plate-forme Plate-Forme P. Niclot* Service de neurologie, hôpital Bichat, Paris. La chirurgie carotidienne : conditions d’application Par ailleurs, la coexistenCet état de fait est doublece fréquente de causes ment regrettable : es sténoses carotidiennes expliquant moins de 10 % multiples oblige à effec✓ Le traitement des stédes infarctus cérébraux (1), les neurologues sont rare- tuer un bilan complet noses carotides symptoment amenés à poser une indication d’endartériectomie devant un accident matiques est aujourd’hui ischémique : une fibrillacarotidienne. Ce d’autant que les sténoses carotides bien codifié, grâce aux tion auriculaire, une carrésultats largement asymptomatiques sont le plus souvent prises en charge diopathie ischémique, une concordants des essais sans aucune expertise neurologique. sténose intracrânienne NASCET et ECST. Il n’en peuvent coexister avec est pas de même pour les une sténose carotidienne. sténoses asymptoIl s’agit bien d’un rôle de conseiller La présence de causes annexes d’infarcmatiques, pour lesquelles nous ne dispoconcernant un acte de prévention avec un tus cérébral chez un patient conduisait à sons que du seul essai ACAS, dont les risque immédiat pour un bénéfice à long l’exclure des essais thérapeutiques. En résultats ne font pas l’objet d’un consenterme, la décision finale appartenant au pratique clinique, dans une telle situasus (2). Le neurologue, étant le plus apte patient. Cette revue aborde les questions tion, il est préférable d’évaluer le risque à poser le diagnostic d’accident ischéles plus courantes rencontrées en prapropre conféré par chaque cause potenmique cérébral (3), a donc un rôle pritique quotidienne. tielle d’infarctus cérébral afin d’attribuer mordial dans l’appréciation de l’indical’accident à celle conférant le risque le tion opératoire (4) et dans l’évaluation plus élevé, ce qui permet d’adapter le des complications neurologiques de la traitement en conséquence. procédure, les chirurgiens ayant tendance à sous-estimer d’un facteur 2 à 3 les événements neurologiques postopératoires (5). ✓ N’ayant pas de conflit d’intérêts avec Une sténose carotidienne symptomale patient, il est le plus à même de lui tique est définie par l’existence d’un apporter une information précise et indéaccident ischémique transitoire (AIT) ou pendante sur le risque spontané d’infarcconstitué dans le territoire d’aval. Il tus cérébral, l’objectif de l’endartériectos’agit d’une définition clinique, dont mie et ses complications éventuelles (4). sont exclus les accidents ischémiques du Compte tenu des incertitudes sur le territoire carotidien controlatéral ou verbénéfice de la chirurgie des sténoses tébro-basilaire et les démences. La diffiasymptomatiques, il n’y a pas de justi*Philippe Niclot est neurologue, attaché à culté à attribuer certains symptômes fication à les dépister en l’absence temps plein dans le service de neurologie (dysarthrie, trouble visuel…) à un terrid’accident ischémique carotidien. En du Pr Amarenco à l’hôpital Bichat où il a toire précis peut nécessiter une IRM de particulier, en l’absence de bénéfice particulièrement travaillé sur la place des diffusion pour localiser le siège des démontré de la chirurgie carotidienne anticoagulants à la phase aiguë des accilésions. dents vasculaires cérébraux. dans la prévention des infarctus céré- L Qu’est-ce qu’une sténose carotidienne symptomatique ? Quand et comment faut-il détecter une sténose carotidienne symptomatique ? Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 1, janvier 2002 135 plate-forme Plate-Forme braux postopératoires, il n’y a pas de raison d’envisager ce dépistage avant une chirurgie majeure, cardiaque ou vasculaire notamment. En revanche, il est nécessaire d’effectuer un écho-doppler cervical devant tout accident ischémique du territoire carotidien d’évolution favorable. En effet, les données cliniques sont trop peu sensibles pour restreindre le dépistage de la sténose à une fraction des patients (6). Cette recherche doit se faire dans la population de patients pour laquelle le bénéfice de la chirurgie carotidienne a été démontré : âge inférieur à 80 ans, absence de défaillance viscérale, de démence et infarctus cérébral n’entraînant pas de dépendance dans la vie quotidienne. Concrètement, les patients inclus dans les essais avaient une espérance de vie de 5 ans (7). La mise en évidence d’une sténose carotidienne repose sur l’exploration ultrasonore associant doppler continu, échographie et doppler pulsé couleur. La conjonction de ces examens permet de détecter les sténoses avec une excellente sensibilité : un doppler continu normal exclut la présence d’une sténose supérieure à 60 %. Comment mesurer une sténose carotidienne ? L’exploration ultrasonore, en couplant les informations hémodynamiques du doppler continu et morphologiques (rapport de surface) de l’échographie, permet de mesurer le degré de sténose de manière précise. Cependant, les résultats dépendent de l’examinateur, et certaines situations (sténoses calcifiées, bifurcation carotidienne haute, sténose pseudoocclusive…) conduisent à des difficultés d’interprétation. Pour ces raisons, il est nécessaire de coupler aux ultrasons une autre exploration non invasive : Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 1, janvier 2002 imagerie par résonance magnétique en temps de vol ou après injection de gadolinium, angio-scanner hélicoïdal. La concordance des deux méthodes permet d’apprécier au mieux le degré de sténose. Concrètement, cette stratégie nécessite de bien connaître les divers intervenants effectuant les examens et de tenir compte des limites de ces explorations : les sténoses pseudo-occlusives peuvent être prises pour des occlusions, aussi bien par l’écho-doppler que par l’angiographie par résonance magnétique (8) ; les sténoses de sévérité moyenne (environ 70-80 %) sont celles où la reproductibilité interobservateur de la mesure est la moins bonne (9), et ce pour toutes les méthodes radiologiques : on risque alors, en cas de surestimation du degré de sténose, de poser à tort une indication opératoire (voir infra). Dans cette situation, comme lorsque les explorations sont discordantes, force est de recourir à l’angiographie intra-artérielle si l’on est certain de faire une endartériectomie en cas de sténose serrée. Celle-ci exposant à un risque de 1 % de complications neurologiques ne doit donc plus être systématique. Mieux vaut adresser le patient à une équipe disposant des explorations non invasives que faire d’emblée une angiographie intra-artérielle, parce qu’elle seule est disponible sur place. Sur quels critères envisager l’endartériectomie pour une sténose carotidienne symptomatique ? Les résultats finaux des études NASCET et ECST montrent que l’on peut séparer les patients en trois groupes, selon leur degré de sténose : – les sténoses supérieures à 85-90 % (selon la méthode de mesure européen- 136 ne) confèrent un risque d’infarctus cérébral d’environ 25 % à deux ans, ce qui permet, lorsque le risque chirurgical est inférieur à 6-7 %, de prévenir un infarctus cérébral pour 6 patients opérés. Dans ce groupe de patients, le bénéfice existe chez l’homme et chez la femme, que l’accident ischémique soit rétinien ou cérébral, transitoire ou constitué (7, 10) ; – les sténoses “intermédiaires”, comprises entre 70-75 % et 85-90 %, confèrent un risque nettement plus faible d’infarctus cérébral, estimé à 22 % à 5 ans (11, 12). Lorsque le risque chirurgical est inférieur à 6-7 %, il est nécessaire d’opérer 15 patients pour prévenir un infarctus cérébral à cinq ans. Le bénéfice de la chirurgie est donc moindre. De plus, il n’est pas retrouvé chez tous les patients : les femmes et les sujets ayant présenté un accident rétinien ne bénéficient plus de l’intervention ; – les sténoses de degré inférieur à 7075 % ne doivent pas être opérées, la chirurgie n’apportant aucun bénéfice par rapport au traitement médical. Les trois éléments essentiels permettant d’évaluer le risque spontané d’infarctus cérébral sont donc le degré de sténose, le sexe du patient et le type d’accident ischémique. Dans le groupe des sténoses supérieur à 85-90 %, de multiples facteurs de risque ont été évalués au cours d’une analyse pré-spécifiée de l’essai NASCET : sexe masculin, âge supérieur à 70 ans, hypertension artérielle, tabagisme, diabète, hyperlipidémie, coronaropathie, insuffisance cardiaque, aspect “ulcéré” de la sténose à l’angiographie, sténose supérieure à 90 %, accident ischémique datant de moins de 30 jours, enfin caractère constitué de l’accident ischémique. Lorsque, au plus, 5 de ces facteurs sont présents, le risque d’infarctus cérébral est seulement de 17 % à deux ans, alors qu’il atteint 39 % lorsque 7 facteurs ou plus sont retrouvés (7). plate-forme Plate-Forme Pour les sténoses “intermédiaires”, un accident ischémique constitué et non transitoire est associé à un plus grand bénéfice de la chirurgie (12). De nombreuses analyses secondaires se sont attachées à individualiser d’autres facteurs susceptibles d’augmenter le risque d’infarctus cérébral. Comme elles ont été effectuées a posteriori, elles n’ont de valeur qu’indicative et ne sont pas détaillées. Quel est le taux de complications postopératoires et quels sont leurs facteurs de risque ? Dans les essais NASCET et ECST, le risque de décès ou d’accident vasculaire cérébral postopératoire était de 6,5 et 7,5 %, soit deux à trois fois plus élevé que dans les essais consacrés aux sténoses asymptomatiques : le premier facteur de risque de complications opératoires est le caractère symptomatique de la sténose. Les autres facteurs de risque identifiés avec certitude sont la nature cérébrale et non rétinienne de l’accident ischémique et la présence d’une occlusion carotidienne controlatérale (13, 14). Ces deux facteurs augmentent également le risque d’infarctus cérébral sous traitement médical et n’aident donc guère à prendre une décision. D’autres facteurs, bien que plausibles, ne font pas l’objet d’un consensus, car ils n’ont pas été mis en évidence dans toutes les études : le sexe féminin, l’âge supérieur à 75 ans, une artériopathie des membres inférieurs (13), une hypodensité au scanner (14). Enfin, un facteur majeur n’est pas apparent dans les essais, l’expérience de l’équipe chirurgicale, bien mis en évidence par les études de faisabilité, où l’augmentation du volume d’actes par chirurgien et par centre est associée à une baisse du risque de complications (15). Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 1, janvier 2002 Le risque de complications cardiaques a été minimisé par le respect des contreindications : dans l’essai NASCET, un angor instable, un infarctus du myocarde de moins de 6 mois, une insuffisance cardiaque non équilibrée, une hypertension non équilibrée étaient des contreindications temporaires à l’endartériectomie (16). Que faire lorsque le patient ne remplit pas l’ensemble des critères d’inclusion des essais ? Le respect de l’ensemble des critères d’inclusion et d’exclusion des essais est indispensable pour opérer les patients à haut risque d’infarctus cérébral tout en minimisant le risque opératoire. L’ensemble des études de faisabilité réalisées depuis la publication des essais randomisés a montré que leur non-respect exposait à un risque accru de complications (17). En présence de comorbidités sévères, une intervention périlleuse dans un but de prévention à long terme est hautement discutable. Plutôt que se fonder sur les progrès de l’anesthésie et de la chirurgie (progrès certains, mais dont l’impact sur la morbi-mortalité postopératoire n’est pas formellement démontré) pour décider d’une opération, il vaut mieux se rappeler que les niveaux de risque d’infarctus cérébral cités plus haut ont été observés chez des patients recevant pour tout traitement de l’aspirine et éventuellement un anti-hypertenseur. Les progrès spectaculaires réalisés dans les traitements de l’athérosclérose (antiplaquettaires, statines, inhibiteurs de l’enzyme de conversion) laissent penser que le risque d’infarctus cérébral peut être, aujourd’hui, notablement diminué par le traitement médical, ce qui permet de surseoir à une intervention hasardeuse. Une surveillance neurologique sous un 137 traitement médical “maximal” est certainement préférable à la réalisation d’une angioplastie carotidienne qui, dans l’état actuel des choses, est un acte non validé réservé à la recherche clinique. Quand opérer une sténose symptomatique ? Il n’existe pas de réponse précise à cette question pourtant capitale, les essais thérapeutiques ayant randomisé les patients tardivement après l’accident ischémique (30 à 40 jours en moyenne) ne sont ici d’aucun secours. Le risque de récidive d’infarctus cérébral étant maximal dans le mois suivant l’événement initial, la réponse de bon sens est d’opérer le plus tôt possible. Concrètement, cela signifie en urgence (dans les 24 heures) en cas d’AIT crescendo et très rapidement en cas d’AIT isolé. En revanche, il n’y a pas de consensus lorsqu’il existe un déficit constitué avec hypodensité au scanner. En cas de rupture de barrière hématoencéphalique, il est habituel de contrôler sa disparition par un scanner réalisé après quelques semaines avant d’intervenir. Certains proposent une opération plus précoce, lorsque l’hypodensité est peu étendue et la rupture de barrière minime ou absente. La présence d’un thrombus mural en regard de la sténose n’est pas une contre-indication opératoire : au contraire, sa présence, étant associée à un risque accru d’infarctus cérébral à court terme, incite à opérer rapidement. Et les sténoses asymptomatiques ? Dans cette indication, la chirurgie a été évaluée et trouvée efficace dans un seul essai, pour les sténoses supérieures à plate-forme Plate-Forme 80 % (méthode européenne de mesure) (18). Le risque d’infarctus cérébral homolatéral à la sténose étant de 2-3 % par an, il faut opérer 20 patients pour prévenir un infarctus cérébral à 5 ans. Le bénéfice est modeste, puisqu’il n’existe pas de diminution des infarctus invalidants. De plus, son application est restreinte, puisque les femmes, qui ont un risque d’infarctus cérébral plus faible et un risque opératoire plus élevé, ne retirent pas de bénéfice de la chirurgie. En dehors du sexe masculin, aucun facteur augmentant le risque d’infarctus cérébral n’a été identifié. Enfin, ces résultats ont été obtenus grâce à une morbi-mortalité postopératoire inférieur à 3 % ; ce taux très faible n’a pas été reproduit au cours des études prospectives ultérieures. Ces limites expliquent que l’intérêt de la chirurgie des sténoses asymptomatiques est très discuté (2) et qu’un autre essai soit en cours (ACST), dont les résultats sont attendus pour 2004. Ces incertitudes doivent être clairement exposées au patient adressé en vue d’une intervention dans cette indication. Quel traitement médical prescrire ? Le traitement médical des patients porteurs d’une sténose carotidienne n’est pas spécifique et repose sur la correction des facteurs de risque et les antiplaquettaires. La seule restriction concerne les sujets ayant une sténose sévère avec retentissement hémodynamique intracrânien pour lesquels l’équilibration de la pression artérielle n’est pas optimal, afin d’éviter un accident ischémique hémodynamique. Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 1, janvier 2002 En cas de sténose symptomatique, l’aspirine est le traitement de première intention en attente de la chirurgie. Faut-il le remplacer par (ou lui adjoindre) de l’héparine ou une héparine de bas poids moléculaire ? Il n’existe pas de réponse à cette question, qui demande à être étayée par des essais randomisés. Références 1. Hanckey GJ et al. Treatment and secondary prevention of stroke : evidence, costs, and effects on individuals and populations. Lancet 1999 ; 354 : 1457-63. 2. Barnett HJM et al. Do the facts and figures warrant a 10-fold increase in the performance of carotid endarterectomy on asymptomatic patients ? Neurology 1996 ; 46 : 603-8. 3. Ferro JM et al. Diagnosis of transient ischemic attacks by the non-neurologist. A validation study. Stroke 1996 ; 27 : 2225-9. 4. Chaturvedi S et al. Does the neurologist add value to the carotid endarterectomy patient ? Neurology 1998 ; 50 : 610-3. 5. Rothwell PM et al. 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