DEUXIÈME CAS CLINIQUE
Le donneur initial était un homme de
groupe sanguin A, sans antécédent. Le rece-
veur n° 1 était une patiente de 40 ans de
groupe sanguin A, dont la néphropathie ini-
tiale était due à un reflux vésico-urétéral.
La transplantation (une identité) avait été
réalisée une année auparavant. Le proto-
cole d’immunosuppression comportait
une corticothérapie dégressive, de la ciclo-
sporine A et du mycophénolate mofétil.
La reprise de fonction du greffon avait été
immédiate, et la créatininémie à un an était
de 71 µmol/l. La protéinurie était de
0,3 g/j. La patiente est décédée d’un acci-
dent vasculaire cérébral. Il a été décidé de
réutiliser le greffon pour une seconde
transplantation, en informant le nouveau
receveur des conditions particulières de
cette greffe. La biopsie du greffon mettait
en évidence une discrète fibrose intersti-
tielle (12 glomérules analysés : 2 glomé-
rules en pain à cacheter). Compte tenu de
l’absence de lymphocytes du donneur ini-
tial, un cross match avec le sérum du
second receveur n’a pu être réalisé. Les
critères de sélection du nouveau receveur
ont été similaires à ceux de la précédente
observation. Il s’agissait d’un homme de
50 ans, de groupe sanguin A. Il présentait
une compatibilité HLA-A avec le donneur
initial. Il existait également deux compa-
tibilités HLA de groupe I et une compati-
bilité HLA-DR avec le premier receveur.
Lors du prélèvement chirurgical, les anas-
tomoses initiales artérielles et veineuses
ont été respectées, et le greffon a donc été
prélevé avec une partie de l’axe artériel
et veineux iliaque externe du premier
receveur. Le greffon a été transplanté en
fosse iliaque droite. Une anastomose
urétéro-vésicale directe a été réalisée et
protégée par une sonde en double J.
L’ischémie froide a été de 24 heures. La
reprise de diurèse et de fonction a été
immédiate. La créatininémie était de
163 µmol/l à J15 et de 103 µmol/l un an
après. Le traitement immunosuppresseur
comportait une corticothérapie à doses
progressivement décroissantes, du myco-
phénolate mofétil, du sérum antilympho-
cytaire de J0 à J4 et du tacrolimus. Aucun
épisode de rejet n’a été observé.
DISCUSSION
Ces observations, à notre connaissance,
rapportent pour la première fois la
retransplantation d’un greffon rénal après
une longue durée chez le premier rece-
veur. En effet, dans les premières obser-
vations publiées de réutilisation de gref-
fons rénaux, la mort encéphalique du
premier receveur survenait entre le
second et le huitième jour postopératoire
(1,2). Elles démontrent qu’il est possible
d’envisager la retransplantation d’un
greffon, même plusieurs années après la
première greffe. L’évolution a été favo-
rable, avec une reprise précoce de fonc-
tion et le retour en 15 jours au niveau de
fonction rénale avant greffe. Elle a été
tout à fait superposable à l’évolution clas-
sique d’une transplantation habituelle. En
revanche, le prélèvement du greffon est
rendu plus difficile par les adhérences, et
un prélèvement en bloc des vaisseaux a
été nécessaire dans les deux cas.
La complexité de ces réimplantations de
greffon chez un troisième receveur après
une longue période est également immu-
nologique. Une compatibilité ABO reste
requise. Par contre, faut-il faire un cross
match, et avec quel “donneur” ? De plus,
dans les deux cas, aucune cellule du don-
neur initial n’était accessible. Il a donc
été décidé de réaliser une transplantation
sans qu’un cross match soit effectué. Il
fallait choisir un malade ayant le moins
de risques possible d’avoir des anticorps
lymphocytotoxiques. Le choix s’est donc
porté vers des receveurs “mâles” (ne
pouvant pas avoir été immunisés au cours
d’une grossesse !), n’ayant été ni trans-
fusés ni transplantés et n’ayant jamais eu
de détection d’anticorps lymphocyto-
toxiques. Une précaution supplémentaire
serait toutefois de réaliser un cross match
avec les cellules du premier receveur. En
effet, plusieurs travaux ont permis de
mettre en évidence l’existence d’un
microchimérisme vasculaire au niveau du
greffon. Les premières études chez les
patients de sexe masculin greffés avec un
greffon de sexe féminin ont montré
l’existence de cellules endothéliales dans
les vaisseaux du greffon de génotype XY
(5). En outre, la technique de prélèvement
en bloc comportant des vaisseaux du pre-
mier receveur en amont des anastomoses
vasculaires fait que la partie initiale de
l’artère et de la veine du greffon provient
du premier receveur. Elle pourrait être la
cible d’anticorps cytotoxiques, eux-
mêmes éventuellement responsables
d’une thrombose vasculaire.
CONCLUSION
Même si la survenue de la mort cérébrale
d’un patient greffé est un événement rare,
l’actuelle pénurie d’organes doit faire
considérer la population des patients
greffés comme une source potentielle de
donneurs. Les organes natifs comme les
greffons peuvent être utilisés, si l’on res-
pecte les habituels critères de sélection
des donneurs. Dans le cas des greffons,
même si la durée de suivi est courte, nos
observations suggèrent la faisabilité
d’une retransplantation, tant sur le plan
chirurgical que médical. Du fait de l’ab-
sence de cellules provenant du donneur
initial pour permettre la réalisation d’un
cross match, il est important de choisir
un malade ayant le moins de risques
possible d’avoir acquis des anticorps
cytotoxiques qui pourraient être impli-
qués dans un rejet hyper-aigu (homme,
non immunisé, non transfusé, première
transplantation). "
RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
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Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o3 - oct.-nov.-déc. 2001
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Singularité