M Franchir la ligne !... À propos d’une évolution C

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Cas clinique
C as clinique
Franchir la ligne !... À propos d’une évolution
favorable sous erlotinib (Tarceva®)[1]
# E. Dansin*, G. Cardot**, S. Ribadeau***, H. Porte****
M
me N.D., âgée de 62 ans, ancienne secrétaire, sans
antécédent particulier, consultait en décembre 2004
pour douleur hémithoracique droite. Elle avait fumé
de l’âge de 14 à 60 ans, avec une consommation globale estimée
à 35 paquets-années. Le scanner révélait à droite une masse
lobaire inférieure de 4 cm associée à de volumineuses adénopathies hilaires et médiastinales et une pleurésie de faible abondance. La cytologie pleurale était négative. Le diagnostic d’adénocarcinome était obtenu par ponction transthoracique sous
scanner. L’immunohistochimie était clairement en faveur d’un
carcinome d’origine bronchique. Le bilan d’extension (scanner
cérébral, scintigraphie osseuse, coupes scanner hépatiques et
surrénaliennes) étant négatif, la lésion était classée cT2N2M0 ;
la patiente recevait deux cures de chimiothérapie d’induction
(cisplatine/docétaxel). Cette induction n’entraînait aucune réponse objective. La thoracotomie découvrant une carcinose
pleurale patente, il n’était réalisé qu’une pleurectomie partielle
pour symphyse. Les analyses histologiques confirmaient l’atteinte métastatique pleurale d’un adénocarcinome. À compter
du 25 février 2005, la patiente recevait une deuxième ligne de
chimiothérapie par pemetrexed (Alimta®). Après six cures, le
bilan montrait une progression de la lésion lobaire inférieure
droite et des nodules intraparenchymateux (figures 1 et 2) ainsi
qu’une lésion cérébrale frontale antérieure gauche très suspecte
(figure 3). Un traitement par erlotinib à la posologie de 150 mg/
jour était commencé à partir du 1er juillet 2005. La patiente présentait une réaction acnéiforme de faible intensité au niveau péribuccal et sur le décolleté. Il n’y avait pas de toxicité digestive.
Après 2 mois d’erlotinib, on constatait une réponse objective
thoracique et cérébrale. La poursuite du traitement entraînait
des infections péri-unguéales évoluant favorablement sous antiseptiques locaux. Après 10 mois de prise continue d’erlotinib,
le bilan confirmait la régression majeure de l’opacité lobaire
inférieure droite (23 mm) et de l’épaississement pleural ainsi
que la disparition complète des nodules intraparenchymateux
et des adénopathies médiastinales (figures 4 et 5). Le scanner
cérébral ne retrouvait plus la lésion antérieure gauche initialement décrite (figure 6). L’amélioration fonctionnelle manifeste
permettait à la patiente de reprendre des activités physiques
régulières. Notre observation souligne :
[1] © La Lettre du Cancérologue 2006;3(XV):134-6.
* CLCC Oscar-Lambret, département de cancérologie générale, Lille.
E-mail : [email protected]
** Centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer.
*** Centre hospitalier Rang-du-Fliers.
**** Centre hospitalier régional universitaire de Lille.
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– la valeur des facteurs cliniques prédictifs d’une réponse objective sous inhibiteur du récepteur de l’EGF (ITK-EGFR) ;
– l’efficacité potentielle des ITK-EGFR sur les métastases cérébrales ;
– l’apport de l’erlotinib.
Des facteurs cliniques et biologiques prédictifs d’une réponse
sous ITK-EGFR ont été décrits. Les éléments cliniques sont fiables et facilement identifiables : le sexe féminin, l’histologie adénocarcinomateuse, l’absence de tabagisme et l’ethnie asiatique
(1). La valeur prédictive des facteurs biologiques (expression
de l’EGFR en immunohistochimie, nombre de copies du gène
en FISH, mutations du gène de l’EGFR) est plus discutée, car
toutes les études ne sont pas concordantes (2, 3). À ce jour, il
n’est pas demandé de réaliser ces tests biologiques pour sélectionner les candidats à un traitement par ITK-EGFR. Des réponses objectives sous ITK-EGFR ayant déjà été rapportées sur
des métastases cérébrales, cette situation clinique ne doit pas
représenter une contre-indication à la prescription (4). Dans
l’essai BR 21 de F.A. Sherpherd et al. comparant l’erlotinib au
placebo chez des patients atteints de cancer bronchique non
à petites cellules (CBNPC) en deuxième et troisième ligne de
chimiothérapie, le taux de réponse objective était de 9 % dans
le bras erlotinib (5). Ce résultat modeste était toutefois associé
à une différence significative en termes de survie, avec une médiane de 6,7 mois dans le bras erlotinib versus 4,7 mois dans le
bras placebo. Ce bénéfice sur la survie n’était pas confirmé par
l’essai ISEL, utilisant, dans des circonstances cliniques a priori
comparables, du géfitinib (Iressa®) [6]. Des différences pharmacologiques pourraient expliquer au moins partiellement cette
supériorité de l’erlotinib.
Même si le recul est faible, notre observation illustre le bénéfice
que peut apporter l’erlotinib tant sur le plan fonctionnel qu’en
termes de réponse objective chez des patients en situation
d’échec après une deuxième ou troisième ligne de chimiothérapie. De nombreuses questions persistent sur les ITK-EGFR,
mais il semble indéniable qu’ils peuvent aider certains patients
N
à… franchir les lignes.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Janne PA, Gurubhagavatula S, Yeap BY et al. Outcomes of patients
with advanced non-small-cell lung cancer treated with gefitinib (ZD1839,
Iressa®) on an expanded access study. Lung Cancer 2004;44(2):221-30.
2. Lynch TJ, Bell DW, Sordella R et al. Activating mutations in the epidermal growth factor receptor underlying responsiveness of non-small-cell
lung cancer to gefitinib. N Engl J Med 2004;350(21):2129-39.
3. Tsao MS, Sakurada A, Cutz JC et al. Erlotinib in lung cancer - molecular and clinical predictors of outcome. N Engl J Med 2005;353(2):133-44.
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Figure 1. Bilan après 6 cures de pemetrexed (deuxième ligne) :
progression tumorale. Masse lobaire inférieure droite de 5 cm, pleurésie.
Figure 4. Bilan après 10 mois d’erlotinib : réponse objective. Masse lobaire
inférieure droite de 2,3 cm (flèche), régression totale de la pleurésie.
Figure 2. Bilan après 6 cures de pemetrexed (deuxième ligne) :
progression tumorale. Masse lobaire inférieure droite de 5 cm,
pleurésie, nodule pulmonaire gauche (flèche).
Figure 5. Bilan après 10 mois d’erlotinib : réponse objective.
Régression totale du nodule gauche.
Figure 3. Bilan après 6 cures de pemetrexed (deuxième ligne) :
progression tumorale. Nodule frontal gauche suspect (flèche).
Figure 6. Bilan après 10 mois d’erlotinib : réponse objective.
Régression totale du nodule frontal gauche.
4. Lai CS, Boshoff C, Falzon M, Lee SM. Complete response to erlotinib treatment in brain metastases from recurrent NSCLC. Thorax 2006;61(1):91.
5. Shepherd FA, Rodrigues Pereira J, Ciuleanu T et al. National Cancer
Institute of Canada Clinical Trials Group. Erlotinib in previously treated
non-small-cell lung cancer. N Engl J Med 2005;353(2):123-32.
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multicentre study (Iressa® Survival Evaluation in Lung Cancer). Lancet
2005;366(9496):1527-37.
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