Faut-il opérer les sténoses carotidiennes symptomatiques

publicité
Éditorial
Éditorial
Publié dans La Lettre du Neurologue, n° 6, vol. V - juin 2001
Faut-il opérer
les sténoses
carotidiennes
symptomatiques après
75 ans ?
S. Alamowitch*
L
es patients âgés sont les premières
victimes d’accident vasculaire cérébral (AVC). Le risque d’AVC est multiplié par 2 pour chaque décennie
après 55 ans. La prévalence des AVC
dans les pays occidentaux est proche
de 10 % chez les sujets ≥ 75 ans (1). La prévention secondaire des AVC dans cette population
est donc un enjeu important de santé publique,
qui ira en grandissant avec l’allongement de
l’espérance de vie.
La place de la chirurgie carotidienne dans la
prévention secondaire chez les patients symptomatiques avec sténoses carotidiennes a été précisée grâce à deux essais thérapeutiques randomisés, ECST (European Carotid Surgery Trial) et
NASCET (North American Symptomatic Carotid
Endarterectomy Trial) (2, 3). Débutés au milieu
des années 80 et s’étalant sur 10 ans, ces deux
essais ont porté sur près de 6 000 patients présentant un accident ischémique transitoire ou
constitué non invalidant. Tous les patients recevaient un traitement médical, avec contrôle des
facteurs de risque et traitement antithrombotique. Malgré des méthodes différentes de mesure du degré de sténose, les deux essais ont abouti à des résultats concordants. Ils ont montré
la supériorité de la chirurgie carotidienne sur
le traitement médical pour prévenir un AVC
chez les patients avec sténoses sévères (7099 %NASCET = 85-99 %ECST). Six patients devaient
être opérés pour prévenir un AVC ipsilatéral
dans les 2 ans dans NASCET et 8 dans ECST.
Les patients avec sténoses 50-69 %NASCET ou
75-84 %ECST bénéficiaient de façon plus modeste
de la chirurgie. Pour éviter un AVC ipsilatéral à
2 ans, 19 patients devaient être opérés dans NASCET. Le bénéfice du traitement dépendait des
caractéristiques du patient et de l’accident initial
(sexe, hémisphérique/rétinien…). Il n’y avait
aucun bénéfice à opérer les sténoses < 50 %NASCET
(< 75 %ECST).
La chirurgie carotidienne à partir
de 75 ans : le pour et le contre
* Service de neurologie, hôpital Tenon,
Paris.
Pour les patients ≥ 75 ans avec sténoses symptomatiques, de nombreuses incertitudes persistaient sur le bénéfice de la chirurgie carotidienne. Dans plusieurs séries chirurgicales, un âge ≥
75 ans était associé à une augmentation de la
Act. Méd. Int. - Hypertension (13), n° 7, septembre 2001
159
morbimortalité périopératoire (4). Cette notion
était suffisamment répandue pour que la plupart
des médecins, préoccupés par le souci de ne pas
nuire, préfèrent traiter médicalement les patients
âgés avec sténoses symptomatiques.
Dans ECST, un modèle prédictif suggérait que
le bénéfice de la chirurgie carotidienne augmentait avec l’âge (2). Ce modèle prédictif
reposait sur un petit nombre de patients ≥ 75
ans. Néanmoins, il pouvait faire redouter qu’en
délaissant la chirurgie carotidienne chez les
patients ≥ 75 ans, on les prive du traitement le
plus efficace pour éviter un nouvel AVC, uniquement en raison de leur âge.
Les Leçons de NASCET
Les résultats de NASCET dans le sous-groupe
des patients ≥ 75 ans permettent désormais de
clarifier leur prise en charge thérapeutique (5).
Ils concernent l’évaluation de l’efficacité de la
chirurgie à 2 ans chez les 409 patients ≥ 75 ans
au sein des 2 885 patients inclus dans NASCET.
Le bénéfice de la chirurgie carotidienne était
majeur chez les patients ≥ 75 ans avec sténose
70-99 %NASCET, avec une réduction absolue du
risque d’infarctus cérébral ipsilatéral à la sténose carotidienne à 28,9 %, correspondant à un
nombre de patients à traiter par chirurgie de 3 à
2 ans (95 % IC : 2 à 8) pour éviter un infarctus.
Pour les patients avec sténose 50-69 %NASCET, la
réduction absolue du risque d’infarctus cérébral
était également significative (17,3 %), soit un
nombre de patients à traiter de 6 (95 % IC : 4 à
15) pour éviter un infarctus.
La chirurgie carotidienne était plus bénéfique
chez les patients ≥ 75 ans que dans les deux
autres catégories d’âge (65-74 ans et < 65 ans).
L’explication de ce phénomène était liée à un
principe général de traitement : les patients à
plus haut risque d’infarctus cérébral bénéficient
plus de la chirurgie carotidienne que les patients
à faible risque, si le risque opératoire reste
acceptable. En effet, le risque d’infarctus cérébral sous traitement médical était plus important
chez les patients ≥ 75 ans, en comparaison des
patients plus jeunes. Parmi les patients ≥ 75 ans,
un sur trois avec sténose 70-99 %NASCET et un sur
quatre avec sténose 50-69 %NASCET allaient présenter un infarctus cérébral dans les 2 ans.
D’autre part, le risque postopératoire d’AVC et
Éditorial
Éditorial
Références
bibliographiques
1. American Heart Association.
2000 Heart and Stroke Statistical
Update.
2. European Carotid Surgery
Trialist’ Collaborative Group.
Randomized trial of endarterectomy for recently symptomatic carotid stenosis : final results of the
MRC European Carotid Surgery
Trial (ECST). Lancet 1998 ; 351 :
1379-87.
3. Barnett HJ, Taylor DW,
Eliasziw M et al. Benefit of carotid endarterectomy in patients
with symptomatic moderate or
severe stenosis. North American
Symptomatic Carotid Endarterectomy Trial Collaborators. N Engl
J Med 1998 ; 339 : 1415-25.
4. Rothwell PM, Slattery J,
Warlow CP. Clinical and angiographic predictors of stroke and
death from carotid endarterectomy : systematic review. Br Med J
1997 ; 315 : 1571-7.
5. Alamowitch S, Eliasziw M,
Algra A et al. Risk, causes, and
prevention of ischemic stroke in
elderly patients with symptomatic
internal-carotid-artery stenosis.
Lancet 2001 ; 357 : 1154-60.
6. Barnett HJ, Eliasziw M,
Meldrum HE. Evidence based
cardiology : Prevention of ischemic stroke. Br Med J 1999 ; 318 :
1539-43.
de mort à 30 jours était modeste chez les patients ≥
75 ans (5,2 %), légèrement inférieur à celui observé
chez les patients de 65-74 ans (5,5 %) et de moins de
65 ans (7,9 %).
Comment traduire ces résultats dans
le monde réel ?
Après tout essai thérapeutique, il est licite de s’interroger sur la façon dont les résultats doivent être appliqués à notre pratique quotidienne. Les patients inclus
dans les essais thérapeutiques sont souvent considérés
comme différents des patients de la vie réelle. Cela est
particulièrement vrai pour les essais de chirurgie
carotidienne. Tous les patients avec maladie susceptible d’augmenter le risque opératoire étaient exclus
de NASCET. Les patients devaient avoir une espérance de vie de 5 ans et être indemnes de néoplasie, d’affections cardiaques ou viscérales sévères. Ces critères
ont incontestablement abouti à une sélection forte des
patients ≥ 75 ans. Seuls les patients ≥ 75 ans en
“bonne santé” en dehors de leurs sténoses carotidiennes pouvaient être inclus, cela explique probablement le risque opératoire faible observé chez ces
patients. Le même phénomène était constaté dans
ECST avec une morbi-mortalité postopératoire faible
chez les patients ≥ 75 ans (4,4 %).
Deux conditions sont nécessaires à l’obtention d’un
risque opératoire faible, seul garant de la reproductibilité du bénéfice de la chirurgie observé dans NASCET. La première condition est l’application des critères d’exclusion des essais thérapeutiques. Proposer
une chirurgie carotidienne à un patient ne remplissant
pas ces critères, c’est l’exposer à un risque opératoire
inacceptable lui faisant perdre tout bénéfice de la chirurgie. La deuxième condition est liée à l’expertise du
chirurgien. Les chirurgiens impliqués dans NASCET
étaient sélectionnés pour un taux de complications
postopératoires < 6 %. La mise en place en France
Act. Méd. Int. - Hypertension (13), n° 7, septembre 2001
160
d’un registre de chirurgie carotidienne avec évaluation indépendante des complications postopératoires est nécessaire.
Il est important de souligner que le bénéfice de la chirurgie carotidienne pour les patients ≥ 75 ans a été
démontré uniquement chez les patients avec sténoses carotidiennes symptomatiques. Il ne doit en
aucun cas être généralisé aux individus ≥ 75 ans
avec sténoses carotidiennes asymptomatiques.
Après les résultats de l’étude américaine ACAS, le
bénéfice de la chirurgie pour les carotides asymptomatiques s’est révélé marginal et dépendant d’un
risque opératoire exceptionnellement faible (2,3 %)
(6). L’intérêt de la chirurgie carotidienne dans les
sténoses asymptomatiques reste l’objet d’un grand
débat, qui ne sera tranché qu’aux résultats de l’étude européenne ACST. Toute conclusion dans le sousgroupe des individus ≥ 75 ans ne serait donc pour le
moment que pure spéculation.
Le vieillissement de la population nous fera nous
interroger de plus en plus fréquemment sur le bénéfice de la chirurgie carotidienne à des âges extrêmes de
la vie. Aucun des patients de NASCET ou d’ECST
n’avait plus de 90 ans et peu de patients avaient plus
de 85 ans. Différents essais thérapeutiques (chirurgie,
angioplastie) nous apporteront dans quelques années
des renseignements intéressants sur les risques de la
chirurgie carotidienne aux âges extrêmes.
Conclusion
Les patients ≥ 75 ans avec sténoses carotidiennes
symptomatiques 50-99 %NASCET (75-99 %ECST) et sans
affection sévère associée bénéficient de la chirurgie
carotidienne pour prévenir un infarctus cérébral, avec
un bénéfice supérieur à celui observé chez les patients
plus jeunes. Le traitement par chirurgie carotidienne
doit donc leur être proposé. Cela ne dispense évidemment pas d’une prise en charge médicale avec contrôle des facteurs de risque et traitement antiagrégant.
Téléchargement