C h r o n i q u e ...

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Chronique du droit
Insécurité dans les établissements
de soins : la loi contre le désordre
G. Devers*
L’
Assistance publique-Hôpitaux
de Paris a fait connaître d’inquiétantes statistiques. Pour
l’année 1998, il a été recensé dans
27 de ses 51 établissements, soit
20 000 lits : 2 000 vols, 33 atteintes
aux biens et 109 actes de violence.
Parmi ceux-ci, on relève 3 vols à
main armée, 5 vols avec violence,
15 affaires de coups et blessures, 5
de mœurs, et 81 faits de violences
légères. Le personnel médical et
paramédical est concerné dans une
agression sur deux.
L
a presse grand public s’est saisie de ces
statistiques, faisant semblant de croire
qu’il s’agissait d’un phénomène auparavant inconnu. Si l’on ne peut contester
une dégradation de la situation, la réalité
est une évolution constante depuis de nombreuses années. Sans verser dans le catastrophisme, le constat est l’augmentation
du désordre et de la violence dans les établissements. Globalement, c’est surtout une
perte de qualité du respect mutuel.
L’hôpital se trouve au cœur de tous les
enjeux sociaux, et on ne voit pas par quelle
magie il échapperait au phénomène général
des incivilités et de l’insécurité. L’hôpital
doit savoir répondre sans faiblesse car, au
regard de la mission qui est la sienne, toute
* Bordeaux.
autre attitude aurait des airs de désertion.
La présence d’un maître-chien devant un
service d’urgence soulève de préoccupantes interrogations. S’il n’est pas question de nier la réalité de la violence, il
est tout autant nécessaire de donner
quelques pistes pour repositionner une problématique globale. Le droit s’est toujours
inscrit contre la violence, et lutter contre
l’insécurité suppose de rappeler avec fermeté que l’ordre de la loi est le contraire de
la violence.
Le principe d’ordre
dans les établissements
Un établissement de soins, public ou privé,
est un lieu ouvert, mais c’est aussi une entité juridique qui doit savoir concilier les
impératifs de fonctionnement interne liés à
sa mission thérapeutique et la nécessaire
liberté des uns et des autres. La bonne
marche de l’établissement relève de la
compétence du directeur qui est seul habilité à prendre les décisions au sein de l’établissement. L’article L 714-12 du Code de
la santé publique affirme explicitement que
le directeur “assure la gestion et la conduite
générale de l’établissement”. À ce titre, il
dispose d’un pouvoir de police qui s’exprime soit de manière individuelle, par des
décisions d’admission, de sortie, voire
d’expulsion, soit de manière générale par
des notes de service ou mesures d’ordre
interne. Ces mesures doivent être en cohé-
rence avec le règlement intérieur de l’établissement, texte de nature impérative et
qui peut être en permanence adapté.
Ce pouvoir, qui est celui de tout directeur
d’administration, est précisé par les dispositions du décret du 14 janvier 1974 dont on
peut citer quelques extraits :
Article 46 : “Les visiteurs ne doivent pas
troubler le repos des malades ni gêner le
fonctionnement des services. Lorsque cette
obligation n’est pas respectée, l’expulsion
du visiteur et l’interdiction des visites pourront être décidées par le directeur.”
Article 48 : “Lorsqu’un malade dûment
averti cause des désordres persistants, le
directeur général prend avec l’accord du
médecin chef de service toutes les mesures
appropriées pouvant aller éventuellement
jusqu’à l’exclusion de l’intéressé.”
Article 49 : “Les hospitalisés doivent veiller
à respecter l’état des locaux et objets qui
sont à leur disposition. Des dégradations
sciemment commises peuvent, sans préjudice de l’indemnisation des dégâts causés,
entraîner l’exclusion du malade dans les
conditions prévues à l’article précédent.”
Des réponses graduées
Comme très souvent, on demande de nouveaux textes, alors qu’il suffit d’appliquer
ceux qui existent, et ce depuis 25 ans.
En matière de désordre ou de violence, la
règle doit être la tolérance zéro. Cette règle,
qui est le principe dans tout service public,
se trouve renforcée par la nature de l’établissement. Comment admettre que l’attention
et la disponibilité des soignants à l’égard des
malades soient détournées par des préoccupations de gestion de l’ordre public ?
Le strict respect
du règlement intérieur
Comme suite de multiples petits abandons
individuels, ont pu se créer des zones de
tolérance faites d’illégalité que rien ne
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Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 1,février 2000
saurait justifier. La première réponse doit
être un effort systématique pour revenir, de
manière cohérente et équilibrée, à un strict
respect du règlement intérieur. L’admission
ou même l’entrée comme visiteur dans un
établissement de soins n’est pas un fait
anodin. L’hôpital est un lieu sacré où sont
protégées les valeurs les plus essentielles
que sont le respect de la personne, le progrès scientifique, la protection du plus
faible, un lieu qui est le symbole de l’engagement d’une nation de défendre la santé et
en définitive la vie.
S’il est légitime d’exiger des personnels un
haut degré de tolérance pour tout ce qui
concerne la mise en œuvre de ces objectifs,
rien ne justifie la moindre tolérance dans la
gestion de l’ordre. Cela commence par
nombre d’attentions ponctuelles témoignant
du respect de l’autre, et par la nécessité de
mettre fin à un certain nombre d’abus tolérés. S’il ne fallait citer que deux exemples,
on retiendrait l’interdiction de fumer et certains excès dans la pratique des visites.
Le directeur d’établissement est responsable de l’application de l’ordre et du
règlement intérieur. Tous les organes de
concertation interne à l’hôpital doivent être
mobilisés pour témoigner de l’effort d’ensemble de parvenir au respect de la règle.
Mais certains faits dépassent la notion
d’ordre interne et justifient le recours aux
services de police.
Le respect des procédures
Les établissements, qui ne peuvent ignorer
le phénomène d’insécurité, doivent adapter
leurs procédures en distinguant le bon
fonctionnement du service, qui renvoie aux
responsabilités du cadre, du médecin ou du
personnel paramédical, de l’ordre interne,
qui relève des services administratifs et des
gardes de l’hôpital.
Bien sûr, doit être réservé le cas de l’urgence vraie, dans laquelle toute personne au
sein de l’hôpital doit prendre les mesures
adaptées : maîtrise d’un agité, retrait d’une
arme, placement en chambre d’isolement.
En dehors de ces situations, le premier
recours doit être une organisation interne
efficace. Il ne doit exister aucune réserve
à joindre l’administratif de garde, et à établir
ensuite des rapports d’incidents transmis
aux autorités et aux organes de concertation.
En cas de troubles graves, et passée la
phase d’extrême urgence, doit être sollicité
le recours aux services de police. Aucun
personnel soignant ou administratif ne dispose des compétences légales pour imposer
une fouille, qu’il s’agisse d’une fouille à
corps ou de celle d’un vestiaire. Cette tâche
relève des services de police. En revanche,
l’autorité administrative dans l’établissement est à même de demander à une personne d’ouvrir son sac ou son vestiaire, de
montrer qu’elle n’est pas porteuse sur ellemême d’une arme, sauf à tirer les enseignements d’un éventuel refus qui peut
devenir un motif d’exclusion.
Savoir porter plainte
L’équipe soignante doit tolérer un certain
nombre de débordements qui sont peu ou
prou liés à la maladie. Mais dès lors que le
seuil de l’admissible est dépassé, la réponse
doit être le droit commun, à savoir l’engagement de poursuites, le cas échéant sur le
plan pénal. Tout membre du personnel, de sa
propre initiative, est en mesure de porter
plainte contre un patient ou un visiteur qui
l’aurait agressé. Cette plainte est entièrement légitime et l’expérience établit qu’elle
est très bien reçue par les tribunaux.
Porter plainte contre un patient est toutefois
un fait grave qui suppose des critères objectifs d’appréciation et une concertation préa-
Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 1,février 2000
lable avec l’administration et les services de
police. Sur ces questions, les établissements
connaissent souvent une véritable culture de
l’impunité qui n’a pas de sens. Renoncer à
porter plainte contre un patient auteur de
faits délictueux, c’est le rejeter en dehors de
la communauté des gens responsables, ceux
que l’on appelle les citoyens. Comment
peut-on établir une relation confiante et respectueuse comme doit l’être la relation de
soin sur une base aussi fausse ? Porter plainte, c’est reconnaître le lien citoyen. Porter
plainte ne veut pas dire exclusion, mais
d’abord reconnaissance de responsabilité.
Rappelons enfin la règle ancienne selon
laquelle l’administration doit la protection à
ses agents. L’article 11 du statut général de
la fonction publique est clair : “La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences,
voies de fait, injures, diffamations ou
outrages dont ils pourraient être victimes à
l’occasion de leur fonction, et de réparer, le
cas échéant, le préjudice qui en est résulté”.
Ainsi, si le fonctionnaire peut porter plainte,
la collectivité peut le faire à sa place. Elle
dispose d’une action directe qu’elle peut
exercer au besoin par voie de constitution de
partie civile devant la juridiction pénale.
Parmi ces pratiques inacceptables l’une
d’entre elles, trop souvent rapportée, n’a
pas fait les gorges chaudes de la presse : il
s’agit des patients refusant les services de
tel ou tel soignant sous prétexte de couleur
de peau. Il est inimaginable de se plier
devant de tels propos. La réponse doit être
immédiate et exemplaire : une démarche
sur le plan interne, le directeur ou son délégué imposant le retrait du propos, la présentation d’excuses, ou l’exclusion immédiate de l’établissement. Il peut y avoir en
outre plainte pénale. “Loi” signifie “civilisation”. À bon entendeur, salut !
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