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Les perspectives de la vaccination
contre Helicobacter pylori
● R.L. Ferrero*
* Unité de pathogénie bactérienne des muqueuses, Institut Pasteur, Paris.
cinale ne pourrait, en aucun cas, être efficace contre une telle
infection. Par ailleurs, il a été montré que les individus chez qui
l’infection avait été éliminée par un traitement antibactérien restaient sensibles à l’infection (4). Toutefois, des arguments de type
anecdotique évoquent l’existence, dans certains cas, d’une “élimination spontanée” de la bactérie (5) : il s’agit de sujets chez
lesquels on observe une réversion du statut H. pylori positif vers
un statut négatif pendant la période de suivi médical. De tels arguments restent néanmoins controversés du fait de l’absence
d’information sur la prise d’antibiotiques par ces sujets au cours
de la période considérée.
En 1993, des études réalisées chez la souris ont montré, pour la
première fois, que le système immunitaire de l’hôte pouvait être
modulé afin d’induire des réponses protectrices contre une infection gastrique à Helicobacter (6). En l’absence d’un modèle murin
d’infection à H. pylori disponible à cette période, ces auteurs ont
dû employer Helicobacter felis, une bactérie d’origine féline phylogénétiquement très proche de H. pylori et qui possède l’avantage de pouvoir coloniser la muqueuse gastrique de la souris. Les
études avec ce modèle ont montré une protection totale vis-à-vis
d’une charge contaminante de H. felis, chez les souris, auparavant immunisées par des extraits non vivants de H. felis administrés par voie intragastrique en présence d’un adjuvant (la toxine
cholérique) (6). En revanche, les animaux auxquels avaient été
administrés des extraits bactériens seuls, ou la toxine cholérique
seule, n’étaient pas protégés.
Malgré ces résultats prometteurs, l’utilisation d’un tel vaccin
composé de bactéries tuées (de type “cellule entière”) pouvait
difficilement être envisagée pour l’homme en raison, d’une part,
des effets secondaires possibles et, d’autre part, du coût de fabrication trop élevé. Afin de définir des antigènes qui pourraient
servir dans un vaccin de type sous-unitaire (composé de valences
antigéniques définies), certaines protéines de H. pylori ont été
sélectionnées empiriquement et exprimées chez Escherichia coli
(E. coli), afin de les tester dans le modèle H. felis. Ces travaux
ont permis l’identification de certains antigènes protecteurs potentiels de H. pylori, tels que l’uréase (une macromolécule hexomérique composée de deux sous-unités, UreA et UreB) (7, 8),
des protéines de chocs thermiques (HspA et HspB) (7) et la
catalase (KatA) (9).
Par ailleurs, l’immunisation par voie intragastrique de souris déjà
infectées avec de l’UreB recombinant, en présence de la toxine
cholérique, permettait l’élimination de la bactérie chez 56 % des
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■ Il existe une immunité protectrice vis à vis de l’infection,
qui est médiée par la réponse lymphocytaire T.
■ Aucun des antigènes bactériens actuellement utilisés pour
la vaccination expérimentale ne permet de provoquer une
réponse immunitaire complètement protectrice.
■ L’identification de futurs antigènes candidats est en cours.
Elle bénéficie des progrès de la génomique qui permet d’isoler des séquences de gènes codant pour des motifs protéiques
potentiellement immunogènes.
es infections à Helicobacter pylori (H. pylori) sont
associées à une gastrite chronique et à la maladie ulcéreuse chez l’homme. Cet agent pathogène est également considéré comme un facteur de risque associé aux adénocarcinomes et aux lymphomes de type MALT (mucosa-associated
lymphoid tissue). Il a été estimé qu’environ 10 % des cas d’infection à H. pylori aboutissent à la formation d’ulcères et 1 % à celle
de cancers (1). Bien que le nombre de cas d’ulcères duodénaux
soit en diminution dans les pays occidentaux, les cancers gastriques restent une cause importante de décès dans le monde
entier, tous cancers confondus (2). Ces constatations, ainsi que
les problèmes posés par l’émergence de résistances bactériennes
chez les souches de H. pylori et le défaut de nouvelles antibiothérapies pour le traitement des infections à cette bactérie, ont
incité à la recherche d’approches vaccinales pour la prévention,
voire l’élimination de telles infections.
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L’INDUCTION CHEZ L’HÔTE D’UNE IMMUNITÉ
CONTRE LES INFECTIONS À HELICOBACTER
Les sujets infectés par H. pylori restent colonisés, alors qu’ils
développent de très fortes réponses de type humoral et cellulaire
contre la bactérie (3). Il a longtemps été soupçonné que le système immunitaire de l’hôte était incapable de générer des
réponses protectrices contre la bactérie, et qu’une approche vac-
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animaux (10). Cela a suggéré que l’immunisation par voie
muqueuse pouvait aussi être efficace dans le traitement éradicateur de Helicobacter.
LES ÉTUDES PRÉCLINIQUES
POUR L’ÉLABORATION D’UN VACCIN ANTI-H. PYLORI
À partir de 1995, plusieurs modèles d’infection à H. pylori ont
été décrits (modèles murins ou de gros mammifères comme le
chat ou le singe) (11). Le développement de tels modèles a permis la recherche d’antigènes protecteurs avec une spécificité pour
ce pathogène (par exemple, la cytotoxine vacuolisante VacA).
Ces modèles ont également servi pour l’étude de l’efficacité de
nouvelles formulations et voies d’administration d’antigènes,
dans les protocoles d’immunisation (12). Néanmoins, jusqu’à ce
jour, les résultats provenant de modèles d’infection à H. pylori
ont été pour le moins décevants à cause de l’absence d’une protection dite de type “stérilisante” (c’est-à-dire absence d’organismes détectables), comme cela avait été obtenu dans le modèle
H. felis.
Une conséquence importante des travaux provenant des modèles
animaux d’infection par H. pylori a été la mise en évidence de
l’efficacité d’immunisations systémiques. En effet, Guy et al. (12)
ont montré que des protocoles d’immunisation systémique à l’aide
de l’uréase de H. pylori, en présence d’adjuvants dérivés de la saponine ou lipides cationiques, préconisés pour les immunisations par
voie parentérale, pouvaient induire chez les animaux des taux de
protection comparables à ceux obtenus dans des protocoles
d’immunisation par voie muqueuse. Quant à la vaccination par
voie muqueuse, le manque actuel d’adjuvants induisant des
réponses au niveau de ces sites tissulaires, et sans effet toxique, est
un obstacle important à l’application de protocoles de développement chez l’homme.
En ce qui concerne la caractérisation des effecteurs immunologiques impliqués dans les réponses protectrices, des auteurs ont
récemment contesté le rôle présumé d’anticorps gastriques (de type
IgA sécrétoires ou d’IgG) dans la protection (13). Différentes
lignées de souris, déficientes pour les molécules de complexes
majeurs d’histocompatibilité de type I ou II ou pour les cellules B,
ont été testées pour leur capacité à être protégées contre une infection à H. pylori après immunisation par l’uréase en présence d’un
adjuvant, la toxine labile d’E. coli. Seules les souris invalidées pour
la formation de molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de type II, et qui donc étaient déficientes en cellules T de type
CD4+, ne pouvaient pas être protégées contre une telle infection.
À la suite de ce travail, il a été conclu que seules les cellules T de
type CD4+ étaient déterminantes pour la protection.
LES ESSAIS CLINIQUES D’IMMUNOTHÉRAPIE
DANS L’ÉRADICATION
D’ores et déjà, les résultats des premiers essais cliniques de
phase I et phase II ont montré que des préparations antigéniques
à base d’uréase de H. pylori étaient bien tolérées par des sujets
déjà infectés par H. pylori. En effet, l’uréase de H. pylori était
administrée aux patients sous forme recombinante (sans ou avec
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adjuvant) à des doses variables (14). L’administration d’antigènes
à ces individus provoquait une augmentation à la fois du taux
d’anticorps de type IgA spécifiques à l’uréase dans le sérum et
du nombre de plasmocytes circulant de type IgA dans le sang.
De plus, il a été montré que, lorsque l’antigène était administré
en présence d’un adjuvant capable d’induire des réponses immunitaires au niveau des muqueuses (la toxine labile d’E. coli), il y
avait une réduction significative de la charge bactérienne de
H. pylori chez les sujets traités par rapport aux témoins non traités (14). La prochaine étape sera de tester l’efficacité de cette
combinaison antigène/adjuvant dans le contexte d’une vaccination à visée prophylactique. À cette fin, un modèle d’infection
expérimentale chez l’homme a récemment été développé.
L’EXPLOITATION D’APPROCHES RATIONNELLES
POUR L’IDENTIFICATION DE NOUVEAUX
ANTIGÈNES VACCINANTS
Jusqu’à récemment, le choix d’antigènes pour la formulation de
nouveaux vaccins a été effectué sur la base de critères empiriques,
souvent associés à l’importance des protéines choisies pour la
colonisation et/ou la pathogenèse. Plus récemment, des approches
rationnelles ont été appliquées à l’identification de nouveaux antigènes protecteurs, comme c’est le cas pour le développement du
vaccin anti-H. pylori. Quelques exemples de ces approches, qui,
dans les années à venir, pourraient être couramment utilisées dans
le domaine de la vaccinologie sont cités ci-dessous.
Hocking et al. (15) ont criblé une banque d’expression génomique
de H. pylori avec des anticorps provenant de souris qui avaient
été immunisées avec des extraits totaux de H. felis, en présence
de l’adjuvant toxine cholérique. De cette façon, les auteurs espéraient pouvoir identifier des antigènes capables de stimuler la formation d’anticorps protecteurs chez l’hôte qui, grâce à leur
conservation entre espèces de Helicobacter, seraient aussi des
cibles antigéniques privilégiées au sein des souches de H. pylori.
En effet, ce travail a permis la définition, chez H. pylori, de 5 nouveaux antigènes protecteurs dont une lipoprotéine (Lpp20) et plusieurs protéines de fonctions inconnues, ainsi que la confirmation de l’efficacité protectrice d’autres antigènes, qui avaient été
auparavant identifiés par des approches empiriques (par exemple,
les sous-unités uréasiques A et B, et la protéine HspB).
La génomique permet aussi l’identification d’antigènes potentiels pour un pathogène donné ; dans ce cas, les protéines déduites
à partir des séquences nucléotidiques sont analysées “in silico”
pour la présence de certains motifs normalement reconnus comme
étant requis pour une localisation membranaire par les protéines,
ou pour leur sécrétion vers le milieu externe. Cette approche a
déjà été appliquée à la définition d’antigènes protecteurs pour
l’élaboration de vaccins contre H. pylori, mais également contre
Neisseria meningitidis (sérogroupe B), pathogène souvent associé à des méningites et des septicémies chez l’enfant. Alors que
les résultats du projet H. pylori n’ont pas encore été rendus
publiques, les auteurs de l’étude sur N. meningitidis ont rapporté
la sélection de 350 gènes codant pour des protéines potentielles
de type extra-cellulaire ou exportées chez cette bactérie (16). Chacun de ces gènes a été synthétisé par amplification génique, cloné
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dans un vecteur d’expression chez E. coli, et les protéines recombinantes ont été ensuite purifiées. De cette façon, les auteurs ont
pu tester l’efficacité de ces protéines dans l’induction d’anticorps
bactéricides chez la souris et déterminer la présence d’homologues parmi différentes espèces de Neisseria, à la fois de type
commensal et pathogène.
Enfin, une autre approche possible pour l’identification de nouveaux vaccins candidats concerne l’exploitation d’informations
provenant d’analyses protéiques (approche “protéosomique”) par
la technique d’électrophorèse bidimensionnelle sur des extraits
bactériens, en combinaison avec un microséquençage rapide des
protéines par la spectroscopie de masse (17). L’utilisation d’une
telle approche permettrait l’identification à la fois de gènes, dont
l’expression est induite in vivo, et d’antigènes exprimés in vivo
et reconnus par le système immunitaire lors d’une infection. Toutefois, pour l’instant, cette approche n’a pas encore été appliquée
au domaine de la vaccinologie.
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
Malgré les sept années écoulées depuis les premières études de
protection chez la souris, la mise sur le marché d’un vaccin antiH. pylori reste toujours hypothétique. Il a fallu près de dix ans,
après la découverte de H. pylori par Marshall et Warren, pour
que cette bactérie soit mondialement reconnue comme la cause
de pathologies gastroduodénales chez l’homme. Actuellement,
les équipes qui travaillent à l’élaboration d’un vaccin se heurtent
à plusieurs problèmes, notamment : le nombre relativement limité
d’antigènes capables d’induire une immunité comparable à celle
induite par l’uréase ; l’absence d’une élimination totale de l’infection à H. pylori après vaccination dans les différents modèles
d’infection ; et la disponibilité restreinte d’adjuvants capables
d’induire des réponses au niveau des muqueuses, en l’absence
d’effets secondaires chez l’homme. Néanmoins, il est possible
que l’utilisation de nouveaux types de formulations d’antigènes,
de différentes voies de vaccination (soit parentérale exclusive,
soit associant une voie parentérale avec celles visant les
muqueuses) (12) ou de vecteurs vivants exprimant des antigènes
hétérologues (18) puisse rendre la vaccination envisageable chez
■
l’homme dans le futur.
Mots clés. H. pylori – Vaccination – Réponse immunitaire –
Muqueuse.
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