La mortalité des patients épileptiques M

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La mortalité des patients épileptiques
Mortality in patients with epilepsy
● D. Taussig*, P. Masnou**
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■ Les chiffres de la mortalité chez l’épileptique sont 2 à
3 fois supérieurs à ceux de la population générale.
■ L’outil d’évaluation de la mortalité utilisé est le taux de
mortalité standardisé (TMS).
■ Le décès peut être dû à l’évolution de la maladie causale
de l’épilepsie, à l’épilepsie elle-même, ou être sans relation
avec l’épilepsie ou avec l’étiologie de celle-ci.
■ Les causes de décès liées à l’épilepsie sont les accidents
consécutifs aux crises, les états de mal épileptique, les morts
iatrogènes liées aux accidents idiosyncrasiques des traitements antiépileptiques ou à la chirurgie, les pneumopathies
d’inhalation après une crise et les morts subites inattendues.
■ La physiopathologie et les facteurs de risque des morts
subites inattendues ne sont pas bien connus.
■ L’obligation d’information du risque de mort subite
mérite d’être débattue.
Mots-clés : Épilepsie - Épidémiologie - Mortalité - Morts
subites.
a crise généralisée tonico-clonique provoque une
angoisse de mort inévitable chez les proches qui y ont
assisté, angoisse que le neurologue se doit de calmer.
Cependant, toutes les études montrent une augmentation de la
mortalité des patients épileptiques par rapport à celle de la population générale, ce qui amène immédiatement de nombreuses
questions. Quelles en sont les causes ? Quelle prévention instaurer ? Quelles conséquences médico-légales cela implique-t-il ?
L
Trois types de causes de mortalité peuvent être distingués : les
causes non liées à la maladie, celles liées à la maladie causale de
l’épilepsie et celles liées à l’épilepsie. Ces dernières comprennent
les accidents consécutifs aux crises, les états de mal épileptique,
les morts iatrogènes liées aux réactions idiosyncrasiques des
* Service des explorations fonctionnelles, CHU Pontchaillou, Rennes.
** Service des explorations fonctionnelles, CHU Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre.
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 6 - juin 2005
SUMMARY
SUMMARY
Mortality in patients with epilepsy is 2-3 times more than the
general population. Deaths can be due to the disease causing
epilepsy or directly to epilepsy. Epilepsy-related deaths
include accidents as a consequence of seizures, iatrogenic
deaths, seizure related deaths (aspiration, status epilepticus),
suicides and sudden unexpected deaths in epilepsy (SUDEP).
SUDEP is defined as sudden, unexpected, witnessed or
unwitnessed, nontraumatic and nondrowning death in
patients with epilepsy, with or without evidence for a seizure
and excluding documented status epilepticus, in which postmortem examination does not reveal a toxicologic or anatomic cause for death. It can also occur in child even without
any seizure witnessed before death. Risk factors are poorly
known although persistent seizures is a one. Many questions
are unanswered concerning pathophysiology. French studies
are lacking because notably of scarcity of autopsies. The duty
to announce to the patients the risk of SUDEP as recommended in United Kingdom has to be debated.
Keywords: Epilepsy - Epidemiology - Mortality - Sudden
death.
médicaments ou à la chirurgie, les pneumopathies d’inhalation
après une crise, les suicides et les morts subites inattendues des
épileptiques (SUDEP : sudden unexpected death in epilepsy).
Pour ne prendre en compte que les causes liées à la maladie, l’outil utilisé est le taux de mortalité standardisé (TMS) : rapport
entre le nombre de morts observées et le nombre de morts attendues. Un TMS de plus de un signifie un excès de mortalité lié à
l’épilepsie. Pour l’obtenir, on peut utiliser trois méthodes principales. Toutes posent des problèmes relatifs au numérateur
(nombre de morts) ou au dénominateur (échantillon total). Tout
d’abord, on peut réaliser des études de population en analysant le
nombre de morts dans une grande population à l’aide des certificats de décès. On utilise une prévalence standard de l’épilepsie.
Le problème est l’absence d’accès aux données prémortem. La
deuxième méthode consiste à considérer la prescription d’antiépileptiques comme substitut du diagnostic d’épilepsie. Cela
impose d’avoir les moyens d’exclure les crises aiguës sympto187
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matiques et les autres pathologies qui peuvent motiver la prescription d’antiépileptiques. Le numérateur n’est qu’une estimation de la mortalité des épileptiques au sein d’une population,
puisque les certificats de décès, souvent, ne mentionnent pas
l’épilepsie. La troisième méthode est représentée par le suivi
d’une cohorte de patients épileptiques pendant un temps suffisant. Le biais est qu’il s’agit souvent de patients suivis par des
spécialistes et dont l’épilepsie est plus sévère. En revanche, les
données concernant la maladie et les circonstances de la mort
seront plus fiables. Enfin, certaines études s’intéressent à des
sous-groupes (patients institutionnalisés ou opérés). Par ailleurs,
il existe souvent des difficultés de codage sur les actes de décès
posant problème pour des comparaisons entre pays lorsque les
habitudes de déclaration diffèrent.
CHIFFRES DE MORTALITÉ EN GÉNÉRAL
Shackleton et al. (1) présentent une revue quantitative de la littérature des cent dernières années, avec une méta-analyse de
23 articles. Le TMS varie de 1,3 à 9,3. Dans 13 études, il varie de
2 à 4. Le déterminant le plus important est “la population
source”, qui explique pour moitié la variance des estimations.
Dans la population générale, le TMS varie de 1,3 à 3,1, et, dans
les populations institutionnalisées ou suivies dans des unités
d’épileptologie, de 1,9 à 5,1. Aucun facteur de risque de décès
n’a été clairement identifié. Les études les plus intéressantes sont
les études de cohorte. Hauser et al. ont mené la première sur
618 patients dont l’épilepsie a été diagnostiquée entre 1935 et
1974 à Rochester, et suivis pendant 0 à 29 ans. Le TMS est de
3,3 ; il est de 3,8 dans les deux premières années. La mortalité est
ensuite celle de la population générale, mais, après plus de 20 ans
de suivi, le TMS est à nouveau significativement plus élevé que
celui de la population générale. L’évolution à long terme du TMS
des épilepsies idiopathiques est similaire, surtout si les crises
généralisées persistent (TMS entre 3,5 et 3,9). Cependant, certaines études ont tout de même montré que le TMS avait tendance
à être globalement plus bas pour les épilepsies idiopathiques que
pour les autres formes d’épilepsie. Cela peut s’expliquer par le
fait que les épilepsies idiopathiques ne sont pas, par définition,
associées à une affection potentiellement évolutive, et qu’elles
sont en général plus pharmacosensibles que les autres formes
d’épilepsie. Dans l’épilepsie-absences, le taux de mortalité ne
paraît pas différent de celui de la population générale.
Ainsi, les décès survenant pendant les premières années de suivi
sont sans doute surtout liés à la maladie causale de l’épilepsie,
plus qu’à l’épilepsie elle-même. Lhatoo et al. (2) présentent
notamment le suivi d’une cohorte de 792 épileptiques dont l’épilepsie a été diagnostiquée entre 1984 et 1987, suivi d’une durée
médiane de 11 ans ; chez les 70 % de patients qui ne font pas de
crises, le TMS est de 2,1. Il est de 3 pour les épilepsies aiguës
symptomatiques, de 3,7 pour les épilepsies chroniques symptomatiques et de 25 pour les épilepsies dues à un déficit neurologique congénital. La mortalité initiale dans la cohorte augmente
significativement à cause de la maladie sous-jacente responsable
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des crises, mais elle diminue après la première année, pour augmenter à nouveau après 9 ans. Cinq décès sont liées à l’épilepsie : une SUDEP, un état de mal chez un patient ayant une tumeur
et trois accidents liés aux crises (brûlure, fracture cervicale,
noyade). Récemment, Morgan et al. (3) ont conduit une étude
combinant un registre de suivi d’épileptiques et un registre de
décès incluant toutes les morts de 1993 à 1996. Le TMS est de
2,14. Le cancer rend compte de 18,8 % des décès des patients épileptiques ; un seul cas de SUDEP a été relevé. Il y a une surreprésentation des décès par affections cardiovasculaires et tumorales, mais il est probable qu’un certain nombre d’épilepsies
soient des épilepsies vasculaires ou liées à une tumeur cérébrale.
Or, les auteurs ne peuvent pas distinguer les différents types
d’épilepsie. Dans ces études de cohorte, il faut donc un temps très
long pour ne plus prendre en compte les morts liées à la maladie
causale de l’épilepsie.
La fréquence des crises joue un rôle dans les chiffres de la mortalité : une étude a clairement montré que le TMS est plus élevé
lorsque l’épilepsie n’est pas bien contrôlée que lorsque celle-ci
est stabilisée (TMS 2,13 versus 3,77). Deux études menées à long
terme chez des patients opérés de leur épilepsie ont montré que
le taux de mortalité est plus élevé chez ceux dont les crises persistent après la chirurgie que chez ceux qui n’ont plus de crises.
Les états de mal épileptique sont une des causes de décès. Les
risques sont plus importants au cours des crises symptomatiques
aiguës, en cas de crises myocloniques et chez le sujet de plus de
65 ans (4). On peut comprendre que, dans ce cadre, les causes
sont particulièrement à prendre en considération pour expliquer
la haute mortalité : l’étiologie est finalement le plus souvent la
cause première du décès (anoxies, accidents vasculaires cérébraux, infections). En revanche, il n’y a pas d’excès de mortalité
à long terme si l’état de mal survient dans le cadre d’une épilepsie idiopathique ou cryptogénique.
QUELQUES CAUSES LIÉES À L’ÉPILEPSIE
Accidents
Spitz (5) a réalisé une revue de la littérature sur les morts par
accident dans les épilepsies. La noyade est la cause la plus fréquente. Dans une étude menée chez des enfants, il apparaît que
ceux de 5 à 19 ans présentent un risque relatif de noyade dans une
baignoire de 1 303 par rapport aux enfants non épileptiques. Dans
la piscine, le risque relatif est de 54. Le risque de noyade des
enfants de moins de 5 ans est le même chez les épileptiques que
chez les non-épileptiques, sans doute parce que, jusqu’à cet âge,
on laisse rarement les enfants sans surveillance. Toutes les études
insistent sur l’importance d’une surveillance des enfants épileptiques lors du bain ; dans ces cas-là, les noyades peuvent être
récupérées sans séquelles. Les traumatismes crâniens, accidents
les plus fréquents lors des crises, sont rarement mortels. Les
études publiées concernent surtout des patients souffrant d’épilepsies sévères institutionnalisées. Les brûlures constituent un
accident fréquent, surtout chez les femmes, car il s’agit le plus
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souvent de brûlures domestiques. Elles semblent rarement mortelles. Une étude nationale longitudinale a été menée entre 1975
et 1995 en Suède sur la mortalité par accident et empoisonnement
chez des patients souffrant d’épilepsie. Les empoisonnements et
les traumatismes rendent compte de 5,8 % des morts. Les causes
les plus fréquentes de décès par traumatismes sont les chutes et
les noyades. Les traumatismes crâniens mortels liés à des chutes
prédominent chez les personnes âgées. Aucune étude ne s’est
posé la question des facteurs de risque liés à la mort par accident.
Mais certaines d’entre elles ont analysé les facteurs corrélés aux
traumatismes liés aux crises : le type des crises (surtout généralisées atoniques et tonico-cloniques), la fréquence des crises (plus
d’une par mois) et l’existence d’effets indésirables des traitements.
Suicides
Peu d’études ont été consacrées à cette cause spécifique chez les
patients épileptiques. Les TMS relevés dans deux études sont de
3,5 et 5,4. Les suicides sont sans doute en majorité liés à des
troubles psychiatriques, notamment à des dépressions. Nilsson et
al. (6) présentent une étude cas-témoin portant sur une cohorte de
6 880 patients dont l’épilepsie a été diagnostiquée entre 1980 et
1989, et étudiant les facteurs de risque de suicide. Sont relevés
26 suicides certains et 23 suicides possibles. Ils sont comparés à
171 patients épileptiques de la cohorte. L’incidence du suicide,
en Suède, est plus importante chez les hommes que chez les
femmes, et cela vaut aussi pour les épileptiques. Le risque relatif de suicide est multiplié par 9 en cas de maladie mentale, et par
10 en cas de prise de neuroleptiques. Le risque relatif est de 16
en cas d’épilepsie ayant débuté avant l’âge de 18 ans, comparativement à un début après 29 ans. Le risque de suicide semble augmenter avec la fréquence des crises et la polythérapie antiépileptique, bien que les estimations soient imprécises. On manque de
données sur l’observance et la fréquence des crises. Il n’y a pas
d’association entre le risque de suicide, un antiépileptique particulier et la localisation ou la latéralisation d’un foyer épileptique
sur l’EEG. Dans une revue de la littérature récente, le taux de suicides chez les patients épileptiques est de 20 %, alors qu’il est de
1,1 à 1,2 % dans la population générale. La comorbidité psychiatrique, notamment les dépressions majeures, est un facteur
de risque, de même qu’un antécédent de tentative de suicide. La
sévérité ou le type de l’épilepsie ne sont pas pris en compte. En
résumé, peu de données sont disponibles sur ce sujet. Le risque
de suicide existe, mais il ne paraît pas être plus important au
cours de l’épilepsie que dans d’autres affections chroniques invalidantes.
MORTS SUBITES INATTENDUES (SUDEP)
La définition proposée par Nashef (7) est la suivante : mort subite
et inattendue, avec ou sans témoin, non liée à un traumatisme ou
à une noyade, avec ou sans crise mais sans état de mal, pour
laquelle l’autopsie ne montre pas une cause toxique ou anatoLa Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 6 - juin 2005
mique de la mort. L’auteur pense qu’il ne faut pas utiliser l’expression “mort inexpliquée”, qui est ambiguë. Lorsqu’un œdème
pulmonaire ou des signes d’inhalation mineurs sont trouvés à
l’autopsie, cela n’est pas suffisant pour en faire la cause du décès.
Beaucoup d’études émanent du Royaume-Uni, où l’autopsie, de
pratique très courante, concerne dans les dernières années 90 %
des SUDEP. La plupart des chiffres disponibles prennent toutefois également en compte les SUDEP probables, c’est-à-dire
celles pour lesquelles on ne dispose pas d’autopsie. Dans les différentes études réalisées, le risque est de 1/500 à 1/1 000 personnes-années dans la population générale des patients épileptiques,
et de 1/200 pour les patients souffrant d’une épilepsie sévère ou
d’autres troubles neurologiques. Le risque de mort subite en cas
d’épilepsie est 24 fois celui de la population générale. En reprenant les 612 décès intervenus au Royaume-Uni en 1997 et où
l’épilepsie a été mentionnée comme cause de décès, on peut souligner que 350 à 400 d’entre eux seraient des SUDEP, un diagnostic d’état de mal étant souvent noté à tort sur le constat de
décès. Langan et al. (8) relèvent 15 SUDEP devant témoins parmi
les 135 qu’ils ont identifiées. La plupart (13 cas) sont morts dans
leur lit. Neuf avaient une épilepsie partielle, 2 une épilepsie généralisée idiopathique et 4 une épilepsie de type indéterminé. Dans
3 cas, il a pu être constaté que le décès est survenu pour le premier 5 minutes après une crise généralisée tonico-clonique, pour
le second après une aura et pour le troisième pendant la phase
postcritique.
Shorvon (9) reprend les principaux facteurs de risque des
SUDEP ; ceux-ci sont résumés dans le tableau. Aucun d’entre
eux n’est de façon certaine un facteur causal. Walczak et al. ont
réalisé une étude de cohorte dans trois centres d’épilepsie
[4 578 patients suivis pendant 5 ans] (10). L’incidence de SUDEP
est de 1,21/1 000 patients-années ; elle est un peu plus élevée chez
les femmes. Les facteurs de risque sont l’existence de crises
généralisées tonico-cloniques, la prise de plus de deux antiépileptiques et un quotient intellectuel de moins de 70. L’existence
d’une lésion cérébrale et la prise de psychotropes ne constituent
pas des facteurs de risque. Aucun antiépileptique particulier n’est
associé aux SUDEP. Les auteurs pensent qu’en cas de retard
mental l’état postcritique pourrait être plus prolongé, ce qui augmenterait la dépression respiratoire. Ils supposent aussi que, en
Tableau. Facteurs de risque des SUDEP, d’après Shorvon (9).
✓ Jeune âge
✓ Crises généralisées tonico-cloniques
✓ Épilepsie non contrôlée
✓ Épilepsie chronique
✓ Épilepsie sévère
✓ Handicap mental ou neurologique
✓ Crises pendant le sommeil
✓ Crises sans témoin
✓ Type de traitement et compliance
✓ Sexe masculin
✓ Excès d’alcool
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cas de handicap physique, il pourrait y avoir une asphyxie positionnelle. Dans douze cas, les témoins ont rapporté des difficultés
respiratoires. Plus récemment, Opeskin et al. (11) ont étudié les
facteurs de risque des SUDEP en analysant le dossier clinique de
cent épileptiques décédés et autopsiés. Dans la moitié des cas, le
diagnostic de SUDEP a été retenu, et dans l’autre moitié le décès
a été attribué à une autre cause. Les patients morts de SUDEP
présentent la particularité d’être le plus souvent jeunes, morts
dans leur lit, et il existe des arguments en faveur de la survenue
d’une crise avant le décès. Il n’y a pas de facteurs de risque liés
à la fréquence des crises, à la durée de l’épilepsie, au type d’épilepsie ni à sa cause. Il n’y a pas non plus d’association avec une
maladie psychiatrique, un retard mental, une démence ou un événement stressant récent. Il n’y a pas de lien avec un traitement
particulier en monothérapie ou en bithérapie, ni avec la prise d’un
psychotrope, d’alcool ou de drogues. Une étude cas-témoin portant sur une cohorte de 6 880 patients dont l’épilepsie a été diagnostiquée entre 1980 et 1989 a étudié le dosage des antiépileptiques comme facteur de risque de SUDEP. Les témoins sont des
patients épileptiques appariés pour l’âge et la période d’évaluation ; il existe 57 SUDEP. Les patients prennent au moins de la
carbamazépine, de la phénytoïne ou du valproate de sodium
depuis au moins un an. Le risque relatif de SUDEP est de 3,7
pour les patients qui n’ont pas eu de dosage, par rapport à ceux
qui en ont eu au moins un dans les 2 années qui précèdent le
décès. Le risque relatif est de 9,5 pour des taux de carbamazépine
au-dessus de la norme. Les fortes concentrations de carbamazépine sont associées à un risque plus élevé chez les patients sous
polythérapie ou avec de fréquents changements de doses. Bien
que le sous-groupe avec de forts dosages de carbamazépine soit
petit (6 cas parmi les 33 sous carbamazépine) et que les résultats
doivent être interprétés avec précaution, la même association
n’est pas trouvée avec la phénytoïne. Les auteurs suggèrent que
de fortes concentrations d’antiépileptiques et l’absence de
dosages pourraient être des indicateurs d’une épilepsie sévère et
de soins insuffisants, plutôt qu’être eux-mêmes des facteurs de
risque. Toutefois, ils ne peuvent exclure un rôle néfaste de fortes
concentrations de carbamazépine.
Un patient est décédé durant l’exploration par électrodes profondes d’une épilepsie pharmacorésistante. Il a fait une crise temporale droite secondairement généralisée, suivie d’une disparition de l’activité électrique droite puis gauche. L’autopsie n’a
montré aucune anomalie cardiaque ou pulmonaire, ni d’anomalie aiguë cérébrale. Les auteurs pensent que la mort était d’origine cérébrale.
Différentes hypothèses physiopathologiques s’affrontent. Il est
possible que des mécanismes cardiaques ou pulmonaires
jouent un rôle. Certaines autopsies relèvent une augmentation
du poids des poumons, du cœur et du foie, ainsi qu’un œdème
pulmonaire. Certaines crises partielles sont responsables de
tachycardies, de bradycardies, de troubles du rythme cardiaque
et de troubles conductifs. Rugg-Gunn et al. (12) ont récemment
montré, chez 20 patients souffrant d’épilepsie partielle pharmacorésistante, et grâce à un Holter implantable laissé en place
jusqu’à 18 mois, une fréquence élevée des troubles rythmiques
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percritiques, avec notamment une asystolie potentiellement
mortelle chez trois patients. Des études cardiaques post mortem portant sur des patients morts de SUDEP ont montré de
discrètes anomalies du système de conduction. Il est possible
qu’une arythmie cardiaque puisse conduire à une mort subite ;
toutefois, un œdème pulmonaire ne devrait pas se développer
après une arythmie fatale. D’autres mécanismes doivent donc
être présents pour expliquer les résultats autopsiques. Dans un
modèle animal de SUDEP chez la chèvre, c’est l’hypoventilation alvéolaire qui est responsable de la mort.
LA MORTALITÉ CHEZ L’ENFANT ÉPILEPTIQUE
Ce sujet a fait l’objet de plusieurs études récentes. Appleton (13)
a réalisé une revue de la mortalité chez les enfants épileptiques.
Le TMS global varie de 7 à 13,2 selon les études, mais la mortalité des enfants ayant une épilepsie idiopathique sans déficit neurologique ou cognitif est la même que celle des enfants du même
âge sans épilepsie. Une étude de cohorte incluant tous les enfants
dont l’épilepsie a débuté entre 1977 et 1985, ceux-ci ayant été
suivis jusqu’en 1999, a été menée en Nouvelle-Écosse. Tous ne
sont plus des enfants, mais les auteurs ne précisent pas l’âge lors
du décès. Vingt-six sont morts (3,8 % de la population étudiée).
La fréquence de la mort est 5,3 à 8,8 fois plus élevée que celle de
la population de référence (selon les années étudiées). Parmi les
enfants décédés, on compte un enfant sur les 97 ayant une épilepsie-absences, douze sur les 510 ayant une épilepsie partielle ou
généralisée idiopathique avec crises convulsives, et treize sur les
85 ayant une épilepsie généralisée symptomatique. Vingt-deux
morts sont causées par des maladies neurologiques et associées à
un déficit neurologique ; un patient est mort par SUDEP probable,
un autre par homicide et deux par suicide. L’existence d’un déficit neurologique est un facteur de risque indépendant de mortalité. Les morts apparaissent donc liées aux maladies neurologiques associées et non directement à l’épilepsie. Une autre étude
présente 27 cas de SUDEP chez l’enfant de moins de 18 ans.
L’âge lors du décès varie entre 8 mois et 15 ans ; 63 % sont des
garçons. Quatorze (52 %) avaient une épilepsie symptomatique,
cinq (18 %) une épilepsie cryptogénique, tous un retard mental, et
huit (30 %) une épilepsie idiopathique. Douze (46 %) étaient sous
monothérapie, dix (38 %) sous bithérapie et trois (12 %) sous trithérapie. Soixante pour cent avaient des taux thérapeutiques. Seize
(59 %) ont été trouvés décédés dans leur lit ; dans cinq cas, il y
avait des arguments en faveur d’une crise avec vomissement ou
morsure de langue. Dans dix cas, il y a eu un témoin du décès :
cinq ont eu une perte de conscience puis un arrêt cardiorespiratoire après une crise, et cinq une perte de conscience puis un arrêt
cardiorespiratoire sans crise. Des lésions chroniques neuropathologiques étaient présentes dans quatorze cas, des lésions aiguës
dans dix cas. Ainsi, chez l’enfant, si la mortalité est davantage liée
à la maladie neurologique sous-jacente, les SUDEP existent et
concernent tous les syndromes épileptiques. Les témoins, plus
souvent présents que pour les adultes, peuvent affirmer que certaines morts ne sont pas liées à une crise.
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 6 - juin 2005
CONCLUSION
On manque de données sur la mortalité chez les patients épileptiques en France, notamment en raison du faible nombre d’autopsies pratiquées. Par ailleurs, la plupart des grandes études réalisées ont pour inconvénient de ne pouvoir fournir que très peu
de renseignements sur l’épilepsie du patient, en termes de classification et d’équilibration, ainsi que sur des troubles associés,
notamment psychiatriques. Les études ultérieures se doivent de
préciser ces éléments, ce qui impose des suivis lourds, à long
terme, associés à la pratique systématique d’autopsies. Le fait que
le TMS se normalise après chirurgie réussie de l’épilepsie incite
à penser que l’existence de crises est un facteur de risque majeur
de mortalité chez les patients épileptiques. Le neurologue a un
rôle très important à jouer dans la prévention des morts “évitables” liées aux accidents ou aux états de mal par arrêt de traitement. L’obligation médico-légale de parler du risque de
SUDEP, comme cela est préconisé au Royaume-Uni, mérite
d’être débattue.
■
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I. Le taux de mortalité standardisé (TMS) chez l’épileptique :
a. est compris entre 9,4 et 12,7
b. est compris entre 1,3 et 9,3
c. est moins élevé dans les 2 premières années qui suivent le
diagnostic de l’épilepsie que 10 ans après
d. est plus élevé chez les patients en institution que dans la
population épileptique générale
e. est plus élevé chez l’adulte que chez l’enfant
II. Les morts subites inattendues de l’épileptique
(SUDEP) :
a. ont une incidence comprise entre 1/200 et 1/1 000 chez
l’épileptique
b. sont plus fréquentes chez l’adulte que chez l’enfant
c. ont une physiopathologie bien connue
d. sont moins fréquentes aux États-Unis qu’en Europe
e. ne peuvent être affirmées qu’après autopsie
Résultats : I : b, d ; II : a, e.
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