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H A P I T R E
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Génétique et céphalées en coup de tonnerre
● A. Ducros*
LA MIGRAINE,
MALADIE DES TRANSPORTEURS IONIQUES
Malgré une meilleure connaissance des mécanismes des crises de
migraine, on ne sait toujours pas comment et pourquoi une crise
survient. Il semble exister un seuil de déclenchement des crises
déterminé et modulé par une combinaison de facteurs génétiques
et environnementaux. La migraine hémiplégique familiale
(MHF) est une variété héréditaire autosomique dominante de
migraine avec hémiparésie durant les crises. L’étude des conséquences fonctionnelles des mutations des gènes de la MHF peut
aider à identifier un mécanisme commun intervenant dans le
déclenchement de toutes les crises de migraine, avec ou sans
aura. Trois gènes de la MHF sont connus, et il existe au moins un
autre gène.
La MHF1 est due à des mutations du gène CACNA1A sur le
chromosome 19p13. Ce gène code pour un canal calcique
neuronal qui module la libération de neurotransmetteurs incluant
les monoamines, l’acétylcholine, le glutamate et le CGRP. Différentes mutations de CACNA1A sont associées à un large éventail
de maladies neurologiques allant des formes purement épisodiques sans anomalies permanentes (migraine hémiplégique
pure, ataxie épisodique, épilepsie) aux affections beaucoup plus
sévères avec ataxie cérébelleuse permanente progressive ou
avec œdème cérébral fatal. Deux souris transgéniques knock-in
porteuses de deux mutations différentes responsables de MHF1
ont déjà été générées. Les premières analyses indiquent une augmentation de la libération de neurotransmetteurs, en particulier
de glutamate, au niveau cortical. De plus, ces souris ont un seuil
de sensibilité abaissé à la dépression corticale envahissante
(DCE), dont la vitesse de propagation est ensuite augmentée.
La MHF2 est due à des mutations du gène ATP1A2 sur le chromosome 1q23, qui code pour une pompe Na+, K+ ATP-dépendante,
exprimée dans les neurones mais surtout dans la glie. Des mutations
d’ATP1A2 peuvent entraîner diverses manifestations cliniques,
parfois associées : migraine hémiplégique pure, épilepsie et, plus
rarement, migraine hémiplégique avec ataxie permanente, hémiplégie alternante de l’enfance et retard mental. Les mutations
de la MHF2 entraînent une diminution de la recapture du glutamate et de K+ dans la fente synaptique, augmentant probablement l’excitabilité neuronale.
* Service des urgences céphalées, hôpital Lariboisière, Paris.
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La MHF3 est due à des mutations du gène SCNA1 sur le chromosome 2q24. Ce gène code pour un canal sodique neuronal
voltage-dépendant. Une seule mutation a été analysée sur le plan
électrophysiologique : sa présence augmente l’excitabilité neuronale.
Dans la migraine sans aura ou avec aura non hémiplégique, de
multiples locus ont été trouvés sur différents chromosomes, mais
aucun gène n’a encore pu être identifié de manière formelle.
Le dénominateur commun des crises de migraine pourrait être
une hyperexcitabilité corticale due à diverses anomalies du transport ionique, avec augmentation de la sensibilité à la DCE.
■ Ferrari M. Migraine as an ion-transporter disorder. SS1-I1.
UNE NOUVELLE SOURIS TRANSGÉNIQUE
MIGRAINEUSE
La MHF1 est due à des mutations du gène CACNA1A, qui code
pour le canal calcique neuronal P/Q. La mutation S218L est
responsable d’une forme particulièrement sévère de MHF avec
œdème cérébral fatal après traumatisme crânien bénin. Les
canaux calciques P/Q sont largement exprimés dans le cerveau et
au niveau des jonctions neuromusculaires (JNM), où ils contrôlent la libération de neurotransmetteurs. En électrophysiologie,
cette mutation entraîne un abaissement majeur du seuil d’activation des canaux calciques et une inactivation très lente. Les
auteurs ont produit des souris knock-in porteuses de la mutation
S218L. Ces souris présentent des crises brèves d’hémiparésie.
Les souris knock-in homozygotes (porteuses de deux copies
mutées de CACNA1A) ont une ataxie modérée et une espérance
de vie diminuée, diminution liée à des morts subites encore inexpliquées. Chez les souris knock-in hétérozygotes, la libération
d’acétylcholine au niveau des JNM, qu’elle soit spontanée ou
provoquée, est augmentée. De plus, ces souris ont un seuil de
sensibilité abaissé à la DCE.
La même équipe hollandaise avait déjà généré une souris knock-in
porteuse de la mutation R192Q responsable chez l’homme d’une
MHF pure sans signes cérébelleux ni coma fatal. La mutation
S218L est associée à un phénotype beaucoup plus sévère, avec
des signes cérébelleux permanents et surtout des crises avec
coma et œdème cérébral pouvant être irréversible et mortel. Les
corrélations génotypes-phénotypes dans la MHF pourraient être
La Lettre du Neurologue - Supplément Céphalées au vol. IX - n° 10 - décembre 2005
C OMPTE RENDU DE CONGRÈS
12th Congress of the International Headache Society, IHC 2005
liées à des degrés divers de dysfonctions synaptiques selon les
différentes mutations de CACNA1A en cause. Ces deux souris
knock-in représentent des outils irremplaçables pour étudier
les mécanismes de la MHF, mais aussi ceux de la migraine en
général.
■ Van den Maagdenberg. Transgenic knock-in mouse model expressing the CACNA1A
mutation S218L causing familial hemiplegic migraine and fatal excessive cerebral
oedema after minor head trauma. SS1-1.
MUTATIONS DU CANAL SODIQUE SCNA1
DANS LA MIGRAINE HÉMIPLÉGIQUE FAMILIALE
DE TYPE 3 (MHF3)
Le gène SCNA1 localisé sur le chromosome 2 et codant pour
un canal sodique neuronal voltage-dépendant vient récemment
d’être identifié comme étant le troisième gène de la MHF. Les
auteurs ont analysé ce nouveau gène par séquençage direct chez
10 familles atteintes de MHF et non porteuses de mutation dans
les deux premiers gènes de la migraine (CACNA1A et ATP1A2).
La mutation L1638Q a été identifiée dans une famille américaine
atteinte de MHF et de migraine avec aura non hémiplégique. Cette
mutation est très certainement pathogène, car elle est absente
chez 200 sujets contrôles ; dans cette famille, elle coségrège avec
la maladie, et elle affecte un acide aminé très conservé. Une autre
mutation a été trouvée dans une famille hollandaise, mais son
caractère pathogène est moins certain. Aucune mutation n’a été
trouvée dans les huit autres familles.
Cette étude apporte deux informations importantes. Pour l’instant, seule une mutation de SCNA1 avait été identifiée dans trois
familles par une équipe allemande. Cette étude est donc la première confirmation indépendante du rôle de SCNA1 dans la
MHF. D’autre part, il existe des familles atteintes de MHF sans
mutation dans les trois gènes connus (CACNA1A pour le canal
calcique, ATP1A2 pour la pompe Na/K et SCNA1 pour le canal
sodique). Il existe donc au moins un quatrième gène de la MHF.
■ Van den Maagdenberg A. Mutations in the neuronal voltage-gated sodium
channel SCN1A in familial hemiplegic migraine type 3. SS1-L1.
MIGRAINE AVEC AURA BASILAIRE
Une équipe danoise a étudié la prévalence et les caractéristiques
cliniques de la migraine de type basilaire (MB) dans une série de
105 familles comprenant 362 sujets affectés de migraine avec
aura (MA) non hémiplégique. Au total, une MB a été diagnostiquée chez 38 des 362 patients atteints de MA (10 %). Ces
38 patients atteints de MB étaient répartis de manière homogène
au sein de 29 familles distinctes. L’âge moyen de début de la
MB était de 17 ans. Les symptômes de l’aura de type basilaire
incluaient : des vertiges (61 %), une dysarthrie (53 %), des acouphènes (45 %), une diplopie (45 %), des troubles visuels bilatéraux (40 %), des paresthésies bilatérales (24 %), une baisse du
niveau de conscience (21 %), une hypoacousie (21 %) et une
ataxie (5 %). Le vertige était donc le symptôme le plus fréquent ;
il était positionnel dans 22 % des cas, caractérisé par une intolérance aux mouvements de la tête chez 65 % des patients et durait
60 minutes en moyenne. Des crises de vertige sans céphalée survenaient chez 24 % des patients atteints de MB. Les auteurs ont
ensuite séquencé tous les exons des gènes CACNA1A et ATP1A2
(impliqués dans la MHF) dans les 12 familles comprenant plusieurs
cas de MB et compatibles avec une transmission autosomique
dominante. Aucune mutation de ces gènes n’a été identifiée.
Cette étude confirme que le vertige, y compris dans sa variété
positionnelle, peut être un symptôme d’aura migraineuse. Dans
cette série de patients atteints de formes familiales de MA et
recrutés en milieu hospitalier, la fréquence de la MB atteint 10 %.
Les auras basilaires avec céphalées peuvent alterner avec des
crises de vertige isolé sans céphalée. Les deux premiers gènes
connus de la migraine hémiplégique familiale, CACNA1A et
ATP1A2, ne semblent pas impliqués dans la MB (mais l’échantillon est restreint).
■ Kirchmann Eriksen M et al. Basilar-type migraine: clinical, epidemiological
and genetic features. SS3-3.
CONTROVERSES SUR L’ASSOCIATION ENTRE
LE POLYMORPHISME C677T DE LA MTHFR
ET LA MIGRAINE
Plusieurs équipes ont déjà rapporté l’existence d’une association
entre le polymorphisme C677T du gène de la méthylène-tétrahydrofolate-réductase (MTHFR) et la migraine avec aura. Ce
polymorphisme C677T entraîne une élévation de l’homocystéinémie. Or, l’hyperhomocystéinémie est un facteur de risque
d’infarctus cérébral, de même que la migraine avec aura. Trois
nouvelles études portant sur ce thème ont été présentées. Dans
l’étude hollandaise, les patients (migraine avec aura [MA] = 187,
et migraine sans aura [MSA] = 226) et les sujets contrôles
(C = 1 212) ont été sélectionnés en population générale. Le phénotype T/T a été trouvé plus fréquemment dans la MA (16 %)
que dans la population générale (10 %) [p < 0,02]. Cette étude
suggère donc une association entre le polymorphisme de la
MTHFR et la MA, mais pas la MSA. Dans l’étude belge,
56 patients atteints de MA ont été comparés à 75 patients atteints
de MSA. Aucune différence n’a été observée. Dans l’étude finlandaise portant sur 898 MA et 900 C, aucune association n’a été
trouvée entre le polymorphisme C677T et la MA.
Ces résultats contradictoires reposent le problème des études
d’association, qui sont souvent entachées de très nombreux biais
méthodologiques, le premier étant la faible taille des échantillons.
En polygénique, 1 000 à 1 500 malades semblent actuellement
nécessaires pour obtenir des résultats probants. Donc, pas de
conclusions hâtives : aucune association significative et reproductible n’est pour l’instant démontrée entre le polymorphisme
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de la MTHFR et la migraine. D’autre part, rien ne permet de dire
que l’existence de ce polymorphisme serait responsable de l’élévation du risque vasculaire dans la migraine avec aura.
■ Scher A. The association of migraine with aura with the methylene-tetra-hydrofolate reductase (MTHFR) C677T variant and the homocysteine metabolic pathway in the general population. SS1-2 et posters A017 et A003.
VERS UNE GÉNÉTIQUE DES SYMPTÔMES
DE LA CRISE ?
Un locus de susceptibilité à la MSA a récemment été identifié sur
le chromosome 4q24 par une analyse de liaison dans un large
panel de familles finlandaises. Les auteurs ont émis l’hypothèse
que les différents symptômes des crises de MSA pouvaient être
liés à différents locus chromosomiques. Ils ont donc procédé à
une nouvelle analyse de leurs données en utilisant comme phénotype “malade” les différents symptômes de la crise migraineuse : l’unilatéralité, la photophobie et la phonophobie seraient
des traits liés au locus 4q24. La pulsatilité serait liée au chromosome 17, et la durée prolongée des crises avec signes digestifs au
chromosome 18. Les auteurs pensent qu’il s’agit d’une nouvelle
façon d’aborder la génétique de la migraine.
Cette étude a été très critiquée par les ténors de la génétique de la
migraine présents dans la salle. En effet, l’objectif majeur de la
génétique de la migraine est de trouver un dénominateur commun
entre les migraineux et d’identifier des mécanismes communs
expliquant comment et pourquoi les crises se déclenchent. Il existe
chez les migraineux une variabilité clinique très importante au fil
du temps. Dans l’approche par symptômes, le statut “malade”
n’est plus la maladie elle-même… Cette “nouvelle” approche ne
peut pas permettre d’identifier les gènes de la migraine.
■ Anttila V. Trait component analyses of genome-wide scan data in migraine
families reveal new susceptibility loci? SS1-3.
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CÉPHALÉES EN COUP DE TONNERRE RÉPÉTÉES :
ÉVOQUER UNE ANGIOPATHIE CÉRÉBRALE RÉVERSIBLE
Une céphalée en coup de tonnerre (CCT) est une céphalée
d’intensité sévère à début brutal. L’angiopathie cérébrale réversible (ACR) est un syndrome caractérisé par des céphalées
sévères pouvant être des CCT et par une vasoconstriction réversible des artères cérébrales. Une équipe française a évalué la
fréquence des ACR dans une série prospective de 113 patients
admis en 2004 pour CCT. Une cause secondaire a été identifiée
chez 61 des 113 patients. Les causes vasculaires étaient les plus
fréquentes (51 patients), avec en premier lieu les ACR (21), suivies par les hémorragies méningées (14) et les dissections (7).
La même équipe a rapporté les caractéristiques de 34 patients
atteints d’ACR, dont 22 femmes (âge moyen de 40 ans). Un ou
plusieurs facteurs favorisants ont été retrouvés chez 70 % des
patients : cannabis (8), inhibiteurs de la recapture de la sérotonine
(6), vasoconstricteurs (4), infection ou inflammation bénigne (12)
et post-partum (2). Tous les patients ont eu au moins une CCT.
Chez 32 patients, les CCT ont été récurrentes, sur une période de
quelques jours à quelques semaines (4-5 CCT en moyenne). La
moitié des patients ont eu au moins une CCT sexuelle. Une
hémorragie méningée de faible abondance a été mise en évidence
chez 4 patients, et 2 femmes ont eu un infarctus cérébral symptomatique. L’efficacité du traitement par nimodipine ainsi que la
fréquence des récidives sont en cours d’évaluation.
L’ACR est une cause fréquente et probablement sous-estimée
de CCT spontanées ou sexuelles. Le tableau caractéristique
comporte des CCT récidivantes sur quelques jours ou semaines.
Des formes graves avec infarctus symptomatiques peuvent
survenir.
■
■ Ducros A. Recurrent thunderclap headaches revealing reversible angiopathy of
the central nervous system. SS5-5.
La Lettre du Neurologue - Supplément Céphalées au vol. IX - n° 10 - décembre 2005
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