S i n g u l a r i t é

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S ingularité
! R. Snanoudj*, A. Durrbach*, E. Thervet**,
S. Droupy*, C. Legendre**, B. Charpentier*
Le greffon est-il à usage unique ?
a diminution des dons d’organe et
l’augmentation continue du nombre
L
de malades souffrant d’insuffisance
rénale chronique sévère susceptibles
d’être transplantés sont responsables
d’une inadéquation entre les dons et les
malades. Cette pénurie d’organes ne se
limite pas à la transplantation rénale, mais
atteint également la transplantation cardiaque, hépatique, pancréatique et pulmonaire. Elle entraîne un accroissement
de la durée d’attente sur les listes de
transplantation, et malheureusement une
augmentation du nombre de décès de
malades figurant sur la liste d’attente.
Pour augmenter le nombre de greffons
disponibles, des reins “limites” incluant
des reins de donneurs âgés ou des reins
de malades ayant des antécédents vasculaires ont été utilisés. Parmi les donneurs
potentiels d’organe (organe natif ou
même greffon) figurent également des
malades déjà transplantés décédés par
accident. Entre 1987 et 1996, aux ÉtatsUnis, la mort encéphalique de patients
transplantés a permis la réalisation de
95 transplantations à partir d’organes
natifs (90 cas) ou de greffons (5 cas) (1).
En 1993, le greffon rénal d’un patient
transplanté et décédé huit jours après la
greffe d’une hémorragie cérébrale a été,
pour la première fois, retransplanté à un
second receveur (2). De la même
manière, un greffon cardiaque (3) et un
greffon hépatique (4) ont été utilisés.
Pour le rein, de rares observations mentionnent la possible réutilisation de reins
récemment transplantés. Dans la totalité
des derniers cas, le greffon rénal réutilisé
provenait d’un patient transplanté récemment. La survie des greffons retransplantés était comprise entre un et six ans.
* Service de néphrologie, hôpital Bicêtre, 94275 Le
Kremlin-Bicêtre Cedex.
** Service de néphrologie, hôpital Saint-Louis,
75010 Paris.
Nous rapportons l’observation de deux
malades insuffisants rénaux transplantés
avec deux greffons rénaux provenant de
deux patients transplantés rénaux depuis
plusieurs mois. Ces observations illustrent la possibilité de réutiliser des
organes transplantés même après une
période assez longue.
PREMIER CAS CLINIQUE
Le donneur initial était un homme de
46 ans, de groupe sanguin A, sans antécédent, décédé par autolyse. Le receveur
n° 1 était une patiente de 40 ans, de
groupe sanguin A, hémodialysée depuis
un an, dont la néphropathie initiale était
due à un reflux vésico-urétéral.
La transplantation (deux identités) a été
réalisée après une période d’ischémie
froide de 10 heures. Le protocole
d’immunosuppression comportait une
corticothérapie dégressive, de la ciclosporine A et de la rapamycine. La reprise
de fonction du greffon a été immédiate.
La créatininémie à trois mois était de
105 µmol/l, à un an de 101 µmol/l et à
deux ans de 118 µmol/l. Il existait une
protéinurie stable d’environ 0,5 g/24 h.
La biopsie systématique du greffon à un
an mettait en évidence des lésions de
néphropathie chronique du transplant de
grade I selon la classification de Banff
1997. La malade est décédée deux ans
plus tard d’un épisode d’hémorragie
méningée. Il a été décidé de réutiliser le
greffon pour une seconde transplantation,
en informant le nouveau receveur des
conditions particulières de cette greffe.
Compte tenu de l’absence de lymphocytes du donneur initial, un cross match
avec le sérum du second receveur n’a pu
être réalisé. Le critère de sélection du
nouveau receveur a été la certitude de
l’absence d’anticorps anti-HLA. Il s’agis-
136
sait d’un homme de 58 ans, de groupe
sanguin A. Il présentait une compatibilité
HLA-A et deux compatibilités HLA-DR
avec le donneur initial. On peut
remarquer qu’il existait également une
compatibilité HLA-A et une compatibilité HLA-DR avec le premier receveur.
Lors du prélèvement chirurgical, les anastomoses initiales artérielles et veineuses
ont été respectées, et le greffon a donc été
prélevé avec une partie de l’axe artériel
et veineux iliaque externe du premier
receveur. L’uretère, entouré d’une gangue
fibreuse, a été prélevé avec une collerette
vésicale. Le greffon a été transplanté en
fosse iliaque droite avec une nouvelle
anastomose termino-latérale entre les
vaisseaux iliaques externes du premier
receveur et ceux du second receveur. Une
anastomose urétéro-vésicale directe a été
réalisée et protégée par une sonde en
double J. L’ischémie froide a été de
11 heures. La reprise de diurèse a été
immédiate, celle de fonction un peu
retardée. Le traitement immunosuppresseur comportait une corticothérapie à
doses progressivement décroissantes, du
mycophénolate mofétil, du sérum antilymphocytaire de J0 à J4 permettant l’introduction retardée de la ciclosporine A
à J4. La créatininémie était de 128 µmol/l
à J30. Le receveur a présenté un rejet aigu
à J32, traité par bolus de stéroïdes.
Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 3 - oct.-nov.-déc. 2001
S ingularité
DEUXIÈME CAS CLINIQUE
Le donneur initial était un homme de
groupe sanguin A, sans antécédent. Le receveur n° 1 était une patiente de 40 ans de
groupe sanguin A, dont la néphropathie initiale était due à un reflux vésico-urétéral.
La transplantation (une identité) avait été
réalisée une année auparavant. Le protocole d’immunosuppression comportait
une corticothérapie dégressive, de la ciclosporine A et du mycophénolate mofétil.
La reprise de fonction du greffon avait été
immédiate, et la créatininémie à un an était
de 71 µmol/l. La protéinurie était de
0,3 g/j. La patiente est décédée d’un accident vasculaire cérébral. Il a été décidé de
réutiliser le greffon pour une seconde
transplantation, en informant le nouveau
receveur des conditions particulières de
cette greffe. La biopsie du greffon mettait
en évidence une discrète fibrose interstitielle (12 glomérules analysés : 2 glomérules en pain à cacheter). Compte tenu de
l’absence de lymphocytes du donneur initial, un cross match avec le sérum du
second receveur n’a pu être réalisé. Les
critères de sélection du nouveau receveur
ont été similaires à ceux de la précédente
observation. Il s’agissait d’un homme de
50 ans, de groupe sanguin A. Il présentait
une compatibilité HLA-A avec le donneur
initial. Il existait également deux compatibilités HLA de groupe I et une compatibilité HLA-DR avec le premier receveur.
Lors du prélèvement chirurgical, les anastomoses initiales artérielles et veineuses
ont été respectées, et le greffon a donc été
prélevé avec une partie de l’axe artériel
et veineux iliaque externe du premier
receveur. Le greffon a été transplanté en
fosse iliaque droite. Une anastomose
urétéro-vésicale directe a été réalisée et
protégée par une sonde en double J.
L’ischémie froide a été de 24 heures. La
reprise de diurèse et de fonction a été
immédiate. La créatininémie était de
163 µmol/l à J15 et de 103 µmol/l un an
après. Le traitement immunosuppresseur
comportait une corticothérapie à doses
progressivement décroissantes, du mycophénolate mofétil, du sérum antilymphocytaire de J0 à J4 et du tacrolimus. Aucun
épisode de rejet n’a été observé.
DISCUSSION
Ces observations, à notre connaissance,
rapportent pour la première fois la
retransplantation d’un greffon rénal après
une longue durée chez le premier receveur. En effet, dans les premières observations publiées de réutilisation de greffons rénaux, la mort encéphalique du
premier receveur survenait entre le
second et le huitième jour postopératoire
(1, 2). Elles démontrent qu’il est possible
d’envisager la retransplantation d’un
greffon, même plusieurs années après la
première greffe. L’évolution a été favorable, avec une reprise précoce de fonction et le retour en 15 jours au niveau de
fonction rénale avant greffe. Elle a été
tout à fait superposable à l’évolution classique d’une transplantation habituelle. En
revanche, le prélèvement du greffon est
rendu plus difficile par les adhérences, et
un prélèvement en bloc des vaisseaux a
été nécessaire dans les deux cas.
La complexité de ces réimplantations de
greffon chez un troisième receveur après
une longue période est également immunologique. Une compatibilité ABO reste
requise. Par contre, faut-il faire un cross
match, et avec quel “donneur” ? De plus,
dans les deux cas, aucune cellule du donneur initial n’était accessible. Il a donc
été décidé de réaliser une transplantation
sans qu’un cross match soit effectué. Il
fallait choisir un malade ayant le moins
de risques possible d’avoir des anticorps
lymphocytotoxiques. Le choix s’est donc
porté vers des receveurs “mâles” (ne
pouvant pas avoir été immunisés au cours
d’une grossesse !), n’ayant été ni transfusés ni transplantés et n’ayant jamais eu
de détection d’anticorps lymphocytotoxiques. Une précaution supplémentaire
serait toutefois de réaliser un cross match
avec les cellules du premier receveur. En
effet, plusieurs travaux ont permis de
mettre en évidence l’existence d’un
microchimérisme vasculaire au niveau du
greffon. Les premières études chez les
patients de sexe masculin greffés avec un
greffon de sexe féminin ont montré
l’existence de cellules endothéliales dans
les vaisseaux du greffon de génotype XY
(5). En outre, la technique de prélèvement
137
en bloc comportant des vaisseaux du premier receveur en amont des anastomoses
vasculaires fait que la partie initiale de
l’artère et de la veine du greffon provient
du premier receveur. Elle pourrait être la
cible d’anticorps cytotoxiques, euxmêmes éventuellement responsables
d’une thrombose vasculaire.
CONCLUSION
Même si la survenue de la mort cérébrale
d’un patient greffé est un événement rare,
l’actuelle pénurie d’organes doit faire
considérer la population des patients
greffés comme une source potentielle de
donneurs. Les organes natifs comme les
greffons peuvent être utilisés, si l’on respecte les habituels critères de sélection
des donneurs. Dans le cas des greffons,
même si la durée de suivi est courte, nos
observations suggèrent la faisabilité
d’une retransplantation, tant sur le plan
chirurgical que médical. Du fait de l’absence de cellules provenant du donneur
initial pour permettre la réalisation d’un
cross match, il est important de choisir
un malade ayant le moins de risques
possible d’avoir acquis des anticorps
cytotoxiques qui pourraient être impliqués dans un rejet hyper-aigu (homme,
non immunisé, non transfusé, première
"
transplantation).
R
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Lowell JA, Smith CR, Brennan DC et al. The
domino transplant : transplant recipients as organ
donors. Transplantation 2000 ; 69, 3 : 372-6.
2.
Andres A, Morales JM, Lloveras J. Reuse of a
transplanted kidney. N Engl J Med 1993 ; 328, 22 :
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3. Pasic M, Gallino A, Carrel T et al. Brief report :
reuse of a transplanted heart. N Engl J Med 1993 ;
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4. Moreno EG, Garcia GI, Gonzalez-Pinto I, Gomez
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5.
Sinclair RA. Origin of endothelium in human
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Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 3 - oct.-nov.-déc. 2001
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