Dossier thématique
Dossier thématique
57
La Lettre du Psychiatre - Vol. III - n° 3-4 - mars-avril 2007
Des travaux classiques ont montré une forte agrégation familiale
de certains troubles de la personnalité chez les apparentés de
schizophrènes (1) : le “spectre de la schizophrénie” ainsi décrit se
compose de la schizoïdie, de la schizotypie et de la personnalité
paranoïaque. D’autres travaux ont porté sur l’étude rétrospective
et prospective des personnalités prémorbides chez les patients
schizophrènes : la plupart des travaux concernent la schizoïdie,
la schizotypie et la personnalité antisociale.
LES PERSONNALITÉS PRÉMORBIDES
De très nombreuses études ont porté sur l’évaluation, rétrospec-
tive dans la plupart des cas, des personnalités prémorbides chez
les schizophrènes. Les données de ces travaux sont contrastées,
mais retrouvent le plus souvent une personnalité schizoïde,
évitante, paranoïaque, dépendante ou schizotypique. Selon
certains, 44 % des schizophrènes ont une personnalité prémor-
bide “normale”, 39 % une personnalité schizoïde ou schizotypique,
17 % d’autres troubles de la personnalité (2). L’association de
plusieurs personnalités prémorbides est fréquente, retrouvée
chez 45 % des patients, la combinaison la plus fréquente associant
les personnalités évitante, schizoïde et schizotypique (3). Les
relations entre personnalité prémorbide et schizophrénie peuvent
être comprises en fonction de différents “modèles” (4) :
le modèle du “spectre”, impliquant un “continuum” entre
troubles de la personnalité et schizophrénie ;
le modèle de la “complication”, la maladie schizophrénique
apparaissant comme une modalité évolutive péjorative d’une
personnalité prémorbide ;
le modèle de la “prédisposition-vulnérabilité” ;
le modèle “pathoplastique” : le trouble de la personnalité,
lorsqu’il est présent, influence la présentation, l’évolution et le
pronostic de la schizophrénie (4).
Certaines personnalités prémorbides sont considérées comme
appartenant au “spectre de la schizophrénie” :
La personnalité schizoïde
Elle est considérée, par le DSM-IV TR, comme marquée par
un mode général de détachement des relations sociales, avec
restriction de la variété des expressions émotionnelles dans
les rapports avec autrui. Les traits essentiels en sont la froi-
deur, le détachement, l’isolement social et affectif. Les risques
d’épisodes psychotiques transitoires ou d’épisodes mixtes
anxieux et dépressifs sont accrus chez les sujets schizoïdes.
La co-occurrence avec d’autres troubles de la personnalité est
importante, notamment avec la schizotypie (80 % des cas), la
personnalité évitante (88 %), la personnalité paranoïaque (62 %).
Le diagnostic différentiel entre personnalité schizoïde, certaines
formes déficitaires de schizophrénie et la schizotaxie est souvent
très problématique.
La notion de personnalité schizoïde, imprécise, paraît ainsi à
beaucoup contestable. Plusieurs travaux attestent des médiocres
qualités méthodologiques des critères DSM-IV de cette person-
nalité, et notamment d’une mauvaise validité discriminante par
rapport aux personnalités schizotypiques et antisociales. La
fidélité interjuge, pour ces critères, est très basse.
La personnalité schizotypique
Les origines de ce concept sont anciennes : on décrivait ainsi,
dès le départ, des formes cliniques partielles, atténuées, de la
schizophrénie, repérées notamment chez les apparentés des
patients. Les notions de schizophrénie latente (décrite par
E. Bleuler [5]), de schizophrénie ambulatoire, de schizophrénie
pseudo-névrotique peuvent correspondre aux premières descrip-
tions des personnalités schizotypiques.
Le terme même de schizotypie est dû à S. Rado (6). Il se propo-
sait de décrire un trouble de la personnalité, correspondant à
l’expression phénotypique d’une vulnérabilité à la schizophrénie :
Schizophrenic Phenotype, lié à une interaction entre prédispo-
sition génétique et environnement. S.S. Kety, dans les études
d’adoption réalisées au Danemark, incluait la schizotypie dans
le “spectre” de la schizophrénie. C’est en fait des travaux de
R.L. Spitzer (7) sur la personnalité schizotypique que s’inspirera
le DSM-III, en 1980, pour définir les critères du Schizotypal
Personality Disorder. Un questionnaire spécifique, le SPQ (Schi-
zotypal Personality Questionnaire), sera élaboré plus tard pour
dépister et quantifier ce trouble de la personnalité parmi les
patients et leurs apparentés (8).
Selon K.S. Kendler (9), la personnalité schizotypique se caracté-
rise par une tendance à l’isolement, des difficultés de contact, une
grande dépendance, une hyperémotivité, des troubles du contact
avec la réalité et des réactions psychotiques aiguës en situation
de stress. P.E. Meehl (10, 11), au cours de travaux successifs,
étalés dans le temps, précisera le concept de schizotypie. Il
décrira quatre éléments principaux, validés par des analyses
factorielles des questionnaires utilisés : des erreurs cognitives
spécifiques à type de slipping, l’anhédonie, l’ambivalence, l’aver-
sion pour les relations interpersonnelles. J.P. Chapman et al. (12)
développent ensuite les travaux de P.E. Meehl ; ils élaborent
notamment, pour l’investigation des personnalités schizotypi-
ques, quatre échelles, à savoir : les échelles d’anhédonie physique,
d’anhédonie sociale, d’aberrations et d’erreurs perceptives, de
croyances magiques. Dans le DSM-IV TR, les critères de la
personnalité schizotypique portent la trace des influences de
R.L. Spitzer, de P.E. Meehl et de J.P. Chapman : ils précisent ainsi
qu’il s’agit d’un “mode général de déficit social et interpersonnel
marqué par une gêne aiguë et des compétences réduites dans les
relations proches, des distorsions cognitives et perceptuelles, des
conduites excentriques …” Parmi les critères proposés, certains
sont retrouvés avec précision dans les travaux de P.E. Meehl et
de J.P. Chapman, tels que les “croyances bizarres ou pensées
magiques”, “perceptions inhabituelles”, “inadéquation, pauvreté
des affects”, “absence d’amis proches”, ou “comportement bizarre,
excentrique ou singulier”.
La prévalence de la personnalité schizotypique en population
générale se situe autour de 3 %. Trente à 50 % des patients
porteurs de cette personnalité présentent, au cours de la vie, des
épisodes de dépression majeure, et 30 % présentent des épisodes
psychotiques transitoires. L’évolution vers la schizophrénie