21 septembre - 13 H 25 - Fondation pour le droit continental

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TABLE RONDE 4
« Présentation générale des sûretés en droit français »
M. Michel GRIMALDI
Professeur à l’Université Panthéon-Assas Paris II
-----------------------------------------«La réforme des sûretés immobilières en France »
Me Jean-Paul DECORPS
Président Honoraire du Conseil Supérieur du Notariat Français, Président du Conseil
d’Administration du Centre sino-français de Formation et d’Échanges notariaux et
juridiques à Shanghai
-----------------------------------------« Approche des sûretés mobilières en Chine au regard du système français »
Me Guillaume ROUGIER-BRIERRE
Avocat, Associé du Cabinet Gide Loyrette Nouel à Pékin
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« Présentation générale des sûretés en droit français »
M. Michel GRIMALDI
Professeur à l’Université Panthéon-Assas Paris II
1. Les sûretés - que l’on peut définir comme les garanties de paiement des créances à
terme - ont fait l’objet, en France, d’une importante réforme, avec une Ordonnance du 23
mars 2006. Celle-ci a créé dans le Code civil un Livre IV qui leur est tout entier dédié.
On présentera, brièvement, cette réforme en deux temps : d’abord en dressant la
nouvelle panoplie des sûretés (A) ; ensuite en indiquant l’esprit du nouveau droit des sûretés
(B).
A. La nouvelle panoplie des sûretés
2. L’ordonnance du 23 mars 2006 maintient la distinction traditionnelle du droit
français entre les sûretés réelles et les sûretés personnelles :
- Les sûretés personnelles (qui font l’objet du premier titre du livre IV) consistent en ce
qu’une personne garantit la dette d’une autre : un premier droit de créance est ainsi
renforcé par un second droit de créance, qui, comme le premier, est un droit personnel
(c’est-à-dire un droit portant sur tous les biens, présents et à venir, du débiteur). D’où la
dénomination de sûreté personnelle.
- Les sûretés réelles (qui font l’objet du second titre du livre IV) consistent en un droit
accordé au créancier sur un ou plusieurs biens de son débiteur, donc en un droit réel. D’où la
dénomination de sûreté réelle. Mais, à la différence du droit de propriété traditionnel ou du
droit d’usufruit, ce droit réel ne porte pas sur les utilités de la chose : il ne confère pas le
pouvoir d’user ou de jouir de cette chose. Il porte simplement sur la valeur de la chose : le
créancier en tire comme avantage l’affectation de cette valeur au paiement prioritaire de
sa créance ; il a sur cette chose un droit de préférence.
On donnera un bref aperçu d’abord des sûretés personnelles, ensuite des sûretés
réelles.
1°. Les sûretés personnelles
3. Les sûretés personnelles prévues par le Code Civil sont le cautionnement, la
garantie autonome et la lettre d’intention. Le cautionnement est longtemps resté la seule
sûreté personnelle. La garantie autonome et la lettre d’intention sont apparues durant ces
dernières décennies : la première est un engagement plus rigoureux que le cautionnement,
la seconde est un engagement moins rigoureux que le cautionnement.
► Le cautionnement se définit comme l’engagement pris par une
personne - la caution - de payer la dette d’une autre si celle-ci défaille. Il présente pour
caractère principal d’être une sûreté accessoire en ce sens que l’obligation de la caution a
pour objet l’obligation du débiteur principal : la caution s’engage très précisément à payer
ce que doit le débiteur. Aussi l’existence et l’étendue de son obligation de la caution
dépendent-elles nécessairement de celles de l’obligation principale : la caution peut
opposer au créancier toutes les exceptions que pourrait lui opposer le débiteur principal (par
exemple, la nullité de l’obligation principale, ou encore son extinction).
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► La garantie autonome est, depuis l’ordonnance du 23 mars 2006, prévue par
l’article 2321 du Code civil, qui la définit comme « l’engagement par lequel le garant
s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à
première demande, soit suivant des modalités convenues ». Comme le cautionnement, elle
est bien une sûreté personnelle puisqu’elle ajoute à un premier débiteur (le « tiers » visé par le
texte) un second débiteur : le « garant ». Mais, à la différence du cautionnement, elle n’est
pas une sûreté accessoire, car le garant ne s’engage pas à payer la dette garantie : il
s’engage simplement « en considération » de cette dette ; son engagement a pour objet
une somme d’argent dont le montant est indépendant de celui de la dette garantie. D’où la
règle de l’inopposabilité des exceptions : parce que son engagement est autonome,
indépendant, le garant ne peut opposer au créancier qui le poursuit les exceptions titrées de
l’obligation garantie.
On sait quelle l’utilité de la garantie autonome. Ce n’est pas de permettre au
créancier d’obtenir du garant ce que le débiteur ne lui doit pas : ce serait absurde. Il s’agit
de lui permettre d’obtenir immédiatement du garant ce que le débiteur, et donc sa caution,
pourrait contester lui devoir. L’utilité des garanties autonomes est d’épargner au créancier
des incertitudes, les délais et donc les coûts financiers auxquels l’exposerait une sûreté
accessoire comme le cautionnement. Elle réside dans l’automaticité du règlement. Elle
s’exprime dans la formule : Payez d’abord, on discutera ensuite.
► La lettre d’intention, qui est née dans la pratique anglo-américaine des affaires,
est, depuis l’ordonnance du 23 mars 2006, prévue par l’article 2322 du Code Civil. Elle y est
définie comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien
apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ».
Cette définition montre que l’obligation qu’elle fait naître n’est pas une obligation de
payer en cas de défaillance du débiteur : c’est une simple obligation de soutenir le débiteur
dans l’exécution de son obligation ; c’est une obligation comportementale. Souvent, elle
émane d’une société mère qui entend soutenir sa filiale, notamment lorsque celle-ci est en
période de démarrage. Ce soutien peut consister en une prestation (souscription à une
augmentation de capital, apport en compte courant, aide et assistance dans la conquête
de marchés), comme en une abstention (promesse, de la part de l’associé majoritaire de la
société débitrice, de ne pas distribuer de dividendes).
2°. Les sûretés réelles
4. Depuis l’ordonnance du 23 mars 2006, le Code Civil classe les sûretés réelles, non
plus selon leur technique, mais selon leur objet : non plus selon qu’elles impliquent ou non la
dépossession du débiteur, mais selon qu’elles portent sur un meuble ou sur un immeuble. Ce
qui conduit à distinguer les sûretés mobilières des sûretés immobilières.
a. Les sûretés mobilières
5. Le code civil distingue quatre catégories de sûretés mobilières.
► Les privilèges sont des sûretés accordées par la loi. Ils sont généraux ou spéciaux,
selon qu’il grèvent tous les immeubles du débiteur ou certains seulement d’entre eux : ainsi, la
loi accorde au Trésor Public, pour le recouvrement des impôts, un privilège général qui grève
tous les meubles du contribuable ; mais elle confère au vendeur de meuble, pour le
paiement du prix de vente, un privilège spécial qui ne grève que l’immeuble vendu.
► Le gage se définit comme une sûreté conventionnelle qui porte sur un meuble
corporel. Depuis l’ordonnance du 23 mars 2006, il n’exige plus la dépossession du débiteur,
c’est-à-dire la remise de la chose au créancier. Il se forme par le seul établissement d’un
écrit, qui est requis à peine de nullité. Simplement, pour qu’il devienne opposable au tiers, la
loi prévoit deux possibilités : ou bien, la remise de la chose au créancier, c’est-à-dire la
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dépossession du débiteur ; ou bien la publication de la sûreté sur un registre tenu à la fois à
l’échelon national et à l’échelon régional.
► Le nantissement se définit comme une sûreté conventionnelle portant sur un
meuble incorporel, par exemple sur une créance ou sur un compte d’instruments financiers
(c’est-à-dire sur un portefeuille de valeurs mobilières). On relèvera que, lorsqu’il porte sur une
créance, le nantissement se forme par la seule rédaction d’un écrit, sans qu’il soit nécessaire
de le signifier au débiteur de la créance nantie, et que le créancier nanti peut se payer
directement auprès du débiteur de la créance nantie. Et lorsqu’il porte sur un compte
d’instruments financiers, le débiteur peut conserver la faculté de vendre les valeurs mobilières
en vue d’en acquérir de nouvelles qui, par l’effet de la subrogation réelle, entreront dans
l’assiette de la sûreté.
► Les sûretés-propriétés comprennent la réserve de propriété, où la propriété est
retenue par le créancier à titre de garantie (notamment par un vendeur jusqu’au complet
paiement du prix de la vente), et la fiducie-sûreté, où la propriété est cédée au créancier à
titre de garantie. On observera que la fiducie-sûreté a été consacrée et introduite dans le
Code civil, non par l’Ordonnance du 23 mars 2006, mais par une loi ultérieure du 19 février
2007.
b. Les sûretés immobilières.
6. L’ordonnance du 23 mars 2006 prévoit quatre sûretés immobilières :
► Les privilèges qui sont des sûretés accordées par la loi, et qui, comme les privilèges
mobiliers, grèvent tantôt la totalité des immeubles, tantôt des immeubles particuliers. Ainsi la
loi accorde au Trésor Public un privilège qui grève tous les immeubles du contribuable. Et elle
confère au vendeur d’immeuble, pour le paiement du prix de vente, où au prêteur de
deniers, pour le remboursement de la somme prêtée pour payer le prix, un privilège sur
l’immeuble vendu.
► L’antichrèse se définit comme une sûreté conventionnelle avec dépossession. Le
débiteur remet au créancier l’immeuble qui forme l’objet de la garantie. Mais l’ordonnance
du 23 mars 2006 consacre une jurisprudence suivant laquelle le créancier qui a obtenu la
possession de l’immeuble peut ensuite le donner à bail au débiteur qui en reste ainsi
détenteur.
► L’hypothèque se définit comme la sûreté immobilière sans dépossession.
L’ordonnance du 23 mars 2006 lui a conservé ses traits essentiels : l’hypothèque doit être
constituée par un acte notarié à peine de nullité, elle grève un ou plusieurs immeubles
déterminés, et sa publicité conditionne son opposabilité. Deux innovations méritent toutefois
d’être signalées, dont le Président Jean-Paul Decorps vous vous parlera tout à l’heure dans le
détail : l’hypothèque rechargeable et le prêt viager hypothécaire.
► Les sûretés-propriétés sont simplement évoquées par le Code Civil, qui se borne à
énoncer que la propriété d’un immeuble peut être retenue à titre de garantie. Si la loi n’en
dit pas plus, c’est parce que la réserve de propriété semble, pour l’instant, inusitée en
matière immobilière. Mais il faut ici rappeler que la fiducie-sûreté, qui peut porter sur un
immeuble, a été consacrée par la loi du 19 février 2007.
B. L’esprit du nouveau droit des sûretés.
7. Le nouveau droit des sûretés est inspiré par une double préoccupation : assurer
l’efficacité de la sûreté (1°), mais respecter l’équilibre entre les intérêts du créancier et ceux
du débiteur (2°).
1° L’efficacité de la sûreté
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8. Deux innovations, qui traduisent un assouplissement du régime traditionnel des
sûretés réelles, illustrent ce souci d’efficacité.
En premier lieu, les nouvelles règles relatives au gage permettent le gage sur stocks,
évidemment nécessaire au développement du crédit commercial. Désormais, le gage est
défini comme pouvant porter sur un bien mobilier ou sur un ensemble de biens mobiliers,
actuels ou futurs. Et si le bien gagé est fongible, ce qui est le cas de marchandises (produits
agricoles ou matières premières), la convention peut autoriser le débiteur à l’aliéner, sous
l’obligation de le remplacer par un bien équivalent sur lequel les droits du créancier sont
reportés. Ces deux dispositions permettent au débiteur de poursuivre son activité
commerciale et d’en tirer les bénéfices nécessaires au remboursement du crédit garanti.
En second lieu, l’ordonnance a consacré une nouvelle forme d’hypothèque, déjà
évoquée, qui vise à faciliter le crédit aux particuliers : l’hypothèque rechargeable. De cette
hypothèque, dont le Président Decorps vous parlera tout à l’heure, on dira ici simplement
qu’il s’agit d’une hypothèque qui, une fois constituée pour la garantie d’une première
créance, peut être réutilisée par le constituant en garantie de nouvelles créances : ainsi,
l’hypothèque qui a été consentie pour garantir l’emprunt contracté pour acquérir un
immeuble peut être ensuite affectée à la garantie d’un emprunt contracté pour financer des
travaux ou l’acquisition d’un bien de consommation. Elle permet ainsi d’éviter le coût de la
constitution d’une nouvelle hypothèque.
2° L’équilibre entre les intérêts du créancier et ceux du débiteur
9. L’un des traits majeurs de la tradition juridique française, et plus largement de la
tradition juridique latine, est de ne pas tout sacrifier à l’efficacité économique mais de faire
sa part à l’impératif de protection sociale. La réforme des sûretés est restée fidèle à ce souci
d’équilibre sans lequel l’harmonie sociale serait compromise.
En voici trois illustrations, le première relative aux sûretés personnelles, les deux autres
aux sûretés réelles.
La première concerne la garantie autonome. Parce qu’elle est très rigoureuse pour le
garant (supra, n° 3), cette sûreté a été interdite en droit de la consommation. Un emprunt
contracté par un particulier pour acquérir un bien de consommation ne peut pas être
conforté par une garantie autonome.
La deuxième concerne l’hypothèque garantissant des créances futures : par
exemple, l’hypothèque que se fait consentir une banque en garantie de toutes les créances
qu’elle pourrait avoir contre son client, au titre d’un prêt, d’une ouverture de crédit ou d’une
autorisation de découvert. Si l’hypothèque est à durée indéterminée, le débiteur peut s’en
libérer : il dispose d’un droit de résiliation unilatérale moyennant un préavis de trois mois ; les
créances qui naîtront après l’expiration de ce délai ne seront plus garanties par
l’hypothèque.
La troisième concerne l’exécution des sûretés réelles. La réforme prévoit trois modes
d’exécution de la sûreté : - 1°/ Le créancier impayé peut faire vendre le bien en justice afin
d’exercer son droit de préférence sur le prix. C’est le mode traditionnel d’exécution. - 2°/ Le
créancier impayé peut aussi demander au juge de lui attribuer la propriété du bien. Cette
attribution judiciaire n’était naguère prévue par la loi qu’en matière mobilière, elle l’est
désormais égelement en matière immobilière. - 3°/ Le créancier impayé peut enfin acquérir
la propriété du bien sans intervention judiciaire, si l’acte constitutif de la sûreté le prévoit par
une clause dite pacte commissoire. Ces deux derniers modes de réalisation de la sûreté, qui
sont des modes simplifiés, sont évidemment de l’intérêt du créancier. Mais la protection du
débiteur et des autres créanciers n’est pas pour autant négligée. D’une part, ils supposent
toujours, sauf s’il s’agit de biens faisant l’objet d’une cote officielle, une expertise judiciaire
permettant de connaître leur véritable valeur, afin d’éviter que la sûreté ne soit une source
d’enrichissement du créancier ou ne préjudicie aux autres créanciers. D’autre part, ces
mêmes modes simplifiés sont exclus lorsque la sûreté est une hypothèque qui grève la
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résidence principale du débiteur : le droit au logement, qui inclut celui de le conserver,
exclut le recours à une voie d’exécution trop brutale.
*
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10. Telle est la présentation générale que l’on peut donner des sûretés réelles, pour
introduire à un examen plus précis des sûretés réelles immobilières et des sûretés mobilières.
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《La réforme des sûretés immobilières en France》
Me Jean-Paul DECORPS
Président Honoraire du Conseil Supérieur du Notariat Français, Président du Conseil
d’Administration du Centre sino-français de Formation et d’Echanges notariaux et
juridiques à Shanghai
La France a connu, très récemment, une importante réforme du droit des sûretés réelles
mobilières et immobilières. L’objectif de cette réforme, de grande envergure puisqu’elle
conduit à réaménager une partie importante de notre Code civil, est globalement de
simplifier la constitution des sûretés (1).
Plutôt que de tracer un panorama complet des sûretés immobilières en France, il nous a paru
préférable de concentrer nos développement sur cette récente et importante réforme de
notre Droit.
S’agissant des sûretés immobilières, l’ambition du législateur est allée au-delà. Pour s’adapter
aux évolutions économiques de notre société et plus spécialement à celles du monde de nos
affaires, son objectif, dans le cadre de la réforme découlant de l’ordonnance du 23 mars
2006, a été double :
- d’abord facilité le recours aux sûretés réelles,
- ensuite rendre plus efficace la garantie offerte par telles sûretés.
C’est ce que nous allons montrer en étudiant successivement :
- une plus grande facilité dans l’utilisation des sûretés réelles (I)
- une plus grande efficacité dans la garantie offerte par les sûretés réelles (II).
(1) Michel GRIMALDI : l’hypothèque rechargeable et le prêt viager hypothécaire, J.C.P., ed.
notariale et immobilière N° 1195 ets.,article qui a servi de base à cet exposé.
I. Une plus grande facilité dans l’utilisation des sûretés réelles
Traditionnellement, les deux sûretés réelles les plus utilisées dans notre droit français sont le
privilège immobilier et l’hypothèque immobilière.
Le principe gouvernant ces deux garanties était la spécificité, chaque sûreté ne pouvant
garantir qu’une seule créance, et chaque bien immobilier devant être individuellement
affecté (1)
Aujourd’hui la réforme de notre droit des sûretés marque une évolution dans certains
principes traditionnels, notamment par la création de deux nouvelles techniques
hypothécaire que nous allons examinés successivement.
- l’hypothèque rechargeable
- le prêt viager hypothécaire
1ent L’hypothèque rechargeable
Elle est définie par l’article 2428 nouveau du Code Civil comme « celle qui peut être
ultérieurement affectée à la garantie de créances autres que celles visées par l’acte
constitutif. »
Nous aborderons successivement son domaine, ses conditions, son fonctionnement et son
extinction.
A. Le domaine de l’hypothèque rechargeable
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Elle se distingue de l’hypothèque consentie pour sûreté de créances futures prévues par le
nouvel article 2421, dont la vocation est de concerner des créances au moins déterminable.
Au contraire l’hypothèque rechargeable à la vocation de garantir des créances ultérieures,
encore inconnues au moment de la signature de l’acte initial.
Ainsi une hypothèque rechargeable, constituée pour sûreté d’un emprunt destiné à acquérir
un immeuble, pourra être ensuite affecté à la garantie d’un emprunt pour acquérir une
voiture.
L’hypothèque rechargeable est permise à tous et pour tout type de crédit, sauf pour le crédit
revolving (2). Elle doit obéir aux règles de formes spécifiques qui encadrent les différents
types de crédit (3).
(1) E. FREMEAUX et G.DAUBLON : La réforme du droit des sûretés (ordonnance n° 2006-346 du
23 mars 2006, par, Defrenois n° 2006 13-14, page 1085 et s.
(2) Art. L 313-4 du Code de la Consommation
(3) Art. L 313-14.1 et L 313-14.2 du Code de la Consommation
Elle peut même résulter de la transformation d’une hypothèque classique en hypothèque
rechargeable.
Toutefois, l’immeuble grevé d’une hypothèque rechargeable reste, comme celui grevé
d’une hypothèque ordinaire, saisissable par les créanciers.
Ce nouveau type de sûreté est en revanche impossible pour les privilèges spéciaux
immobiliers, pourtant, très largement utilisés en droit français pour financer l’achat d’un bien
immobilier. Ceci risque de sérieusement diminuer la portée de la réforme (1), et fait envisager
une modification de la loi pour permettre une telle utilisation (2).
B. Les conditions
Pour être rechargeable, l’hypothèque doit être constituée par un acte obligatoirement
notarié, contenant expressément la clause de rechargement (3).
L’acte notarié est exigé dans notre pays par souci de sécurité juridique : le créancier doit être
protégé par la vérification du titre de propriété du débiteur et du rang hypothécaire qu’il
peut obtenir. Ce dernier l’est également par la vérification de son consentement éclairé
d’accepter une hypothèque sur son bien immobilier.
Par ailleurs, la constitution d’une hypothèque rechargeable est soumise aux conditions
requises pour la validité de toute hypothèque conventionnelle. S’y ajoute cependant une
condition ponctuelle, formulée par l’article 2429 du Code civil : « l’hypothèque doit toujours
être consentie, pour le capital à hauteur d’une somme déterminée que l’acte mentionne à
peine de nullité ».
Par suite, une hypothèque rechargeable ne pourra garantir efficacement une nouvelle
créance que dans la limite du montant stipulé à l’acte, déduction faite des créances
antérieures restant à acquitter.
Rien n’exclut cependant que, dès l’origine, l’inscription soit prise pour un montant supérieur à
celui de la créance initiale, ce qui permettrait de favoriser d’autant plus l’utilisation d’une
telle sûreté (4).
C. Le fonctionnement
* Quant au fond, la convention de recharge peut être passée avec le même
créancier ou un créancier différent (5).
(1) Michel GRIMALDI, op.cit.n°3, p.948
(2) E. FREMEAUX et G.DAUBLON, op.cit.p. 1098
(3) Art.2428 du Code civil
(4) Michel GRIMALDI op-cit n°3, p. 948
(5) Art. 2422, al.2 du Code civil
* Quant à la forme, la convention doit être notariée : il s’agit d’une affectation
hypothécaire qui s’opère sous forme de mention en marge de l’inscription hypothécaire
initiale (1) mais qui présente, pour assurer la sécurité juridique du contrat, les mêmes normes
et exigences de contrôle et de publicité que la constitution d’une hypothèque.
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* L’inscription hypothécaire, prise à l’origine, est attributive d’un rang qui
profite à tous les créanciers subséquents par rapport aux créanciers titulaires d’une autre
hypothèque. En revanche, pour les créanciers bénéficiaires de la même garantie
hypothécaire par suite de conventions de rechargements successives, c’est la date de
publication en marge de l’inscription de la convention de recharge qui détermine le rang
entre eux.
D. L’extinction
L’hypothèque rechargeable présente une double particularité :
* elle ne s’éteint pas par l’extinction de la première créance, (2) ce qui montre
qu’elle n’est plus tout à fait accessoire à cette créance,
* elle est sujette à renonciation de la part du constituant, de sorte que
l’hypothèque, dans ce cas, demeurera à la garantie de créances antérieures, mais ne
pourra plus être utilisée pour des créances nouvelles.
2ent Le prêt viager hypothécaire
Ce prêt relève davantage du montage d’une opération de crédit que du droit des sûretés,
mais il est assorti d’une garantie réelle qui permet de l’envisager ici, quant à son domaine,
ses conditions et son fonctionnement.
A. Domaine
Le prêt viager hypothécaire permet à un particulier d’emprunter une somme destinée à
compléter ses besoins, notamment en cas d’insuffisance de sa pension de retraite. Le
remboursement de l’emprunt incombe aux héritiers, au moment du décès de l’emprunteur.
(1) Art. 244, al.3 du Code civil
(2) Art. L.314-1 du Code de la Consommation
B. Conditions
a) Condition de fond
* Quant aux personnes, le prêteur doit être un établissement de crédit et
l’emprunteur une personne physique (1),
* Quant aux garanties, le prêt doit être assorti d’une hypothèque consentie sur
un bien immobilier appartenant à l’emprunteur, et à usage exclusif d’habitation.
* Quant aux modalités de remboursement, il doit s’agir :
- d’un prêt in fine, dont le capital et les intérêts ne sont exigibles qu’à l’échéance,
c'est-à-dire au décès,
- d’un prêt dont le terme ne peut être que le décès de l’emprunteur, l’aliénation ou la
donation du bien immobilier,
- d’un prêt consenti à un consommateur et non à un investisseur.
b) Condition de forme
Elles sont édictées pour protéger le consentement de l’emprunteur, en application de
l’usage « le formalisme est la sœur jumelle de la liberté ».
* Le prêt doit être précédé d’une offre, valable pour un mois minimum,
contenant un certain nombre d’informations, notamment la valeur du bien et un état des
intérêts accumulés au terme de la durée prévisionnelle du prêt.
* L’acte de prêt doit être obligatoirement notarié puisqu’il contient une
affectation hypothécaire, et pour mes motifs de sécurité juridique expliqués ci-dessus.
C. Fonctionnement
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Le capital du prêt peut être versé en une seule fois ou par versements périodiques, mais ce
ne peut en aucun cas être une rente viagère.
L’emprunteur, qui peut à tout moment demander le rééchelonnement de ses versements
périodiques doit entretenir son bien immobilier en bon « père de famille » et ne pas en
changer la destination.
(1) Art.L.314-1 du Code de la Consommation
A l’échéance du terme, c'est-à-dire à la succession de l’emprunteur, les héritiers sont tenus
de rembourser le capital et les intérêts, mais la somme totale due à la banque ne peut
excéder la valeur de l’immeuble à l’échéance du terme (1).
Ce plafonnement permet aux héritiers de ne pas payer au-delà de ce montant. Si celui-ci
dépasse, en captal et intérêts, la valeur du bien immobilier, le prêteur impayé peut alors
exercer son droit de créancier hypothécaire. Il dispose désormais d’une meilleure efficacité
dans la mise en œuvre de la sûreté dont il est titulaire, ce qu’il convient d’examiner dans une
seconde partie.
II. Une plus grande efficacité dans les garanties offertes par la sûreté réelle.
C’est l’un des objectifs recherchés par le législateur français en 2006. Beaucoup d’auteurs et
de praticiens critiquaient en effet sévèrement les conditions de mises en œuvre des sûretés
réelles, en les jugeant lentes, coûteuses et incertaines.
L’apport de l’ordonnance du 23 mars 2006 mérite d’être souligné, notamment dans trois
domaines que nous allons succinctement présenter ; la purge amiable, le pacte commissoire
et les effets de l’hypothèque sur une quote-part indivise d’immeuble.
1ent La purge amiable
C’est la consécration d’une pratique créée par le notariat français.
En effet, la purge traditionnelle des hypothèques, imposée par le législateur dès lors que le
prix de la vente se révélait insuffisant pour régler les créanciers hypothécaires inscrits sur le
bien vendu, était particulièrement lourde. Elle exigeait à la fois des formalités coûteuses
(versement du prix bloqué pendant de long mois à la Caisse des Dépôts, la banque des
notaires, sommations par voie d’huissier, publicité à la conservation des hypothèques) et des
délais très longs entre chaque étape de la procédure.
Elle créait en outre une grande insécurité juridique pour l’acquéreur, puisque le bien
immobilier était susceptible d’être revendu aux enchères malgré le transfert de propriété
opéré à son profit.
(1) Art. L.314-1 du Code de la Consommation
C’est pourquoi la pratique notariale a organisé une procédure différente, anticipant la purge
officielle postérieure à la vente, en interrogeant les créanciers avant la signature de contrat,
pour connaître le montant de leur créance. En fonction du rang de chacun et des sommes
dues, le notaire fait une proposition de règlement.
Dès lors, deux solutions sont possibles :
- soit les créanciers sont tous d’accord sur l’ordre de distribution proposé par le
notaire, ou, après discussions, pour limiter leur créance au montant du prix de vente, au
besoin en réduisant son montant proportionnellement entre eux. Alors la vente peut se signer,
et les créanciers sont payés au moyen du prix de vente.
- soit l’un d’entre eux seulement n’est pas d’accord et la vente ne peut se faire.
Chaque créancier conserve alors son droit de poursuivre la vente aux enchères du bien
immobilier grevé pour encaisser le montant de sa créance. Mais il encourt le risque d’une
vente à un moins bon prix, et de ne pas être réglé totalement ou partiellement si ce prix n’est
pas suffisant.
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C’est cette pratique de la purge anticipée qu’a officialisée le législateur français dans
l’ordonnance du 23 mars 2006, la limitant toutefois aux seules hypothèques, ce qui en réduit
la portée.
2ent Le pacte commissoire
Il s’agit de la convention par laquelle, en cas de défaillance du débiteur pour le
remboursement de sa créance, il est convenu que le créancier pourra se faire attribuer en
justice le bien donné en garantie.
Quatre conditions doivent être respectées pour que cette procédure puisse être mise en
œuvre :
* le pacte ne peut concerner que l’hypothèque, les privilèges immobiliers
étant exclus du champ d’application de l’ordonnance.
* le bien immobilier considéré ne doit pas constituer la résidence principale du
débiteur,
* le crédit ne doit pas concerner un contrat relatif à la consommation,
* l’attribution au créancier ne peut se réaliser qu’après recours à un expert
amiable ou judiciaire, pour déterminer la valeur réelle du bien. Si celle-ci se révèle supérieure
au montant de la dette, l’emprunteur pourra se prévaloir d’une soulte.
Si le pacte commissoire est désormais licite dans notre pays la clause de voie parée (1), à
laquelle on l’assimile volontiers reste interdite malgré la tentative de certains auteurs de
l’introduire dans notre Droit.
3ent Les effets de l’hypothèque sur quote-part indivise d’immeuble.
Ils sont fixés par le nouvel article 2425 du Code civil, qui envisage différentes situations
concrètes permettant de clarifier la situation :
* si tous les indivisaires, premier cas, on consentit à l’hypothèque, aucun
problème ne se pose. Celle-ci conservera ses effets quel que soit le résultat du partage,
* si l’hypothèque, deuxième cas, est consentie par un seul indivisaire, il
conviendra alors de distinguer selon les résultats du partage :
- Si l’immeuble est attribué à celui qui a consenti à l’hypothèque, celle-ci sera
maintenue.
- Si l’immeuble est attribué à un autre indivisaire que celui qui a consenti à
l’hypothèque, celle-ci sera sans effet.
- Si l’immeuble est licité (vendu) à un tiers, l’hypothèque conservera son effet, mais
seulement dans la mesure où l’indivisaire qui l’a consenti reçoit le prix de la licitation (vente),
* si l’hypothèque, troisième cas, ne porte que sur une quote-part de
l’immeuble indivis, cas le plus fréquent puisque le débiteur ne peut hypothéquer que ce qu’il
possède, l’efficacité de la sûreté dépendra alors du sort de l’immeuble.
- Si le constituant de l’hypothèque reçoit dans son lot une part plus importante que
celle donnée en garantie, les effets de l’hypothèque subsistent sans être limités à la quotepart qui appartenait au constituant lors de la constitution de l’hypothèque,
- Si l’immeuble est licité (vendu) à un tiers, l’hypothèque n’a d’effet que dans la
mesure où le constituant reçoit le prix de la licitation, ou au moins une partie suffisante pour
désintéresser le créancier inscrit.
(1) Cette clause permet à un créancier de contraindre le débiteur à vendre son bien
immobilier à l’amiable s’il ne règle plus ses échéances de prêt.
En conclusion, on peut dire que l’ordonnance du 23 mars 2006 est une avancée certaine
vers la modernisation du droit français des sûretés immobilières. On peut seulement regretter
que, pour des raisons techniques, elles ne concernent que les hypothèques, ignorant ici les
privilèges immobiliers qui constituent pourtant dans notre pays 80% des sûretés.
A ce titre, une réforme de la réforme devra probablement être engagée.
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12
« Approche des sûretés mobilières en Chine au regard du système français »
Me Guillaume ROUGIER-BRIERRE
Avocat, Associé du Cabinet Gide Loyrette Nouel à Pékin
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je me dois de réclamer votre indulgence et plus
particulièrement celle des plus éminents d’entre vous, pour au moins deux raisons : d’abord,
je pratique dans un cabinet d’avocats international d’origine française, le cabinet Gide
Loyrette Nouel, depuis près de 15 ans et le quotidien des affaires ne m’invite pas toujours à
l’effort intellectuel de synthèse qu’exige le sujet à traiter aujourd’hui ; ensuite, je pratique
depuis presque 10 ans hors de France - successivement en Pologne, en Turquie, et
maintenant en Chine - et je me suis donc un peu éloigné de la seule perspective française.
Or, vous aurez compris des propos introductifs du Professeur Grimaldi que le droit des sûretés
en général, et des sûretés mobilières en particulier, a singulièrement évolué depuis que j’ai
quitté la France …
Heureusement, le temps qui m’est imparti m’impose de modérer les ambitions de mon
propos. Donc, plutôt que de vous faire une revue de détail des sûretés mobilières en droit
chinois et d’en analyser précisément les différences avec le droit français, je me limiterai à un
survol des approches de nos deux droits en la matière.
Avant de nous pencher brièvement sur les récentes réformes de nos droits et de constater
que leurs objectifs convergent (II), je voudrais souligner quelques différences d’approche
formelle et prendre des précautions terminologiques (I).
1.
APPROCHES FORMELLES DE NOS DEUX DROITS ET PRÉCISIONS TERMINOLOGIQUES
1.1
Quels sont les textes applicables et leur esprit de rédaction ?
Depuis l’ordonnance du 23 mars 2006, notre droit français repose désormais sur des
dispositions uniformes et synthétiques, insérées dans un titre particulier de notre
Code Civil, à l’exception notable du texte, séparé, du 19 février 2007 instituant la
fiducie.
Le droit chinois des sûretés repose quant à lui sur deux textes essentiels à défaut de
code civil au sens propre: la loi sur les sûretés, qui est entrée en vigueur le 1 er octobre
1995 et la loi sur la propriété qui a été votée au mois de mars de cette année et qui
est entrée en vigueur au début de ce mois d’octobre. Pour les sûretés mobilières, je
ne crois pas dire d’erreur en pensant que seule la nouvelle loi s’appliquera
désormais, même si les dispositions correspondantes du texte précédent n’ont pas
été formellement abrogées.
La nouvelle loi chinoise sur la propriété se veut d’inspiration civiliste comme l’a
souligné lui-même le vice-président du Comité Permanent de l’Assemblée Nationale
Populaire, Wang Zhaoguo dans son discours d’explication de la loi 1. Toutefois, on ne
peut pas ne pas avoir l’influence des recommandations des juristes de la Banque
Mondiale qui sont intervenus, notamment en 2004, en collaboration avec la Banque
Centrale de Chine (« PBOC »)2 pour influer sur le droit chinois des sûretés mobilières et
suggérer, avec raison, des améliorations.
1.2
Comment s’organisent respectivement nos deux droits des sûretés mobilières ?
Dans le droit français, tel que réformé donc par l’ordonnance du 23 mars 2006,
l’entrée dans le droit des sûretés réelles se fait d’abord par des dispositions
1
2
Cf. “Explanation on the Draft Property Law of the People's Republic of China” delivered
by Wang Zhaoguo, vice-chairman of the Standing Committee of the National People's Congress
(NPC) at the Fifth Session of the Tenth NPC.
Cf. « Secured Transactions Reform and Credit Market Development in China» (« 中国动
产担保物权与信贷市场的发展 ») (2006), in “WB-PBOC Report”, publié par China CITIC Press.
13
communes à toutes les sûretés, puis on distingue désormais par bien, mobilier ou
immobilier, et seulement enfin par technique de sûreté (avec ou sans dépossession
par exemple).
Le droit chinois des sûretés est organisé un peu différemment. Il part de dispositions
générales certes, rappelant des principes proches des nôtres (nécessité d’un
contrat, sûreté accessoire d’un principal, etc.), mais il a une approche par
technique de sûretés et non en fonction de la nature des biens. La nouvelle loi sur la
propriété distingue ainsi deux grands types de sûretés:
•
Il y a d’abord le Chapitre XVI de la nouvelle loi (articles 179 à 207) qui régit
le « Di Ya Quan »3 et qui s’applique aussi bien à des meubles corporels qu’à
des immeubles, à des biens actuels ou futurs. Il s’agit d’une sûreté sans
dépossession qui suppose un enregistrement. Par convention linguistique et
par souci de simplicité, je parlerai, comme nos amis québécois,
« d’hypothèque mobilière ».
•
Il y a ensuite le Chapitre XVII de la nouvelle loi (articles 208 à 229) qui régit le
« Zhi Quan »4 et qui s’applique aussi bien à des meubles corporels qu’aux
droits incorporels. De nouveau, par convention, je parlerai uniformément de
« gage ». Dans cette catégorie, on doit d’ailleurs faire une sous-distinction :
-Le « gage » de biens corporels (article 208 et suivants) qui se constitue par
dépossession,
-Le « gage » de droits incorporels (articles 223 et suivants) - on parlerait
désormais de « nantissement » en droit français -, qui s’appliquent notamment aux valeurs
mobilières, aux effets de commerce, aux créances, aux marques ou les brevets, et dont la
création suppose une preuve de l’existence du droit, et/ou, à défaut, son enregistrement (ce
qui est le cas, notamment, pour les créances).
En dépit de ces différences notables, je crois malgré tout que la matière des sûretés
mobilières reste, en Chine comme en France, fondamentalement pragmatique en
ce qu’elle veut répondre aux nécessités immédiates de la vie économique. En cela,
nos droits se rejoignent dans leurs objectifs.
2.
LES OBJECTIFS DE NOS DEUX DROITS CONVERGENT
Je crois que le Professeur Grimaldi vous a exprimé mieux que personne les prémisses
du droit français des sûretés et les objectifs de sa réforme récente à laquelle il a
présidé. J’ai personnellement retenu qu’il s’était agi (i) de renforcer l’accessibilité de
notre droit, et (ii) de le rendre attractif, afin de faciliter le crédit. Comme je
l’indiquais, je crois que la réforme récente du droit chinois des sûretés mobilières
partage les mêmes ambitions.
2.1
L’objectif d’un droit accessible
Pour être accessible, un droit des sûretés doit être à la fois – sans mauvais jeu de
mots- sûr et prévisible.
La sécurité, c’est évidemment l’objectif premier de la nouvelle loi sur la propriété qui
grave dans le marbre des concepts clairs. On regrettera toutefois que les conflits
avec l’ancienne loi sur les sûretés n’aient pas été réglés par la pure et simple
abrogation de ses dispositions ayant le même objet. En effet, comme je le suggérais
précédemment, il est simplement prévu que les dispositions de cette nouvelle loi
prévalent s’il existe des conflits avec l’ancien texte, mais on aurait préféré un texte
unique et synthétique. Je crois toutefois que, pour la matière spécifique des sûretés
réelles, cela sera sans portée véritable et sans risque.
En droit chinois, l’objectif de sécurité est surtout atteint par des mécanismes
d’enregistrement des sûretés mobilières, que d’aucuns critiqueront peut-être pour
leur lourdeur, mais qui permettront leur opposabilité aux tiers. C’est, sauf erreur,
3
En chinois : 抵押权
4
En chinois : 质权
14
exactement le même objectif que, par exemple, celui de l’article 2337 de notre
Code Civil qui permet l’inscription du gage sur un registre spécial.
Par ailleurs, la Chine, qui, par tradition n’aime pas le conflit, veut un droit prévisible
évitant la chicane. Ainsi, et c’est une originalité du droit chinois par rapport au droit
français, on attend de la part de la Cour Suprême une interprétation officielle de la
nouvelle loi sur la propriété pour orienter la pratique et la future jurisprudence,
comme ce fut d’ailleurs le cas précédemment pour la loi sur les sûretés. Ce sera
évidemment là un élément important de sécurité, comme de prévisibilité.
2.2
L’objectif d’un droit attractif
L’objectif d’un droit attractif présidait bien sûr à la réforme du droit français des
sûretés mobilières. Je pense, pêle-mêle, à l’introduction de la fiducie en 2007, la
création du gage sans dépossession, ou la levée de l’interdiction des pactes
commissoires.
Le droit chinois à la veille de sa réforme était lui aussi soumis à un impératif de
modernisation. En effet, sous l’empire de la loi chinoise sur les sûretés, les sûretés
mobilières sans dépossession étaient limitées à deux types d’actifs : les équipements
et les véhicules automobiles. De fait, dans les transactions bancaires avec les
entreprises, la sûreté reine restait l’hypothèque immobilière – ce qui écartait les PMEPMI chinoises d’un accès facile au crédit, faute pour elles d’être riches d’un
patrimoine immobilier conséquent.
A toute première vue, la réforme du droit chinois n’est peut-être pas allée aussi loin
que celle du droit français, puisque, ce que j’ai appelé par convention le « gage »
exige toujours une dépossession (cf. article 208 de la loi sur la propriété).
Toutefois, en regardant de plus près, je relèverai personnellement trois améliorations/
innovations essentielles qui inversent totalement ce point de vue :
•
D’abord, la nouvelle loi sur la propriété élargit les classes d’actifs pouvant
faire l’objet d’une sûreté sans dépossession. En effet, l’article 180 de la loi
élargit considéralement l’inventaire des meubles pouvant faire l’objet
d’une hypothèque mobilière, donc sans dépossession. Il supprime surtout le
concept de numerus clausus. Désormais, tout meuble peut faire l’objet
d’une hypothèque sauf interdiction expresse (article 180 vii), là où l’article
34 point 6 de la loi sur les sûretés posait le principe inverse qu’un meuble ne
pouvait faire l’objet d’une hypothèque mobilière que si la loi en prévoyait
expressément la possibilité.
•
Deuxième innovation, c’est la nouvelle possibilité de constituer une
hypothèque sur le patrimoine mobilier, actuel ou futur, des entreprises
(article 181), une sorte de « floating charge » pour parler comme nos
confrères anglo-saxons.
•
C’est enfin l’amélioration de voies d’exécution : les parties au contrat
d’hypothèque peuvent désormais définir librement les cas dans lesquels
l’hypothèque pourra être exécutée et ce, au-delà du seul défaut de
paiement comme c’était le cas sous l’empire de la législation antérieure.
En outre, à défaut d’accord entre les parties sur les modalités de réalisation
de l’hypothèque, l’article 195 de la nouvelle loi semble indiquer que le
créancier hypothécaire pourra ordonner directement la vente du bien sans
avoir à introduire un contentieux au préalable.
En conclusion, je dirai que les réformes récentes des sûretés mobilières, en droit chinois
comme en droit français, honorent un sens commun du pragmatisme et du réalisme et, en
cela, nous réconcilient, au moins sur cette matière particulière et sans esprit excessif de
système, avec les objectifs de la Common Law. Je vous remercie.
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