Faut-il opérer les sténoses carotidiennes symptomatiques

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es patients âgés sont les premières
victimes d’accident vasculaire céré-
bral (AVC). Le risque d’AVC est mul-
tiplié par 2 pour chaque décennie
après 55 ans. La prévalence des AVC
dans les pays occidentaux est proche
de 10 % chez les sujets 75 ans (1). La préven-
tion secondaire des AVC dans cette population
est donc un enjeu important de santé publique,
qui ira en grandissant avec l’allongement de
l’espérance de vie.
La place de la chirurgie carotidienne dans la
prévention secondaire chez les patients sympto-
matiques avec sténoses carotidiennes a été préci-
sée grâce à deux essais thérapeutiques randomi-
sés, ECST (European Carotid Surgery Trial) et
NASCET (North American Symptomatic Carotid
Endarterectomy Trial) (2, 3). Débutés au milieu
des années 80 et s’étalant sur 10 ans, ces deux
essais ont porté sur près de 6 000 patients pré-
sentant un accident ischémique transitoire ou
constitué non invalidant. Tous les patients rece-
vaient un traitement médical, avec contrôle des
facteurs de risque et traitement antithrombo-
tique. Malgré des méthodes différentes de mesu-
re du degré de sténose, les deux essais ont abou-
ti à des résultats concordants. Ils ont montré
la supériorité de la chirurgie carotidienne sur
le traitement médical pour prévenir un AVC
chez les patients avec sténoses sévères (70-
99 %NASCET = 85-99 %ECST). Six patients devaient
être opérés pour prévenir un AVC ipsilatéral
dans les 2 ans dans NASCET et 8 dans ECST.
Les patients avec sténoses 50-69 %NASCET ou
75-84 %ECST néficiaient de façon plus modeste
de la chirurgie. Pour éviter un AVC ipsilatéral à
2 ans, 19 patients devaient être opérés dans NAS-
CET. Le bénéfice du traitement dépendait des
caractéristiques du patient et de l’accident initial
(sexe, hémisphérique/rétinien…). Il n’y avait
aucun bénéfice à opérer les sténoses < 50 %NASCET
(< 75 %ECST).
La chirurgie carotidienne à partir
de 75 ans : le pour et le contre
Pour les patients 75 ans avec sténoses symp-
tomatiques, de nombreuses incertitudes persis-
taient sur le bénéfice de la chirurgie carotidien-
ne. Dans plusieurs séries chirurgicales, un âge
75 ans était associé à une augmentation de la
morbimortalité périopératoire (4). Cette notion
était suffisamment répandue pour que la plupart
des médecins, préoccupés par le souci de ne pas
nuire, préfèrent traiter médicalement les patients
âgés avec sténoses symptomatiques.
Dans ECST, un modèle prédictif suggérait que
le bénéfice de la chirurgie carotidienne aug-
mentait avec l’âge (2). Ce modèle prédictif
reposait sur un petit nombre de patients 75
ans. Néanmoins, il pouvait faire redouter qu’en
délaissant la chirurgie carotidienne chez les
patients 75 ans, on les prive du traitement le
plus efficace pour éviter un nouvel AVC, uni-
quement en raison de leur âge.
Les Leçons de NASCET
Les résultats de NASCET dans le sous-groupe
des patients 75 ans permettent désormais de
clarifier leur prise en charge thérapeutique (5).
Ils concernent l’évaluation de l’efficacité de la
chirurgie à 2 ans chez les 409 patients 75 ans
au sein des 2 885 patients inclus dans NASCET.
Le bénéfice de la chirurgie carotidienne était
majeur chez les patients 75 ans avec sténose
70-99 %NASCET, avec une réduction absolue du
risque d’infarctus cérébral ipsilatéral à la sténo-
se carotidienne à 28,9 %, correspondant à un
nombre de patients à traiter par chirurgie de 3 à
2 ans (95 % IC : 2 à 8) pour éviter un infarctus.
Pour les patients avec sténose 50-69 %NASCET, la
réduction absolue du risque d’infarctus cérébral
était également significative (17,3 %), soit un
nombre de patients à traiter de 6 (95 % IC : 4 à
15) pour éviter un infarctus.
La chirurgie carotidienne était plus bénéfique
chez les patients 75 ans que dans les deux
autres catégories d’âge (65-74 ans et < 65 ans).
L’explication de ce phénomène était liée à un
principe général de traitement : les patients à
plus haut risque d’infarctus cérébral bénéficient
plus de la chirurgie carotidienne que les patients
à faible risque, si le risque opératoire reste
acceptable. En effet, le risque d’infarctus céré-
bral sous traitement médical était plus important
chez les patients 75 ans, en comparaison des
patients plus jeunes. Parmi les patients 75 ans,
un sur trois avec sténose 70-99 %NASCET et un sur
quatre avec sténose 50-69 %NASCET allaient pré-
senter un infarctus cérébral dans les 2 ans.
D’autre part, le risque postopératoire d’AVC et
Éditorial
Éditorial
Act. Méd. Int. - Hypertension (13), n° 7, septembre 2001
L
Publié dans La Lettre du Neurologue, n° 6, vol. V - juin 2001
Faut-il opérer
les sténoses
carotidiennes
symptoma-
tiques après
75 ans ?
S. Alamowitch*
* Service de neurologie, hôpital Tenon,
Paris.
Éditorial
Éditorial
de mort à 30 jours était modeste chez les patients
75 ans (5,2 %), légèrement inférieur à celui observé
chez les patients de 65-74 ans (5,5 %) et de moins de
65 ans (7,9 %).
Comment traduire ces résultats dans
le monde réel ?
Après tout essai thérapeutique, il est licite de s’inter-
roger sur la façon dont les résultats doivent être appli-
qués à notre pratique quotidienne. Les patients inclus
dans les essais thérapeutiques sont souvent considérés
comme différents des patients de la vie réelle. Cela est
particulièrement vrai pour les essais de chirurgie
carotidienne. Tous les patients avec maladie suscep-
tible d’augmenter le risque opératoire étaient exclus
de NASCET. Les patients devaient avoir une espéran-
ce de vie de 5 ans et être indemnes de néoplasie, d’af-
fections cardiaques ou viscérales sévères. Ces critères
ont incontestablement abouti à une sélection forte des
patients 75 ans. Seuls les patients 75 ans en
“bonne santé” en dehors de leurs sténoses caroti-
diennes pouvaient être inclus, cela explique probable-
ment le risque opératoire faible observé chez ces
patients. Le même phénomène était constaté dans
ECST avec une morbi-mortalité postopératoire faible
chez les patients 75 ans (4,4 %).
Deux conditions sont nécessaires à l’obtention d’un
risque opératoire faible, seul garant de la reproducti-
bilité du bénéfice de la chirurgie observé dans NAS-
CET. La première condition est l’application des cri-
tères d’exclusion des essais thérapeutiques. Proposer
une chirurgie carotidienne à un patient ne remplissant
pas ces critères, c’est l’exposer à un risque opératoire
inacceptable lui faisant perdre tout bénéfice de la chi-
rurgie. La deuxième condition est liée à l’expertise du
chirurgien. Les chirurgiens impliqués dans NASCET
étaient sélectionnés pour un taux de complications
postopératoires < 6 %. La mise en place en France
d’un registre de chirurgie carotidienne avec éva-
luation indépendante des complications postopéra-
toires est nécessaire.
Il est important de souligner que le bénéfice de la chi-
rurgie carotidienne pour les patients 75 ans a été
démontré uniquement chez les patients avec sté-
noses carotidiennes symptomatiques. Il ne doit en
aucun cas être généralisé aux individus 75 ans
avec sténoses carotidiennes asymptomatiques.
Après les résultats de l’étude américaine ACAS, le
bénéfice de la chirurgie pour les carotides asympto-
matiques s’est révélé marginal et dépendant d’un
risque opératoire exceptionnellement faible (2,3 %)
(6). L’intérêt de la chirurgie carotidienne dans les
sténoses asymptomatiques reste l’objet d’un grand
débat, qui ne sera tranché qu’aux résultats de l’étu-
de européenne ACST. Toute conclusion dans le sous-
groupe des individus 75 ans ne serait donc pour le
moment que pure spéculation.
Le vieillissement de la population nous fera nous
interroger de plus en plus fréquemment sur le bénéfi-
ce de la chirurgie carotidienne à des âges extrêmes de
la vie. Aucun des patients de NASCET ou d’ECST
n’avait plus de 90 ans et peu de patients avaient plus
de 85 ans. Différents essais thérapeutiques (chirurgie,
angioplastie) nous apporteront dans quelques années
des renseignements intéressants sur les risques de la
chirurgie carotidienne aux âges extrêmes.
Conclusion
Les patients 75 ans avec sténoses carotidiennes
symptomatiques 50-99 %NASCET (75-99 %ECST) et sans
affection sévère associée bénéficient de la chirurgie
carotidienne pour prévenir un infarctus cérébral, avec
un bénéfice supérieur à celui observé chez les patients
plus jeunes. Le traitement par chirurgie carotidienne
doit donc leur être proposé. Cela ne dispense évidem-
ment pas d’une prise en charge médicale avec contrô-
le des facteurs de risque et traitement antiagrégant.
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Act. Méd. Int. - Hypertension (13), n° 7, septembre 2001
Références
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Meldrum HE. Evidence based
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mic stroke. Br Med J 1999 ; 318 :
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