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Les arthrites associées aux infections
x T. Schaeverbeke
Points forts
y La détection d’ADN bactérien dans l’articulation ne
signifie pas que le germe a une implication quelconque
dans la pathologie articulaire : l’ADN de Chlamydia
trachomatis a pu être détecté dans la synoviale de volontaires sains et chez des patients arthrosiques.
y Plusieurs germes peuvent être
retrouvés dans une même articulation.
simultanément
y La présence de Chlamydia trachomatis dans l’articulation semble associée au phénotype B27, quel que soit
le cadre nosologique de l’arthrite.
y Intérêt de l’étude de la réponse immune vis-à-vis des
micro-organismes identifiés dans l’articulation.
y L’utilité des sérodiagnostics des arthrites réactionnelles est remise en question.
L
es communications ont à nouveau été nombreuses
sur ce chapitre de la rhumatologie, mais les résultats
des travaux présentés, qui sont globalement concordants, montrent que les choses sont plus complexes que ce
que l’on avait envisagé jusqu’à présent.
Bref historique
De 1990 à 1995. L’application des techniques de biologie moléculaire (PCR, hybridation moléculaire...) a permis de détecter
de l’ADN bactérien dans des échantillons synoviaux de
patients porteurs d’arthrites considérées jusqu’à présent
comme aseptiques. Les premiers résultats concernaient l’arthrite réactionnelle, ce qui n’est finalement pas si étonnant,
compte tenu du lien bien établi entre ces arthrites et certaines
infections génitales et intestinales. De l’ADN bactérien a
ensuite été mis en évidence dans d’autres arthrites : arthrites
inclassées, spondylarthropathies périphériques, polyarthrite
rhumatoı̈de et arthrite chronique juvénile. Différents travaux
(RT-PCR notamment) ont par ailleurs laissé entendre que la
bactérie était vivante au sein de l’articulation, en très petit
nombre cependant, et sous une forme peu réplicative. Ainsi
est né le concept d’arthrite bactérienne à croissance lente.
De 1996 à 1997. Différents travaux ont montré que l’ADN
d’une même bactérie peut être retrouvé dans des prélèvements articulaires au cours de situations pathologiques différentes : Chlamydia trachomatis a ainsi été détecté dans des
arthrites réactionnelles, mais également dans des arthrites
inclassées et, de façon plus surprenante, au cours de polyarthrites rhumatoı̈des ; des mycoplasmes ont été mis en évidence
dans des polyarthrites rhumatoı̈des, des spondylarthropathies
périphériques, des arthrites inclassées et des arthrites réactionnelles... Deux questions se posent alors :
1. Un même germe peut-il déclencher plusieurs affections
articulaires ?
2. Ces bactéries, ou au moins certaines d’entre elles, ne pourraient-elles pas constituer d’“innocents badauds” (innocent
bystanders), véhiculés jusqu’à l’articulation par des monocytes, mais n’ayant aucun rôle dans le déclenchement ou
l’entretien de l’arthrite ?
Les travaux publiés au congrès de l’ACR 1998 apportent plus
de questions nouvelles que d’authentiques réponses...
L’ARTICULATION N’EST PAS UN MILIEU STERILE
Schumacher avait déjà rapporté, l’an dernier, la détection
d’ADN de C. trachomatis dans du tissu synovial prélevé chez
un volontaire sain (femme de 25 ans ayant une sérologie
chlamydienne positive). Ce travail a été poursuivi et étendu à
des patients arthrosiques. L’ADN de C. trachomatis a ainsi pu
être détecté par Wang et coll. (1271) dans le tissu synovial de
2 volontaires sains sur 30, et de 6 patients arthrosiques sur
20 (soit 30 %) ! Ce chiffre paraı̂t cependant énorme, au vu de la
prévalence des infections chlamydiennes dans la population
générale. D’autre part, seules les amorces utilisant l’ADN
plasmidique ou celui du gène de l’ARNr16S ont donné un
produit d’amplification. Les PCR utilisant les amorces ciblant
le gène de la MOMP se sont toujours révélées négatives.
Ainsi, de l’ADN bactérien paraı̂t pouvoir être détecté dans
l’articulation de patients indemnes de toute pathologie articulaire, ou de patients présentant une arthrose, pathologie
n’ayant à l’évidence pas une origine infectieuse. La simple
détection d’ADN bactérien dans l’articulation ne permet donc
pas d’affirmer un lien entre la bactérie et l’arthropathie. Peuton pour autant conclure que ces résultats sont en faveur de
l’hypothèse de l’“innocent badaud” ? Dans la totalité des
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La Lettre du Rhumatologue - no 248 - janvier 1999
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études rapportées, la proportion de patients chez qui de
l’ADN bactérien est identifié dans la synoviale est toujours
beaucoup plus importante dans les groupes de patients
porteurs de rhumatismes inflammatoires que dans les groupes
d’arthrosiques ou de sujets normaux. L’hypothèse la plus
séduisante est que des bactéries intracellulaires ou adhérentes
à la membrane de cellules monocytaires peuvent être véhiculées par ces cellules jusque dans la synoviale, où elles
n’induiront une arthrite que dans des situations particulières :
terrain génétique de susceptibilité de l’hôte, facteurs de virulence de certaines souches bactériennes...
PLUSIEURS GERMES PEUVENT EòTRE DETECTES SIMULTANEMENT AU SEIN D’UNE ARTICULATION
Plusieurs travaux font état de l’identification de l’ADN de
deux germes différents dans un même prélèvement articulaire.
Schumacher et coll. (702) ont recherché l’ADN de C. pneumoniae et de C. trachomatis sur 212 échantillons synoviaux
(liquides ou biopsies) de patients porteurs d’arthropathies
diverses. Les résultats, résumés dans le tableau I, font apparaı̂tre que les deux germes ont été détectés conjointement
chez trois patients porteurs d’une arthrite réactionnelle et
chez un patient présentant une PR.
Tableau I. ADN de C. pneumoniae et C. trachomatis dans diverses
arthropathies (702).
Arthrite
réactionnelle
n
PR
AI
Horowitz et coll. (1274) ont étudié le rôle potentiel de Mycoplasma fermentans dans diverses arthropathies : PR (n = 38),
arthrites inclassées (n = 8), arthrites réactionnelles (n = 9),
autres arthrites inflammatoires (n = 8) et 32 arthropathies
microcristallines, dégénératives ou post-traumatiques. Les
sérums de 102 donneurs de sang ont également été analysés.
L’ADN de la bactérie a été recherché sur le liquide synovial
par PCR, et la réponse immunitaire a été évaluée par un sérodiagnostic appliqué au sérum et au liquide articulaire. L’ADN
de M. fermentans a été mis en évidence dans six des 34 prélèvements de PR disponibles (18 %), dans une des sept arthrites
inclassées (14 %), et dans aucun des 34 autres prélèvements.
La séroprévalence pour trois antigènes de M. fermentans
n’était pas significativement différente dans les divers
groupes. Cependant, dans 47 % des liquides synoviaux de PR,
les taux d’anticorps étaient plus élevés que les taux sériques,
contre 7,5 % des autres arthropathies (p = 0,0002).
Ces résultats suggèrent une production locale, intra-articulaire
d’anticorps anti-M. fermentans, renforçant l’hypothèse d’un
rôle immunogène de cette bactérie dans la synoviale rhumatoı̈de.
43
80
5
24
6 (14 %)
7 (9 %)
4 (80 %)
0
C. trachomatis
33 (73 %) 20 (53 %) 13 (16 %)
0
2 (2 %)
0
0
0
Putschky et coll. (697) ont effectué des PCR pour C. trachomatis et Borrelia burgdorferi sur le liquide synovial de 76 arthrites inclassées. Vingt-deux prélèvements (29 %) se sont
révélés positifs pour l’un ou l’autre de ces germes, tandis que
six (8 %) d’entre eux étaient positifs pour les deux bactéries.
Ces six patients avaient une oligoarthrite chronique, et quatre
d’entre eux avaient une histoire clinique compatible ainsi que
des sérologies positives pour les deux germes, alors que les
deux derniers n’avaient qu’une sérologie chlamydienne
positive.
Schaeverbeke et coll. (1663) détectent l’ADN de Mycoplasma
pneumoniae dans le liquide synovial de six patients sur 45 :
1/7 PR, 2/5 SpA indifférenciées, 3/6 arthrites inclassées.
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Goldbach-Mansky et coll. (692) ont recherché l’ADN de C.
trachomatis par PCR dans les prélèvements synoviaux de
150 patients, dont 60 (40 %) présentaient une PR, 28 (19 %) une
spondylarthropathie et 62 (41 %) une arthrite inclassée. La
PCR s’est révélée positive chez 10 patients atteints de PR, 8 de
spondylarthropathie et 10 d’arthrite inclassée. La prévalence
de l’ADN de C. trachomatis n’était pas différente entre ces
trois pathologies. En revanche, la recherche d’une corrélation
avec le groupe HLA faisait nettement ressortir une association
entre la présence de C. trachomatis et le groupe HLA B27,
toutes maladies confondues (10/28 versus 11/122, oddsratio = 5,6, p < 0,001). Aucune autre association significative
n’était retrouvée avec les autres groupes du locus B ou des
locus A et DR.
L’ETUDE DE LA REPONSE IMMUNE VIS-A-VIS DES ORGANISMES IDENTIFIES CREDIBILISE LES TRAVAUX DE DETECTION
45
2
Plusieurs études ont confirmé les travaux précédents
montrant qu’un même germe peut être détecté dans l’articulation au sein d’arthrites réactionnelles, d’arthrites inclassées ou de PR. L’une d’entre elles fournit un résultat particulièrement intéressant.
Sujet
normal
5 (11 %)
3
LA PRESENCE D’UNE BACTERIE DANS L’ARTICULATION N’EST
PAS ASSOCIEE A UNE PATHOLOGIE ARTICULAIRE DONNEE,
MAIS AU TERRAIN GENETIQUE DE L’HOòTE
MonoA.
C. pneumoniae
C. pneumoniae
et C. trachomatis
Chez quatre de ces patients (1 PR, 1 SpA et 2 arthrites inclassées), les PCR étaient également positives pour Mycoplasma
fermentans.
La Lettre du Rhumatologue - no 248 - janvier 1999
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L’INTEREòT PRATIQUE DES SERODIAGNOSTICS EST DISCUTE
Goldbach-Mansky et coll. (692), dans leur étude déjà
mentionnée plus haut, n’ont retrouvé aucune corrélation
entre la sérologie (IgM et IgG) pour C. trachomatis et la persistance articulaire de la bactérie attestée par les résultats de la
PCR sur le liquide synovial. Aucune différence significative
n’a été observée dans la séroprévalence pour C. trachomatis
entre les trois groupes de PR (n = 60), spondylarthropathies
(n = 19) et arthrites inclassées (n = 41).
En complément de ce travail, les mêmes auteurs (693) ont
recherché une corrélation entre les sérologies des bactéries
habituellement incriminées dans les arthrites réactionnelles et
les symptômes cliniques relatés par les patients, sur une
cohorte de 203 patients, dont 85 PR, 37 spondylarthropathies
et 81 arthrites inclassées. Des symptômes digestifs à type de
diarrhée fébrile étaient significativement plus fréquents dans
le groupe spondylarthropathies que dans les groupes PR ou
arthrites inclassées (respectivement 64 %, 47 % et 30 %, p =
0,002). La séroprévalence pour les germes intestinaux (salmonelles, Shigella, Yersinia et Campylobacter) était significativement plus élevée dans le groupe des arthrites inclassées que
dans les groupes PR et spondylarthropathies (41 %, 26 % et
32 %, p < 0,01), et n’était positive que chez 42 % des patients
ayant signalé une diarrhée fébrile. Alors que les symptômes
uro-génitaux étaient plus fréquemment observés dans le
groupe spondylarthropathies que dans les groupes PR et
arthrites inclassées (32 %, 15 % et 4 %, p < 0,01), il n’y avait
aucune différence dans la séroprévalence pour C. trachomatis
entre les trois groupes (27 %, 35 % et 32 %), et, chez les patients
relatant des symptômes uro-génitaux, la sérologie pour C.
trachomatis était plus souvent positive dans le groupe PR que
dans les groupes spondylarthropathies et arthrites inclassées
(56 %, 12 %, 0 %, p < 0,01). Aucune corrélation n’a été trouvée
entre l’un des sérodiagnostics et le taux de rémission à un an.
COLONISATION DES CELLULES SYNOVIALES PAR LES ENTEROBACTERIES
Dans une magnifique étude en microscopie électronique,
Meyer-Bahlburg et coll. (706) montrent comment, in vitro tout
au moins, Yersinia et Salmonella adhèrent à la membrane de la
cellule synoviale, puis induisent une invagination de cette
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membrane qui leur permet de gagner le cytosol au sein d’une
vésicule d’endocytose. En une heure de culture, une forte
proportion des bactéries a ainsi pénétré dans les synoviocytes.
Peu de temps après la pénétration intracellulaire, une phase de
réplication bactérienne commence, aboutissant à des agglomérats bactériens au sein de phagosomes. Cependant, dès le
deuxième jour de culture, on observe des signes de dégradation des bactéries, dont l’ADN s’agrège et dont la paroi forme
des bulles aboutissant à la formation de fantômes bactériens
(paroi et membrane bactérienne ne contenant pas d’ADN) qui
sont libérés dans le cytosol. Des bactéries viables sont
toujours présentes après une semaine de culture. Ce travail
illustre parfaitement les hypothèses communément admises
concernant la physiopathologie des arthrites réactionnelles :
persistance d’un faible contingent de bactéries vivantes, sous
une forme quiescente, et dispersion de matériel antigénique
bactérien susceptible d’entretenir la réaction inflammatoire.
SYNTHESE
Ainsi, il ressort de ces travaux que la synoviale n’est pas le
milieu stérile que l’on croyait. Les puissants outils de détection moléculaire dont nous disposons permettent de détecter
la présence de constituants bactériens dans des prélèvements
synoviaux de patients atteints de divers rhumatismes inflammatoires, mais également au cours d’arthroses ou chez des
volontaires sains. Les discussions avec les auteurs de ces différentes communications faisaient ressortir que, dans l’avenir, il
ne serait plus possible de se satisfaire de détecter la présence
de séquences nucléotidiques bactériennes sans coupler ces
recherches à l’étude de la réponse immune vis-à-vis des microorganismes identifiés.
L’hypothèse qui prévaut actuellement est la suivante : des
germes seraient régulièrement véhiculés jusqu’à l’articulation
par des cellules de la lignée monocytaire, et pourraient y
demeurer sous une forme quiescente. Chez des sujets génétiquement prédisposés, et probablement sous l’influence de
différents autres facteurs, ces germes peuvent induire et entretenir localement une réaction immunitaire complexe qui
conduit à l’arthrite. Le masque clinique que prend cette arthrite peut varier en fonction de l’addition de ces différents
facteurs, certains liés au germe, d’autres, apparemment plus
importants, liés à la génétique de l’hôte.
y
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