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MISE AU POINT
autres groupes d’âge, ce qui implique pro-
bablement un certain degré de réticence à
admettre toute forme de consommation, y
compris si elle est limitée (12).
Circonstances d’alcoolisation
en institution
Dans les établissements pour personnes
âgées, la fréquence des dépendances alcoo-
liques est très diversement appréciée. Elle
semble pouvoir varier en fonction des insti-
tutions et cela est naturellement à rappro-
cher des modalités de recrutement, de la
nature des soins dispensés et du contexte
social et culturel de la région. Au fil des
années, les enquêtes montrent aussi une
variabilité importante allant toujours dans
le sens d’une diminution des dépendances
alcooliques à mettre en rapport avec l’ac-
croissement de l’âge moyen et du nombre
de pathologies des résidents. La prévalence
des conduites alcooliques était évaluée
entre 25 et 70 % dans certaines maisons de
retraite à la fin des années 60 (13, 14) alors
qu’elle est de l’ordre de 10 %, 20 années
plus tard (15). Dans les structures qui
accueillent les personnes en hébergement,
l’alcoolisme est antérieur à l’admission et y
est entretenu par des consommations clan-
destines en raison des réglementations rela-
tives à la consommation d’alcool, aujour-
d’hui assez strictes. Cela explique la néces-
sité d’un certain degré de validité pour pou-
voir s’approvisionner à l’extérieur et mettre
en œuvre des stratégies efficaces de
consommation compatibles avec la pour-
suite de l’hébergement.
Dans les établissements de soins, une
alcoolisation préalable à l’admission por-
tant sur 222 patients hospitalisés en géria-
trie et de 81 ans d’âge moyen, 48 % des
personnes interrogées indiquent une
consommation quotidienne antérieure à
l’hospitalisation (16).
Quoi qu’il en soit, ces consommations sont
alors interrompues ou nettement moindres
qu’au domicile. Elles posent alors le problème
du dépistage d’une imprégnation et de son
retentissement. Elles peuvent aussi imposer
la mise en œuvre de procédures de sevrage
adéquates. Il est probable qu’elles soient
aussi à l’origine de sorties prématurées.
Pendant le temps de l’hospitalisation, elles
posent des problèmes institutionnels par les
troubles du comportement qu’elles peuvent
engendrer, par les conflits au sein des
équipes qu’elles peuvent occasionner et par
la fréquence de l’impasse des prises en
charge qui résulte de ces consommations
mal reconnues ou mal tolérées.
La plupart des auteurs ont surtout voulu
faire de ces consommations un fait social
plutôt que médical en rapprochant la péren-
nisation de ces conduites anciennes du
manque de distraction, du manque de rela-
tions et de soutien affectif, de la vétusté des
locaux et parfois de la complaisance du
personnel (17).
Données explicatives
Limites des critères diagnostiques en
gériatrie
La mesure de la prévalence d’un trouble
pose le problème de l’instrument de l’éva-
luation. Or, les classifications tradition-
nelles comme celles du DSM-IV sont limi-
tées dans leur usage chez le sujet âgé.
Rappelons qu’elles distinguent les troubles
induits par l’alcool, comme l’intoxication,
le sevrage ou le delirium, et les troubles liés
à la consommation de l’alcool et que dans
cette dernière catégorie, la dépendance
alcoolique se différencie de l’abus d’alcool
en ce qu’elle est susceptible d’entraîner
tolérance, sevrage ou comportement com-
pulsif.
Ces distinctions se heurtent toutefois à la
difficulté de faire concilier la tolérance
(c’est-à-dire la tendance à boire plus pour
obtenir les mêmes effets) avec le fait que
ces patients sont plus susceptibles d’obtenir
un effet significatif avec une quantité
absorbée moindre. Certains auteurs (18)
préfèrent d’ailleurs parler de “problèmes
liés à l’usage ou au mésusage de l’alcool”
(Alcohol use and misuse).
Le terme de dépendance présente, égale-
ment, une certaine ambiguïté. Ce terme est
en effet utilisé dans le domaine psycholo-
gique selon une double perspective et son
usage peut être encore radicalement diffé-
rent en gériatrie.
La dépendance est définie en psychologie
(19) selon la perspective de la pharmacodé-
pendance qui est “un état psychique et
quelquefois également physique résultant
de l’interaction entre un organisme vivant
et une drogue et qui se caractérise notam-
ment par des troubles du comportement et
par d’autres réactions qui comprennent tou-
jours une pulsion à prendre la drogue... de
façon à retrouver ses effets psychiques” ou
selon la perspective de la dépendance psy-
chologique comme “la tendance à chercher
aide et protection auprès d’autrui, à s’en
remettre à autrui pour toute décision par
perte de maturité et d’autonomie”.
Chez le malade âgé (institutionnalisé ou
non), on comprend aisément les risques de
confusion relatifs à un usage indifférencié
de ces deux acceptations car le rapproche-
ment entre abus et dépendance revient à
mettre sur le même plan des significations
fort différentes. On le sait, la dépendance
humaine n’est pas une caractéristique d’un
individu mais une forme de relation de cet
individu au monde qui l’entoure. Elle n’est
donc pas un état mais un processus. Elle ne
peut ainsi être appréhendée qu’en tenant
compte de la position du sujet, de son enga-
gement vers la dépendance, et en pratique
clinique, de ses difficultés à se séparer ou à
effectuer un deuil. On sait aussi qu’en défi-
nitive la dépendance, pharmacologique ou
affective, est marquée par un fait constant
relatif à l’impossibilité du sujet à faire évo-
luer ses objets d’investissement au point de
s’y retrouver soumis (20).
En gériatrie, le terme de dépendance est
également utilisé, de façon différente au
regard de ces définitions préalables, pour
caractériser les difficultés du patient à faire
face aux aléas de sa vie quotidienne. Son
usage renvoie ainsi à ce qui est habituelle-
ment décrit chez le sujet jeune avec les
termes de “handicap” et d’“incapacité”.
Chez le sujet âgé, le diagnostic d’alcoolisme
n’est donc pas rendu très facile par l’usage
des classifications habituellement établies
pour l’adulte plus jeune, car la notion de
dépendance renvoie à des significations et
à des usages très différents. Ces classifica-
tions impliquent aussi la dimension du
retentissement de la consommation sur les
activités sociales. Or, le vieillissement
réussi est indissociable de la capacité du
sujet à réduire de lui-même certaines de ses
activités y compris celles dans lesquelles il
avait pu s’investir jusque-là de façon
importante.
En définitive, il est bien évident que l’al-
coolisation, lorsqu’elle confine le sujet
dans une activité permanente de recherche
de boissons ne pose pas de problèmes dia-
gnostiques mais ces situations caricaturales
ne sont pas les plus fréquentes. Avec le
temps, les consommations sont plus spora-
diques et l’alcoolisation apparaît alors sou-
vent comme un moyen de lutte contre des
Le Courrier des addictions (1), n° 5, décembre 1999