Déroulement des consultations d’oncogénétique et des analyses moléculaires D

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La Lettre du Sénologue - n° 5 - septembre 1999
e développement des consultations d’oncogénétique
a débuté dans les années 90 grâce à la participation
des familles, avec la caractérisation des gènes de
prédisposition aux cancers les plus fréquents (sein et/ou ovaire,
côlon). À partir de là, l’identification, sur leur statut génétique,
des personnes à haut risque était envisageable avec, comme
corollaire, la définition de leur prise en charge. Depuis cette
période, les consultations se sont multipliées dans les pays
occidentaux et notamment en France, où une cinquantaine de
lieux de consultations existent actuellement. La plupart sont
généralistes, quelques-unes sont consacrées à certains syn-
dromes ou localisations[1].
Pour la plupart, ces activités sont fédérées par le Groupe Génétique
et Cancer de la FNCLCC dont les missions sont larges puisque,
parallèlement à la mise en place des tests génétiques au travers des
consultations d’oncogénétique, il a pour objectif de définir et
d’évaluer les meilleurs moyens de prise en charge des patients à
risque dans les familles où pouvait être retenue une prédisposition
génétique majeure à certains cancers. Ce groupe a une vocation
“généraliste” et un souci d’ouverture à tous les intervenants du
domaine, quelle que soit leur appartenance institutionnelle (CLCC,
hôpitaux publics, privés, INSERM...). En pratique, pour le sein, ce
groupe de travail est parvenu à un consensus sur les indications et
les modalités des tests génétiques et a retenu les recommandations
actuelles en matière de prise en charge de l’expertise collective
INSERM, publiée en 1998, à laquelle plusieurs de ses membres
ont participé. Les incertitudes et les difficultés de cette approche
nécessitent un suivi important et rendent indispensables les projets
évaluatifs. Une cohorte nationale des personnes portant une muta-
tion des gènes BRCAx va être mise en place.
LA CONSULTATION D’ONCOGÉNÉTIQUE : DE LA
CARACTÉRISATION DU RISQUE À LA PRISE EN CHARGE
L’objectif des consultations d’oncogénétique est de répondre aux
patients qui, compte tenu de leur histoire familiale, s’interrogent
sur le risque qu’ils ont de développer à leur tour un cancer, et de
les informer des modalités de prévention et de dépistage adaptées.
La légitimité de cette démarche médicale, située encore sou-
vent entre recherche et diagnostic, s’appuie sur les avantages
attendus d’un diagnostic précoce, voire d’une prévention pri-
maire proposée aux sujets identifiés comme porteurs d’une
prédisposition génétique majeure.
Cet avantage attendu n’est pas encore démontré ; de même, le
retentissement psychologique d’un test de prédisposition posi-
tif est en cours d’évaluation (1, 2, 3).
INDICATIONS DE LA CONSULTATION D’ONCOGÉNÉTIQUE
Il n’y a pas de définition spécifique de la famille à risque.
Rappelons les critères habituellement utilisés (figure 1) :
– présence d’au moins trois cas de cancers du sein ou de
l’ovaire chez des sujets appartenant à la même branche paren-
tale et dont deux sont unis par un lien de premier degré ;
– présence d’au moins deux cas de cancers du sein, liés au pre-
mier degré et dont l’âge au diagnostic de l’un d’eux est infé-
rieur à 40 ans ou si l’un des cas survient chez un homme ;
– présence d’un cas de cancer du sein et d’un cas de cancer de
l’ovaire ou de deux cas de cancer de l’ovaire, chez des sujets
unis au premier degré de parenté.
DOSSIER
Déroulement des consultations d’oncogénétique
et des analyses moléculaires
Pascaline Berthet*, Alain Lortholary**, Catherine Noguès***
* Centre François-Baclesse, Caen.
** Centre Paul-Papin, Angers.
*** Centre René-Huguenin, Saint-Cloud.
[1] Pour information : la Ligue Nationale Contre le Cancer,
http://orphanet.infobiogen.fr,
Allogènes : tél. 0 801 63 19 20.
L
Cas de cancers du sein ou de l'ovaire,
quel que soit l'âge au diagnostic
Cas de cancers du sein ou de l'ovaire dont l'âge
au diagnostic dans un cas de cancer du sein est < 40 ans
Un cas masculin de cancer du sein
Figure 1. Critères utilisés dans la définition d’une famille à risque. .../...
Il faut insister sur certaines caractéristiques cliniques impor-
tantes à prendre en compte : âge précoce au diagnostic, bilatéra-
lité et multifocalité, existence de tumeurs primitives multiples
chez un même sujet. Aucun de ces arguments n’est pathogno-
monique à lui seul et il est indispensable d’étudier chaque
famille au cas par cas afin de tenir compte de sa structure (taille,
nombre de femmes, âge des personnes atteintes ou non...).
DÉROULEMENT DE LA CONSULTATION
D’ONCOGÉNÉTIQUE
Une première consultation permet :
– d’établir un dossier médical centré sur les antécédents, le
suivi médical antérieur, l’environnement hormonal, l’habitus
et les facteurs de risque ;
– de reconstituer l’histoire médicale de la famille en établissant
un arbre généalogique.
Les deux branches familiales doivent être systématiquement
explorées. Il est possible et utile de préparer la consultation en
demandant au proposant d’apporter des renseignements sur les
différents cas de tumeurs dont ont été atteints ses apparentés,
notamment sur la localisation, l’âge au diagnostic et les lieux
de prise en charge.
Des vérifications histologiques sont nécessaires ; elles sont
soumises à l’accord des personnes concernées, autorisation
signée ou accord des ayants droit si la personne concernée est
décédée.
Cette consultation permet d’établir un lien privilégié avec le ou
la consultant(e) [également dénommé(e) proposant(e)], qui
devient ainsi un intermédiaire entre sa famille et l’équipe médi-
cale, avec notamment un rôle de transmission d’informations.
À l’issue de cette consultation, des informations générales sont
données au proposant, tant sur le plan génétique que sur celui
de nos connaissances des prédispositions au cancer du sein et
/ou de l’ovaire. Cela permet ensuite, dans la plupart des cas, de
donner des informations adaptées à l’histoire familiale, notam-
ment sur les risques tumoraux et leur signification en fonction
des données de l’épidémiologie génétique (selon les études :
de 56 à 87 % pour le cancer du sein et de 16 à 60 % pour le
cancer de l’ovaire). Les possibilités de surveillance des per-
sonnes à risque sont expliquées et discutées et un test géné-
tique peut être proposé.
La durée d’une première consultation atteint fréquemment
90 minutes.
Différents points méritent d’être soulignés. Ce sont les prin-
cipes fondamentaux de la génétique médicale, en accord avec
les recommandations du Comité national d’éthique (4) :
– ne pas nuire (+++) : primum non nocere,
– respecter l’autonomie du consultant : c’est une démarche
volontaire qui ne doit pas obéir à la pression de tiers, qu’ils
soient médecins ou autres membres de la famille (cela
demande une information précise, bien comprise, ce qui peut
parfois nécessiter plusieurs consultations).
Mais aussi la spécificité de cette démarche :
– c’est une démarche médicale et non de recherche,
– au départ individuelle, elle peut engager les autres membres
de la famille,
– la prise en charge médicale de ces sujets est lourde, que ce
soit en termes de suivi ou de prévention ; les règles déontolo-
giques et de bonnes pratiques veulent que les avantages d’une
démarche médicale soient supérieurs aux effets néfastes
qu’elle peut susciter.
PROCÉDURES D’ANALYSE MOLÉCULAIRE :
INDICATIONS ET LIMITES
Des tests moléculaires directs sont disponibles depuis que les
gènes de prédisposition BRCA1 et BRCA2 ont été identifiés. Ils
permettent dans un certain nombre de cas de préciser le risque.
Ces analyses, encore effectuées dans des laboratoires de
recherche, devraient prochainement pouvoir être effectuées en
routine.
Ces examens sont réalisés en général à partir d’une prise
de sang par étude de l’ADN génomique lymphocytaire.
Leur but est de caractériser une mutation germinale respon-
sable de l’agrégation familiale de cancers du sein et/ou
de l’ovaire.
Comme cela a été présenté dans l’article sur les prédispositions
génétiques au cancer du sein et de l’ovaire, les mutations
décrites sont très variables, réparties sur l’ensemble du gène. Il
est donc impératif de cribler la totalité du gène. Pour des rai-
sons d’organisation des laboratoires, les prélèvements sont
traités par série. S’engager dans de telles analyses représente,
encore à l’heure actuelle, plusieurs mois de travail.
L’interprétation des résultats est difficile dans certains cas,
notamment pour faire la part entre un polymorphisme géné-
tique sans conséquence fonctionnelle et une mutation délétère.
Seul un résultat positif de prédisposition est informatif
et peut être pris en compte pour la prise en charge de
la famille.
En effet, si aucune mutation n’est retrouvée après l’analyse des
gènes BRCA1 et BRCA2, il n’est pas possible pour autant d’éli-
miner l’existence d’une prédisposition héréditaire, soit par
manque de sensibilité des techniques utilisées, soit par l’impli-
cation d’un autre gène non encore identifié.
En revanche, si une mutation délétère a été mise en évidence,
on dispose alors d’un test biologique facile à mettre en œuvre
chez les autres membres de la famille. Les analyses viseront à
rechercher cette altération spécifique chez les sujets testés.
Outre une beaucoup plus grande rapidité (quelques semaines
au plus), le fait de ne pas retrouver cette mutation chez la per-
sonne testée signifie qu’elle n’a pas hérité de l’anomalie fami-
liale, et donc que son risque tumoral rejoint celui de la popula-
tion générale. Un résultat négatif à ce stade prend ainsi
toute sa valeur.
DOSSIER
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Pour identifier une anomalie dans une famille, seul(s) un
(ou plusieurs) sujet(s) atteint(s) de cancer est (sont) prélevé(s).
Analyse par série, plusieurs mois.
Si une anomalie est retrouvée dans une famille, la recherche
de cette anomalie peut être proposée aux apparentés.
Tests indi-
viduels, délais courts.
.../...
DÉROULEMENT DES TESTS
Recherche de la mutation en cause dans la famille
L’exemple des familles où une mutation délétère d’un gène
BRCAx a été identifiée a servi de base, au sein du groupe
Génétique et Cancer de la FNCLCC, à une réflexion sur le
déroulement des consultations d’oncogénétique.
Le but de cette réflexion était de préciser cette démarche
depuis la première consultation de prise en charge jusqu’à la
réalisation de tests moléculaires chez les apparentés indemnes
et d’en prévoir les retombées potentielles.
Cette réflexion s’est inscrite dans le cadre légal du fonctionne-
ment des consultations (loi de bioéthique n° 94-654 du
29 juillet 1994, loi n° 95-116 du 4 février 1995, dont les
décrets d’application sont encore en attente), en prenant en
compte l’avis des sociétés savantes, du Comité consultatif
national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé et
les bonnes pratiques cliniques (4, 5).
Cette réflexion a donc permis d’établir un dénominateur com-
mun entre les différents membres de ce groupe (6, 7), dans le
but d’harmoniser la prise en charge des familles qui, en outre,
sont parfois géographiquement dispersées.
Un livret d’information est en cours d’élaboration.
Lorsque l’histoire d’une famille est compatible avec la trans-
mission d’un gène de prédisposition aux tumeurs du sein et/ou
de l’ovaire, des analyses moléculaires sont proposées.
La première analyse est réalisée chez la personne dont l’his-
toire clinique est la plus évocatrice de l’existence d’une prédis-
position héréditaire. Si ce n’est pas la proposante, il faudra
alors que l’information lui soit transmise par cette dernière et
qu’elle vienne à son tour en consultation pour recevoir une
information précise. On insistera sur les limites des tests, les
enjeux personnels et sociaux (risque tumoral, prise en charge
médicale, problème de la diffusion de l’information dans la
famille). Il est souhaitable également de préciser les délais de
réalisation des tests.
Les analyses seront effectivement mises en route après un
délai de réflexion et l’obtention d’un consentement éclairé.
Deux prélèvements indépendants sont nécessaires.
Quels que soient les résultats de ces analyses, ils seront rendus à
la personne concernée lors d’une nouvelle consultation d’onco-
génétique et non par courrier ou directement à un médecin.
Un résultat positif de mutation sera transmis oralement, sauf
demande formelle de la personne. De même, ce résultat sera
transmis au(x) médecin(s) de son choix. Il sera écrit dans le
dossier hospitalier après avoir été rendu, avec l’accord du
patient.
Cette consultation sera également l’occasion de reparler de
l’histoire familiale, des risques tumoraux et des possibilités de
prise en charge dans un contexte multidisciplinaire. On invi-
tera la personne, en cas de résultat positif, à diffuser cette
information dans sa famille.
Étape prédictive
Les tests de prédisposition chez les apparentés indemnes se
déroulent maintenant de façon assez codifiée :
– consultation d’information générale centrée sur l’histoire
familiale ; déroulement du test et enjeux ;
– délai de réflexion ;
– choix éclairé authentifié par la signature d’un consentement
lors d’une nouvelle consultation ;
– test avec deux prélèvements sanguins indépendants ;
– résultat après 4 à 6 semaines, en consultation ;
– prise en charge multidisciplinaire avec le suivi des femmes
porteuses, sur le plan mammaire et ovarien.
Un soutien psychologique doit pouvoir être proposé à tout
moment. Il peut être utile pour démêler les motifs qui ont
amené la personne à envisager cette démarche, à sa demande
ou à celle du médecin oncogénéticien.
CONCLUSION
Démarche active, décision autonome et éclairée du consultant,
secret médical et confidentialité, sont autant de principes majeurs
qui président à la réalisation de tests génétiques dans le cadre des
prédispositions aux tumeurs du sein et/ou de l’ovaire.
Les progrès des techniques d’analyses moléculaires vont per-
mettre une plus large diffusion de ces tests pratiques ; les
enjeux économiques générés vont être importants. Tout cela
renforce encore la nécessité d’une prise en charge multidisci-
plinaire pour anticiper les effets négatifs potentiels de cette
démarche et garantir le choix éclairé des patients.
Il faut souligner l’importance de l’évaluation de nos pratiques,
que ce soit sur le plan de la prise en charge médicale des sujets
à risque ou sur celui des retombées psychosociales des tests.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Lerman C., Narod S. et coll. BRCA1 testing in families with hereditary
breast-ovarian cancer. JAMA1996 ; 275 (24) : 1885-92.
2. Eisinger F., Julian-Reynier C. et coll. Acceptable strategies for dealing with
hereditary breast/ovarian cancer risk. J Nat Cancer Inst 1997 ; 89 (10) : 731.
3. 3 ASCO special article. Resource document for curriculum development in
cancer genetics education. J Nat Cancer Inst 1997 ; 15 (5) : 2157-69.
4. Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la
santé. Génétique et médecine : de la prédiction à la prévention. Avis. Rapports.
N° 46, 30 octobre 1995.
5. Eisinger F., Thouvenin D., Bignon Y.J., Cuisenier J., Feingold J., Hoerni B.,
Lasset C., Lyonnet D., Maraninchi D., Marty M., Mattéi J.F., Sobol H., Mau-
gard-Lauboutin C., Noguès C., Pujol H., Philip T. Réflexions sur l’organisation
des consultations d’oncogénétique (première étape vers la publication de
bonnes pratiques cliniques). Bull Cancer 1995 ; 82 : 865-78.
6. Noguès C. et le Groupe Génétique et Cancer de la FNCLCC. Tests moléculaires
dans le cancer du sein : attitude du Groupe “Génétique et Cancer”. In : Boiron M.,
Marty M., (eds.) Eurocancer 96. Paris : John Libbey Eurotext ; 1996 : 177-8.
7. Stoppa-Lyonnet D., Noguès C., Sobol H., Eisinger F. Consultations de géné-
tique et prédisposition aux cancers du sein. In : FNCLCC (ed.) : Risques hérédi-
taires de cancers du sein et de l’ovaire, quelle prise en charge ? Paris,
INSERM, 1998 : p. 179-89.
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