgées", n’oublions pas cette diversité
sociale et culturelle, celle liée à la condition d’être humain tout simplement. Voilà un premier point à
souligner.
Le deuxième point que je pointerai est que le vieillissement a une signification dans une société
déterminée. Il faut donc se poser la question : quelle est cette société ? Comment la qualifier ?
Société industrielle. Trust financier et économie de marché. On parle aujourd’hui, de manière
hygiénique, de mondialisation, il s’agit en fait de l’apogée de l’impérialisme capitaliste. Extension du
libre échange absolu. L’Organisation Mondiale du Commerce qui gère et décide des règles de
commerce à l’échelle planétaire vise l’extension du système du libre échange au domaine tertiaire
donc aussi au domaine de la santé. Il faut être très vigilant à ces évolutions.
Une société où le travail productif est une valeur sociale. Mais avec quel impact ? Le début de la
vieillesse est défini par le début de la retraite, c’est une des caractéristiques de notre société. Très
contrastant lorsque l’on observe d’autres sociétés humaines. Il est dès lors logique d’évoquer le choc
de la retraite. Effectivement vécu comme tel, comme une rupture, une perte de son rôle de travailleur,
une brisure due à la sortie du monde du travail, une coupure du monde de la production. Une société
dans laquelle travail signifie activité professionnelle rémunérée et où est passé sous silence toutes les
autres activités. Certains sociologues analysent la question en montrant comment les retraités sont
perçus comme des citoyens de deuxième ordre. Le retraité perd sa principale source de valorisation
sociale qui était le travail. Des questions viennent se greffer. Ainsi on peut se demander quel sera le
vécu des futurs retraités, au chômage aujourd’hui. Que vont-ils avoir comme perception subjective de
leur retraite ? Mais c’est un autre débat.
Rappelons que chez les Inuit ou les Cuiva, petite tribu de Colombie, ou encore dans certaines
contrées d’Afrique, les vieillards ne sont ni actifs, ni particulièrement puissants et pourtant ils
demeurent des membres respectés de leur société, de leur communauté. Je forme donc l’hypothèse
que la place accordée à la personne âgée est liée au fait que, dans ces sociétés, toutes les activités
de service dont ils ont la responsabilité et la charge sont valorisantes et valorisées.
Des activités qui, finalement, ne sont pas tellement différentes des activités assumées dans
nos foyers. Je citerai par exemple : gardes ou surveillance des enfants, mais aussi prise en
charge des parents âgés par des retraités eux-mêmes, services aux familles, menus travaux
domestiques (nettoyage, jardinage), services rendus à la communauté (bénévolat dans
diverses institutions d’aide). Toutes activités qui, au sein de notre propre société, sont à peine
visibles à l’extérieur et ne jouissent d’aucun prestige, des activités qui ne sont pas valorisées,
ni financièrement ni symboliquement.