NOIR BLEU ROUGE JAUNE
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La Lettre du Rhumatologue - n
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248 - janvier 1999
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RTHRITES ET INFECTIONS
Les arthrites associe´es aux infections
x
T. Schaeverbeke
Points forts
yLa de´tection d’ADN bacte´rien dans l’articulation ne
signifie pas que le germe a une implication quelconque
dans la pathologie articulaire : l’ADN de Chlamydia
trachomatis apueˆtre de´tecte´ dans la synoviale de volon-
taires sains et chez des patients arthrosiques.
yPlusieurs germes peuvent eˆtre simultane´ment
retrouve´s dans une meˆme articulation.
yLa pre´sence de Chlamydia trachomatis dans l’arti-
culation semble associe´e au phe´notype B27, quel que soit
le cadre nosologique de l’arthrite.
yInte´reˆt de l’e´tude de la re´ponse immune vis-a`-vis des
micro-organismes identifie´s dans l’articulation.
yL’utilite´desse´rodiagnostics des arthrites re´action-
nelles est remise en question.
L
es communications ont a` nouveau e´te´ nombreuses
sur ce chapitre de la rhumatologie, mais les re´sultats
des travaux pre´sente´s, qui sont globalement concor-
dants, montrent que les choses sont plus complexes que ce
que l’on avait envisage´ jusqu’a`pre´sent.
Bref historique
De 1990 a` 1995. L’application des techniques de biologie mole´-
culaire (PCR, hybridation mole´culaire...) a permis de de´tecter
de l’ADN bacte´rien dans des e´chantillons synoviaux de
patients porteurs d’arthrites conside´re´es jusqu’a`pre´sent
comme aseptiques. Les premiers re´sultats concernaient l’arth-
rite re´actionnelle, ce qui n’est finalement pas si e´tonnant,
compte tenu du lien bien e´tabli entre ces arthrites et certaines
infections ge´nitales et intestinales. De l’ADN bacte´rien a
ensuite e´te´misene´vidence dans d’autres arthrites : arthrites
inclasse´es, spondylarthropathies pe´riphe´riques, polyarthrite
rhumatoı¨de et arthrite chronique juve´nile. Diffe´rents travaux
(RT-PCR notamment) ont par ailleurs laisse´ entendre que la
bacte´rie e´tait vivante au sein de l’articulation, en tre`s petit
nombre cependant, et sous une forme peu re´plicative. Ainsi
est ne´ le concept d’arthrite bacte´rienne a` croissance lente.
De 1996 a` 1997. Diffe´rents travaux ont montre´ que l’ADN
d’une meˆme bacte´rie peut eˆtre retrouve´dansdespre´le`ve-
ments articulaires au cours de situations pathologiques diffe´-
rentes : Chlamydia trachomatis a ainsi e´te´de´tecte´dansdes
arthrites re´actionnelles, mais e´galement dans des arthrites
inclasse´es et, de fac¸on plus surprenante, au cours de polyarth-
rites rhumatoı¨des ; des mycoplasmes ont e´te´misene´vidence
dans des polyarthrites rhumatoı¨des, des spondylarthropathies
pe´riphe´riques, des arthrites inclasse´es et des arthrites re´ac-
tionnelles... Deux questions se posent alors :
1. Un meˆme germe peut-il de´clencher plusieurs affections
articulaires ?
2. Ces bacte´ries, ou au moins certaines d’entre elles, ne pour-
raient-elles pas constituer d’“innocents badauds” (innocent
bystanders), ve´hicule´s jusqu’a` l’articulation par des mono-
cytes, mais n’ayant aucun roˆledanslede´clenchement ou
l’entretien de l’arthrite ?
Les travaux publie´s au congre`s de l’ACR 1998 apportent plus
de questions nouvelles que d’authentiques re´ponses...
L’ARTICULATION N’EST PAS UN MILIEU STERILE
Schumacher avait de´ja` rapporte´, l’an dernier, la de´tection
d’ADN de C. trachomatis dans du tissu synovial pre´leve´ chez
un volontaire sain (femme de 25 ans ayant une se´rologie
chlamydienne positive). Ce travail a e´te´ poursuivi et e´tendu a`
des patients arthrosiques. L’ADN de C. trachomatis a ainsi pu
eˆtre de´tecte´parWang et coll. (1271) dans le tissu synovial de
2 volontaires sains sur 30, et de 6 patients arthrosiques sur
20 (soit 30 %) ! Ce chiffre paraıˆt cependant e´norme,auvudela
pre´valence des infections chlamydiennes dans la population
ge´ne´rale. D’autre part, seules les amorces utilisant l’ADN
plasmidique ou celui du ge`ne de l’ARNr16S ont donne´un
produit d’amplification. Les PCR utilisant les amorces ciblant
le ge`ne de la MOMP se sont toujours re´ve´le´es ne´gatives.
Ainsi, de l’ADN bacte´rien paraıˆt pouvoir eˆtre de´tecte´dans
l’articulation de patients indemnes de toute pathologie arti-
culaire, ou de patients pre´sentant une arthrose, pathologie
n’ayant a`le´vidence pas une origine infectieuse. La simple
de´tection d’ADN bacte´rien dans l’articulation ne permet donc
pas d’affirmer un lien entre la bacte´rie et l’arthropathie. Peut-
on pour autant conclure que ces re´sultats sont en faveur de
l’hypothe`se de l’“innocent badaud” ? Dans la totalite´des
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e´tudes rapporte´es, la proportion de patients chez qui de
l’ADN bacte´rien est identifie´ dans la synoviale est toujours
beaucoup plus importante dans les groupes de patients
porteurs de rhumatismes inflammatoires que dans les groupes
d’arthrosiques ou de sujets normaux. L’hypothe`se la plus
se´duisante est que des bacte´ries intracellulaires ou adhe´rentes
a` la membrane de cellules monocytaires peuvent eˆtre ve´hi-
cule´es par ces cellules jusque dans la synoviale, ou` elles
n’induiront une arthrite que dans des situations particulie`res :
terrain ge´ne´tique de susceptibilite´delhoˆte, facteurs de viru-
lence de certaines souches bacte´riennes...
PLUSIEURS GERMES PEUVENT EòTRE DETECTES SIMULTANE-
MENT AU SEIN D’UNE ARTICULATION
Plusieurs travaux font e´tat de l’identification de l’ADN de
deux germes diffe´rents dans un meˆme pre´le`vement arti-
culaire.
Schumacher et coll. (702) ont recherche´lADNdeC. pneumo-
niae et de C. trachomatis sur 212 e´chantillons synoviaux
(liquides ou biopsies) de patients porteurs d’arthropathies
diverses. Les re´sultats, re´sume´s dans le tableau I, font appa-
raıˆtre que les deux germes ont e´te´de´tecte´s conjointement
chez trois patients porteurs d’une arthrite re´actionnelle et
chez un patient pre´sentant une PR.
Tableau I. ADN de C. pneumoniae et C. trachomatis dans diverses
arthropathies (702).
Arthrite
PR AI MonoA. Sujet
re´action- normal
nelle
n 454380 5 24
C. pneumoniae 5(11%) 6(14%) 7(9%) 4(80%) 0
C. trachomatis 33 (73 %) 20 (53 %) 13 (16 %) 0 2 (2 %)
C. pneumoniae
et C. trachomatis 32000
Putschky et coll. (697) ont effectue´ des PCR pour C. tracho-
matis et Borrelia burgdorferi sur le liquide synovial de 76 ar-
thrites inclasse´es. Vingt-deux pre´le`vements (29 %) se sont
re´ve´le´s positifs pour l’un ou l’autre de ces germes, tandis que
six(8%)dentreeuxe´taient positifs pour les deux bacte´ries.
Ces six patients avaient une oligoarthrite chronique, et quatre
d’entre eux avaient une histoire clinique compatible ainsi que
des se´rologies positives pour les deux germes, alors que les
deux derniers n’avaient qu’une se´rologie chlamydienne
positive.
Schaeverbeke et coll. (1663) de´tectent l’ADN de Mycoplasma
pneumoniae dans le liquide synovial de six patients sur 45 :
1/7 PR, 2/5 SpA indiffe´rencie´es, 3/6 arthrites inclasse´es.
Chez quatre de ces patients (1 PR, 1 SpA et 2 arthrites inclas-
se´es), les PCR e´taient e´galement positives pour Mycoplasma
fermentans.
LA PRESENCE D’UNE BACTERIE DANS L’ARTICULATION N’EST
PAS ASSOCIEE A UNE PATHOLOGIE ARTICULAIRE DONNEE,
MAIS AU TERRAIN GENETIQUE DE L’HOòTE
Plusieurs e´tudes ont confirme´ les travaux pre´ce´dents
montrant qu’un meˆme germe peut eˆtre de´tecte´danslarti-
culation au sein d’arthrites re´actionnelles, d’arthrites inclas-
se´es ou de PR. L’une d’entre elles fournit un re´sultat parti-
culie`rement inte´ressant.
Goldbach-Mansky et coll. (692) ont recherche´lADNdeC.
trachomatis par PCR dans les pre´le`vements synoviaux de
150 patients, dont 60 (40 %) pre´sentaient une PR, 28 (19 %) une
spondylarthropathie et 62 (41 %) une arthrite inclasse´e. La
PCR s’est re´ve´le´e positive chez 10 patients atteints de PR, 8 de
spondylarthropathie et 10 d’arthrite inclasse´e. La pre´valence
de l’ADN de C. trachomatis n’e´tait pas diffe´rente entre ces
trois pathologies. En revanche, la recherche d’une corre´lation
avec le groupe HLA faisait nettement ressortir une association
entre la pre´sence de C. trachomatis et le groupe HLA B27,
toutes maladies confondues (10/28 versus 11/122, odds-
ratio = 5,6, p <0,001). Aucune autre association significative
n’e´tait retrouve´e avec les autres groupes du locus B ou des
locus A et DR.
L’ETUDE DE LA REPONSE IMMUNE VIS-A-VIS DES ORGA-
NISMES IDENTIFIES CREDIBILISE LES TRAVAUX DE DETECTION
Horowitz et coll. (1274) ont e´tudie´leroˆle potentiel de Myco-
plasma fermentans dans diverses arthropathies : PR (n = 38),
arthrites inclasse´es (n = 8), arthrites re´actionnelles (n = 9),
autres arthrites inflammatoires (n = 8) et 32 arthropathies
microcristallines, de´ge´ne´ratives ou post-traumatiques. Les
se´rums de 102 donneurs de sang ont e´galement e´te´ analyse´s.
L’ADN de la bacte´rie a e´te´ recherche´ sur le liquide synovial
parPCR,etlare´ponse immunitaire a e´te´e´value´e par un se´ro-
diagnostic applique´ause´rum et au liquide articulaire. L’ADN
de M. fermentans ae´te´misene´vidence dans six des 34 pre´le`ve-
ments de PR disponibles (18 %), dans une des sept arthrites
inclasse´es (14 %), et dans aucun des 34 autres pre´le`vements.
La se´ropre´valence pour trois antige`nes de M. fermentans
n’e´tait pas significativement diffe´rente dans les divers
groupes. Cependant, dans 47 % des liquides synoviaux de PR,
les taux d’anticorps e´taient plus e´leve´s que les taux se´riques,
contre 7,5 % des autres arthropathies (p = 0,0002).
Ces re´sultats sugge`rent une production locale, intra-articulaire
d’anticorps anti-M. fermentans, renforc¸ant l’hypothe`se d’un
roˆle immunoge`ne de cette bacte´rie dans la synoviale rhuma-
toı¨de.
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L’INTEREòT PRATIQUE DES SERODIAGNOSTICS EST DISCUTE
Goldbach-Mansky et coll. (692), dans leur e´tude de´ja`
mentionne´e plus haut, n’ont retrouve´ aucune corre´lation
entre la se´rologie (IgM et IgG) pour C. trachomatis et la persis-
tance articulaire de la bacte´rie atteste´e par les re´sultats de la
PCR sur le liquide synovial. Aucune diffe´rence significative
n’a e´te´ observe´e dans la se´ropre´valence pour C. trachomatis
entre les trois groupes de PR (n = 60), spondylarthropathies
(n = 19) et arthrites inclasse´es (n = 41).
En comple´mentdecetravail,lesmeˆmes auteurs (693) ont
recherche´ une corre´lation entre les se´rologies des bacte´ries
habituellement incrimine´es dans les arthrites re´actionnelles et
les symptoˆmes cliniques relate´s par les patients, sur une
cohorte de 203 patients, dont 85 PR, 37 spondylarthropathies
et 81 arthrites inclasse´es. Des symptoˆmes digestifs a` type de
diarrhe´e fe´brile e´taient significativement plus fre´quents dans
le groupe spondylarthropathies que dans les groupes PR ou
arthrites inclasse´es (respectivement 64 %, 47 % et 30 %, p =
0,002). La se´ropre´valence pour les germes intestinaux (salmo-
nelles, Shigella, Yersinia et Campylobacter) e´tait significative-
ment plus e´leve´e dans le groupe des arthrites inclasse´es que
dans les groupes PR et spondylarthropathies (41 %, 26 % et
32 %, p <0,01), et n’e´tait positive que chez 42 % des patients
ayant signale´ une diarrhe´e fe´brile. Alors que les symptoˆmes
uro-ge´nitaux e´taient plus fre´quemment observe´s dans le
groupe spondylarthropathies que dans les groupes PR et
arthrites inclasse´es (32 %, 15 % et 4 %, p <0,01), il n’y avait
aucune diffe´rence dans la se´ropre´valence pour C. trachomatis
entre les trois groupes (27 %, 35 % et 32 %), et, chez les patients
relatant des symptoˆmes uro-ge´nitaux, la se´rologie pour C.
trachomatis e´tait plus souvent positive dans le groupe PR que
dans les groupes spondylarthropathies et arthrites inclasse´es
(56 %, 12 %, 0 %, p <0,01). Aucune corre´lation n’a e´te´ trouve´e
entre l’un des se´rodiagnostics et le taux de re´mission a`unan.
COLONISATION DES CELLULES SYNOVIALES PAR LES ENTERO-
BACTERIES
Dans une magnifique e´tude en microscopie e´lectronique,
Meyer-Bahlburg et coll. (706) montrent comment, in vitro tout
au moins, Yersinia et Salmonella adhe`rent a`lamembranedela
cellule synoviale, puis induisent une invagination de cette
membrane qui leur permet de gagner le cytosol au sein d’une
ve´sicule d’endocytose. En une heure de culture, une forte
proportion des bacte´ries a ainsi pe´ne´tre´ dans les synoviocytes.
Peu de temps apre`s la pe´ne´tration intracellulaire, une phase de
re´plication bacte´rienne commence, aboutissant a` des agglo-
me´rats bacte´riens au sein de phagosomes. Cependant, de`s le
deuxie`me jour de culture, on observe des signes de de´grada-
tion des bacte´ries, dont l’ADN s’agre`ge et dont la paroi forme
des bulles aboutissant a` la formation de fantoˆmes bacte´riens
(paroi et membrane bacte´rienne ne contenant pas d’ADN) qui
sont libe´re´s dans le cytosol. Des bacte´ries viables sont
toujours pre´sentes apre`s une semaine de culture. Ce travail
illustre parfaitement les hypothe`ses commune´ment admises
concernant la physiopathologie des arthrites re´actionnelles :
persistance d’un faible contingent de bacte´ries vivantes, sous
une forme quiescente, et dispersion de mate´riel antige´nique
bacte´rien susceptible d’entretenir la re´action inflammatoire.
SYNTHESE
Ainsi, il ressort de ces travaux que la synoviale n’est pas le
milieu ste´rile que l’on croyait. Les puissants outils de de´tec-
tion mole´culaire dont nous disposons permettent de de´tecter
la pre´sence de constituants bacte´riens dans des pre´le`vements
synoviaux de patients atteints de divers rhumatismes inflam-
matoires, mais e´galement au cours d’arthroses ou chez des
volontaires sains. Les discussions avec les auteurs de ces diffe´-
rentes communications faisaient ressortir que, dans l’avenir, il
ne serait plus possible de se satisfaire de de´tecter la pre´sence
de se´quences nucle´otidiques bacte´riennes sans coupler ces
recherches a`le´tude de la re´ponse immune vis-a`-vis des micro-
organismes identifie´s.
L’hypothe`se qui pre´vaut actuellement est la suivante : des
germes seraient re´gulie`rement ve´hicule´s jusqu’a` l’articulation
par des cellules de la ligne´e monocytaire, et pourraient y
demeurer sous une forme quiescente. Chez des sujets ge´ne´ti-
quement pre´dispose´s, et probablement sous l’influence de
diffe´rents autres facteurs, ces germes peuvent induire et entre-
tenir localement une re´action immunitaire complexe qui
conduit a` l’arthrite. Le masque clinique que prend cette arth-
rite peut varier en fonction de l’addition de ces diffe´rents
facteurs, certains lie´s au germe, d’autres, apparemment plus
importants, lie´s a`lage´ne´tique de l’hoˆte. y
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