Les œsophagites à éosinophiles de l’adulte : pathologie émergente et trop souvent méconnue N. Mathieu, Th. Vallot* œsophagite à éosinophiles qui était L’ jusque-là décrite en association avec les gastroentérites à éosinophiles, est aujourd’hui considérée comme une entité à part. Initialement rapportée chez l’enfant, elle est de plus en plus souvent observée chez l’adulte si l’on en juge par l’abondance des publications qui lui sont consacrées depuis ces trois dernières années. Cette mise au point brève a pour but de faire la synthèse des données sur cette entité dont la pathogénie est encore largement ignorée. Définition L’œsophagite à éosinophiles est caractérisée par l’infiltration dense et diffuse de l’épithélium œsophagien, par des éosinophiles. Le nombre d’éosinophiles intra-épithéliaux doit être supérieur à 15 ou 30 éléments par champ à fort grossissement selon les auteurs (1). Il n’y a pas dans cette forme d’atteinte gastrique ou intestinale associée. L’infiltration éosinophile est intense et diffuse ce qui la distingue des infiltrations à éosinophiles secondaires au reflux qui sont modérées (le nombre d’éosinophiles ne dépassant pas 10-15 éléments par champ) et limitées au bas œsophage (1). Épidémiologie L’œsophagite à éosinophiles de l’adulte touche les sujets jeunes (moyenne d’âge au moment du diagnostic entre 30 et 35 ans avec des extrêmes allant de 14 à 77 ans), de sexe masculin dans plus de * CHU Bichat-Claude Bernard, Paris. 70 % des cas (2-6). Depuis le premier cas rapporté par Attwood en 1993, plus de 125 cas ont été publiés en quelques années. Dans l’étude rétrospective de Croese et al., le nombre de cas identifiés dans une population urbaine de 198 000 habitants était passé de 0 avant 1995, à 12 cas entre 1995 et 2000, et à 19 cas entre 2001 et 2002 (6). Cette augmentation de l’incidence peut n’être qu’apparente et liée au fait qu’elle n’était pas reconnue mais aussi à une exposition de plus en plus fréquente à la pollution et à des facteurs allergiques comme cela est constaté avec l’asthme maladie qui lui est souvent associé (7). Expressions cliniques La dysphagie intermittente et l’impaction alimentaire sont les deux symptômes révélateurs. Le délai moyen entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic est souvent long, compris entre 3 et 4 ans selon les études (2-6), avec des extrêmes pouvant aller jusqu’à 28 ans (5). Les troubles de la déglutition sont parfois plus frustes : simple lenteur à prendre les repas pouvant chez certaines adolescentes, conduire à évoquer le diagnostic d’anorexie mentale. Cette dysphagie n’a que rarement de retentissement sur l’état nutritionnel (3). La dysphagie pourrait être secondaire soit à un spasme induit par l’activation des éosinophiles relarguant des médiateurs de l’inflammation comme on l’observe dans les bronches, soit à la perte de l’élasticité de la paroi œsophagienne avec altération de la propulsion indépendamment de toute sténose (8), soit enfin à une sténose fibrosante. Des facteurs favorisants la dysphagie sont Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4-5 - vol. VII - juillet-octobre 2004 mis en évidence dans 77 % des cas. Pour Strauman et al., il s’agit surtout de l’ingestion d’aliments solides secs (viande, riz) (3). Dans 30 % des cas environ, les malades se plaignent de brûlures rétrosternales d’autant plus évocatrices qu’elles n’ont pas de caractère ascendant et surtout qu’elles sont résistantes aux traitements par les IPP (2-6). Le diagnostic doit d’emblée être évoqué lorsque ces symptômes surviennent chez des malades jeunes dans un contexte personnel ou familial d’allergie notés dans 30 à 50 % des cas (2-6). Aspects endoscopiques Les anomalies endoscopiques sont parfois frustes mais certains aspects sont évocateurs. L’aspect le plus typique est celui de pseudo-trachée lié à la présence de nombreux anneaux concentriques mieux mis en évidence avec une insufflation modérée (6). Cet aspect est très différent de celui observé dans les œsophagites disséquantes qui réalisent des diaphragmes muqueux étagés. Le deuxième aspect caractéristique est la présence de papules blanchâtres de 1-2 mm de diamètre arrangées en bouquet ou disséminées le long de l’œsophage, que l’on confond avec une candidose si l’on ne prend pas la précaution de faire des biopsies. Ces “dépôts” correspondent en fait à une infiltration éosinophilique plus dense. La muqueuse peut prendre un aspect granuleux, avec non visualisation de réseau vasculaire. La coloration à l’indigo carmin permet de mieux objectiver l’existence de sillons longitudinaux assez caractéristiques. Dans plus de 50 % des cas des séries 93 Question d’actualité Question d’actualité publiées, il existe une sténose œsophagienne. Elles sont rarement observées chez l’enfant, ce qui suggère qu’elles pourraient constituer une complication évolutive d’une maladie qui aurait débuté dans l’enfance. Le rétrécissement œsophagien peut être segmentaire sur une longueur de 2 à 8 cm (5) ou concerner toute la hauteur de l’œsophage réalisant un œsophage étroit (9, 10). Lorsqu’elles sont serrées (10 à 15 % des cas), elles sont généralement proximales et faciles à repérer endoscopiquement car infranchissables. Lorsqu’elles sont plus frustes, elles peuvent ne pas être reconnues car il n’y a pas de rupture de calibre et la muqueuse qui les recouvre est normale, sans aspect cicatriciel. Parfois ce n’est que le constat, au retrait de l’appareil, d’une déchirure muqueuse sur l’œsophage cervical provoquée par le passage forcé de l’endoscope qui permet de suspecter une anomalie. Cette fragilité particulière de la couche muqueuse qui se déchire très facilement lors d’une tentative de passage en force ou des dilatations est une caractéristique de ces œsophages (8). Bien que l’aspect puisse être inquiétant, aucune perforation n’a été rapportée. Dans 3 à 15 % l’endoscopie est considérée comme normale (1). Diagnostic Le diagnostic n’est fait que sur les biopsies qui doivent s’imposer devant toute dysphagie, même si l’aspect endoscopique de l’œsophage est normal et ce d’autant plus qu’il s’agit d’un sujet jeune et aux antécédents allergiques. Les biopsies doivent être multiples et étagées car l’infiltration éosinophilique n’est pas homogène. Elles doivent être réalisées au niveau des anomalies constatées avec en plus trois prélèvements au niveau du tiers inférieur et surtout du tiers supérieur afin d’éviter toute confusion avec les infiltrations éosinophiliques liées au RGO (1). L’infiltration prédomine plutôt au niveau du tiers inférieur de l’œsophage (5). Il faut également biopsier le fundus, l’antre et le duodénum distal pour écarter toute atteinte associée à ce niveau. Ces prélèvements doivent être fixés dans une solution de paraformaldéhyde à 4 % (3) plutôt que dans une solution de Bouin qui altère les éosinophiles. Les biopsies, même superficielles, sont suffisantes pour le diagnostic puisque l’infiltration par les éosinophiles est intra-épithéliale. Le diagnostic repose sur la présence d’au moins 15-30 éosinophiles intra-épithéliaux par champ à fort grossissement (1). L’anatomopathologiste doit aussi être averti de la suspicion d’œsophagite à éosinophiles afin qu’il puisse préciser dans son compte-rendu le nombre et la distribution des éosinophiles intra-épithéliaux, la présence ou l’absence de micro-abcès à éosinophiles (agrégats de plus de 4 éosinophiles) (1, 2). L’absence d’infiltration à éosinophiles dans l’estomac et le duodénum permet d’éliminer les infiltrations œsophagiennes secondaires à une extension des gastroentérites à éosinophiles. Le transit œsophagien baryté peut aussi être faussement interprété comme normal dès lors que le rétrécissement de l’œsophage est diffus. Il est surtout utile pour identifier les sténoses segmentaires et afin de juger de l’indication d’un traitement par dilatation. Certains proposent d’utiliser des marshmallows imbibés de baryte pour mieux apprécier l’expansion de la lumière œsophagienne (10). L’échoendoscopie n’a pour l’instant pas d’intérêt pour le diagnostic. Un épaississement des tuniques muqueuse et musculeuse est parfois observé, confirmant l’atteinte musculaire dans cette pathologie (1). La manométrie œsophagienne n’apporte pas d’élément discriminant. Les anomalies motrices rencontrées concernent surtout le défaut de péristaltisme avec parfois des ondes de fortes amplitudes non propagées (1). Souvent elle est normale. Une hyperéosinophilie et un taux élevé d’IgE sont retrouvés dans plus de la moitié des cas, tout comme la positivité des RAST (3, 6). Ces éléments ne sont pas nécessaires au diagnostic, mais ils constituent un élément d’orientation et ont une certaine valeur pronostique (3). Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4-5 - vol. VII - juillet-octobre 2004 Diagnostic différentiel L’infiltration à éosinophiles liés au reflux est facilement éliminée sur les critères histologiques et la diffusion des lésions. En pratique, le diagnostic différentiel des sténoses ne pose pas de difficulté dès lors que le diagnostic est évoqué. Les autres causes d’infiltration éosinophiliques sont exceptionnelles (11). Physiopathologie La pathogénie de l’œsophagite à éosinophiles reste obscure. L’inflammation au cours des œsophagites à éosinophiles serait la conséquence d’une réponse immunitaire de type Th2 comparable à celle décrite dans l’asthme. Il faut cependant expliquer pourquoi l’infiltration à éosinophiles se cantonne uniquement sur l’œsophage respectant les autres segments du tube digestif. Le fait que la moitié des malades ait une pathologie allergique des voies aériennes respiratoires conduit à suspecter l’existence d’une forte association entre les réponses allergiques de l’œsophage et des voies aériennes. Une étude expérimentale chez la souris a pu reproduire sélectivement cette infiltration à condition d’introduire l’allergène par voie respiratoire (12). Le fait qu’une diète élémentaire puisse réduire l’infiltration éosinophilique suggère que les allergènes introduits par voie digestive pourraient aussi avoir une certaine responsabilité. L’interleukine 5 jouerait un rôle prépondérant dans le chimiotactisme œsophagien et le déclenchement de la cascade inflammatoire (13). Le rôle de l’activation des éosinophiles dans l’apparition des troubles de la motricité et surtout dans la réaction fibrosante de l’œsophage est encore largement ignoré. Traitement Les traitements proposés sont ceux qui ont déjà prouvé leur efficacité dans 94 Question d’actualité Question d’actualité l’asthme. Ils ont pour objectif de bloquer la cascade des réactions, soit en diminuant l’infiltration éosinophilique, soit en bloquant l’activation des éosinophiles, soit enfin en bloquant l’action des médiateurs libérés par l’activation des éosinophiles. Chez l’enfant, l’éviction des allergènes alimentaires s’est montrée efficace sur les symptômes à condition de recourir à des diètes élémentaires difficiles à suivre sur des périodes prolongées (14, 15, 16). L’éviction des allergènes identifiés sur les tests allergiques ne semble pas suffisante (16). Dans une étude chez 51 enfants, le délai moyen nécessaire pour obtenir une amélioration des symptômes était de 8,5 jours. Après un mois de diète, l’infiltration éosinophilique avait pratiquement disparue (14). Les symptômes récidivaient après l’arrêt du régime. L’intérêt de ces évictions n’est pas démontré chez l’adulte et certains ne les recommandent pas pour ces raisons d’observance (6). Les corticoïdes oraux ont été utilisés avec succès chez les enfants intolérants au régime d’exclusion ou ceux chez lesquels une allergie n’était pas retrouvée (16), mais leurs effets indésirables (et l’évolution chronique récidivante des œsophagites à éosinophiles) incitent à ne pas les recommander. L’administration topique de corticoïdes utilisés dans l’asthme en inhalation, fait maintenant partie intégrante du traitement. Arora et al. ont obtenu la disparition prolongée (4 mois) de la dysphagie chez 21 adultes traités par fluticasone propionate (FP) 220 µg, 2 fois par jour en sprays avalés et non inhalés pendant six semaines, et ont ainsi confirmé les résultats des essais pédiatriques (5, 16). Sur le plan histologique, le fluticasone propionate diminue de façon significative le nombre des éosinophiles intramuqueux et réduit l’inflammation associée. Les récidives à l’arrêt sont fréquentes ; les modalités du traitement à long terme restent à définir. L’efficacité du montélukast, (Singulair®) un antagoniste des récepteurs D4 des leukotriènes situés sur la membrane des éosinophiles, déjà utilisés dans l’asthme, a été également testée (4). Dans une étude pilote, (dose initiale : 10 mg/j, augmentation progressive jusqu’à un maximum de 100 mg/j pour contrôler les symptômes, puis décroissance progressive jusqu’à une dose minimale efficace, située entre 20 et 40 mg/j), le montélukast améliorait la dysphagie de sept malades sur huit mais celle-ci récidivait quasiment dès l’arrêt du traitement chez six patients (4). Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont recommandés lorsqu’il existe un RGO associé. Ils doivent être arrêtés dès lors qu’ils n’entraînent aucune amélioration symptomatique (1, 6). En cas de sténose, la conduite à tenir thérapeutique dépend du degré et de la longueur de la sténose et de la réponse au traitement médical. En cas de sténose serrée, les dilatations sont nécessaires dans un tiers des cas. Les dilatations doivent être prudentes compte tenu de la fragilité de la muqueuse. On effectue une dilatation à la bougie sous scopie, les diamètres maximum utilisés variaient de 30F à 45F (en moyenne 39F). On recommande de toujours vérifier l’état de l’œsophage avant de décider de passer à une bougie de diamètre supérieur et de ne pas dépasser 6F de progression dans la même séance. La dilatation se complique fréquemment d’une déchirure étendue de la paroi œsophagienne. Des douleurs thoraciques postdilatations sont rapportées (1-6), mais aucun cas de perforation n’a été décrit dans cette situation. Dans l’étude de Potter et al., les dilatations étaient bien tolérées. La durée de leur effet bénéfique est en moyenne de 8,6 mois (extrêmes : 1 à 24 mois) (3, 4). Évolution et pronostic L’évolution à long terme est encore totalement inconnue. On ne sait pas si les formes sténosantes constituent une forme particulière d’œsophagite ou si elles représentent les conséquences à long terme d’une infiltration chronique par les éosinophiles non traités. La dysphagie est chronique bien que variable d’une période Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4-5 - vol. VII - juillet-octobre 2004 à l’autre. Au bout de 11 ans du suivi de l’étude de Strauman et al., cette dysphagie chronique persistait dans 96 % des cas chez 30 patients, elle s’aggravait dans 23 %, était stable dans 37 %, s’améliorait dans 37 %. Seuls 3,4 % n’étaient plus dysphagiques (un patient) (3). Dans cette même étude, la quasi-normalité de l’endoscopie et l’absence d’hyper-éosinophilie étaient des facteurs d’évolution plutôt favorables de la dysphagie lors du suivi (3). La possibilité de dégénérescence ou d’évolution vers un syndrome hyper-éosinophilique reste hypothétique. Conclusions L’incidence des œsophagites à éosinophiles est en augmentation chez l’adulte : toute dysphagie à œsophage d’aspect endoscopique normal doit être biopsiée (d’autant plus qu’il s’agit d’un sujet jeune porteur d’un terrain atopique). Le traitement de cette entité d’évolution chronique repose essentiellement sur les corticoïdes locaux. Leur efficacité et les modalités à long terme restent à définir. ■ Références 1. Fox VL, Nurko S, Furuta GT. Eosinophilic esophagitis: it’s not just kid’s stuff. Gastrointest Endosc 2002;56:260-70. 2. Potter JW, Saein K, Staff D et al. Eosinophilic esophagitis in adults: an emerging problem with unique esophageal features Gastroentest Endosc 2004;59:355-61. 3. Straumann S, Sunku B, Nelson SP et al. Natural history of primary esosinophilic esophagitis: a follow up of 30 adults patients for up to 11,5 years. Gastroenterology 2003;125:1660-9. 4. Attwood SEA, Lewis CJ, Bronder CS et al. Eosinophilic oesophagitis: a novel treatment using montélukast. Gut 2003; 52:181-5. 5. Arora AS, Perrault J, Smyrk TC. Topical corticosteroid treatment of dysphagia due to eosinophilic esophagitis in adults. Mayo Clin Proc 2003;78:830-5. 6. Croese J, Fairley SK, Masson JW et al. Clinical and endoscopic features of eosinophilic esophagitis in adults. 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Venez nombr Sous la présidence du Pr Stanislas Pol (Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital Necker-enfants-malades, Paris) P R O G R A M M E (thèmes traités suivant l’actualité du congrès) » Hépatite B – Dr Tarik Asselah (Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital Beaujon, Clichy) » Hépatite C – Dr Christophe Hezode (Service hépatologie, CHU Henri-Mondor, Créteil) » Transplantation – Pr Saliba Faouzi (Service hépato-biliaire, hôpitall Paul-Brousse, Villejuif) » Autres hépatologies chroniques – Pr Philippe Sogni (Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital Cochin, Paris)