Oxaliplatine (1R, 2R-diaminocyclohexane) Mécanisme d’action, activité préclinique et clinique M

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Oxaliplatine (1R, 2R-diaminocyclohexane)
Mécanisme d’action, activité préclinique et clinique
● Ch. Tournigand*, S. Faivre*
STRUCTURE ET MÉCANISME D’ACTION
L’oxaliplatine (1R, 2R-diaminocyclohexane) est un agent alkylant synthétisé dès les années 70, dont la structure chimique se
distingue des composés classiques du platine par la présence d’un
radical porteur cyclique “DACH” (diaminocyclohexane)
(figure 1). Si son spectre d’action est actuellement bien défini sur
O
O
NH2
C
NH3
NH2
Cl
Pt
Pt
O
C
NH3
Cl
O
Oxaliplatine
Cisplatine
Figure 1. Structure chimique de l’oxaliplatine et du cisplatine.
le plan clinique, les études récentes s’attachent encore à préciser
les mécanismes spécifiques qui lui confèrent ses propriétés particulières. L’oxaliplatine interagit principalement au niveau de
l’ADN, induisant des lésions primaires (adduits) qui bloquent sa
réplication et sa transcription en ARN. Le type le plus fréquent
d’adduits est représenté par les ponts intrabrins, qui établissent
des liaisons covalentes irréversibles entre deux résidus guanines
(1). Les autres types d’adduits sont les ponts interbrins et les liaisons aux protéines satellites de l’ADN (2). Les liaisons primaires
induites par l’oxaliplatine sont similaires à celles induites par le
cisplatine, même si elles sont observées en nombre plus restreint
pour une concentration molaire équivalente. Des lésions de cassure simple-brin, qui sont probablement des lésions secondaires,
sont également observées dans les cellules traitées par l’oxaliplatine. De manière intéressante, en dépit d’un nombre de lésions
plus limité, l’oxaliplatine est aussi puissant que le cisplatine
concernant l’induction in vitro de l’inhibition de croissance et la
survenue du processus d’apoptose cellulaire (3). Ce phénomène
est incomplètement élucidé et pourrait être expliqué par la structure spatiale différente des adduits respectifs de l’oxaliplatine et
du cisplatine : le caractère plus massif des adduits de l’oxalipla* Unité INSERM U482, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-SaintAntoine, 75012 Paris.
La Lettre du Cancérologue - volume VIII - no 4 - septembre 1999
tine induit une distorsion conformationnelle plus importante de la
double hélice d’ADN, à la fois plus efficace pour bloquer sa synthèse et plus difficile à corriger par les systèmes de réparation
comme celui du mismatch repair (réparation du mésappariement
des bases) (4).
PHARMACOLOGIE PRÉCLINIQUE
La pharmacologie préclinique de l’oxaliplatine est caractérisée
par deux observations qui sont également retrouvées en pharmacologie clinique :
– forte fixation, généralement supérieure à 30 %, aux protéines
plasmatiques,
– accumulation rapide dans les érythrocytes, dans une proportion variant de 30 à 50 % du platine total.
Cette dernière caractéristique semble être propre à l’oxaliplatine.
Ce compartiment de stockage érythrocytaire (5) explique les données cumulatives observées en pharmacologie clinique chez les
patients recevant plusieurs cures consécutives d’oxaliplatine (6).
ACTIVITÉ PRÉCLINIQUE
Études in vitro
L’oxaliplatine possède in vitro un spectre d’activité particulier,
qui a été individualisé par le programme informatisé COMPARE, du National Cancer Institute (NCI), destiné à identifier
des familles de composés sur la base de leur mécanisme
d’action et de leur activité. Selon ce modèle, l’oxaliplatine
s’individualise des composés classiques du platine (cisplatine
et carboplatine), ce qui en fait un agent potentiellement efficace dans les tumeurs présentant une résistance primaire ou
acquise au cisplatine ou au carboplatine (7).
L’oxaliplatine a démontré une activité cytotoxique sur de
nombreuses lignées tumorales humaines, dont des lignées
de cancer colique, ovarien, du sein, vésical, de mélanome
malin, de gliome et de leucémies (5, 7). De façon intéressante,
l’activité de l’oxaliplatine est maintenue dans des lignées de
cancer bronchique, ovarien et du col utérin résistantes au cisplatine (7). De plus, alors que l’activité du cisplatine est faible
dans les lignées cellulaires déficientes en système de réparation
du mésappariement des bases (mismatch repair), celle de
l’oxaliplatine se maintient indépendamment du statut de ce
système de réparation de l’ADN.
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Une étude récente a utilisé la technique du “tumor cloning
assay”, qui présente l’avantage de tester l’activité d’un composé sur des colonies de cellules tumorales isolées directement
à partir des patients et cultivées dans un milieu à base
d’agar (8). Par cette technique, l’oxaliplatine est actif contre les
colonies de cancer colique, bronchique, gastrique, et de mélanome malin. Enfin, l’oxaliplatine reste actif dans une proportion significative de tumeurs résistantes au carboplatine, à l’irinotécan, au paclitaxel et à la doxorubicine.
Modèles in vivo
Les résultats observés in vitro sont reproductibles in vivo puisque
l’oxaliplatine reste efficace dans plusieurs tumeurs murines et
humaines résistantes au cisplatine. Les modèles animaux ont également permis de définir le profil de toxicité lié au traitement par
l’oxaliplatine. Contrairement au cisplatine, qui induit une néphrotoxicité significative, l’oxaliplatine n’est néphrotoxique qu’à très
fortes doses. Chez l’animal, les toxicités habituellement observées avec l’oxaliplatine sont représentées par une toxicité hématologique et digestive (nausées et diarrhées) modérée.
Études d’associations précliniques
L’association à base d’oxaliplatine ayant le mieux démontré
ses propriétés synergiques est celle utilisant le 5-FU. L’association oxaliplatine-5-FU est synergique dans les lignées cellulaires coliques, ovariennes (y compris celles résistantes au
cisplatine), de cancer du sein et in vivo contre des xénogreffes
coliques et mammaires (9). D’autres antimétabolites sont
synergiques in vitro avec l’oxaliplatine, tels certains inhibiteurs
de la thymidilate synthase, dont l’AG337 (9) ou la gemcitabine (10). Parmi les autres composés, l’inhibiteur de la topoisomérase I CPT-11 et le paclitaxel ont un effet additif ou
synergique avec l’oxaliplatine en contexte préclinique. Enfin,
l’association oxaliplatine-cisplatine se révèle additive, voire
synergique, dans des lignées ovariennes ou de cancer du
col (7). Ces résultats sont résumés dans le tableau I.
Tableau I. Combinaisons à base d’oxaliplatine ayant un effet supraadditif in vitro ou in vivo. Toutes les lignées cellulaires tumorales et
les xénogreffes mentionnées sont d’origine humaine.
Composé
en combinaison
avec l’oxaliplatine
Association
synergique
in vitro
Potentialisation
de l’activité
in vivo
5 fluoro-uracile
Lignées de cancer colique*
Lignées de cancer ovarien**
Xénogreffe colique
Tumeur mammaire murine
Gemcitabine
Lignées de cancer colique
ND
SN38 (in vitro)
ou CPT-11 (in vivo)
Lignées de cancer colique
–
–
Tumeur mammaire murine
AG337
Lignées de cancer colique*
Lignées de cancer ovarien**
Tumeur mammaire murine
Paclitaxel
ND
Xénogreffe bronchique
Cisplatine
Carboplatine
Lignées de cancer ovarien**
et de cancer du col**
Leucémie murine
ND : non déterminé ; *dont certaines lignées résistantes au 5 fluoro-uracile ;
** dont certaines lignées résistantes au cisplatine.
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ÉTUDES CLINIQUES
Tolérance et pharmacocinétique : les acquis des études de
phase I
Tolérance
Les premières études de phase I remontent au milieu des
années 80. Elles ont permis de définir le profil de tolérance de
l’oxaliplatine, très différent de celui des autres dérivés du platine (11, 12). Elles ont montré que la dose maximale tolérée
d’oxaliplatine est de 200 mg/m2 toutes les trois semaines. À la
différence du cisplatine, l’oxaliplatine ne présente pas de toxicité rénale. Les nausées et les vomissements sont modérés et
facilement prévenus par la prescription systématique d’anti-5HT3. La tolérance hématologique est satisfaisante. Les diarrhées et les mucites sont exceptionnelles. La principale toxicité
de l’oxaliplatine est la toxicité neurologique, qui est dose-limitante. Il s’agit d’une neuropathie périphérique de type sensitif,
caractérisée par des paresthésies et des dysesthésies des mains,
des pieds ainsi que de la sphère oropharyngée. Ces symptômes
ont la particularité d’être exacerbés au froid. Initialement, la
neuropathie est fugace et régressive, puis peut persister entre
les cycles et devenir permanente. Afin de mieux évaluer cette
toxicité particulière, une échelle spécifique a été établie
(tableau II). Elle tient compte de la durée des symptômes, ce
qui n’est pas le cas de l’échelle OMS habituellement
employée. Il s’agit d’une neurotoxicité cumulative : une gêne
fonctionnelle s’observe habituellement après une dose cumulée
de 800 mg/m2 d’oxaliplatine (13). À la différence des neurotoxicités induites par le cisplatine, les symptômes sont le plus
souvent réversibles après l’arrêt de l’oxaliplatine. Actuellement, les doses recommandées sont de 130 mg/m2 en perfusion
i.v. de 2 à 6 heures toutes les trois semaines.
Tableau II. Échelle spécifique de neurotoxicité.
Grade 1 : paresthésies/dysesthésies régressant en moins de 7 jours
Grade 2 : paresthésies/dysesthésies présentes pendant 8 à 14 jours
Grade 3 : paresthésies/dysesthésies persistant entre 2 cycles
Grade 4 : paresthésies/dysesthésies entraînant une impotence fonctionnelle
Pharmacocinétique
Après la perfusion courte habituellement administrée
(2 heures), la pharmacocinétique de l’oxaliplatine est bicompartimentale (14), avec élimination rénale lente (T1/2 = 24 h).
La demi-vie est augmentée si l’on prolonge la durée de perfusion. Après injection intraveineuse, la majorité de l’oxaliplatine (80-85 %) se lie aux protéines plasmatiques et une forte
proportion se retrouve finalement localisée au niveau des érythrocytes (± 50 %). La captation de l’oxaliplatine au niveau des
érythrocytes est rapide, puis fait l’objet d’une rétention prolongée qui augmente avec le nombre de cycles administrés (6, 14).
La concentration érythrocytaire atteint la concentration plasmatique deux heures après le début de la perfusion et suit une
élimination très lente (T1/2 = 230 h). Ce compartiment de
La Lettre du Cancérologue - volume VIII - no 4 - septembre 1999
stockage particulier pourrait être responsable d’une libération
prolongée d’oxaliplatine, même plusieurs jours après la fin
de la perfusion.
Chez les patients dont la fonction rénale est perturbée, certains
paramètres pharmacocinétiques sont modifiés (augmentation
de l’AUC, diminution du volume de distribution et de la clairance), mais il n’existe pas de traduction en termes de toxicité
clinique (14). Pour cette raison, il n’est pas nécessaire de
réduire la posologie chez les patients présentant une insuffisance rénale.
Oxaliplatine et cancer colorectal
Activité en monothérapie
L’activité de l’oxaliplatine en première ligne chez des patients
ayant un cancer colorectal métastatique a été évaluée au cours de
deux études de phase II (15, 16). L’oxaliplatine était administré
à la dose de 130 mg/m2 i.v. toutes les trois semaines. Les taux de
réponse obtenus ont été de 24 % et 20 %, avec un temps médian
jusqu’à progression de quatre mois dans les deux études, et une
survie médiane de respectivement 12 et 14,5 mois.
Chez les patients résistants au 5-FU, l’oxaliplatine entraîne un
taux de réponse de 10 % et une survie médiane de huit mois
environ (17). Le même taux de réponse a été observé au cours
des études utilisant l’oxaliplatine sous forme chronomodulée
(18). Même si ces résultats démontrent l’activité de l’oxaliplatine en monothérapie dans le cancer colorectal, c’est en association avec le 5-FU que les résultats ont été les plus significatifs.
Associations au 5-FU
L’activité clinique de l’association 5-FU/acide folinique/oxaliplatine a été démontrée par les études de chronothérapie ainsi
que par les schémas de type FOLFOX (19). Ce n’est que plus
tard qu’ont été réalisés les essais in vitro sur des lignées cellulaires de cancer du côlon et in vivo sur des xénogreffes de cancer colique humain (9), démontrant une synergie entre l’oxaliplatine et le 5-FU, indépendamment de toute chronomodulation.
Activité antitumorale en première ligne
Essais de phase II
En première ligne, deux essais de phase II associant 5-FU/
AF/oxaliplatine ont été réalisés, l’oxaliplatine étant administré
sous forme chronomodulée (20, 21). Le taux de réponse est de
58 % lorsque l’oxaliplatine est donné à la dose de 125 mg/m2
toutes les trois semaines et de 67 % pour une dose de
100 mg/m2 toutes les deux semaines. Les survies médianes sont
respectivement de 15 et 19 mois.
Essais de phase III
Quatre études de phase III comprenant un bras 5-FU/AF/oxaliplatine en première ligne ont été publiées (tableau III). La première consistait en l’administration d’oxaliplatine (20 mg/m2/j),
de 5-FU (600 mg/m2/j) et d’acide folinique (300 mg/m2/j) pendant cinq jours toutes les trois semaines (22). Quarante-sept
patients ont reçu ce schéma sous une forme chronomodulée, et
45 sans chronomodulation. La principale toxicité dose-limitante
était la mucite, les toxicités de grades 3-4 étant plus fréquentes
dans le bras sans chronothérapie. Il n’a pas été observé de neurotoxicité supérieure au grade 2. Les taux de réponse ont été de
32 % dans le bras sans chronomodulation et de 53 % avec le
schéma chronomodulé. Malheureusement, cette étude a été interrompue en raison d’une inactivation chimique de l’oxaliplatine
par le pH basique du 5-FU dans le bras non chronomodulé.
Une deuxième étude de phase III effectuée par la même équipe
a repris le même schéma que l’étude précédente, mais en augmentant les doses d’oxaliplatine (25 mg/m 2/j pendant cinq
jours) (23). Le taux de réponse dans le bras chronomodulé était
de 51 %, contre 29 % dans le bras sans chronomodulation. Il
n’y avait pas de différence significative en termes de survie, les
survies médianes étant respectivement de 15,9 et 16,9 mois.
Le premier essai évaluant l’efficacité de l’oxaliplatine dans un
schéma de biomodulation du 5-FU par l’acide folinique est un
essai multicentrique européen réalisé auprès de 200 patients
(24). Il s’agissait d’une comparaison entre un schéma chrono-
Tableau III. Activité antitumorale de l’oxaliplatine en association avec le 5 fluoro-uracile et l’acide folinique. Résultats des études de phase III.
Levi (22)
Nombre
de
patients
Oxaliplatine
(mg/m2/
cycle)
5-FU
(mg/m2/
cycle)
Acide
folinique
(mg/m2/cycle)
Taux
de réponse
(%)
47
100/3 sem.
constant 5 j
100/3 sem.
chrono. 5 j
3 000/3 sem.
constant 5 j
2 800-4 000/2 sem.
chrono. 5 j
1 500/3 sem.
constant 5 j
1 200/2 sem.
chrono. 5 j
32
2
8
14,9
53
3
11
19
125/3 sem.
constant 5 j
125/3 sem.
chrono. 5 j
3 000/3 sem.
constant 5 j
3 000/3 sem.
chrono. 5 j
1 500/3 sem.
constant 5 j
1 500/3 sem.
chrono. 5 j
29
3
7,9
16,9
51
5
9,8
15,9
3 500/3 sem.
chrono. 5 j
3 500/3 sem.
chrono. 5 j
1 500/3 sem.
chrono. 5 j
1 500/3 sem.
chrono. 5 j
34
–
7,7
100
125/3 sem.
constant 1 j
–
12
–
4,6
non atteinte
à 12 mois
non atteinte
à 12 mois
200
85/2 sem.
2 000/2 sem.
400/2 sem.
51,2
–
8,4
–
200
–
2 000/2 sem.
400/2 sem.
22,6
–
6
–
45
Levi (23)
93
93
Giacchetti (24)
De Gramont (25)
100
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Taux
Survie sans
de réponse
progression
complète (%) (médiane en mois)
Survie globale
(médiane
en mois)
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modulé de 5-FU (700 mg/m2/j pendant cinq jours) et d’acide
folinique (300 mg/m 2/j pendant cinq jours) toutes les trois
semaines et le même schéma associé à de l’oxaliplatine sous
forme non chronomodulée (125 mg/m 2 en perfusion de six
heures le premier jour). Le taux de réponse était significativement plus élevé dans le bras avec oxaliplatine (34 % versus
12 %, p < 0,001), la survie médiane n’étant pas atteinte à un an.
Enfin, une autre étude multicentrique européenne a comparé le
schéma bimensuel 5-FU/AF (LV5FU2) au même schéma associé à de l’oxaliplatine à la dose de 85 mg/m 2 à J1 tous les
15 jours (25). Quatre cent vingt patients ont été inclus dans
cette étude. Les résultats présentés en 1998 à l’ASCO ont
montré que l’adjonction d’oxaliplatine au schéma LV5FU2
entraînait une augmentation du taux de réponse (51,2 % contre
22,6 %, p < 0,05) et de la survie sans progression (8,7 mois
contre 6,1 mois). La toxicité a été plus marquée dans le bras
avec oxaliplatine, avec 40 % de neutropénies de grades 3-4
(asymptomatiques), contre 3 % dans le bras LV5FU2. Une
neuropathie invalidante a été observée chez 16 % des patients
traités par oxaliplatine. Basée sur ces résultats obtenus chez
des patients métastatiques, une étude similaire en situation
adjuvante est actuellement en cours (essai MOSAIC).
Activité antitumorale en deuxième ligne
Les données concernant l’efficacité de l’oxaliplatine associé au
5-FU en deuxième ligne proviennent des résultats de plusieurs
études de phase II et de l’analyse rétrospective de patients traités à titre compassionnel. Les différents protocoles FOLFOX
développés par de Gramont et coll. associent l’oxaliplatine à
un schéma bimensuel d’acide folinique et de 5-FU dérivé du
LV5FU2 (25-28). Ces études ont démontré la synergie entre
l’oxaliplatine et le 5-FU modulé, avec un taux de réponse de
30 % environ. En chronothérapie, les résultats sont équivalents
en termes de taux de réponse et de survie sans progression. La
preuve la plus évidente de la synergie entre ces drogues provient des résultats des études où l’oxaliplatine était ajouté au
schéma 5-FU/AF sous lequel le patient progressait. Des taux
de réponse de 27 % à 46 % ont ainsi été obtenus (20, 29, 30).
Ces observations ont été à la base de l’autorisation de mise sur
le marché accordée à l’oxaliplatine en France en 1996. L’analyse des résultats des différents schémas de type FOLFOX suggère que la synergie est optimale avec de fortes doses d’oxaliplatine. Actuellement, de nouvelles études sont en cours
(FOLFOX-6, FOLFOX-7). Leur but est d’obtenir la meilleure
dose-intensité d’oxaliplatine en adaptant les doses de 5-FU afin
de diminuer la toxicité hématologique, et en réduisant le
nombre total de cycles, compte tenu de la toxicité neurologique
cumulative.
Les données de patients traités à titre compassionnel par une
association de type 5-FU/oxaliplatine ont été revues aux
niveaux européen et français. Au niveau européen, 206 patients
ont reçu une association 5-FU/oxaliplatine ; l’oxaliplatine était
simplement ajouté au schéma de 5-FU sous lequel les patients
progressaient (31). Après une expertise objective des dossiers,
111 patients présentant une résistance au 5-FU, documentée
par scanner, ont été retenus. Parmi les 98 patients évaluables,
le taux de réponses objectives était de 26 %. La durée médiane
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des réponses était de six mois. Ces résultats ont été confirmés
par la cohorte compassionnelle française. Quatre cent quatrevingt-dix patients ont reçu de l’oxaliplatine dans le cadre d’un
cancer colorectal métastatique. Le 5-FU et l’acide folinique
étaient associés à l’oxaliplatine chez 472 patients ; 370 d’entre
eux étaient résistants au schéma 5-FU/AF lors de l’introduction
de l’oxaliplatine. Le temps médian jusqu’à progression était de
4,3 mois, et la survie médiane d’environ 10 mois (32). Malgré
des schémas de 5-FU/AF très différents (perfusions continues,
bolus hebdomadaire, bolus pendant quatre ou cinq jours, schémas sur 24 ou 48 heures), les résultats en termes de taux de
réponse étaient similaires. L’ensemble de ces résultats montrent l’efficacité de l’oxaliplatine chez les patients réfractaires
au 5-FU.
Association oxaliplatine et CPT-11
Des études de phase I associant l’oxaliplatine et le CPT-11
(d’efficacité également prouvée dans le cancer colorectal) ont
été menées par Cvitkovic et coll. (33). Plusieurs réponses
tumorales ont été observées chez des patients ayant un cancer
du côlon réfractaire au 5-FU. Les résultats sont encore préliminaires, mais l’administration bimensuelle semble tolérable pour
des doses d’oxaliplatine et de CPT-11 respectivement de
85 mg/m2 et de 150 mg/m2.
Oxaliplatine et cancer de l’ovaire
Monothérapie
Basées sur le rationnel préclinique selon lequel il n’existe pas
de résistance croisée entre l’oxaliplatine et le cisplatine, des
études concernant l’oxaliplatine en monothérapie chez des
patientes ayant un cancer de l’ovaire résistant au cisplatine ont
été menées. Les différentes études de phase II retrouvent un
taux de réponse d’environ 30 % (34, 35). Ces résultats ont
incité plusieurs équipes à tester des schémas d’association de
l’oxaliplatine avec les autres drogues efficaces dans le cancer
de l’ovaire.
Associations
Oxaliplatine et cyclophosphamide
Une étude de phases II-III publiée par Misset et coll. a comparé l’association de cyclophosphamide (1 000 mg/m2) et
d’oxaliplatine (130 mg/m2) ou de cisplatine (100 mg/m2), ce
schéma étant répété toutes les trois semaines (36). Le taux de
réponse était de 51,5 % dans le bras oxaliplatine/cyclophosphamide et de 65 % dans le bras cyclophosphamide/cisplatine. Il
n’y avait pas de différence de survie entre les deux bras. En
revanche, la toxicité de l’oxaliplatine était plus faible, ce qui
entraînait moins de retards de cure. La principale toxicité était
hématologique.
Oxaliplatine et cisplatine
Basée sur une synergie potentielle in vitro et in vivo entre
l’oxaliplatine et le cisplatine ou le carboplatine, une étude de
phases I-II associant cisplatine et oxaliplatine a montré un taux
de réponse de 75 % chez les patientes non prétraitées et de
25 % chez les patientes ayant une tumeur réfractaire au cisplatine (37). L’adjonction d’épirubicine et d’ifosfamide au
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schéma cisplatine/oxaliplatine a entraîné un meilleur taux de
réponse (70 % sur 19 patientes) au prix d’une toxicité hématologique importante (38).
Oxaliplatine et paclitaxel
Une étude de phases I-II associant oxaliplatine et paclitaxel a
montré que les doses recommandées sont de 130 mg/m2 pour
l’oxaliplatine et de 175 mg/m2 pour le paclitaxel, la toxicité
hématologique et neurologique de ces doses étant modérée
(39). L’association oxaliplatine/paclitaxel/cisplatine a également été étudiée chez des patientes rechutant à distance d’une
première ligne de chimiothérapie. Même si quelques réponses
ont été obtenues, l’intérêt de cette association est limité par la
toxicité neurologique et hématologique qu’elle entraîne. Plusieurs études sont actuellement en cours dans le cancer de
l’ovaire. L’oxaliplatine est employé soit en monothérapie chez
les patientes ayant une tumeur résistante au cisplatine, soit en
association avec le paclitaxel, avec ou sans cisplatine.
Autres localisations
L’oxaliplatine a été testé en monothérapie dans de nombreuses
autres localisations tumorales telles que le cancer du sein, le
cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC), les cancers
ORL, le lymphome non hodgkinien (LNH) et l’astrocytome
malin (32). Quelques réponses tumorales ont été obtenues dans
les cancers du sein antérieurement traités par anthracyclines
ainsi que dans les CBNPC et les LNH. Une étude associant
oxaliplatine et gemcitabine dans les CBNPC est en cours.
Enfin, de nombreuses études ont débuté dans d’autres tumeurs
digestives (pancréas, estomac) ou dans le cancer de la prostate.
CONCLUSION
L’efficacité antitumorale de l’oxaliplatine est maintenant clairement établie, tant sur le plan fondamental que sur le plan clinique compte tenu des nombreuses études disponibles à l’heure
actuelle. Chez les patients présentant un cancer colorectal
métastatique, l’activité synergique de l’oxaliplatine et du
5 fluoro-uracile a permis de développer de nouveaux schémas
thérapeutiques, qui se sont révélés très efficaces et bien tolérés.
De plus, grâce à sa faible toxicité hématologique, l’oxaliplatine
se prête particulièrement à d’autres associations prometteuses
en cours d’étude, que ce soit dans les tumeurs digestives ou
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dans d’autres localisations.
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La Lettre du Cancérologue - volume VIII - no 4 - septembre 1999
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