vie professionnelle Responsabilité médicale L’heure du bilan, six ans après la loi du 4 mars 2002 G. Devers* T ous les jours, l’interrogation se renforce : le droit de la responsabilité en santé est-il encore praticable ? N’en est-on pas parvenu, au motif de la reconnaissance des droits des patients, à créer des déséquilibres tels que la prise de risque qui est nécessaire dans les soins n’est plus possible ? Des pans entiers de la médecine ne sont-ils pas en cause du fait de ce renforcement de la responsabilité, avec, à terme, le péril d’une judiciarisation renforcée ? Les médecins, acteurs et observateurs de ce mouvement, sont chaque jour interpellés. Ces questions sont légitimes, et méritent des réponses précises. L’analyse de la réalité du droit est sensiblement plus optimiste que les présentations qui en sont faites. Et au final, si la loi du 4 mars 2002 a beaucoup inquiété, elle n’a conduit qu’à des ajustements (1). La démarche de compréhension suppose de distinguer parmi les divers sens du mot responsabilité, avant d’analyser d’abord les grands régimes juridiques, qui sont de plus en plus distincts, puis l’analyse ludique du fait générateur. La responsabilité morale, la responsabilité juridique * Avocat au barreau de Lyon ; docteur en droit HDR. © D’après La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2007. (1) F. Vialla (Dir.). Droit des malades et qualité du système de santé – La loi du 4 mars 2002. Revue générale de droit médical, n° spécial, 2004 ; F. Chabas, La responsabilité personnelle du médecin traitant, note sous l’arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 2004, Recueil Dalloz, p. 253. La responsabilité est d’abord une notion morale. Chacun se sent responsable, et agit en fonction du sens du devoir. Cette responsabilité est la première référence. Imagine-t-on une pratique des soins qui n’aurait pour référence que la crainte des recours en justice ou des plaintes devant le procureur de la République ? La morale, soit le sens du bien et du mal, est le premier repère pour l’action. Pour autant, la responsabilité morale ne peut ignorer la responsabilité juridique. La compréhension de quelques données de droit est nécessaire pour que soient prises les décisions justes ; par ailleurs, si la responsabilité morale doit être la première référence, appréciée en conscience, elle doit être complétée par une responsabilité juridique, qui est d’ordre public. 42 | La Lettre du Rhumatologue • N° 345 - octobre 2008 La vie en société suppose des règles, de manière à donner un sens à l’adage fondamental : pas de liberté sans responsabilité. À cet égard, les droits reconnus au patient s’accompagnent de responsabilités propres à assurer la pérennité du système de santé, rappelle l’article L. 1111 du code de la Santé publique. Un article méconnu, mais qui illustre pourtant la logique fondamentale du droit. Le premier droit du patient est d’être bien soigné, et l’apport de la loi sur les droits des patients n’est que d’encourager à une meilleure prise en compte des droits individuels. Il n’y a pas eu d’inversion dans la logique fondamentale : c’est le soin qui prime, car la mission du médecin est de défendre la vie. La santé est à la fois une donnée individuelle et un bien public. La reconnaissance des droits ne doit pas transformer les lieux de soins en un champ clos de revendications individuelles : droits et devoirs doivent s’équilibrer pour la sauvegarde de ce bien si précieux et si fragile. Les régimes de responsabilité Se distinguent trois régimes : responsabilité pénale, responsabilité civile et indemnisation. La responsabilité pénale ou la culpabilité Le droit pénal définit les infractions, et le procès pénal est orienté vers la sanction des comportements individuels. Le procès oppose le procureur de la République à un particulier, en l’occurrence l’aide-soignante. Si la culpabilité est reconnue, une sanction d’ordre général est prononcée : prison avec sursis, amende, voire interdiction d’exercer. Dans la réalité, la sanction reste souvent modérée, mais le procès pénal est lourd de signification. Mal compris, il peut s’avérer destructeur. Les médecins sont concernés par la responsabilité pénale, laquelle est appréciée à travers les infractions d’atteinte à l’intégrité humaine : le fait d’avoir par vie professionnelle maladresse, inattention ou inobservation des règlements, blessé une personne ou causé son décès. La faute professionnelle simple, dénuée de toute intention de nuire, peut conduire à une condamnation pénale. Cette sévérité du droit pénal s’explique par la valeur en cause. Le droit ne protège rien de plus que l’être humain et toute atteinte à l’intégrité de l’être humain appelle la sanction pénale. La responsabilité civile L’objet de la responsabilité civile est moins la sanction que la réparation du dommage causé. Le procès est engagé à l’initiative de la victime, contre l’assureur du praticien ou contre l’établissement dans lequel celui-ci exerce. Quoi qu’il en soit, le médecin concerné est beaucoup moins impliqué dans ces procès orientés vers la réparation. Le contact direct avec la procédure intervient essentiellement au moment de l’expertise. Le rôle des professionnels concernés est de fournir à l’assureur toutes les informations pour permettre la meilleure défense. La loi du 4 mars 2002 a étendu l’obligation d’assurance des praticiens libéraux ou des établissements de santé, et le régime a été amendé, à plusieurs reprises. Des assureurs sont partis, d’autres arrivent, mais le montant des primes dans certains secteurs de l’activité libérale a atteint des seuils critiques. Le gouvernement a répondu par une prise en charge partielle du paiement par l’Assurance maladie. Le fondement théorique est faible, et l’équilibre reste précaire. Mais la balle est essentiellement dans le camp des assureurs. L’indemnisation sans faute Le patient ne peut-il être indemnisé, c’est-à-dire voir pris en charge tous les soins nécessaires et obtenir la compensation financière du dommage subsistant, qu’en cas de faute du professionnel ou de l’établissement ? Depuis la loi du 4 mars 2002, la réponse est non. De tout temps, la Sécurité sociale prend en charge tous les soins nécessaires alors même qu’ils ont été causés par une faute médicale, et elle n’exerce pas de recours contre les praticiens ou les établissements. Ainsi, en cas de faute, tous les soins nécessaires peuvent être mis en œuvre. Si la réparation est totale, le dommage en résultant sera faible et le patient renoncera le plus souvent au recours. Dans un système d’assurance privée, tel que le connaissent notamment les États-Unis, l’essentiel des recours relatifs aux coûts des soins est exercé par les assureurs des familles. La loi du 4 mars 2002 a complété le processus en instituant un procédé d’indemnisation des dommages graves, même quand ils n’ont pas été causés par une faute. Le patient dispose d’un tel recours devant la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) en cas de dommage grave, correspondant à une IPP de 25 %. L’indemnisation est acquise. Si le fonds estime que le dommage est lié à une faute médicale, il peut alors exercer un recours, en lieu et place du patient. Le fait générateur La grande question est la notion de faute. La loi du 4 mars 2002 a mis fin aux tentatives jurisprudentielles pour mettre à la charge des praticiens une responsabilité sans faute. Désormais, la règle est certaine : la responsabilité, civile ou pénale, n’est engagée que si un dommage a été causé à la personne par un acte médical constitutif d’une faute. Les exceptions sont définies par une loi spécifique, comme pour les infections nosocomiales. Ce qui conduit à distinguer quatre notions. L’aléa L’aléa est la conséquence non maîtrisée d’un acte irréprochable. Dans son principe et ses modalités, la décision ou l’acte médical ne fait l’objet d’aucune critique, peu importe qu’il en ait résulté un dommage important pour le patient. En cas d’aléa, il n’y a ni culpabilité ni responsabilité civile. Tout au plus peut exister la procédure d’indemnisation devant la CRCI si le dommage est supérieur à 25 % d’invalidité. L’erreur L’erreur est une décision ou un acte prudent et attentif, mais qui se révèle inapproprié. Le praticien a agi comme un bon professionnel, s’entourant des examens et conseils nécessaires, agissant dans son domaine de compétence, mais a mal interprété un signe ou pris une décision qui finalement, avec le recul, aurait dû être autre. L’erreur n’engage pas la responsabilité. Chacun bénéficie du droit à l’erreur, et ce principe n’est pas remis en cause en matière de santé. La Lettre du Rhumatologue • N° 345 - octobre 2008 | 45 vie professionnelle La faute La faute est un acte imprudent ou négligent. Ou c’est un mauvais acte professionnel, et pas forcément l’acte d’un mauvais professionnel. L’acte a été maladroit, trop rapide, n’a pas pris en compte des éléments diagnostiques importants, n’a pas bénéficié de l’éclairage qui pouvait venir de praticiens spécialisés, ne répondait pas au dernier état des connaissances… La faute engage la responsabilité civile. La faute pénale La faute pénale est extrêmement proche. Elle se caractérise comme un acte imprudent ou négligent, mais le code pénal, depuis la loi du 10 juillet 2000, requiert une qualification de la faute, et le tribunal peut, dans un même jugement, prononcer l’innocence du médecin sur le plan pénal, la faute ne lui paraissant pas suffisamment caractérisée pour revêtir la qualification pénale, et retenir la responsabilité civile, permettant ainsi au patient d’être indemnisé par la compagnie d’assurance. Les évolutions du contentieux Le contentieux n’est pas un tout. Il faut distinguer les doléances, les recours en indemnisation et les plaintes pénales. Les doléances, soit des réclamations informelles adressées au directeur d’établissement, sont souvent des demandes d’explications ou l’expression de récriminations, mais elles ne justifient pas la qualification de recours juridiques. Ces démarches peuvent irriter, voire devenir gênantes. Elles n’en sont pas moins l’expression de mécontentements et doivent être prises en compte. Les recours civils en indemnisation sont en augmentation, particulièrement s’agissant des recours en référé aux fins de désignation d’expertise. Ces recours sont spectaculaires, car ils sont très rapides, ce qui 46 | La Lettre du Rhumatologue • N° 345 - octobre 2008 est lié à leur caractère non contentieux. Il s’agit, avant le procès, de réunir un certain nombre d’éléments de preuve par le moyen d’une expertise. Une grande majorité des rapports d’expertise conclut à l’absence de faute, de telle sorte que très souvent le contentieux effectif n’est pas engagé. Lorsque le procès se poursuit, c’est l’assureur qui en a la charge. Les statistiques sont délicates à obtenir, mais il apparaît que le nombre de condamnations s’accroît peu. Augmente en revanche le montant des indemnisations, particulièrement s’agissant des handicaps importants, avec IPP à plus de 85 % et tierce personne, de sorte que les chiffres généraux sont déséquilibrés par un petit nombre de dossiers. Les plaintes pénales sont beaucoup moins nombreuses que les recours en indemnisation, avec un chiffre se situant aux alentours de 2 à 3 %. L’engagement de ces procédures est extrêmement perturbant pour les professionnels du soin, qui se trouvent immédiatement placés dans le cadre d’une accusation. L’un des éléments les plus rudes est la confrontation aux règles de la procédure. À peine un tiers des procédures pénales vont jusqu’à l’audience de jugement, et les statistiques, imparfaites, laissent apparaître qu’alors une relaxe est prononcée dans environ 50 % des cas. L’expérience de six ans depuis la loi du 4 mars 2002 peut permettre de tenter une synthèse : ➤➤ stabilisation des plaintes pénales, voire diminution compte tenu des autres voies de procédures offertes ; ➤➤ augmentation des procédures civiles, spécialement des demandes de référé aux fins d’expertise ; ➤➤ quasi-stabilité du nombre de condamnations pour faute, mais augmentation sensible du montant des indemnisations accordées, surtout dans le cadre du retour à domicile ; ➤➤ ouverture d’une nouvelle voie d’indemnisation, lorsque sont combinés l’absence de faute et un dommage important, par le biais des CRCI et de l’ONIAM ; ➤➤ situation tendue sur le front de l’assurance.