MISE AU POINT Quand doit-on proposer l’arrêt d’un traitement antiépileptique ? When should antiepileptic treatment be withdrawn? M. Lemesle-Martin* L e traitement antiépileptique a pour objectif de réduire la fréquence des crises et de permettre la meilleure insertion scolaire, sociale et professionnelle possible. La plupart des patients seront équilibrés avec une seule molécule et, après plusieurs années sans crise, la réduction, voire l’arrêt du traitement peuvent être discutés. La décision sera d’autant plus facile que le syndrome épileptique aura été bien identifié et que le patient sera équilibré grâce à une monothérapie. Tableau I. Facteurs prédictifs de récidive de crise. Âge de début des crises > 10 ans Sévérité de l’épilepsie (fréquence, durée, notion d’état de mal) Délai de réponse au traitement antiépileptique Type de crises (tonico-cloniques, myocloniques) Délai long avant la mise en route du traitement Signes neurologiques, retard mental Anomalies électroencéphalographiques avec décharges de pointes-ondes Délai court depuis le contrôle des crises Rémission et facteurs de risque de récidive * Laboratoire d’exploration du système nerveux, service de neurologie, Hôpital général, Dijon. L’épilepsie peut être considérée en rémission lorsque le patient est libre de crises depuis une période suffisante, conventionnellement entre 2 et 5 ans. Le Medical Research Council a suivi 1 013 patients traités et libres de crises depuis au moins 2 ans. Sur les 509 patients qui avaient arrêté les antiépileptiques, 59 % étaient libres de crises à 2 ans, contre 78 % parmi les 504 patients qui avaient continué leur traitement. Cependant, à 5 ans, la différence se réduisait entre les patients ayant arrêté leur traitement et ceux qui l’avaient poursuivi. Les principaux facteurs de risque de rechute sont rapportés dans le tableau I (1). L’âge de début de l’épilepsie est incriminé chez la plupart des auteurs. J.F. Annegers et al. (2) rapportent 51 % de rémissions pour les épilepsies commençant avant l’âge de 10 ans, 40 % pour un début entre 10 et 19 ans et 28 % pour un début entre 20 et 59 ans. La probabilité de maintien de rémission des crises après arrêt d’un traitement antiépileptique semble meilleure chez l’enfant (entre 66 et 96 % à 1 an et entre 61 et 91 % à 2 ans chez 2 758 enfants issus d’une revue de 28 études (comparativement à 198 | La Lettre du Neurologue • Vol. XII - n° 7 - septembre 2008 Étiologie connue (épilepsie symptomatique) celle des adultes) entre 39 et 74 % à 1 an et entre 35 et 57 % à 2 ans chez 1 020 adultes issus de cette même revue) [3]. Plus l’histoire épileptique active est courte (entre le début de l’épilepsie et le début de la phase de rémission), plus le risque de récidive est faible. Un grand nombre de crises avant la rémission, la nécessité de prendre plusieurs médicaments pour contrôler les crises et la présence de deux ou trois types de crises différentes sont des facteurs de risque de récidive. Plus la période traitée sans crise est longue et moins le risque de récidive est grand. Après 5 ans sans crise, le risque de récidive est inférieur à 10 %. Si les crises persistent au-delà de 2 ans après la mise en route du traitement, la probabilité de rester au moins 1 an sans crise se réduit de moitié. Le type et la sévérité de l’épilepsie, ainsi que son étiologie, influencent le pronostic évolutif. La sévérité de l’épilepsie est souvent appréciée sur la fréquence des crises. Un nombre d’environ 5 crises par an semble être déterminant, aggravant le risque de récidive épileptique quel que soit le syndrome épileptique. La durée des crises (supérieure à 15 mn) Points forts L’arrêt du traitement antiépileptique est proposé après 2 à 4 ans sans crise. L’arrêt du traitement antiépileptique est conditionné par la rémission des crises. L’identification du syndrome épileptique est essentielle pour évaluer le pronostic d’épilepsie. L’arrêt du traitement antiépileptique est souvent possible chez les enfants ayant souffert d’épilepsie idiopathique. L’arrêt du traitement antiépileptique est risqué en cas d’épilepsie symptomatique lésionnelle. Le risque de récidive épileptique après arrêt du traitement antiépileptique doit être évalué individuellement. Des facteurs sociaux, professionnels et individuels interviennent dans la décision d’arrêt du traitement antiépileptique. La décision du patient est primordiale dans le choix d’arrêter le traitement antiépileptique. L’arrêt du traitement antiépileptique doit se faire progressivement en fonction de la molécule utilisée et de l’ancienneté du traitement. » En cas de rechute, les crises réapparaissent souvent dans la première année qui suit l’arrêt du traitement antiépileptique. » » » » » » » » » et la survenue d’un état de mal épileptique sont des facteurs déterminants importants en faveur du risque d’aggravation de l’épilepsie. La présence d’un déficit neurologique ou d’un retard psychomoteur diminue nettement les chances de rémission et aggrave le risque de récidive. L’intérêt de l’électroencéphalogramme pour prédire l’évolution est controversé. La persistance de pointes-ondes chez les patients souffrant d’une épilepsie généralisée idiopathique est certainement la caractéristique électroencéphalographique la plus utile, témoignant d’un haut risque de récidive, et remet en cause l’arrêt du traitement (risque de rechute de 57 à 59 %) [4]. L’association d’au moins deux de ces différents facteurs augmente le risque de récidive (supérieur à 70 %). Avec un seul facteur positif, le risque de récidive reste inférieur à 40 %. Rémission en fonction des syndromes épileptiques Épilepsies généralisées idiopathiques Lorsque l’épilepsie-absence répond aux critères de définition de ce syndrome, le pronostic est excellent et permet souvent un arrêt du traitement 2 ans après la dernière crise. Cependant, les absences peuvent persister de façon isolée (7 % des cas) ou être associées à des crises tonico-cloniques (36 %). Elles peuvent disparaître et laisser place à des crises convulsives généralisées. Les facteurs de risque de rechute à l’âge adulte sont le début tardif des absences (après 8 ans), la présence d’une composante sémiologique clonique, atonique ou myoclonique, de myoclonies des paupières ou périorales, l’association avec des crises tonico-cloniques, l’existence d’atypies EEG, la présence d’une photosensibilité et la mauvaise réponse au traitement. Le traitement est alors poursuivi plus longtemps et sa réduction sera prudente. L’épilepsie myoclonique bénigne de l’adolescent est sensible au traitement, mais le risque de rechute après arrêt du traitement est élevé et impose un traitement de longue durée, souvent supérieur à 10 ans sans crise. Les crises tonico-cloniques généralisées peuvent être isolées ou s’associer à d’autres types de crises. Elles sont en général peu fréquentes et de bon pronostic, avec un taux de rechute faible de l’ordre de 8 à 20 %. La durée du traitement est fonction de l’âge de début de l’épilepsie, de la fréquence des crises et de la présence d’anomalies sur l’EEG, et d’une photosensibilité. Les crises survenant au réveil sont de meilleur pronostic que celles qui surviennent pendant le sommeil. Sauf en cas d’anomalies EEG, l’arrêt du traitement peut se discuter après 3 à 4 ans sans crise. En cas d’association de multiples crises dans le cadre d’une épilepsie généralisée et surtout en présence d’une photosensibilité, le risque de rechute apparaît plus élevé : 22 % en cas de crises tonico-cloniques associées à des absences ou à des myoclonies contre 19,2 % en cas de crises tonico-cloniques seules et 7,7 % en cas d’absences isolées. Un traitement plus long, de l’ordre de 10 ans au lieu des 2 à 4 ans habituels, est alors recommandé. Épilepsies partielles idiopathiques et cryptogéniques Dans l’épilepsie à paroxysmes centrotemporaux, la faible fréquence des crises permet parfois de ne pas proposer de traitement pendant la phase évolutive. Ce syndrome épileptique guérit à la puberté avec normalisation de l’EEG. Si un traitement antiépileptique a été instauré, il sera indispensable de prévoir son arrêt à l’adolescence. L’évolution de l’épilepsie à paroxysmes occipitaux est plus délicate. Sa guérison à l’âge adulte est habituelle et l’arrêt du traitement est proposé de façon plus prudente dès la fin de l’adolescence. Les épilepsies partielles cryptogéniques ont un moins bon pronostic, avec un taux de rémission de l’ordre de 35 % à 20 ans (2). Les crises partielles complexes conduisent à davantage de rechutes que les crises partielles simples. En cas de crises partielles complexes, il est déconseillé d’essayer d’arrêter le traitement. L’association avec des crises généralisées aggrave le risque de rechute. Mots-clés Antiépileptiques Arrêt du traitement Épilepsie Rémission Highlights The decision to withdraw antiepileptic treatment is particularly difficult in adults for whom considerations such as driving and employment may be affected by a recurrence of seizures. The patient should be counselled about the risk of relapse and its consequences. Usually patients should have been seizure free for at least two years before drug withdrawal is attempted. Drugs should be withdrawn slowly over a period of several months. Factors influencing the likelihood of relapse include the duration of epilepsy prior to seizure control, the duration of remission, seizure type (idiopathic versus symptomatic epilepsy, epileptic syndrom) and the presence of additional handicaps. The majority of relapses following drug withdrawal occurs within one year. Keywords Antiepileptic drugs Withdrawal Epilepsy Remission Épilepsies symptomatiques Le risque de récidive épileptique est plus élevé dans les épilepsies symptomatiques que dans les épilepsies idio- La Lettre du Neurologue • Vol. XII - n° 7 - septembre 2008 | 199 MISE AU POINT Quand doit-on proposer l’arrêt d’un traitement antiépileptique ? pathiques (risque relatif : 1,55 ; IC95 : 1,21-1,98) [4], avec des évolutions variables en fonction de l’étiologie. Les crises postopératoires surviennent le plus souvent dans les 6 mois à 1 an qui suivent l’intervention ; elles sont rares et souvent sensibles au traitement. Les lésions les plus épileptogènes sont celles qui se développent lentement et impliquent précocement le cortex des régions frontales, rolandiques ou temporales mésiales. Les abcès cérébraux, les méningiomes et les tumeurs gliales de bas grade sont liés à un risque de crises plus élevé que les gliomes de haut grade et les métastases (5). Un traitement prophylactique peut ne pas prévenir le risque de survenue de crises. Lorsque ce traitement est instauré en phase préopératoire – ce qui est le plus souvent le cas – et en l’absence de crise, l’arrêt du traitement doit être envisagé rapidement, en général dans les 6 à 24 mois après le début du traitement. Dans les accidents vasculaires cérébraux, les crises contemporaines de l’accident sont des crises symptomatiques aiguës qui ne justifient pas le maintien d’un traitement antiépileptique à long terme. En revanche, les crises tardives nécessitent la poursuite d’un traitement antiépileptique, souvent efficace en monothérapie. Après une période de rémission des crises, le risque d’aggravation neurologique qui pourrait résulter d’une nouvelle crise doit imposer une certaine prudence et conduire à ne proposer l’arrêt du traitement que chez certains patients au-delà de 5 ans sans crise. Le risque d’épilepsie posttraumatique repose sur plusieurs facteurs : profondeur et durée des troubles de conscience, lésions parenchymateuses, œdème cérébral, présence de signes neurologiques déficitaires, saignement intracrânien, signes électroencéphalographiques. L’arrêt du traitement sera fonction de ces différents facteurs et peut être proposé entre 2 et 5 ans après le traumatisme, en l’absence de crise. Comment arrêter le traitement antiépileptique ? Il n’existe pas de consensus sur les modalités d’arrêt du traitement antiépileptique. Le risque individuel de récidive épileptique, l’impact social lié au traitement (stigmatisation, limitation de certaines activités sociales et professionnelles…), la toxicité à long terme de la molécule (souvent méconnue et parfois révélée) et les implications émotionnelles d’un arrêt potentiel du traitement ou de son maintien doivent être évalués. Enfin, le choix du patient et le niveau de risque auquel il accepte de se soumettre conditionnent la décision finale. Il devra être conscient que cet arrêt du traite- 200 | La Lettre du Neurologue • Vol. XII - n° 7 - septembre 2008 ment n’est pas obligatoirement synonyme de guérison définitive. La diminution ou l’arrêt du traitement doit être lentement progressif et s’accompagner de la poursuite des précautions hygiéno-diététiques usuelles auxquelles le patient était soumis. Une réduction sur 6 mois, voire sur plus de 12 mois selon les situations, peut paraître nécessaire pour respecter des paliers de réduction prudents (particulièrement pour les barbituriques, les benzodiazépines et la carbamazépine) [tableau II] (6). Le simple non-respect de ces recommandations peut être source de rechute. Une seule molécule à la fois doit être arrêtée. Des signes cliniques en rapport avec le sevrage peuvent apparaître pendant cette période (nervosité, tremblements, tachycardie, palpitations, angoisse, insomnie, etc). Un suivi régulier rassurera le patient. Au cours de ces consultations, la réalisation d’un électroencéphalogramme surveillera l’absence de réapparition d’anomalies paroxystiques épileptiques qui remettrait en cause la poursuite de la régression thérapeutique. Après l’arrêt du traitement, le suivi clinique du patient se poursuit (sans contrôle EEG), d’autant plus que la majorité des rechutes surviennent la première année et principalement dans les 6 premiers mois. Tableau II. Réduction de dose à respecter toutes les 4 semaines pour chaque molécule (mg/j). Carbamazépine Clonazépam 200 1 Clobazam Éthosuximide 10 250 Felbamate 300 Gabapentine 400 Lamotrigine 100 Lévétiracétam 500 Oxcarbazépine 300 Phénobarbital Phénytoïne 50 Piracétam 30 1 600 Primidone 125 Tiagabine 10 Topiramate 100 Valproate 200 Vigabatrine 500 Les crises au cours du sevrage ou après la fin du sevrage ont, en général, les mêmes caractéristiques cliniques et physiologiques que les crises habituelles et sont souvent assimilées à une rechute. Il faut refaire un électroencéphalogramme, vérifier si les consignes de réduction ont été respectées et rechercher un facteur déclenchant. Leur délai de survenue est fonction de la demi-vie de la molécule utilisée (3 à 4 semaines qui suivent l’arrêt de la molécule pour les barbituriques et les benzodiazépines). En cas de rechute, soit la dose est augmentée au dernier palier où le patient n’avait pas rechuté, soit la reprise du traitement à sa dose initiale est préconisée. En cas de rechute, l’essai d’un nouvel arrêt sera plus difficile à MISE AU POINT proposer. Il peut également être suggéré de maintenir la dose à laquelle est survenue la crise en contrôlant l’électroencéphalogramme, et de temporiser la poursuite de la réduction thérapeutique en respectant des paliers d’observation plus longs avant de proposer une nouvelle réduction de dose. Conclusion Qu’il soit proposé par le médecin ou qu’il soit demandé par le patient, l’arrêt du traitement antiépileptique repose sur une concertation entre médecin et patient. Différents facteurs seront pris en compte pour guider la pratique et choisir l’attitude qui semble la mieux adaptée à un patient donné. La décision finale devra donc prendre en compte, en plus des facteurs pronostiques liés au syndrome épileptique, les facteurs sociaux (permis de conduire, travail, activités de loisir, etc.) et les facteurs personnels et émotionnels (crainte de rechute, contexte de stress, etc.), qui conduiront à une décision individuelle en concertation avec le patient et sa famille. Après l’arrêt du traitement, le patient doit être suivi pendant au moins 1 an. ■ Références bibliographiques 1. Randomised study of antiepileptic drug withdrawal in patients in remission. Medical Research Council Antiepileptic Drug Withdrawal Study Group. Lancet 1991;337(8751):1175-80. 2. Annegers JF, Hauser WA, Elveback LR. Remission of seizures and relapse in patients with epilepsy. Epilepsia 1979;20:729-37. 3. Specchio L.M., Beghi E. Should antiepileptic drugs be withdrawn in seizure free patients? CNS Drugs 2004;18(4):201-12. 4. Todt H. The late prognosis of epilepsy in childhood: results of a prospective follow-up study. Epilepsia 1984;25:137-44. 5. Lemesle-Martin M. Traitements antiépileptiques dans les lésions cérébrales : quelles sont les indications et les principales attitudes pratiques ? Ann Fr Anest Réanim 2001;20:115-22. 6. Shorvon SD. Three general principles of treatment in epilepsy. Handbook of epilepsy treatment. Blackwell Science 2000:34-84. @ fm2008 w w w. b - c - a . f r / j s Secrétariat scientifique Professeur Thierry Kuntzer Service de Neurologie CHU Vaudois - 1011 Lausanne, Suisse E-mail : [email protected] Renseignement organisation Secrétariat d'organisation Tél. : 01 70 94 65 20 - Fax : 01 70 94 65 01 E-mail : [email protected] Renseignement inscription Tél. : 01 70 94 65 22 - Fax : 01 70 94 65 25 E-mail : [email protected] La Lettre du Neurologue • Vol. XII - n° 7 - septembre 2008 | 201