D O S S I E R Déroulement des consultations d’oncogénétique et des analyses moléculaires ● Pascaline Berthet*, Alain Lortholary**, Catherine Noguès*** L e développement des consultations d’oncogénétique a débuté dans les années 90 grâce à la participation des familles, avec la caractérisation des gènes de prédisposition aux cancers les plus fréquents (sein et/ou ovaire, côlon). À partir de là, l’identification, sur leur statut génétique, des personnes à haut risque était envisageable avec, comme corollaire, la définition de leur prise en charge. Depuis cette période, les consultations se sont multipliées dans les pays occidentaux et notamment en France, où une cinquantaine de lieux de consultations existent actuellement. La plupart sont généralistes, quelques-unes sont consacrées à certains syndromes ou localisations [1]. Pour la plupart, ces activités sont fédérées par le Groupe Génétique et Cancer de la FNCLCC dont les missions sont larges puisque, parallèlement à la mise en place des tests génétiques au travers des consultations d’oncogénétique, il a pour objectif de définir et d’évaluer les meilleurs moyens de prise en charge des patients à risque dans les familles où pouvait être retenue une prédisposition génétique majeure à certains cancers. Ce groupe a une vocation “généraliste” et un souci d’ouverture à tous les intervenants du domaine, quelle que soit leur appartenance institutionnelle (CLCC, hôpitaux publics, privés, INSERM...). En pratique, pour le sein, ce groupe de travail est parvenu à un consensus sur les indications et les modalités des tests génétiques et a retenu les recommandations actuelles en matière de prise en charge de l’expertise collective INSERM, publiée en 1998, à laquelle plusieurs de ses membres ont participé. Les incertitudes et les difficultés de cette approche nécessitent un suivi important et rendent indispensables les projets évaluatifs. Une cohorte nationale des personnes portant une mutation des gènes BRCAx va être mise en place. maire proposée aux sujets identifiés comme porteurs d’une prédisposition génétique majeure. Cet avantage attendu n’est pas encore démontré ; de même, le retentissement psychologique d’un test de prédisposition positif est en cours d’évaluation (1, 2, 3). INDICATIONS DE LA CONSULTATION D’ONCOGÉNÉTIQUE Il n’y a pas de définition spécifique de la famille à risque. Rappelons les critères habituellement utilisés (figure 1) : – présence d’au moins trois cas de cancers du sein ou de l’ovaire chez des sujets appartenant à la même branche parentale et dont deux sont unis par un lien de premier degré ; – présence d’au moins deux cas de cancers du sein, liés au premier degré et dont l’âge au diagnostic de l’un d’eux est inférieur à 40 ans ou si l’un des cas survient chez un homme ; – présence d’un cas de cancer du sein et d’un cas de cancer de l’ovaire ou de deux cas de cancer de l’ovaire, chez des sujets unis au premier degré de parenté. Cas de cancers du sein ou de l'ovaire dont l'âge au diagnostic dans un cas de cancer du sein est < 40 ans Un cas masculin de cancer du sein LA CONSULTATION D’ONCOGÉNÉTIQUE : DE LA CARACTÉRISATION DU RISQUE À LA PRISE EN CHARGE L’objectif des consultations d’oncogénétique est de répondre aux patients qui, compte tenu de leur histoire familiale, s’interrogent sur le risque qu’ils ont de développer à leur tour un cancer, et de les informer des modalités de prévention et de dépistage adaptées. La légitimité de cette démarche médicale, située encore souvent entre recherche et diagnostic, s’appuie sur les avantages attendus d’un diagnostic précoce, voire d’une prévention pri* Centre François-Baclesse, Caen. ** Centre Paul-Papin, Angers. *** Centre René-Huguenin, Saint-Cloud. [1] Pour information : la Ligue Nationale Contre le Cancer, http://orphanet.infobiogen.fr, Allogènes : tél. 0 801 63 19 20. Cas de cancers du sein ou de l'ovaire, quel que soit l'âge au diagnostic Figure 1. Critères utilisés dans la définition d’une famille à risque. .../... 16 La Lettre du Sénologue - n° 5 - septembre 1999 D O S S I E R .../... Il faut insister sur certaines caractéristiques cliniques importantes à prendre en compte : âge précoce au diagnostic, bilatéralité et multifocalité, existence de tumeurs primitives multiples chez un même sujet. Aucun de ces arguments n’est pathognomonique à lui seul et il est indispensable d’étudier chaque famille au cas par cas afin de tenir compte de sa structure (taille, nombre de femmes, âge des personnes atteintes ou non...). DÉROULEMENT DE LA CONSULTATION D’ONCOGÉNÉTIQUE Une première consultation permet : – d’établir un dossier médical centré sur les antécédents, le suivi médical antérieur, l’environnement hormonal, l’habitus et les facteurs de risque ; – de reconstituer l’histoire médicale de la famille en établissant un arbre généalogique. Les deux branches familiales doivent être systématiquement explorées. Il est possible et utile de préparer la consultation en demandant au proposant d’apporter des renseignements sur les différents cas de tumeurs dont ont été atteints ses apparentés, notamment sur la localisation, l’âge au diagnostic et les lieux de prise en charge. Des vérifications histologiques sont nécessaires ; elles sont soumises à l’accord des personnes concernées, autorisation signée ou accord des ayants droit si la personne concernée est décédée. Cette consultation permet d’établir un lien privilégié avec le ou la consultant(e) [également dénommé(e) proposant(e)], qui devient ainsi un intermédiaire entre sa famille et l’équipe médicale, avec notamment un rôle de transmission d’informations. À l’issue de cette consultation, des informations générales sont données au proposant, tant sur le plan génétique que sur celui de nos connaissances des prédispositions au cancer du sein et /ou de l’ovaire. Cela permet ensuite, dans la plupart des cas, de donner des informations adaptées à l’histoire familiale, notamment sur les risques tumoraux et leur signification en fonction des données de l’épidémiologie génétique (selon les études : de 56 à 87 % pour le cancer du sein et de 16 à 60 % pour le cancer de l’ovaire). Les possibilités de surveillance des personnes à risque sont expliquées et discutées et un test génétique peut être proposé. La durée d’une première consultation atteint fréquemment 90 minutes. Différents points méritent d’être soulignés. Ce sont les principes fondamentaux de la génétique médicale, en accord avec les recommandations du Comité national d’éthique (4) : – ne pas nuire (+++) : primum non nocere, – respecter l’autonomie du consultant : c’est une démarche volontaire qui ne doit pas obéir à la pression de tiers, qu’ils soient médecins ou autres membres de la famille (cela demande une information précise, bien comprise, ce qui peut parfois nécessiter plusieurs consultations). Mais aussi la spécificité de cette démarche : – c’est une démarche médicale et non de recherche, – au départ individuelle, elle peut engager les autres membres de la famille, La Lettre du Sénologue - n° 5 - septembre 1999 – la prise en charge médicale de ces sujets est lourde, que ce soit en termes de suivi ou de prévention ; les règles déontologiques et de bonnes pratiques veulent que les avantages d’une démarche médicale soient supérieurs aux effets néfastes qu’elle peut susciter. PROCÉDURES D’ANALYSE MOLÉCULAIRE : INDICATIONS ET LIMITES Des tests moléculaires directs sont disponibles depuis que les gènes de prédisposition BRCA1 et BRCA2 ont été identifiés. Ils permettent dans un certain nombre de cas de préciser le risque. Ces analyses, encore effectuées dans des laboratoires de recherche, devraient prochainement pouvoir être effectuées en routine. Ces examens sont réalisés en général à partir d’une prise de sang par étude de l’ADN génomique lymphocytaire. Leur but est de caractériser une mutation germinale responsable de l’agrégation familiale de cancers du sein et/ou de l’ovaire. Comme cela a été présenté dans l’article sur les prédispositions génétiques au cancer du sein et de l’ovaire, les mutations décrites sont très variables, réparties sur l’ensemble du gène. Il est donc impératif de cribler la totalité du gène. Pour des raisons d’organisation des laboratoires, les prélèvements sont traités par série. S’engager dans de telles analyses représente, encore à l’heure actuelle, plusieurs mois de travail. L’interprétation des résultats est difficile dans certains cas, notamment pour faire la part entre un polymorphisme génétique sans conséquence fonctionnelle et une mutation délétère. Seul un résultat positif de prédisposition est informatif et peut être pris en compte pour la prise en charge de la famille. En effet, si aucune mutation n’est retrouvée après l’analyse des gènes BRCA1 et BRCA2, il n’est pas possible pour autant d’éliminer l’existence d’une prédisposition héréditaire, soit par manque de sensibilité des techniques utilisées, soit par l’implication d’un autre gène non encore identifié. En revanche, si une mutation délétère a été mise en évidence, on dispose alors d’un test biologique facile à mettre en œuvre chez les autres membres de la famille. Les analyses viseront à rechercher cette altération spécifique chez les sujets testés. Outre une beaucoup plus grande rapidité (quelques semaines au plus), le fait de ne pas retrouver cette mutation chez la personne testée signifie qu’elle n’a pas hérité de l’anomalie familiale, et donc que son risque tumoral rejoint celui de la population générale. Un résultat négatif à ce stade prend ainsi toute sa valeur. Pour identifier une anomalie dans une famille, seul(s) un (ou plusieurs) sujet(s) atteint(s) de cancer est (sont) prélevé(s). Analyse par série, plusieurs mois. ● Si une anomalie est retrouvée dans une famille, la recherche de cette anomalie peut être proposée aux apparentés. Tests individuels, délais courts. ● 17 D O S S I E DÉROULEMENT DES TESTS Recherche de la mutation en cause dans la famille L’exemple des familles où une mutation délétère d’un gène BRCAx a été identifiée a servi de base, au sein du groupe Génétique et Cancer de la FNCLCC, à une réflexion sur le déroulement des consultations d’oncogénétique. Le but de cette réflexion était de préciser cette démarche depuis la première consultation de prise en charge jusqu’à la réalisation de tests moléculaires chez les apparentés indemnes et d’en prévoir les retombées potentielles. Cette réflexion s’est inscrite dans le cadre légal du fonctionnement des consultations (loi de bioéthique n° 94-654 du 29 juillet 1994, loi n° 95-116 du 4 février 1995, dont les décrets d’application sont encore en attente), en prenant en compte l’avis des sociétés savantes, du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé et les bonnes pratiques cliniques (4, 5). Cette réflexion a donc permis d’établir un dénominateur commun entre les différents membres de ce groupe (6, 7), dans le but d’harmoniser la prise en charge des familles qui, en outre, sont parfois géographiquement dispersées. Un livret d’information est en cours d’élaboration. Lorsque l’histoire d’une famille est compatible avec la transmission d’un gène de prédisposition aux tumeurs du sein et/ou de l’ovaire, des analyses moléculaires sont proposées. La première analyse est réalisée chez la personne dont l’histoire clinique est la plus évocatrice de l’existence d’une prédisposition héréditaire. Si ce n’est pas la proposante, il faudra alors que l’information lui soit transmise par cette dernière et qu’elle vienne à son tour en consultation pour recevoir une information précise. On insistera sur les limites des tests, les enjeux personnels et sociaux (risque tumoral, prise en charge médicale, problème de la diffusion de l’information dans la famille). Il est souhaitable également de préciser les délais de réalisation des tests. Les analyses seront effectivement mises en route après un délai de réflexion et l’obtention d’un consentement éclairé. Deux prélèvements indépendants sont nécessaires. Quels que soient les résultats de ces analyses, ils seront rendus à la personne concernée lors d’une nouvelle consultation d’oncogénétique et non par courrier ou directement à un médecin. Un résultat positif de mutation sera transmis oralement, sauf demande formelle de la personne. De même, ce résultat sera transmis au(x) médecin(s) de son choix. Il sera écrit dans le dossier hospitalier après avoir été rendu, avec l’accord du patient. Cette consultation sera également l’occasion de reparler de l’histoire familiale, des risques tumoraux et des possibilités de prise en charge dans un contexte multidisciplinaire. On invitera la personne, en cas de résultat positif, à diffuser cette information dans sa famille. 18 R Étape prédictive Les tests de prédisposition chez les apparentés indemnes se déroulent maintenant de façon assez codifiée : – consultation d’information générale centrée sur l’histoire familiale ; déroulement du test et enjeux ; – délai de réflexion ; – choix éclairé authentifié par la signature d’un consentement lors d’une nouvelle consultation ; – test avec deux prélèvements sanguins indépendants ; – résultat après 4 à 6 semaines, en consultation ; – prise en charge multidisciplinaire avec le suivi des femmes porteuses, sur le plan mammaire et ovarien. Un soutien psychologique doit pouvoir être proposé à tout moment. Il peut être utile pour démêler les motifs qui ont amené la personne à envisager cette démarche, à sa demande ou à celle du médecin oncogénéticien. CONCLUSION Démarche active, décision autonome et éclairée du consultant, secret médical et confidentialité, sont autant de principes majeurs qui président à la réalisation de tests génétiques dans le cadre des prédispositions aux tumeurs du sein et/ou de l’ovaire. Les progrès des techniques d’analyses moléculaires vont permettre une plus large diffusion de ces tests pratiques ; les enjeux économiques générés vont être importants. Tout cela renforce encore la nécessité d’une prise en charge multidisciplinaire pour anticiper les effets négatifs potentiels de cette démarche et garantir le choix éclairé des patients. Il faut souligner l’importance de l’évaluation de nos pratiques, que ce soit sur le plan de la prise en charge médicale des sujets à risque ou sur celui des retombées psychosociales des tests. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Lerman C., Narod S. et coll. BRCA1 testing in families with hereditary breast-ovarian cancer. JAMA1996 ; 275 (24) : 1885-92. 2. Eisinger F., Julian-Reynier C. et coll. Acceptable strategies for dealing with hereditary breast/ovarian cancer risk. J Nat Cancer Inst 1997 ; 89 (10) : 731. 3. 3 ASCO special article. Resource document for curriculum development in cancer genetics education. J Nat Cancer Inst 1997 ; 15 (5) : 2157-69. 4. Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Génétique et médecine : de la prédiction à la prévention. Avis. Rapports. N° 46, 30 octobre 1995. 5. Eisinger F., Thouvenin D., Bignon Y.J., Cuisenier J., Feingold J., Hoerni B., Lasset C., Lyonnet D., Maraninchi D., Marty M., Mattéi J.F., Sobol H., Maugard-Lauboutin C., Noguès C., Pujol H., Philip T. Réflexions sur l’organisation des consultations d’oncogénétique (première étape vers la publication de bonnes pratiques cliniques). Bull Cancer 1995 ; 82 : 865-78. 6. Noguès C. et le Groupe Génétique et Cancer de la FNCLCC. Tests moléculaires dans le cancer du sein : attitude du Groupe “Génétique et Cancer”. In : Boiron M., Marty M., (eds.) Eurocancer 96. Paris : John Libbey Eurotext ; 1996 : 177-8. 7. Stoppa-Lyonnet D., Noguès C., Sobol H., Eisinger F. Consultations de génétique et prédisposition aux cancers du sein. In : FNCLCC (ed.) : Risques héréditaires de cancers du sein et de l’ovaire, quelle prise en charge ? Paris, INSERM, 1998 : p. 179-89. La Lettre du Sénologue - n° 5 - septembre 1999