La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 2 - vol. VII - mars-avril 2004
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DO S S I E R T H É M A T I Q U E
auxquelles ce groupe devait répondre, les deux premières sont à
rappeler ici :“Choix et définition des termes essentiels de la pra-
tique alcoologi q u e,l e c t u re critique des principales cl a s s i fi c at i o n s
existantes”. Quelles classifications vous paraissent opérantes en
pratique ?” En effectuant cette (re)lecture critique, le groupe a
observé que plus de 40 systèmes de définitions et classifications
avaient été décrits depuis 150 ans. T.F. Babor (4) identifie trois
époques :
✓l’époque dite “préscientifique”, de 1850 à 1940, où l’approche
est clinique et distingue les conduites d’alcoolisation selon leur
rythme et leur évo l u t i o n , le comportement et sa fonction pour
aboutir à des classifications ternaires ;
✓de 1940 à 1970, E.M. Jellinek aux États-Unis, P. Fouquet en
France et les experts de l’OMS centrent leur approche sur le phé-
nomène spécifique de la dépendance et organisent en typologies
la description de ses différentes formes cliniques ;
✓l’époque dite “alcoologique” s’ouvre à partir de 1970 et pro-
pose des typologies multidimensionnelles qui intégrent des fac-
teurs toujours plus nombreux et s’appuient sur l’épidémiologie
génétique et des vérifications statistiques pour proposer des sys-
tèmes de classification binaire.
Le groupe de travail de la SFA a conclu que la plupart de ces cl a s-
sifications présentent l’inconvénient d’utiliser le terme “alcoo-
lisme” devenu équivoque sinon obsolète,de décrire principale-
ment les diff é rentes fo rmes de dépendance et d’être de ce fa i t
quasi muettes sur les modes de début des conduites d’alcoolisa-
tion ainsi que sur leurs modalités évolutives précoces. Il relève
également que,à partir des années 1980, les versions successives
du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles men-
taux) et de la CIM (Classification internationale des maladies)
d i s t i n g u e n t , d’un côté, la dépendance et, de l’autre, l ’ abus (DSM)
(5) et l’usage nocif (CIM) (6). Parallèlement, W.K. Van Dijk (7)
p ropose en 1979 un schéma intégratif des dive rses modalités évo-
lutives des interrelations possibles entre un individu et l’alcool –
premiers contacts, expérimentations, apprentissage, usage “inté-
gr é ” , u s age excessif et dépendance – en précisant que la pro-
gression d’un stade à l’autre n’est pas “ i n é v i t abl e ” et qu’un re t o u r
au stade antérieur paraît toujours possibl e,sauf quand une dépen-
dance est installée.
Au terme de sa relecture, ce groupe de travail a estimé qu’aucune
des classifications et/ou typologies proposées depuis plus d’un
s i è c le ne paraissait vraiment sat i s faisante pour ordonner une pers-
p e c t ive clinique et prag m atique de rep é rage, de diagnostic et d’in-
terventions précoces.
Leur intérêt se tro u ve limité par le fait que ces cl a s s i fi c a tions sont
soit historiquement déterminées par la référence presque exclu-
sive à la dépendance,soit issues de méthodologies statistiques et
de données d’épidémiologie génétique qui ne peuvent guère sai-
sir la réalité clinique. Trop complexes, elles restent quasi inuti-
l i s ables en pratique et une typologie plus simple paraît nécessaire
malgré le risque évident qu’elle soit imparfaite et de ce fait insuf-
fisante (8).
En alcoologie cl i n i q u e , le seul trait commun indiscutable est
l ’ existence d’une consommation d’alcool qui risque de s’av é-
re r, ou s’av è re même déjà, p r é j u d i c i able au sujet consomma-
t e u r. Définir des groupes homogènes de sujets et une typolo-
gie dans ce champ reste donc difficile du fait de la dimension
mu l t i fa c t o rie lle et de la dive rsité des conduites d’alcoolisat i o n .
En vue de sat i s fa i re à des objectifs de pratique cl i n i q u e , il a
p a r u nécessaire au groupe d’adapter les cl a s s i fi c ations déjà
existantes pour proposer une cat é g o r i s ation qui soit simple,
p r atique et utile. Il a choisi de s’ap p u y er sur le modèle médi-
c a l , sans toutefois méconnaître combien il est réducteur, c a r
c o n s i d é r er le mésusage d’alcool comme une “ m a l a d i e ” – sans
o u b lier que ce n’est “pas une maladie comme les autre s ” – lui
a semblé encore nécessaire d’un point de vue tant heuri s t i q u e
que cl i n i q u e .
Les Recommandations décrivent ainsi :
●
Le non-usage, soit le non-consommateur
Toute conduite à l’égard des boissons alcooliques et/ou alcooli-
sées caractérisée par une absence de consommation.
Le non-usage peut être :
– primaire quand il s’agit d’un non-usage initial (enfants, pré-
adolescents) ou d’un choix durable, voire définitif chez l’adulte ;
– secondaire quand il advient après une période de mésusage : le
n o n - u s age secondaire est généralement désigné par le terme “ ab s-
tinence”.
●
L’usage, soit le consommateur modéré (à dose faible)
Toute conduite d’alcoolisation ne posant pas de problème pour
autant que la consommation reste modérée,c ’ e s t - à - d i re inféri e u re
ou égale aux seuils de risque définis par l’OMS (annexe) et prise
en dehors de toute situation à risque ou de risque individuel par-
ticulier.
●
Le mésusage,soit la catégorie générique qui rassemble toutes
les conduites d’alcoolisation caractérisées par l’existence d’un
ou de plusieurs risques potentiels ou par la surve nue de dom-
mages induits, dépendance incluse.
– L’usage à risque,soit le consommateur à risque
Toute conduite d’alcoolisation où la consommation est supéri e u re
aux seuils de risque définis par l’OMS et non encore associée à
un quelconque dommage d’ordre médical, psychique ou social
(dépendance incl u s e ) , mais suscep t i b le d’en induire à court ,
moyen et/ou long terme.
Cette cat é go rie inclut également les consommations égales ou
même inférieures aux seuils de risque de l’OMS quand elles sont
associées à une situation à risque et/ou à un risque individuel par-
ticulier.
– L’usage nocif, soit le consommateur à problèmes
Toute conduite d’alcoolisation cara c t é r isée par l ’ ex i s t e n c e
d’au moins un dommage d’ord r e médical, p s y c hique ou
social induit par l’alcool, quels que soient la fréquence et le
n i veau de consommat i o n , et par l’absence de dépendance à
l ’ a l c o o l .