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Mise au point
Mise au point (II)
expression émotionnelle (ce qui est fré-
quent chez la personne âgée). Les
dépressions masquées, définissant des
“dépressions sans dysphorie”, pour-
raient obéir à ce schéma. On pourrait
considérer que ces syndromes ne sont
que des traductions symptomatiques
d’un trouble plus large, moteur, affectif
et motivationnel, qui pourrait privilégier
selon les cas telle ou telle composante.
Il semble que l’apathie au cours des
démences pourrait résulter d’une inter-
action particulière entre la dépression et
le processus détérioratif.
Sur un plan neuropsychologique, les
patients apathiques ont des déficits dans
les fonctions exécutives significative-
ment plus marqués que dans la dépres-
sion. Ces déficits peuvent expliquer les
difficultés d’adaptation à la vie quoti-
dienne tant dans l’initiation de l’action
que dans les stratégies pour faire face à
leurs éventuels handicaps.
Ces éléments soulignent la faible spéci-
ficité de l’apathie et de la dépression,
syndromes fréquents qui sont suscep-
tibles d’avoir des liens particuliers dans
plusieurs pathologies du sujet âgé qui
peuvent se succéder, mais qui doivent
être distingués.
La physiopathologie des troubles affec-
tifs et comportementaux du sujet âgé est
complexe, faisant intervenir des fac-
teurs de personnalité, socio-familiaux et
environnementaux. Les mécanismes
neuropsychologiques de la motivation
et de ses troubles sont actuellement
mieux connus, et reposent notamment
sur des dysfonctionnements de circuits
fronto-sous-corticaux. Dans l’apathie
comme dans la dépression, trois circuits
peuvent être altérés soit par des atteintes
directes très localisées, soit par un pro-
cessus diffus : circuit dorso-latéral,
orbito-frontal et cingulaire antérieur. Le
cortex cingulaire est particulièrement
impliqué dans l’apathie, car il s’agit
d’une zone de connexion entre des affé-
rences motivationnelles du système lim-
bique, des efférences du système viscé-
ral et musculaire et de nombreux circuits
qui entrent en jeu dans la cognition. Les
conséquences neurochimiques sont mul-
tiples. Dans la maladie d’Alzheimer
(MA), le processus dégénératif est mul-
tifocal. Il induit des dysfonctions des
circuits sous-cortico-frontaux, soit
directement, soit par déconnexion de
certaines voies monoaminergiques. Il
est maintenant connu que la sérotonine
et la noradrénaline jouent un rôle
important dans la physiopathologie de
la dépression. Les voies dopaminer-
giques seraient peut-être plus impli-
quées dans les syndromes apathiques.
Le rôle de l’acétylcholine est également
très étudié, à propos des traitements des
troubles cognitifs de la MA : il est
démontré que les médicaments choli-
nergiques, s’ils n’améliorent pas tou-
jours de façon significative les perfor-
mances cognitives réduisent surtout les
troubles du comportement et, en parti-
culier, l’apathie. Quant à l’action sur la
sérotonine telle qu’elle est réalisée par
les inhibiteurs de la recapture de la séro-
tonine et les antidépresseurs sérotoniner-
giques, il y a, là aussi, des arguments
pour penser qu’elle est efficace, au
moins partiellement, sur certaines com-
posantes de l’apathie.
La perte de motivation du sujet âgé a des
conséquences fonctionnelles majeures
dans la vie quotidienne. Elle augmente la
charge de travail, les difficultés et le
risque dépressif des aidants, de manière
peut-être encore plus marquée pour l’apa-
thie que pour la dépression, dans la mesure
où l’apathie soumet l’aidant à une charge
supplémentaire. Les relations affectives
entre le patient et l’aidant peuvent s’alté-
rer, devenant source de conflits, voire de
violence et de maltraitance. L’ensemble de
ces conséquences fonctionnelles accélère
le placement en institution alors que des
mesures thérapeutiques adaptées peuvent
être efficaces sur la qualité de vie des
personnes âgées et de leurs proches. ■
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