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V ie professionnelle
Responsabilité médicale
L’heure du bilan, cinq ans après la loi du 4 mars 2002
IP Gilles Devers*
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ous les jours, l’interrogation se renforce : le droit de la
responsabilité en santé est-il encore praticable ? N’en
est-on pas parvenu, au motif de la reconnaissance des
droits des patients, à créer des déséquilibres tels que la prise de
risque qui est nécessaire dans les soins n’est plus possible ? Des
pans entiers de la médecine ne sont-ils pas en cause du fait de ce
renforcement de la responsabilité, avec, à terme, le péril d’une
judiciarisation renforcée ? Les médecins, acteurs et observateurs
de ce mouvement, sont chaque jour interpellés.
Ces questions sont légitimes, et méritent des réponses précises.
L’analyse de la réalité du droit est sensiblement plus optimiste
que les présentations qui en sont faites. Et au final, si la loi
du 4 mars 2002 a beaucoup inquiété, elle n’a conduit qu’à des
ajustements (1).
La démarche de compréhension suppose de distinguer parmi
les divers sens du mot responsabilité, avant d’analyser d’abord
les grands régimes juridiques, qui sont de plus en plus distincts,
puis l’analyse ludique du fait générateur.
la Responsabilité morale,
la responsabilité juridique
Se distinguent trois régimes : responsabilité pénale, responsabilité civile et indemnisation.
Le droit pénal définit les infractions, et le procès pénal est
orienté vers la sanction des comportements individuels. Le
procès oppose le procureur de la République à un particulier,
en l’occurrence l’aide-soignante. Si la culpabilité est reconnue,
une sanction d’ordre général est prononcée : prison avec sursis,
amende, voire interdiction d’exercer. Dans la réalité, la sanction
reste souvent modérée, mais le procès pénal est lourd de signification. Mal compris, il peut s’avérer destructeur.
Les médecins sont concernés par la responsabilité pénale,
laquelle est appréciée à travers les infractions d’atteinte à
l’intégrité humaine : le fait d’avoir par maladresse, inattention ou inobservation des règlements, blessé une personne
ou causé son décès. La faute professionnelle simple, dénuée
de toute intention de nuire, peut conduire à une condamnation pénale. Cette sévérité du droit pénal s’explique par
la valeur en cause. Le droit ne protège rien de plus que l’être
humain et toute atteinte à l’intégrité de l’être humain appelle
la sanction pénale.
La responsabilité civile
* Avocat au barreau de Lyon ; docteur en droit HDR.
(1) F. Vialla (Dir.). Droit des malades et qualité du système de santé – La loi du 4 mars 2002.
Revue générale de droit médical, n° spécial, 2004 ; F. CHABAS, La responsabilité personnelle
du médecin traitant, note sous l’arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 2004, Recueil
Dalloz, p. 253.
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Les régimes de responsabilité
La responsabilité pénale ou la culpabilité
La responsabilité est d’abord une notion morale. Chacun se sent
responsable, et agit en fonction du sens du devoir. Cette responsabilité est la première référence. Imagine-t-on une pratique des
soins qui n’aurait pour référence que la crainte des recours en
justice ou des plaintes devant le procureur de la République ?
La morale, soit le sens du bien et du mal, est le premier repère
pour l’action.
Pour autant, la responsabilité morale ne peut ignorer la responsabilité juridique. La compréhension de quelques données de
droit est nécessaire pour que soient prises les décisions justes ;
par ailleurs, si la responsabilité morale doit être la première
référence, appréciée en conscience, elle doit être complétée
par une responsabilité juridique, qui est d’ordre public. La vie
en société suppose des règles, de manière à donner un sens à
l’adage fondamental : pas de liberté sans responsabilité.
© La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2007.
À cet égard, les droits reconnus au patient s’accompagnent de
responsabilités propres à assurer la pérennité du système de
santé, rappelle l’article L. 1111 du code de la Santé publique. Un
article méconnu, mais qui illustre pourtant la logique fondamentale du droit. Le premier droit du patient est d’être bien soigné, et
l’apport de la loi sur les droits des patients n’est que d’encourager
à une meilleure prise en compte des droits individuels. Il n’y a
pas eu d’inversion dans la logique fondamentale : c’est le soin
qui prime, car la mission du médecin est de défendre la vie. La
santé est à la fois une donnée individuelle et un bien public. La
reconnaissance des droits ne doit pas transformer les lieux de
soins en un champ clos de revendications individuelles : droits
et devoirs doivent s’équilibrer pour la sauvegarde de ce bien si
précieux et si fragile.
L’objet de la responsabilité civile est moins la sanction que la
réparation du dommage causé. Le procès est engagé à l’initiative de la victime, contre l’assureur du praticien ou contre
l’établissement dans lequel celui-ci exerce. Quoi qu’il en soit, le
médecin concerné est beaucoup moins impliqué dans ces procès
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. X - n° 9 - novembre-décembre 2007
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orientés vers la réparation. Le contact direct avec la procédure
intervient essentiellement au moment de l’expertise. Le rôle des
professionnels concernés est de fournir à l’assureur toutes les
informations pour permettre la meilleure défense.
La loi du 4 mars 2002 a étendu l’obligation d’assurance des
praticiens libéraux ou des établissements de santé, et le régime
a été amendé, à plusieurs reprises. Des assureurs sont partis,
d’autres arrivent, mais le montant des primes dans certains
secteurs de l’activité libérale a atteint des seuils critiques. Le
gouvernement a répondu par une prise en charge partielle du
paiement par l’Assurance maladie. Le fondement théorique est
faible, et l’équilibre reste précaire. Mais la balle est essentiellement dans le camp des assureurs.
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L’indemnisation sans faute
Le patient ne peut-il être indemnisé, c’est-à-dire voir pris en
charge tous les soins nécessaires et obtenir la compensation
financière du dommage subsistant, qu’en cas de faute du professionnel ou de l’établissement ? Depuis la loi du 4 mars 2002, la
réponse est non.
De tout temps, la Sécurité sociale prend en charge tous les
soins nécessaires alors même qu’ils ont été causés par une faute
médicale, et elle n’exerce pas de recours contre les praticiens ou
les établissements. Ainsi, en cas de faute, tous les soins nécessaires peuvent être mis en œuvre. Si la réparation est totale,
le dommage en résultant sera faible et le patient renoncera le
plus souvent au recours. Dans un système d’assurance privée,
tel que le connaissent notamment les États-Unis, l’essentiel des
recours relatifs aux coûts des soins est exercé par les assureurs
des familles.
La loi du 4 mars 2002 a complété le processus en instituant
un procédé d’indemnisation des dommages graves, même
quand ils n’ont pas été causés par une faute. Le patient
dispose d’un tel recours devant la Commission régionale de
conciliation et d’indemnisation (CRCI) en cas de dommage
grave, correspondant à une IPP de 25 %. L’indemnisation
est acquise. Si le fonds estime que le dommage est lié à une
faute médicale, il peut alors exercer un recours, en lieu et
place du patient.
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Le fait générateur
La grande question est la notion de faute. La loi du 4 mars 2002
a mis fin aux tentatives jurisprudentielles pour mettre à la charge
des praticiens une responsabilité sans faute. Désormais, la règle
est certaine : la responsabilité, civile ou pénale, n’est engagée que
si un dommage a été causé à la personne par un acte médical
constitutif d’une faute. Les exceptions sont définies par une loi
spécifique, comme pour les infections nosocomiales. Ce qui
conduit à distinguer quatre notions.
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L’aléa
L’aléa est la conséquence non maîtrisée d’un acte irréprochable.
Dans son principe et ses modalités, la décision ou l’acte médical
ne fait l’objet d’aucune critique, peu importe qu’il en ait résulté
un dommage important pour le patient. En cas d’aléa, il n’y a
ni culpabilité ni responsabilité civile. Tout au plus peut exister
la procédure d’indemnisation devant la CRCI si le dommage
est supérieur à 25 % d’invalidité.
L’erreur
L’erreur est une décision ou un acte prudent et attentif, mais
qui se révèle inapproprié. Le praticien a agit comme un bon
professionnel, s’entourant des examens et conseils nécessaires,
agissant dans son domaine de compétence, mais a mal interprété
un signe ou pris une décision qui finalement, avec le recul, aurait
dû être autre. L’erreur n’engage pas la responsabilité. Chacun
bénéficie du droit à l’erreur, et ce principe n’est pas remis en
cause en matière de santé.
La faute
La faute est un acte imprudent ou négligent. Ou c’est un mauvais
acte professionnel, et pas forcément l’acte d’un mauvais professionnel. L’acte a été maladroit, trop rapide, n’a pas pris en compte
des éléments diagnostiques importants, n’a pas bénéficié de
l’éclairage qui pouvait venir de praticiens spécialisés, ne répondait pas au dernier état des connaissances… La faute engage la
responsabilité civile.
La faute pénale
La faute pénale est extrêmement proche. Elle se caractérise
comme un acte imprudent ou négligent, mais le code pénal,
depuis la loi du 10 juillet 2000, requiert une qualification de la
faute, et le tribunal peut, dans un même jugement, prononcer
l’innocence du médecin sur le plan pénal, la faute ne lui paraissant pas suffisamment caractérisée pour revêtir la qualification
pénale, et retenir la responsabilité civile, permettant ainsi au
patient d’être indemnisé par la compagnie d’assurance.
Les évolutions du contentieux
Le contentieux n’est pas un tout. Il faut distinguer les doléances,
les recours en indemnisation et les plaintes pénales. Les
doléances, soit des réclamations informelles adressées au
directeur d’établissement, sont souvent des demandes d’explications ou l’expression de récriminations, mais elles ne
justifient pas la qualification de recours juridiques. Ces démarches peuvent irriter, voire devenir gênantes. Elles n’en sont
pas moins l’expression de mécontentements et doivent être
prises en compte.
Les recours civils en indemnisation sont en augmentation,
particulièrement s’agissant des recours en référé aux fins de
désignation d’expertise. Ces recours sont spectaculaires, car ils
sont très rapides, ce qui est lié à leur caractère non contentieux.
Il s’agit, avant le procès, de réunir un certain nombre d’éléments
de preuve par le moyen d’une expertise. Une grande majorité
des rapports d’expertise conclut à l’absence de faute, de telle
sorte que très souvent le contentieux effectif n’est pas engagé.
Lorsque le procès se poursuit, c’est l’assureur qui en a la charge.
Les statistiques sont délicates à obtenir, mais il apparaît que le
nombre de condamnations s’accroît peu. Augmente en revanche
le montant des indemnisations, particulièrement s’agissant des
handicaps importants, avec IPP à plus de 85 % et tierce personne,
de sorte que les chiffres généraux sont déséquilibrés par un petit
nombre de dossiers.
Les plaintes pénales sont beaucoup moins nombreuses que les
recours en indemnisation, avec un chiffre se situant aux alentours
de 2 à 3 %. L’engagement de ces procédures est extrêmement
perturbant pour les professionnels du soin, qui se trouvent immédiatement placés dans le cadre d’une accusation. L’un des éléments
les plus rudes est la confrontation aux règles de la procédure. À
peine un tiers des procédures pénales vont jusqu’à l’audience
de jugement, et les statistiques, imparfaites, laissent apparaître
qu’alors une relaxe est prononcée dans environ 50 % des cas.
L’expérience de cinq ans depuis la loi du 4 mars 2002 peut
permettre de tenter une synthèse :
 stabilisation des plaintes pénales, voire diminution compte
tenu des autres voies de procédures offertes ;
 augmentation des procédures civiles, spécialement des
demandes de référé aux fins d’expertise ;
 quasi-stabilité du nombre de condamnations pour faute, mais
augmentation sensible du montant des indemnisations accordées, surtout dans le cadre du retour à domicile ;
 ouverture d’une nouvelle voie d’indemnisation, lorsque sont
combinés l’absence de faute et un dommage important, par le
biais des CRCI et de l’ONIAM ;
 situation tendue sur le front de l’assurance.
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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. X - n° 9 - novembre-décembre 2007
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