passionnée.14 S’il est évident que le diagnostic souvent
très tardif des psychoses et leur évolution encore trop sou-
vent défavorable, malgré les progrès liés entre autres aux
programmes spécialisés d’intervention précoce, suggèrent
à l’évidence qu’il faut chercher à intervenir plus tôt dans la
maladie, on peut se demander si un diagnostic basé sur
des critères aussi flous ne comporte pas plus de coûts que
de bénéfices.
Ceux qui en sont partisans suggèrent principalement
deux bénéfices possibles : a) la promotion d’une meilleure
connaissance de la psychose et de ces états à risque dans
le grand public et donc le potentiel d’une détection plus
précoce, et b) le développement rapide et à large échelle
de la recherche sur le traitement de ces états.
Ceux qui s’y opposent mettent en avant le taux inaccep-
table de «faux positifs», c’est-à-dire de sujets qui, tout en
remplissant les critères d’«UHR», ne vont pourtant pas dé-
velopper de psychose. Ces sujets seraient alors exposés
d’une part au risque de traitements non justifiés, et d’autre
part à une stigmatisation liée à la suspicion de la présence
d’une maladie mentale grave. Malgré d’importants efforts
d’information du grand public, un diagnostic de «risque de
schizophrénie ou de psychose» peut en effet modifier non
seulement le regard que la société ou les membres de la
famille portent sur celui qui en fait l’objet, mais également
le regard que le sujet porte sur lui-même ; il peut alors
perdre confiance en ses capacités, éprouver un sentiment
de fragilité et porter un fardeau d’autant plus inacceptable
qu’il a de grandes chances d’être injustifié.
état actuel et développements futurs
Dans ce contexte, le groupe d’experts en charge du cha-
pitre des troubles psychotiques, après avoir initialement
proposé l’introduction d’un diagnostic de
Psychosis Risk Syn-
drome
basé sur les critères d’UHR dans le corpus du texte
principal du DSM-V, a révisé sa position et suggère de garder
cette «catégorie» dans le chapitre destiné aux diagnostics
provisoires nécessitant plus de recherches, sous le terme
de «syndrome psychotique atténué».
On peut se demander si cette dénomination, bien que
plus adaptée vu qu’elle n’inclut pas d’élément de prédic-
tion, s’appuie sur des éléments qui justifient son inclusion
dans un manuel diagnostique. Il est alors important de re-
lever que, si les critères utilisés ne saisissent pas de ma-
nière suffisamment fiable une population de sujets évoluant
vers la psychose, ils identifient néanmoins des personnes
en souffrance psychique, dont le niveau de fonctionnement
est clairement altéré et qui sont à risque d’une évolution
défavorable sur les plans fonctionnel et psychopathologi-
que. Plusieurs auteurs ont ainsi démontré que même sans
transition vers la psychose, l’évolution peut se faire vers
d’autres troubles psychiatriques, comme la dépression ou
les troubles de la personnalité, et vers la persistance d’une
diminution du niveau de fonctionnement.15
Il semble donc important de continuer de travailler à
une meilleure connaissance de ces états et à l’identifica-
tion plus précise parmi ces sujets de ceux qui sont réelle-
ment à risque de développer une psychose. On peut, par
exemple, se demander si une approche d’inspiration phé-
noménologique, centrée sur la subjectivité du patient et
sur la manière par laquelle la maladie psychiatrique façon-
ne l’expérience à soi et au monde, ne permettrait pas
d’identifier des caractéristiques plus fondamentales de la
maladie, dont la valeur prédictive serait meilleure. L’enri-
chissement des outils cliniques de détection basés sur les
critères d’«UHR» par ce type d’approches semble du reste
prometteur pour mieux cerner cette vulnérabilité au déve-
loppement d’une schizophrénie.16 D’autre part, et comme
mentionné précédemment, on peut aussi espérer que la
mise en synergie de la recherche en neuro sciences et de la
recherche clinique permette d’identifier des marqueurs
biologiques qui amélioreraient la fiabilité d’un diagnostic
précoce.6
Une fois ces progrès réalisés, les bénéfices d’une inter-
vention à visée préventive dépasseront les risques de con-
séquences négatives d’un diagnostic précoce d’état à risque
et justifieront la généralisation d’interventions qui, pour le
moment, doivent encore clairement rester dans le domai-
ne de la recherche.
1784 Revue Médicale Suisse
–
www.revmed.ch
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19 septembre 2012
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* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
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