La Lettre du Psychiatre - vol. I - n° 1 - mars-avril 2005
Mise au point
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effet, cette pathologie virale commence le plus souvent par des
signes non spécifiques tels que de la fièvre, des douleurs, de
l’anorexie, ainsi que la perte du goût pour la nourriture. Le dia-
gnostic d’hépatite est établi à l’apparition de l’ictère et à la posi-
tivité des tests sérologiques. Entre ces deux types de symptômes,
non spécifiques pour les premiers et pathognomoniques pour les
derniers, un clinicien avisé aurait pu identifier, pendant un court
laps de temps, des manifestations mineures comme la modifica-
tion de couleur de l’urine, des selles ainsi que des conjonctives.
Ces manifestations appartiennent au deuxième type, pathogno-
monique, mais leur intensité peut être considérée comme étant
“sous le seuil”. Voici donc définies simplement les notions de
symptômes prémorbides et de symptômes sous le seuil. Ils ne
sont habituellement pas différenciés dans la littérature, et tous
deux sont appelés “prodromes”.
Définir le premier épisode
Le concept de prodrome, dans la mesure où il est rétrospectif,
nécessite tout d’abord la définition précise de l’épisode initial.
Cette détermination est complexe. On a pu, en première inten-
tion, établir le début d’un trouble psychotique en se fondant sur
la date de la première hospitalisation pour psychose du patient.
Ce repère, commode d’un point de vue objectif, n’est toutefois
pas opératoire, dans la mesure où il dépend en grande partie du
système de santé du pays dans lequel vit le patient. La plupart
des auteurs considèrent, par ailleurs, que le patient a présenté
par le passé d’autres épisodes psychotiques sans qu’une hos-
pitalisation n’ait été nécessaire. L’hospitalisation ne correspond
donc pas au premier épisode stricto sensu. Ces auteurs proposent
de retenir comme date de début du trouble celle où le patient a
réuni pour la première fois un nombre suffisant de symptômes
(définition critériale CIM ou DSM) présents conjointement
pour parvenir à la catégorie diagnostique de schizophrénie. Les
tenants de cette acception défendent néanmoins des points de vue
différents. Pour certains auteurs, la présence de manifestations
comme le délire ou les hallucinations est nécessaire à l’établis-
sement du diagnostic ; d’autres vont avoir un niveau d’exigence
moins élevé et inclure aussi les patients présentant des troubles
du cours du discours ou du comportement ; d’autres, enfin, font
remarquer que l’expérience psychotique a débuté bien avant
que l’observateur ne la perçoive sous la forme de l’installation
d’une modalité cognitive et sensorielle, certes subjective, mais
spécifique à la psychose (8-10). Quoi qu’il en soit, les modalités
d’accès et de recueil de ces informations restent problématiques.
Épidémiologie et nature des prodromes
Dans ce cadre, et comme nous l’expliquions plus haut, les symp-
tômes prodromaux sont définis soit comme étant le témoignage
de manifestations subsyndromiques (sous le seuil) de la forme
psychotique complète, soit comme des manifestations perçues a
posteriori. Kraepelin et Claude avaient décrit, dès le début du
XXesiècle, des manifestations prodromales. Ils les avaient nom-
mées “schizomanies” rêveuses et négatives. La diversité de ces
manifestations prodromales a ensuite été organisée autour de
quatre formes cliniques intitulées débutantes non typiques. On a
ainsi identifié autour de la forme canonique centrale caractérisée
par la bouffée délirante aiguë, classiquement sans prodromes
(“coup de tonnerre dans un ciel serein”), des formes prodromales
atypiques telles que les formes hypocondriaques, pseudo-névro-
tiques, pseudo-thymiques et caractérielles.
Les auteurs plus récents décrivent aussi une telle symptomatolo-
gie. Häfner, par exemple, souligne sa fréquence, puisqu’elle
serait présente chez près de 73 % des patients ayant développé la
forme complète du trouble (11). Ces manifestations surviennent
habituellement entre l’âge de quinze et vingt-cinq ans. Elles com-
portent des préoccupations intellectuelles inhabituelles, souvent
ésotériques, un désintérêt progressif vis-à-vis des centres d’inté-
rêt habituels, des symptômes d’allure thymique et des manifesta-
tions pseudo-névrotiques (crises d’angoisse, manifestations obses-
sionnelles, symptômes hystériques). Les troubles cognitifs sont
eux aussi fréquents bien qu’intermittents : difficultés de concen-
tration, troubles de l’attention, barrages idéiques, difficultés d’abs-
traction, troubles du langage, méfiance, et modification de la
conscience de soi, des autres et du monde. Des manifestations
encore plus précoces sont décrites dans l’étude ABC (11). Cette
étude retrouve, plusieurs années avant l’éclosion du trouble, dans
le groupe de patients ayant développé une psychose, des mani-
festations telles qu’une nervosité, une humeur dépressive, de
l’anxiété, des troubles de la pensée et de la concentration, des sou-
cis, une diminution de la confiance en soi, une perte d’énergie
avec ralentissement psychomoteur, une baisse du rendement sco-
laire ou professionnel, un repli social, de la méfiance et une
diminution de la communication. Ainsi, dans sa cohorte de
232 patients admis pour un premier épisode, Häfner met en évi-
dence une humeur dépressive, des tentatives de suicide, une perte
de confiance en soi et un sentiment de culpabilité. Les odds-ratios
de ces symptômes sont de trois à cinq dans les trois à cinq années
qui précèdent l’admission de ces patients. Au cours des deux à
quatre années avant cette dernière, il constate l’apparition des
symptômes négatifs ; les symptômes positifs n’étant identifiables
qu’au cours de l’année précédant le premier épisode (figure 1).
De nombreux arguments cliniques et biologiques indiquent que
les symptômes négatifs qui constituent le socle de la symptoma-
tologie primaire de la schizophrénie résultent de mécanismes
physiopathologiques différents de ceux des symptômes positifs.
On postule, en revanche, l’existence de processus neurobiolo-
giques communs entre les symptômes négatifs et les symptômes
neurocognitifs. Les études de corrélation ont en effet mis en évi-
dence une significativité faible à moyenne entre les symptômes
négatifs et les symptômes cognitifs (12, 13), mais une absence de
significativité entre les symptômes positifs et les symptômes
cognitifs. On devrait donc, en toute logique, retrouver des moda-
lités prodromales différentes selon qu’il s’agit de symptômes
positifs, négatifs ou cognitifs.
✓
De façon cohérente avec cette hypothèse, les symptômes néga-
tifs et cognitifs débutent plus précocement que les symptômes
positifs. Par ailleurs, les symptômes négatifs sont, plus fréquem-
ment que les symptômes positifs, associés à un risque familial
pour la schizophrénie (14).